Nomenclature des affaires orientées dans les chambres civiles

06/01/2022

Le 3 janvier 2022, le rapport "La Nomenclature des affaires orientées dans les chambres civiles de la Cour de cassation (NAO) : l’élaboration collective d’un outil de connaissance et d’action" a été remis à Mme la première présidente Chantal Arens, en présence de M. Jean-Michel Sommer, président de chambre, directeur du service de documentation, des études et du rapport. 

Interview des chargées de mission

Mme Evelyne Serverin, directeur de recherche émérite au CNRS, Centre de théorie et d’analyse du droit, CNRS, Université Paris Nanterre

Mme Brigitte Munoz-Perez, Expert démographe, Chercheur associé au CERCRID, Université Jean Monnet de Saint-Etienne

Au regard de l’expérience qui est la leur en matière de construction de référentiels de classement des affaires dans les juridictions, Mme Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, a confié à Mme Evelyne Serverin, directeur de recherche émérite au CNRS et à Mme Brigitte Munoz-Perez, Expert démographe, la tâche de constituer, en lien avec le Service de documentation, des études et du rapport, un groupe de travail aux fins d’élaborer une nomenclature des affaires traitées par la Cour. Cette nomenclature a vocation à se substituer à la Table matière, actuellement utilisée pour  l’orientation des pourvois dans les chambres. Les deux chargées de mission, qui viennent de remettre et de présenter leur rapport à la première présidente, ont bien voulu répondre à nos questions.

Pouvez-vous nous rappeler le contexte de la mission que vous avez accepté de conduire et nous éclairer sur les principes généraux qui ont guidé la conception de la NAO ?

La mission d’élaboration d’une nomenclature des affaires orientées nous a été confiée par Madame la première présidente par lettre du 1er février 2021. Elle s’inscrit dans la continuité d’une précédente mission sur le développement de la statistique à la Cour de cassation, dont Madame la première présidente nous a chargées par lettre du 8 juin 2020, et qui a donné lieu à un rapport remis le 28 décembre 2020. Dans le cadre de cette première mission, nous avons procédé à une analyse approfondie des différentes tables et variables descriptives des matières traitées et constaté que, si elles remplissaient une fonction essentielle de gestion aux différentes étapes de traitement des pourvois et des requêtes, elles ne permettaient que difficilement d’établir des statistiques sur les matières juridiques. Tel est le cas pour la table la plus importante, la « Table matière », liste de 231 mots-clés, dont la fonction principale est d’orienter les pourvois dans les chambres et les sections, conformément à l’ordonnance fixant les attributions des chambres. À partir de ce constat, nous avons proposé dans une recommandation n°4 de transformer l’actuelle « Table matière » en une « Nomenclature des affaires orientées » (NAO), en constituant un groupe de travail piloté par le SDER. Pour assurer la continuité entre les différents référentiels, nous avons retenu la solution d’une construction de la NAO à trois niveaux, prenant appui à la fois sur les mots-clés de la Table matière, et sur les postes de la Nomenclature des affaires civiles (NAC) et de la nomenclature des procédures particulières (COPRO), implantées dans le Répertoire général civil des juridictions du fond.

 

La NAO est le résultat d’un travail collaboratif associant tous les acteurs impliqués, au sein de la Cour de cassation et auprès d’elle, dans le traitement des pourvois. Votre rapport insiste sur le caractère collectif ayant présidé à l’élaboration de ce nouveau référentiel. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Le groupe de travail a été constitué avec l’objectif de mobiliser un large éventail de compétences, à la fois en interne, en sollicitant les services et les chambres et en externe, en y associant les avocats aux conseils, dont les mémoires ampliatifs constituent le point d’application du codage. Les intervenants ont été très nombreux. Outre les quatre membres du groupe de pilotage, quarante intervenants ont en effet été mobilisés.  Parmi ceux-ci, on soulignera l’importance de la fonction de référent de sous-groupe thématique. Au total, on compte dix-huit référents, sept conseillers de chambres, un avocat général et dix avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

 À ces intervenants désignés, il faut ajouter les très nombreux magistrats qui ont été consultés par les responsables de sous-groupes de manière informelle sur des questions spécifiques.

Après avoir soumis leurs propositions à l’ensemble des membres du groupe de travail, les intervenants ont procédé à des échanges de vues au cours de dix réunions, programmées en fonction des thèmes abordés, ponctués par quatre réunions plénières. Ces échanges ont mobilisé les participants de manière différenciée selon les thèmes et ont également suscité des consultations informelles sur des points particuliers.

C’est en ce sens qu’on peut dire que la nomenclature présentée dans le rapport de fin de mission est une œuvre collaborative, fruit de l’expérience de toutes les parties prenantes.  

 

L’intitulé de votre rapport souligne que la nomenclature des affaires orientées constitue un outil de connaissance et d’action. Pouvez-vous êtes plus explicites sur les avantages attendus d’un tel instrument, en particulier sous l’angle de l’analyse des contentieux, de l’organisation de la Cour ou de la gestion du traitement des pourvois 

La prééminence de la fonction jurisprudentielle de la Cour de cassation a pour conséquence logique de privilégier la diffusion des arrêts rendus, reléguant au second plan la connaissance des caractéristiques juridiques des affaires dont elle est saisie et dont seule une fraction donnera lieu à des arrêts diffusables. Les outils de description juridiques sont restés peu développés, et se résument pour l’essentiel à une « table matière » composée d’une liste de 231 mots-clés, dont la fonction principale est d’orienter les pourvois dans les chambres et les sections. Cette situation contraste avec celle des juridictions du fond, qui disposent depuis 1988 d’une véritable nomenclature des affaires (NAC) à trois positions, comportant au niveau le plus détaillé 789 postes en 2020, complétée par une Nomenclature des procédures particulières (COPRO) de 77 postes détaillés.

Le développement de données descriptives de la nature juridique des affaires dans une nomenclature spécifique tend à combler cette lacune : dans sa version arrêtée en décembre 2021, la NAO, qui comporte également trois niveaux, est plus détaillée que la NAC/COPRO, avec 911 postes au niveau le plus fin, assortie de visas, de définitions et de consignes.

Du point de vue de la connaissance, cette description permettra d’établir un lien avec la nature des affaires traitées par les juridictions du fond, et au-delà, d’identifier les faits économiques et sociaux engagés dans les pourvois. Du point de vue de la gestion, la NAO permet d’anticiper les besoins de formation des rapporteurs, en identifiant les questions juridiques soulevées dans les pourvois. Enfin, cet outil sera utilement mobilisé pour la mise à jour des attributions des chambres.

 

Quels partenariats la Cour de cassation pourrait-elle être appelée à proposer, par exemple au Ministère de la Justice et à son service statistique, à des équipes et des laboratoires universitaires, pour valoriser, à terme, sa nouvelle nomenclature ?

Du point de vue statistique, il est possible d’envisager de diffuser des séries détaillées issues de la NAO, tant par leur intégration dans le référentiel justice, que par l’ouverture d’un accès aux données sur le site du ministère de la justice.

Le public intéressé doit pouvoir disposer d’une information sur la nature des affaires traitées par la Cour de cassation, par la consultation de tableaux détaillés, sur le modèle proposé aujourd’hui par le ministère de la justice pour la description de l’activité des cours d’appel. Pour cette dernière action, un rapprochement sera nécessaire entre la Cour de cassation et la Sous-direction de la statistique et des études.

Du côté de la communauté des juristes, cette nomenclature constituera un instrument précieux pour identifier plus finement les questions juridiques traitées. L’exploitation des séries fournira des informations utiles, tant aux enseignants, qui pourront insister sur les secteurs sensibles, qu’aux éditeurs juridiques, qui y trouveront les questions émergentes, et aux chercheurs, qui disposeront de données de cadrage pour conduire des études sur des contentieux spécifiques.

Les recherches pourront être soutenues par des financements spécifiques, assurés par l’ANR, ou dans l’avenir, par l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ), qui constitue un nouveau groupement d’intérêt public regroupant tous les acteurs intéressés à ce domaine de recherche.

 

La Cour de cassation attache un grand prix à développer les relations qu’elle entretient avec les juridictions du fond. En quoi la NAO pourrait-elle contribuer à ce rapprochement ?

La Cour de cassation a entrepris d’améliorer la connaissance statistique des affaires qu’elle traite et de relier ces dernières avec celles des juridictions du fond.

 En récupérant dans NOMOS, le système d’information de la Cour de cassation, la variable « nature des affaires civiles et procédures particulières » (NAC-COPRO), codée par les cours d’appel, la Cour de cassation sera désormais en mesure de calculer des taux de pourvoi pour identifier les matières litigieuses soumises au risque de pourvoi. Les juridictions pourront identifier les questions sensibles, et proposer des actions adaptées, que ce soit en termes d’organisation ou de formation.

Les liens avec les cours d’appel, qui se sont développés avec la mise en place de l’open data des décisions de justice, seront renforcés par des échanges comparatifs sur la nature des affaires traitées.  

 

La construction de ce nouveau référentiel est à présent parachevée. Que reste-t-il à faire avant sa mise en place effective, à partir de quelle date les mémoires seront-ils orientés sur la base de la NAO ?

L’entrée en application de la NAO est prévue le 1er janvier 2023. Avant son implantation dans la chaîne informatique, plusieurs opérations restent à réaliser, qui se dérouleront au cours du premier semestre 2022 :

Répartir les postes de la NAO entre les chambres et sections.  La NAO ayant vocation à se substituer à la Table matière dès son implantation dans NOMOS, elle doit assurer la même fonction d’orientation des pourvois. Il est donc nécessaire d’attribuer à chacun des 911 postes de la nomenclature une référence de chambre et de section. Cette opération a été confiée aux présidents des chambres qui, chacun en ce qui le concerne, établiront cette bijection, à périmètre constant, en conformité avec les attributions des chambres civiles fixées par une ordonnance primo-présidentielle.

Contrôler les textes cités en référence. Ces références figurent sous chaque rubrique de la NAO. Elles sont destinées à faciliter les opérations de codage, en rendant possible des recherches par textes visés dans les mémoires et dans la NAO.

Tester la NAO sur une période de 2 mois. Du 1er février au 31 mars 2022, à la phase d’orientation des pourvois, les mémoires ampliatifs feront l’objet d’un double codage par le SDER dans la table matière et la NAO. A l’issue de cette expérimentation, des aménagements seront apportés à la nomenclature. C’est cette version consolidée qui a vocation à entrer dans la chaîne informatique, avec une remise au service informatique envisagée pour mai 2022. Les opérations nécessaires à l’implantation de la NAO seront prochainement programmées par le service informatique et le greffe des pourvois.

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