"L’environnement : les citoyens, le droit, les juges" - Chantal Arens

16/06/2021

Discours prononcé par Mme la première présidente Chantal Arens, en ouverture du colloque "L’environnement : les citoyens, le droit, les juges - Regards croisés du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation"

Madame le haut conseiller du Conseil constitutionnel,

Monsieur le procureur général,

Monsieur le vice-président du Conseil d’Etat,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’Etat,

Monsieur l’ambassadeur,

Monsieur le consul,

Monsieur le président de l’Ordre des avocats aux Conseils,

Mesdames et Messieurs les magistrats, Mesdames et Messieurs les avocats, Mesdames et Messieurs les professeurs, Mesdames et Messieurs,

Je me réjouis tout particulièrement d’ouvrir ce colloque conjointement organisé par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat dont je salue à nouveau chaleureusement son vice-président, Monsieur Bruno Lasserre. En dépit d’un contexte sanitaire encore incertain, nous poursuivons ensemble une tradition à la fois bien ancrée dans notre histoire commune et renouvelée tous les deux ans : celle de créer un espace de rencontres permettant à l’ordre judiciaire et l’ordre administratif de croiser leur regard, de dialoguer avec d’autres institutions et avec la société civile, sur une thématique à la fois juridique et sociétale.

Echanger et être à l’écoute de la société, se saisir des questions qui la traversent sont un enjeu majeur, alors que l’on observe aujourd’hui un certain degré de défiance vis-à-vis des institutions et notamment de la justice.

Dans un monde traversé par un droit de plus en plus complexe et fragmenté, dont les sources se multiplient, dans une société en perpétuel mouvement, le besoin d’une boussole se fait ressentir.

C’est ce rôle de repère que doit tenir la Cour de cassation, aux côtés du Conseil d’Etat et sous le regard du Conseil constitutionnel.

L’institution judiciaire se doit donc de rester alerte et à l’écoute des grandes questions sociétales  : l’environnement en fait sans aucun doute partie. Désertification, perte de biodiversité, risques sanitaires et réchauffement climatique : les constats scientifiques sont posés et aujourd’hui, partout dans le monde, chacune et chacun peut en faire l’expérience.

Le danger n’est pas seulement écologique. Les dégradations environnementales entrainent des catastrophes économiques et sociales, renforcent les inégalités et peuvent être sources de conflits géopolitiques.

Il nous est donc apparu comme une évidence, comme une urgence même, que la Cour de cassation organise avec le Conseil d’Etat cette journée d’échanges.

Les cycles de conférences qui se tiennent actuellement ici en Grand Chambre, l’un intitulé « Justice environnementale : le défi de l’effectivité », co-organisé avec Madame Béatrice Parance, professeure à l’université Paris 8 qui aura la difficile mission de dresser une synthèse des travaux d’aujourd’hui et que je salue chaleureusement ; l’autre portant sur « Le droit pénal de l’environnement » illustrent déjà tout l’intérêt que la Cour de cassation accorde à la question environnementale.

A n’en pas douter, ce colloque sera une nouvelle occasion d’enrichir la réflexion sur le rôle que le juge exerce et exercera demain dans la protection de l’environnement.

Arrêtons-nous un instant sur son intitulé : « L’environnement : les citoyens, le droit, les juges »  ; il se veut le reflet d’un enjeu - la préservation de l’environnement - dont la défense est désormais menée dans l’arène judiciaire, sur le terrain du droit.

Les prétoires, en France comme dans de nombreux autres pays d’Europe et du monde, sont de plus en plus investis par les citoyens pour agir concrètement à la préservation de l’environnement.

A la fois déterminés, impatients et remplis d’espoirs, ils se mobilisent, participent à des marches pour le climat et réclament une justice sociale et environnementale ; les ONG agissent, par le droit notamment, pour rendre visibles les responsables de la dégradation de l’environnement.

Le droit apparait alors comme un outil de défense de l’environnement mais également comme un trait d’union entre les citoyens et les juges.

L’environnement touche directement la vie, le quotidien des citoyens, ainsi que des pans entiers de l’économie, l’agriculture, l’industrie, les services.

De même, il irrigue toutes les branches du droit  : le droit civil, le droit pénal, le droit public, le droit processuel, le droit international : l’illustration de notre programme, cette balance entièrement recouverte d’un feuillage printanier et vigoureux, me semble parfaitement illustrer ce mouvement d’ampleur qu’est le verdissement du droit.

Cette transversalité nous bouscule car elle conduit à de nouvelles articulations entre la protection de l’environnement et les droits fondamentaux, que sont la liberté d’entreprendre ou le droit de propriété par exemple. Madame Dominique Lottin, membre du Conseil constitutionnel, que je salue à nouveau, abordera spécifiquement la question de la conciliation de la protection de l’environnement avec les droits fondamentaux.

Cette transversalité, matérielle, est également territoriale. La crise écologique ne connait pas de frontière et si l’effectivité du droit de l’environnement sur notre territoire ne fait pas de doute, elle se traduit souvent en amont par des accords signés à l’échelle internationale : je pense ici à l’Accord de Paris entré en vigueur en 2016, qui engage les Etats signataires, dont la France, à réduire leurs émissions à effet de serre de 40 % d’ici 2030 ; je pense encore, plus loin, à la conférence de Stockholm en 1972 ou au sommet de Rio en 1992, marqué par l’adoption d’une Déclaration sur l’environnement et le développement ; je pense également à la Convention d’Aarhus signée en 1998 qui vise notamment à étendre les conditions d’accès à la justice en matière d’environnement ; l’organisation toute récente par les Etats-Unis d’un sommet mondial sur le climat, réunissant une quarantaine de dirigeants d’Etats est une nouvelle traduction de cette mobilisation internationale. Cependant, malgré les preuves alarmantes de l’état écologique de la planète, ces dizaines de réunions diplomatiques et de déclarations d’intention, les Etats ne se donnent pas suffisamment les moyens d’agir sur les causes du processus en cours.

Il est donc indispensable que soient mis en place des réglementations, un droit porteur d’un avenir durable, à la hauteur du défi écologique qui dépasse largement les intérêts particuliers des Etats.

Le droit environnemental est justement un droit audacieux, qui nous bouscule et nous fait innover.

Audacieux car il est investi par les citoyens (et tout particulièrement la jeunesse) et les corps intermédiaires, emportés par une conscientisation de la crise écologique qui s’opère à l’échelle mondiale ;

Innovant ensuite, parce qu’il conduit le juge a des décisions souvent qualifiées d’historiques.

En témoigne tout d’abord la reconnaissance récente par le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, de la protection de l’environnement, patrimoine commun des humains, comme un objectif de valeur constitutionnelle.

En témoignent également les décisions du juge administratif qui, reconnaissant la carence fautive de l’Etat dans le cadre des premiers procès climatiques en France, a su mesurer les enjeux de la crise écologique ;

Dans l’ordre judiciaire, la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’affaire « Erika » a dès 2012, consacré un préjudice écologique tout à la fois distinct des préjudices personnels des associations et collectivités territoriales et réparable par les règles de la responsabilité civile ;

Plus récemment, dans un arrêt du 25 novembre 2020, la chambre criminelle a jugé qu’en cas de fusion-absorption d’une société anonyme par une autre, la seconde doit être déclarée coupable des infractions commises, avant la fusion, par la société absorbée. Cette jurisprudence aura sans nul doute d’importantes répercussions en droit pénal de l’environnement, où le risque de voir les sociétés tenter d’échapper à la sanction par le jeu des mécanismes du droit des sociétés était avéré.

En 2020 également, dans l’affaire dite des calanques, le tribunal judiciaire de Marseille a reconnu « le préjudice écologique indéniable causé à l’écosystème » et condamné des pêcheurs braconniers à payer une somme record de 350 000 euros « affectée en totalité à réparer l’environnement impacté », décision innovante en ce qu’elle personnifie la nature et démonte qu’elle a une valeur.

Innovant encore parce que l’environnement conduit à repenser l’office du juge. Au sein de leur instance juridique nationale, les juges n’hésitent plus à s’inspirer des décisions de leurs voisins pour parvenir à une unification du droit de l’environnement, et la question récurrente se pose de savoir s’il n’y a pas lieu de créer une juridiction, un juge spécialement chargé de la protection de l’environnement.

Ainsi ce colloque aura-t-il, peut-être, la vertu de faire de nous tous ici présents, des « acteurs de cette diplomatie juridictionnelle européenne et mondiale  ».

Cette approche à la fois transversale et prospective fait de l’environnement un terrain de dialogue particulièrement propice à la participation d’un panel extrêmement riche d’intervenants, nationaux comme étrangers, aux domaines d’expertises complémentaires.

Je suis très heureuse d’accueillir aux côtés d’avocats, de magistrats à la Cour de cassation et de membres du Conseil d’Etat, d’universitaires Madame Dineke De Groot présidente de la Cour suprême des Pays-Bas, Madame Juliane Kokott avocate générale à la Cour de justice de l’Union européenne, ainsi que Monsieur Mattias Guyomar, juge à la Cour européenne des droits de l’homme, qui, en nous faisant l’honneur d’intervenir aujourd’hui, incarnent le dialogue des juges européens.

Nous entendrons également Monsieur Daniel Calleja y Crespo, que je salue, directeur général du service juridique de la Commission européenne, qui abordera la question de la conciliation voire des tensions qui peuvent naître entre le droit de l’environnement et les différentes actions menées à l’échelle de l’Union européenne ; nous écouterons également avec beaucoup d’intérêt Monsieur Jochen Gebauer, chef de service au ministère fédéral allemand de l’environnement qui nous dira comment l’exécutif de son pays associe la société civile à l’arbitrage entre la préservation de l’environnement et les autres politiques publiques.

Je remercie ainsi vivement l’ensemble des intervenants de nous faire l’honneur de leur participation. Votre approche, vos échanges intéresseront, je n’en doute pas, un public qui dépassera largement la seule communauté des juristes.

Sans entrer davantage dans le cœur des sujets qui feront l’objet de nos échanges, nous devinons que se dessine un chantier considérable qu’il nous appartient de prendre à bras le corps. Si les premières pierres ont été posées, il n’appartient qu’à nous d’accompagner et de porter plus haut encore ce mouvement.

Cette révolution du droit de l’environnement est indéniablement l’un des défis majeurs du 21ème siècle. Elle doit être à la hauteur de cette crise climatique qui sous-tend une crise plus générale, une crise de civilisation.

Face à l’urgence climatique, les citoyens, les juges, chacun depuis la place qui est la sienne, ont un rôle crucial à jouer pour préserver l’environnement, cause essentielle pour l’avenir de l’humanité.

Je vous souhaite à toutes et à tous un excellent colloque et cède, sans plus attendre, la parole à Monsieur François Molins, procureur général près la Cour de cassation.

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Par Chantal Arens

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