"Réseau des procureurs généraux près les cours suprêmes ou institutions équivalentes des États membres de l’Union européenne : dixième anniversaire"

17/05/2018

Discours prononcé par M. Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation à l'occasion du dixième anniversaire du réseau des procureurs généraux près les cours suprêmes

Madame la garde des Sceaux,

Monsieur le premier président,

Mesdames et Messieurs les procureurs généraux près les cours suprêmes ou institutions équivalentes des Etats membres de l’Union européenne,

Mesdames et Messieurs,

 

Madame la garde des Sceaux,

Je suis particulièrement sensible à l’honneur que vous faites à notre Réseau, en ouvrant, ce matin, solennellement, nos travaux et en partageant avec nous, non pas une part d’un gâteau d’anniversaire, mais l’orée de notre 11ème conférence annuelle consacrant les 10 ans de notre existence.

En cet instant, je tiens, devant notre assemblée, à vous remercier d’avoir largement contribué à la tenue de cette conférence qui, sans votre aide, n’aurait pu se tenir dans les mêmes conditions.

Mais votre engagement ne se limite pas à l’apport de moyens propres à permettre la belle organisation, à Paris, de cet évènement attendu de nos collègues de l’Union, il témoigne surtout de l’intérêt que vous portez aux enjeux européens en général, et à la coopération judiciaire en particulier.

L’Europe judiciaire a besoin de la volonté sans faille des gouvernements pour que soient élaborés des institutions et des outils utiles et efficaces afin que, par-delà nos nombreuses différences, l’Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice prenne tout son sens.

 

Mesdames et Messieurs les procureurs généraux, Chers collègues,

Je suis heureux de vous accueillir à l’occasion du dixième anniversaire de notre Réseau, créé en 2008 à Paris à l’initiative de mon prédécesseur, Jean-Louis Nadal.

Lors de sa création, ce dernier rappelait, je le cite, que « l’objectif ultime [du réseau est] le renforcement, au niveau européen de l’Etat de droit et de la régulation par la norme juridique des relations économiques et sociales ». 

Cet objectif demeure mais il repose avant tout sur une idée forte : nos différences peuvent exister, nos visions de l’Europe être parfois contrastées, nos impatiences être plurielles, mais c’est par le partage de nos expériences, de nos interrogations et de nos tâtonnements que nous ferons progresser la concrétisation d’une ambition commune, abolir entre nous ces barrières et ces fossés qui sont autant de passeports pour la criminalité la plus organisée.

Les fonctions que nous occupons doivent nous autoriser à être, ensemble, un cercle d’évaluation des besoins concrets d’une lutte efficace contre la criminalité transfrontalière et le terrorisme, une force de proposition pour une meilleure coopération entre nos systèmes judiciaires et un baromètre de la bonne mise en  œuvre et de l’efficacité des outils dont nous disposons.

Notre Réseau ne doit pas devenir un club dont la réunion annuelle serait une sorte de rituel auquel il serait agréable d’assister.

Notre Réseau est et doit, au contraire, demeurer l’occasion unique de partager nos bonnes pratiques en matière de coopération entre nos institutions judiciaires, d’évaluer les raisons des dysfonctionnements en ce domaine, d’imaginer  l’avenir de nos ministères publics dans l’Europe de demain.

Je crois sincèrement pouvoir dire que nos rencontres, notamment depuis quelques années, ont été la pierre angulaire de débats particulièrement enrichissants liés à une actualité, souvent dramatique, rendant d’autant plus nécessaire le renforcement de nos liens.

Ces propos ne tendent pas à dessiner un programme ; ils veulent seulement souligner une nécessité au moment même où la création d’un parquet européen, voulue par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, cesse d’être une idée pour devenir une réalité.

En effet, la création du parquet européen a été actée le 12 octobre 2017 lors du Conseil des ministres Justice et Affaires intérieures, par vingt Etats membres devenus aujourd’hui vingt-deux.

Cette nouvelle entité va, dans les dix prochaines années, bousculer nos habitudes, nos tropismes nationaux et, sans aucun doute, notre façon d’aborder nos fonctions et notre rôle. 

Une chose est en effet certaine : nos Ministères publics nationaux devront s’adapter à la nouvelle architecture judiciaire européenne.

Cette création intervient à l’heure où nos sociétés, devenues émotives, sont affamées d’informations instantanées et continues, phénomène largement amplifié par l’omniprésence d’internet dans tous les interstices de nos sociétés.

Les actes terroristes ayant massivement endeuillé l’Europe depuis trois ans ont accru l’attente des peuples d’Europe d’une justice efficace et ils n’admettent plus que les frontières nationales puissent constituer un obstacle légitime.

La création de ce parquet européen suscite bien des interrogations chez certains pour qui la nouveauté du concept et la complexité apparente de son futur fonctionnement inquiètent sur la réelle plus-value du dispositif.

Mais, ces questionnements de femmes et d’hommes de terrain, s’ils sont légitimes, ne doivent pas constituer un frein à la mise en œuvre d’une réforme d’une importance capitale dans la lignée de l’instauration d’Eurojust, du mandat d’arrêt européen et des équipes communes d’enquête et bien d’autres avancées encore. 

Face à ce défi que représente l’émergence du parquet européen, nous devons réfléchir, proposer et, le cas échéant, agir ensemble, pour contribuer à faire de ce nouvel instrument une arme de lutte efficace contre la fraude aux intérêts financiers de l’Union.

Les succès dans l’exercice de cette compétence essentielle mais limitée seront, à n’en pas douter, le socle d’une extension future de son champ d’action à d’autres contentieux tels le terrorisme et la criminalité organisée comme l’a évoqué le président de la République, Emmanuel Macron, en septembre dernier.

 

A l’heure du bilan de ces dix premières années, nous devons densifier nos propres relations. Je ferai demain, dans le cadre de l’Assemblée générale, quelques propositions en ce sens. Il semble notamment qu’il serait souhaitable de créer rapidement un site internet dédié au réseau afin de fluidifier et de densifier nos échanges.

La création de ce site pourrait, le cas échéant, être confiée à un groupe de travail qui pourrait élaborer une proposition concrète lors de la prochaine rencontre du Réseau en 2019 en Estonie.

Par ailleurs, j’aurai le plaisir de vous soumettre l’entrée d’un nouvel observateur de nos travaux, en l’espèce le procureur général de Moldavie. 

 

Enfin, je souhaite terminer ces propos en vous présentant en quelques mots les thématiques qui articuleront ces deux journées de travail. 

Vous l’aurez compris, au moment où l’on célèbre le dixième anniversaire de notre Réseau, le parquet européen se créé, et avec lui, un procureur en chef européen. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé de consacrer la dernière des trois tables rondes à ce sujet, comme l’aboutissement de nos réflexions.

Préalablement, parce que nous sommes différents dans nos organisations et nos attributions, nous allons consacrer la première des tables rondes aux trois grands modèles de Ministère public en Europe, soit les modèles continental, de common law et fédéral, afin d’en mieux rappeler les contours, les différences mais aussi les convergences.

Il a ensuite semblé pertinent de faire le point, au sein d’une deuxième table ronde, sur l’état des lieux de  la mise en œuvre concrète des instruments européens de coopération disponibles.

Ces échanges seront précédés, dans un instant, de la présentation, par M. André Potocki, juge français à la Cour Européenne des Droits de l’Homme et par M. Yves Bot, avocat général français à la Cour de Justice de l’Union Européenne d’un point de la jurisprudence récente de ces deux cours européennes dont les décisions irriguent, chaque jour davantage, nos droits nationaux.

 

Cet après-midi, l’intervention de M. Didier le Prado, président de l’association européenne des barreaux des cours suprêmes, et, demain, celle de M. Olivier Leurent, directeur de l’Ecole nationale de la magistrature nous offriront l’opportunité d’un regard sur la place de l’avocat devant les cours suprêmes et sur la question fondamentale de la formation des juges et procureurs.

Comme vous le constatez, le programme de ces deux journées est dense, mais il témoigne avant tout de la pertinence de nos rencontres.

Pour illustrer ces propos, il me semble que votre présence en nombre à Paris, chers collègues, mais aussi celle, que je salue, des institutions de l’Union montre, avec éclat, le succès de notre Réseau lancé ici-même, dans cette Grand’ chambre, il y a dix ans.

A l’orée de cette conférence, comment ne pas conclure mes propos en cédant la parole à l’un des pères fondateurs de l’Europe, Jean Monnet[1], qui aimait à dire, je le cite : « Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes  ».

Je vous remercie.

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Par Jean-Claude Marin

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