"Qu’est-ce qu’un expert national ?" - allocution de M. le procureur général Jean-Claude Marin

05/02/2018

Allocution de Monsieur le procureur général Jean-Claude Marin prononcée en ouverture du colloque "Qu’est-ce qu’un expert national ?", organisé par la Compagnie des experts agréés par la Cour de cassation et qui s’est tenu le lundi 5 février 2018.

Je tiens, avant tout, à adresser mes sincères remerciements à la Compagnie des experts agréés par la Cour de cassation et plus particulièrement à son président, Monsieur François GRANGIER, pour l’organisation de ce colloque qui, au-delà de son thème principal qui permettra de dessiner les contours du rôle particulier de l’expert national, tentera également de circonscrire les conditions d’accès et les critères présidant à l’inscription des experts sur la liste nationale. 

Le thème choisi, « Qu’est-ce qu’un expert national ? », nous invite en effet à aborder la plus-value de l’expert bénéficiant d’une inscription à l’échelon national alors que la justice peut de moins en moins se passer d’experts hautement qualifiés dans notre univers de perpétuelle sophistication technologique.

L’expert judiciaire, nous le savons, est le professionnel investi d’une mission définie par une autorité juridictionnelle pour concourir à l’œuvre de justice en apportant un éclairage de professionnel averti. A cet égard, l’expert doit, certes, faire autorité dans son domaine de compétence, mais aussi disposer d’une connaissance approfondie de la procédure afin de ne pas mettre en péril le travail judiciaire. 

Son avis pouvant jouer un rôle de tout premier plan dans la conduite et dans l’issue du procès, le juge doit pouvoir compter sur une compétence et une expérience faisant autorité alliée à une déontologie exemplaire.

Nous sommes ici réunis pour aborder les contours de ce statut particulier de l’expert national, mais, également, pour vous présenter les enjeux de la liste nationale des experts agréés par la Cour de cassation.

Les modalités d’inscription sur la liste nationale ont connu, il y a peu, un changement législatif important.

En effet, la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle a introduit un nouvel alinéa à l’article 2 de la loi du 29 juin 1971 relative aux experts, précisant que, désormais, la durée de validité d’une inscription sur la liste nationale est limitée à 7 ans, la réinscription, pour la même durée, étant soumise à l’examen d’une nouvelle candidature.

Si le changement a pu paraitre périphérique aux yeux de certains, il a en réalité eu des effets concrets sur la structure de la liste.

Il faut, à cet instant, attirer votre attention sur les conséquences qu’ont eues les modifications ainsi intervenues : tous les experts inscrits sur la liste nationale depuis 2009, 2010 ou 2011 ont été amenés à soumettre un dossier de candidature en vue du renouvellement de leur inscription ou de l’obtention de l’honorariat avant la fin de l’année 2017.

Les dispositions nouvelles, rappelons-le, prévoyant pour les experts de plus de 70 ans, le principe, sauf exception motivée, de la non réinscription et l’obtention de l’honorariat.

Dans ce contexte, le nombre de dossiers de candidature adressé à la Cour de cassation en 2017 est resté stable par rapport aux deux années précédentes, soit 146 dossiers en 2015, 157 en 2016 et 154 en 2017. Ces chiffres sont toutefois en forte baisse par rapport au début des années 2010 où le nombre de demandes d’inscription variait de 209 en 2010 à 233 en 2012. 

Le non renouvellement de certains experts par application de ces nouvelles dispositions s’est, de facto, concrétisé par une diminution sensible du nombre des experts inscrits sur les diverses rubriques de spécialités.

Il en résulte un double défi pour la Cour de cassation qui devra faire face, d’un côté, à la nécessité, sans doute, d’inscrire, dans les années à venir, davantage d’experts tout en, d’un autre côté, veillant minutieusement au respect des critères de qualité et de renommée.

S’agissant, en tout premier lieu, de l’inscription, il convient que la liste nationale soit, autant que possible, exhaustive et comprenne des experts de toutes les spécialisations.

Mais, actuellement, 39% des spécialités de la liste nationale sont totalement dépourvues d’experts.

 

Plus précisément, il faut s’inquiéter du fait que quatre rubriques sont particulièrement touchées, et, sont actuellement, pour certaines spécialités, totalement dépourvues d’expert national :

  •  79% des spécialités de la rubrique B concernant les arts, la culture, la communication, les médias et le sport ;
  •  45% des spécialités de la rubrique C (bâtiment, travaux publics et gestion immobilière) ;
  •  43% des spécialités de la rubrique H (interprétariat et traduction) ;
  •  Et, plus étonnant, 41% des spécialités de la rubrique D (économie et finances).

 

Or, le concours d’experts au fait de leur art, impartiaux et intègres participe sans conteste à la pertinence de la décision du magistrat mandant et est la garantie d’une justice éclairée, ouverte et en prise directe avec la société dont elle entend trancher les conflits.

C’est ainsi que grâce à leurs savoirs, ils participent pleinement à la légitimation des décisions rendues par les magistrats. Véritables éclaireurs, leur technicité constitue une garantie essentielle en matière de preuve.

Déontologie et éthique sont par ailleurs les piliers indispensables de la relation de confiance entretenue avec les magistrats, avec tous les acteurs de la Justice mais aussi avec les justiciables.

La Cour de cassation souhaite donc voir, dans les années à venir, davantage de personnalités d’excellence se porter candidates à l’inscription sur la liste nationale, notamment dans les rubriques dépourvues d’experts.

Les critères de sélection des candidats par la Cour de cassation seront plus amplement abordés dans la matinée mais je souhaiterais brièvement insister sur le souci qui anime la Cour de cassation de maintenir, par ses choix, l’image de prestige qui s’attache à l’inscription sur la liste nationale

Depuis la création de la liste nationale, la Cour veille à ce qu’elle ne comporte que des personnalités dont l’autorité scientifique et la notoriété sont hors de portée de toute critique.

La loi du 29 juin 1971 et son décret d’application du 23 décembre 2004 posent les principales règles régissant le concours des experts à la justice.

Il est tout d’abord essentiel d’affirmer, nous l’avons dit, qu’est indissociable de la qualité d’expert, l’exigence d’une probité absolue ainsi que le respect strict de la déontologie du professionnel et de l’expert.

S’agissant de la liste nationale, la Cour de cassation attend davantage. C’est pourquoi le processus de sélection s’attache à la notoriété nationale et internationale, à la qualité des travaux scientifiques et au constat d’une pratique expertale sans tâche.

Ainsi l’ancienneté de l’inscription du candidat sur une liste de cour d’appel, la qualité de ses contributions et de ses expertises, ses activités pédagogiques ou éditoriales, constituent autant de critères de sélection permettant d’attester de la légitimité d’une candidature.

Une fois obtenue, l’inscription témoigne de la valeur d’un expert et de sa science. Elle atteste pareillement de son expérience.

Ne vous y trompez pas, l’agrément n’est ni plus ni moins que la consécration d’une réputation expertale exceptionnelle. L’accès à la liste nationale est certes sélectif, mais permet l’entrée dans un cercle reconnu dont le rayonnement et la réputation sont attachés à ceux de la Cour.

En vous disant cela, je ne tente pas de dissuader des candidatures potentielles mais bien au contraire de les encourager car, j’en suis sûr, les compagnies d’experts recèlent bien de talents qui justifieraient une inscription sur la liste nationale.

En conclusion, je voudrais souligner avec force que, parce que, en France, l’expert est l’expert des magistrats et non celui des parties, la probité, l’impartialité et la compétence de l’expert, et notamment de l’expert national, ne peut être l’objet d’aucun soupçon, dans son activité judiciaire et hors de celle-ci.

Je forme le vœu que ce colloque, en permettant une réflexion sur ces missions et ce statut, puisse susciter des vocations.

Je vous remercie. 

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Par Jean-Claude Marin

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