"Les 60 ans des traités de Rome"

28/04/2017

Discours prononcé par M. Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation en ouverture du colloque "Les 60 ans des traités de Rome"

Un peu plus d’un mois après le soixantième anniversaire de la signature des Traités de Rome, nous sommes aujourd’hui réunis pour commémorer cet évènement, mais aussi pour célébrer le parcours exceptionnel qu’a été celui de l’Europe du droit et de la Justice.

Avant tout, je voudrais exprimer mes chaleureux remerciements à l’ensemble des personnalités qui ont accepté d’intervenir au cours de cette rencontre pour évoquer le chemin parcouru depuis 1957 et je ne doute pas qu’ils traceront aussi les grands axes de demain, alors que l’euroscepticisme gagne de plus en plus de terrain parmi les peuples européens.

Le 9 mai 1950, Robert Schuman affirmait dans sa célèbre déclaration que, je le cite, « l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble, elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait »[1]. La date du 9 mai est depuis devenue celle, symbolique, de la « Journée de l’Europe ».

Le 25 mars 1957, sept ans après la Déclaration de Robert Schumann et six ans après la signature du traité instituant la communauté du charbon et de l’acier[2], six Etats européens, dont la France, décidèrent d’aller plus loin et de fonder une communauté économique et une communauté pour le développement de l’énergie atomique.

Douze ans après la fin de la troisième guerre qui avait opposé, en moins d’un siècle, deux des principaux Etats fondateurs, la réalisation de ces trois communautés, outre l’émergence d’intérêts communs dans leurs différents domaines, avait aussi comme objectif de promouvoir la paix en Europe.

Comme le rappelle l’article 3 du Traité sur l’Union européenne, la promotion de la paix en Europe est toujours le but affirmé de l’Union européenne, qui a succédé aux communautés depuis le 1er décembre 2009.

Rappelons que L’Union européenne a reçu en 2012 le prix Nobel de la paix pour son action en faveur de la pacification de notre vieux continent.

Ainsi, le 25 mars 1957, les représentants des six Etats fondateurs signèrent les traités à Rome dans la salle dite des Horaces et des Curiaces du palais du Capitole. Quel meilleur symbole que celui de ces héros antiques qui s’étaient entre-tués au cours d’un sanglant combat, pour conclure un acte qui scellait la réconciliation définitive des ennemis d’hier !

Sous ces fresques du XVIIème siècle, étaient ainsi posés les fondements de l’Europe, de ses principes et de ses institutions, parmi lesquelles la Cour de justice qui deviendra un acteur incontournable de la construction européenne.

 

En 1957, est donc née ce que certains ont appelé l’Europe empirique[3], telle que voulue par Jean Monnet. Et ce qui est remarquable dans cette construction européenne, c’est qu’elle s’est faite en se fondant sur le droit, par des abandons de souveraineté, ce qui était révolutionnaire pour ces Etats européens habitués, ainsi que je viens de le rappeler, à régler leurs conflits par la guerre.

Par ses arrêts fondateurs Van Gend en Loos du 5 février 1963 et Costa Enel du 15 juillet 1964, la Cour de justice s’est montrée particulièrement audacieuse au regard du contexte de l’époque, en affirmant, d’une part, que le droit communautaire engendrait des droits au profit des particuliers que ces derniers pouvaient invoquer devant leur juge national et, d’autre part, que ce droit communautaire primait le droit national.

C’est également par les instruments juridiques que sont les règlements et les directives que l’Union a pu approfondir la coopération et construire des politiques communes.

Les communautés puis l’Union se sont successivement élargies par l’adhésion de 22 autres Etats.

De la création du marché unique, a découlé l’instauration d’une monnaie commune, symbole fort de notre Union. Du principe de la liberté de circulation des personnes et des travailleurs, sont nés des échanges universitaires qui connaissent un tel succès que les étudiants se considèrent eux-mêmes aujourd’hui comme appartenant à la « génération Erasmus » et qu’il paraît naturel d’aller travailler dans un autre pays que le sien.

Cette liberté donnée aux personnes, aux marchandises et aux capitaux de circuler librement a entraîné une internationalisation des litiges. Là encore, des instruments juridiques tels que les conventions de Bruxelles, Bruxelles 2, Bruxelles 2 bis et de Rome ont permis une coopération judicaire efficace qui a rendu effectif l’exercice de cette liberté.

Mais la liberté de circulation génère aussi une criminalité internationale qui en profite pour mettre en place ses réseaux. Aussi, au sein de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice[4], des avancées majeures ont profondément modifié la coopération entre les Etats européens. Ainsi, doivent être soulignées la création d’Eurojust, du Réseau judiciaire européen et du mandat d’arrêt européen. Ces instruments, quotidiennement employés, témoignent de l’efficacité de cette coopération en matière de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme.

Comme vous le savez, je suis un ardent promoteur d’un Parquet européen. Aussi, je me réjouis de l’annonce officielle par le Conseil européen le 4 avril dernier, de sa création prochaine. Dans le cadre de la coopération renforcée, seize Etats se sont accordés sur un projet qui permettra de poursuivre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union conformément à ce que prévoit l’article 86 du traité de fonctionnement de l’Union européenne. L’institution de ce Parquet concrétise la constitution d’un espace pénal propre à l’Union.

A cette fin, le Parquet européen sera un organe de l’Union doté d’une structure décentralisée, disposant de la personnalité juridique et fonctionnant comme un parquet unique[5] qui coopérera avec Eurojust.

 

Nous le savons, l’Union européenne est en crise. Elle ne fait plus rêver. Pour de nombreux citoyens, l’Union n’est plus un facteur d’amélioration de leur vie quotidienne mais un obstacle.

Un grand nombre de citoyens de l’Union font preuve, comme le font de grands adolescents, d’une certaine ingratitude à l’égard de l’Europe, oubliant, tant c’est devenu une évidence pour eux, nombre de mesures ou de règlementations qui ont rendu leur vie plus facile. Désormais, c’est l’Union qui est responsable de leur malheur.

La défiance grandissante des citoyens européens, l’échec de certaines procédures européennes telles que le contrôle des frontières extérieures de l’Union et la crise des réfugiés, la tentation du retour en arrière à l’abri des Etats-nations caractérisé par le Brexit sont autant d’obstacles et de défis que l’Union doit surmonter, sans entamer la foi en son avenir.

Je ne doute pas, qu’après avoir rappelé les avancées majeures de l’Union européenne, ce colloque ouvrira des perspectives nous permettant de faire fi de ces obstacles et de les transformer en opportunités. L’Europe s’est construite dans le cadre de crises, et plus que de se remémorer le passé avec nostalgie, il est temps de se tourner avec espoir vers l’avenir.

Dans cet élan, je vous invite à vous joindre à nous pour inaugurer, à l’issue de ce colloque, l’exposition consacrée à la construction européenne et à l’évolution de la justice. Fruit d’un travail commun entre la Cour de cassation, la Commission européenne et le ministère de la Justice, cette exposition montre, avec objectivité et talent, à ceux qui en douteraient encore, que l’Europe écoute, que l’Europe aide, et que l’Europe protège.

Ce ne sont pas là les moindres des qualités de cette Union, dont on fête avec fierté, aujourd’hui à la Cour de cassation, le soixantième anniversaire.

 

Je vous remercie.

 

 


 

[1] SCHUMAN Robert, ministre des Affaires étrangères, Déclaration du 9 mai 1950, Salon de l’Horloge Quai d’Orsay.

[2] Traité de Paris, 18 avril 1951.

[3] Terme employé par le journal Le Monde, dans un article intitulé « Une Europe empirique », publié le 26 mars 1957, au lendemain de la signature du Traité de Rome.

[4] L’article 3 § 2 du Traité sur l’Union européenne, dispose « L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures (…) ».

[5] Article 3 de la proposition de Règlement du Conseil portant création du Parquet européen, Com (2013) 534 final.

Regarder l'allocution du procureur général

Les 60 ans des Traités de Rome Propos introductifs Jean-Claude MARIN, procureur général près la Cour de cassation

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Par Jean-Claude Marin

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