"La conciliation"

10/03/2017

Propos introductifs prononcés par Jean-Claude Marin, Procureur général près la Cour de cassation, lors du colloque "La conciliation", commun au Conseil national des barreaux (CNB) et au Conseil national des compagnies d’experts de justice (CNCEJ).

Monsieur le Premier Président,

Monsieur le Président du Conseil National des Barreaux,

Monsieur le Président du Conseil national des Compagnies d’Experts de Justice,

Mesdames, Messieurs,

Qu’il me soit tout d’abord permis de remercier chaleureusement le Conseil National des Barreaux, et particulièrement son Président Pascal EYDOUX, ainsi que Monsieur Didier FAURY président du Conseil national des Compagnies d’experts de Justice, de me donner l’occasion, à l’orée de ce colloque, de prendre la parole sur un sujet au centre de l’évolution de la justice du XXIème siècle.

Les modes amiables de résolution des différends, telles que la conciliation et la médiation civile ou pénale, sont en effet devenus incontournables à raison de l’explosion des contentieux due à la judiciarisation exponentielle, et sans doute excessive, de notre société.

Il convient ici de souligner que médiation et conciliation présentent plus de ressemblances que de différences, à tel point que certains auteurs ont posé la question de leur fusion.

Ces modes participent tous deux d’un idéal, que Chantal ARENS, première présidente de la cour d’appel de Paris, n’hésite pas à définir comme, je cite, celui « d’une justice consensuelle, acceptée, apaisée »[1].

Ce colloque est donc l’occasion d’évoquer la procédure particulière de conciliation, de réfléchir à la place des conciliateurs dans notre système judiciaire et aux relations que ces auxiliaires de justice[2] doivent entretenir avec les autres acteurs de notre institution, notamment avec l’expert. Le statut particulier des conciliateurs est d’ailleurs souligné indirectement dans le code pénal qui dispose que les peines auxquelles ils sont susceptibles d’être soumis en répression des violations de leurs devoirs de probité, sont identiques à celles auxquelles les magistrats et les experts sont astreints. 

 

Ce thème met aussi en lumière la notion de justice participative, qui revêt une dimension plurielle.

Si elle englobe la préoccupation d’un accès égal et facilité à la justice par les justiciables, elle est surtout révélatrice d’une façon renouvelée de gérer les litiges et d’organiser la vie sociale. Au cœur de ce mouvement, se trouve le citoyen, acteur impliqué dans la vie de la cité et dans la résolution amiable des conflits qui la traversent.

Tout comme la démocratie participative, qui tend à se développer de nos jours pour pallier les failles d’une société désenchantée, la justice participative ou collaborative, semble retrouver une actualité dans la recherche d’un rôle du juge centré sur sa fonction de recours ultime.

Ces modes amiables sont en effet millénaires. Ils s’enracinent dans l’antiquité, et appartiennent à la sagesse des nations que Gérard CORNU résumait ainsi : « C’est bien à Damas où l’on fabrique le hood (luth à dix cordes), que la définition d’Épictète résonne le mieux, quand il compare au joueur de luth qui accorde ses cordes, le médiateur qui cherche à faire sortir de la discorde un accord[3] ».

Abandonnées sous l’Ancien Régime, ces méthodes conciliatoires connaissent un regain d’intérêt avec la Révolution française.

Pour des raisons idéologiques, l’arbitrage et la conciliation apparaissaient alors comme les instruments d’une justice « en accord avec les idéaux de la nouvelle citoyenneté républicaine »[4]. Ainsi, à la tribune de l’Assemblée Nationale constituante le 7 juillet 1790, Joseph PRUGNON, député déclarait à cet égard, je cite : « rendre la justice n’est que la seconde dette de la société ; empêcher les procès c’est la première et il faut que la société dise aux parties : pour arriver au temple de la justice passez par celui de la concorde »[5].

 

C’est justement parce que la justice s’enferme souvent dans son temple, qu’il nous faut encourager les arrangements entre les parties elles-mêmes, « sous le regard bienveillant mais éclairé, comme le précisait le professeur Jacques POUMAREDE, d’un tiers chargé de les réunir ; c’est-à-dire de les concilier, selon l’étymologie latine (conciliare)[6] ».

TREILHARD, dans sa présentation au Corps législatif du projet de code de procédure civile, voyait dans le juge, je cite « un père qui doit placer sa véritable gloire moins à prononcer entre ses enfants, qu’à les concilier »[7]. Ce code a conservé en effet de la période révolutionnaire, cette volonté de laisser une place importante aux procédures conciliatoires, même si l’obligation préliminaire de conciliation a été abandonnée en 1949.

 

Notre code actuel de procédure civile, voit renaitre la conciliation comme un principe directeur du procès, disposant en son article 21, qu’il « entre dans la mission du juge de concilier les parties ».

Depuis le décret du 20 mars 1978, cette mission revient également aux conciliateurs chargés de résoudre, bénévolement et à l’amiable, de petits litiges civils avant toute introduction d’instance. Ce n’est qu’en 1996, que les juges seront autorisés à déléguer leur compétence à des conciliateurs dans le cadre d’instances déjà engagées.

Loin de mettre à mal la conciliation, le législateur a souhaité renouer avec son glorieux passé. Elle ne souffre plus les critiques et apparaît, au contraire, comme salutaire. La loi du 18 novembre 2016, dite loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, semble consommer ce retour aux sources, selon un dispositif[8] qui n’est pas sans rappeler celui du code de procédure civile de 1806. 

Le retour est donc réussi, mais cette réussite concerne moins la conciliation judiciaire[9] que la conciliation conventionnelle, laquelle devient un préalable obligatoire à la saisine du juge. En d’autres termes, la place de ce dernier dans ce processus paraît désormais comme un recours éventuel, puisque la conciliation intervient essentiellement dans le cadre infra judiciaire.

 

 

La Loi de modernisation de la justice du XXIème siècle ne bouleverse toutefois pas la mission de conciliation du juge, telle qu’elle apparait à l’article 21 déjà cité du code de procédure civile. Elle ne révolutionne pas non plus les modalités et les interdits qui en gouvernent la conduite. La prohibition faite au juge demeure, puisque l’article 240 du code de procédure civile, dispose que le juge « ne peut donner au technicien, mission de concilier les parties  ».

Il n’est pas toutefois indifférent de noter que la Cour de cassation interprète strictement cet interdit[10].

D’ailleurs, si l’expert ne peut se voir confier par le juge la mission de concilier, il n’a pas pour autant été évincé du processus de conciliation puisque l’article 281 du code de procédure civile, organise la réception par l’expert des fruits d’une éventuelle conciliation des parties[11].

L’intransigeance des rédacteurs du code de procédure civile s’est heurtée à une réalité ensevelie, par le passé, sous les impératifs de la célérité et l’absence d’encadrement.

Ainsi, à la croyance selon laquelle l’expertise est incompatible avec la conciliation semble répondre, le constat selon lequel l’expertise est « un moment privilégié pour parvenir à un accord des parties »[12], comme le relève le premier président MAGENDIE. Le temps a, semble-t-il, eu raison de la conciliation dans le cadre de l’expertise judiciaire, mais a su mettre en lumière les liens nourris, tissés entre expertise et conciliation.

L’expert peut-il, dans le cadre de la justice du XXIème siècle, épouser les habits d’un conciliateur ? La réalité aurait-elle entamé les fondements de l’interdit posé par le code ?

Les interrogations techniques et déontologiques sont nombreuses, mais elles ne doivent pas dissimuler un enjeu plus général : l’office du juge judiciaire et l’image de celui-ci, au sein d’une société hyper judiciarisée, le place au cœur d’une nécessaire révolution qui n’a pas encore eu lieu.

Les débats sur les réformes à mettre en œuvre restent ouverts. Ils le sont d’autant plus que le besoin s’en fait ardemment sentir.

Plus largement, la justice doit employer ses magistrats aux tâches les plus essentielles de leur ministère, en les recentrant d’une part sur leur cœur de métier, et d’autre part en leur donnant la possibilité de déléguer la résolution des conflits les plus simples, à des collaborateurs de justice formés et efficaces.

C’est à ce prix que la justice sortira de la crise qu’elle traverse et participera à redéfinir un rôle qu’elle n’aurait sans doute jamais dû quitter.

Magistrats, mais aussi avocats, experts, conciliateur et médiateurs doivent y contribuer. L’efficacité et la qualité de la justice nous y obligent.

Je forme ainsi le vœu que ce débat se poursuivre au sein de ce colloque dont le thème est d’une grande richesse et dont l’enjeu préfigure de nombreux échanges, passionnants et constructifs. 

 

Je vous remercie.

 

 


 

[1] ARENS Chantal, Propos tenus en ouverture du colloque « Conciliation judiciaire et conciliation de Justice », cour d’appel de Paris, 15 mars 2016.

[2] Les conciliateurs et médiateurs, chargés d’une mission par une autorité ou une juridiction, qu’elle soit judiciaire ou administrative, sont soumis aux mêmes peines que les experts et les magistrats, en cas de corruption et trafic d’influence, qu’ils soient actifs ou passifs, ou d’entrave à la justice, soit 10 ans d’emprisonnement et une amende de 1 000 000 euros (articles 434-9, 435-7 et 435-9 du code pénal).

[3] CORNU Gérard, Les modes alternatifs de règlement des conflits. Rapport de synthèse, Revue internationale de droit comparé. Vol. 49 N°2, Avril-juin 1997, p. 313, (Epictète, Pensées, 3, 32).

[4] CADIET Loïc, « Panorama des modes alternatifs de règlements des conflits en droit français », Ritsumeikan Law Review No. 28, 2011, p.151.

[5] PRUGNON Louis Joseph, Archives parlementaires, tome XVI, p. 739.

[6] POUMAREDE Jacques, « La Conciliation, la mal-aimée des juges », Les Cahiers de la Justice, 2013/1, p.125.

[7] TREILHARD, Exposé des motifs des Livres I et II de la Partie I du Projet de Code de Procédure Civile, p.13. Cité par L. CADIET, p. 152.

[8] Article 4 de la Loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, 18 novembre 2016.

[9] Qui ne concerne que 10% des saisines.

[10] Voir notamment Cass., 2e civ., 21 juillet 1986, Bull. civ. II, n° 131 ; Cass., 2e civ., 21 mars 1979, Bull. civ. II, n° 91.

[11] Article 281 du code de procédure civile : « Si les parties viennent à se concilier, l’expert constate que sa mission est devenue sans objet ; il en fait rapport au juge ».

[12] Magendie J-C, Célérité et qualité de la justice : la gestion du temps dans le procès, La documentation française, Collection des rapports officiels, 2004, p. 111.

 

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Par Jean-Claude Marin

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