Interview de Jean-Claude Marin, Procureur général près la Cour de cassation pour "Le Figaro"

06/04/2016

Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, défend le projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

LE FIGARO. - En quoi la réforme constitutionnelle est-elle indispensable ?

Jean-Claude MARIN. - Elle est indispensable et ce n’est pas une révélation de 2016. De manière intermittente, les ministres de la Justice successifs ont respecté les avis non contraignants du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le fait que, depuis Michel Mercier, il n’y a plus eu de dérogation à cette règle, a renforcé cette bonne pratique. Les plus hautes autorités de l’État n’ont cessé de constater que l’idée qu’un ministre peut défaire ce qu’estime le CSM fait planer un doute sur les magistrats. Leur fonction est oblitérée par l’origine de leur nomination. Or, le ministère public n’est pas le poste avancé de l’exécutif dans la sphère de l’autorité judiciaire mais le poste avancé de l’institution judiciaire dans la société civile.

Cette réforme est également importante car elle restitue l’idée que le ministère public est composé de magistrats à part entière. Quant à considérer que le ministère public serait tout-puissant mais irresponsable, on se trompe de cible. On veut faire peser sur ce dernier toutes les erreurs commises par l’institution judiciaire. Que l’on pointe les cas où le ministère public a commis une faute dont il n’a pas été rendu responsable ! J’ai l’impression que l’on parle d’autres errements ou erreurs sur lesquels je n’ai pas à me prononcer.

Faut-il donc couper le lien entre le politique et le ministère public ?

Les nominations des magistrats sont toujours placées sous la responsabilité du garde des Sceaux. Les politiques pensent trop souvent qu’il est bon d’avoir un procureur à leur main. Il faut donc garantir l’objectivité du processus de leur nomination. Par ailleurs, depuis la loi du 25 juillet 2013 qui a supprimé les instructions individuelles dans les affaires particulières et inscrit la règle de l’impartialité, le garde des Sceaux n’est plus ni maître ni fédérateur de l’action publique. Pour tout cela, je suis pour la rupture totale du lien entre l’exécutif et le ministère public et pour la création d’un procureur général de la Nation. Cela ne signifie pas l’absence de hiérarchie ou de politique pénale. Le garde des Sceaux a à sa disposition tous les instruments juridiques - lois, décrets, circulaires - pour imprimer cette dernière. Et les magistrats sont légalistes.

Les politiques pensent trop souvent qu’il est bon d’avoir un procureur à leur main

Jean-Claude Marin, Procureur général près la Cour de cassation

Quels sont les risques de ne pas faire cette réforme ?

Perdurera l’idée qu’une catégorie de magistrats traitant 98 % des affaires pénales ne le fait pas de manière indépendante. Nous risquons d’être condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme.

Le premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, estime que, faute de réforme, il faudrait envisager une scission du corps des magistrats, comme s’il y avait une contamination possible...

Le ministère public ne contamine pas le siège. Si l’image de la justice est altérée, c’est à cause de comportements et de modes de fonctionnement de magistrats qui conduisent à des désastres judiciaires. Je ne suis pas sûr qu’ils soient du parquet. L’unité du corps est une richesse. Celle d’aller d’une fonction à l’autre, ce qui donne au magistrat la possibilité d’acquérir la pleine mesure de la justice. Nous n’avons rien à gagner à cette séparation. Les procureurs deviendraient un corps d’accusateurs entre les mains du pouvoir exécutif. Voulons-nous dans ce pays des préfets judiciaires ? Moi, je n’en veux pas.

Beaucoup de magistrats s’inquiètent de la prééminence de la justice administrative sur l’ordre judiciaire ?

La justice administrative ne grignote pas les pouvoirs de l’autorité judiciaire. C’est le législateur qui les lui accorde, après l’avoir remise à niveau quand elle se trouvait en mauvaise posture. Depuis plus de trente ans, nos moyens, eux, se sont réduits. Le budget n’a pas augmenté à proportion de l’augmentation de nos devoirs. Les politiques en concluent qu’il vaut mieux accroître les pouvoirs de la justice administrative qui paraît soudain plus efficace. À cela s’ajoutent les interprétations. Quand le Conseil constitutionnel semble dire que la protection de la liberté individuelle confiée à l’autorité judiciaire, c’est la simple protection de la privation de la liberté, c’est discutable. Connaissez-vous beaucoup de personnes hautement diplômées qui accepteraient, sans compter leurs heures, de gérer 300 appels concernant des gardes à vue avec un casque sur la tête, déferrer les mis en cause et agrafer deux procédures entre deux coups de fil ? Si la justice administrative répare les abus, c’est bien la justice judiciaire qui les prévient avec des permanences du parquet et de l’instruction 24 heures sur 24.

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