"Projet pour la Cour de cassation"

19/06/2014

Texte rédigé par M. Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation en vue de la proposition de nomination du premier président par le Conseil supérieur de la magistrature - 2014

Les méthodes de travail de la Cour de cassation se sont construites autour de repères demeurés solides jusqu’à une déstabilisation commencée il y a une cinquantaine d’années environ. Ces repères étaient :

 

  • un statut de cour suprême donnant l’interprétation de la loi au sens organique et interne, seule source du droit, sans concurrence ni autorité juridictionnelle supérieure

 

  • une approche strictement juridique du traitement des pourvois avec de faibles références aux incidences générales, économiques et sociales des décisions prises, dans un contexte judiciaire fortement marqué par la maîtrise de l’Exécutif sur les nominations des magistrats et les moyens des juridictions

 

  • une communication externe limitée à la production de jurisprudence dans une société timidement médiatisée, formée au respect des autorités, peu critique envers l’institution judiciaire et son fonctionnement, et en retour une très forte réserve des juridictions à l’égard des formes d’expression publique.

Au cours de toute cette période, la Cour de cassation a fait la preuve d’une remarquable adaptabilité technique, sachant en particulier développer un outil informatique très performant, et obtenir les ajustements d’effectifs nécessaires, ce qui lui a permis de surmonter la « crise des stocks » et de suivre désormais un régime de fonctionnement normal.

Des difficultés d’un autre ordre sont apparues sous l’influence de nouveaux facteurs :

 

  • l’émergence de cours supranationales, en particulier celle de Strasbourg qui a magistralement dirigé sa montée en puissance autour de quelques principes aux développements illimités (comme a su le faire parallèlement au plan interne le Conseil constitutionnel),de sorte que les décisions de la Cour de cassation sont aujourd’hui soumises au crible de la Cour européenne, y compris pour ce que l’objet traditionnel du pourvoi à la française ne permet pas à la Cour de cassation de contrôler :conçue comme un juge du droit, elle a désormais pour « supérieur hiérachique » un juge du fait et du droit, ce qui crée un hiatus dans la chaîne des recours, le juge final reprenant un contrôle que le juge de cassation n’a pas exercé et atteignant ainsi en plein cœur l’économie du pourvoi en tant que recours effectif

 

  • la mise en lumière de l’artifice du principe de l’autorité limitée des arrêts de la Cour de cassation qui nie leur caractère réglementaire de fait : la rapidité et l’ampleur atteintes par la communication sociale permettent aux spécialistes en toutes matières de mesurer et de publier en temps réel et sur toutes sortes de supports l’impact qu’ils attribuent à une décision en termes institutionnels, internationaux, sociaux ou économiques, ce qui requiert de la Cour de cassation des études prévisionnelles sur les incidences de ses décisions,technique à laquelle sa tradition, ses méthodes et ses moyens la prédisposent mal

 

  • placée au sommet de l’édifice judiciaire, la Cour de cassation y assiste quotidiennement au développement d’une expression publique totalement libérée qui s’exerce sur le fonctionnement de l’institution, sur ses insuffisances comme service public, sur les magistrats eux-mêmes pris en tant que corps ou exerçant une fonction donnée ; certes, les organisations syndicales font entendre dans ce concert une voix forte mais elles ne remplacent pas une parole institutionnelle ;cette parole est nécessaire pour porter des diagnostics et proposer des remèdes à partir de la concertation organisée au sein et à l’initiative de l’institution même, et non plus seulement reçus de l’environnement extérieur et des tutelles traditionnelles

 

  • depuis une dizaine d’années, la Cour de cassation connaît une grave crise interne causée par le déclassement des magistrats du parquet général qui, de partenaires du siège qu’ils étaient, en sont devenus une sorte d’auxiliaires au sein d’un corps pourtant unique : en réalité, le parquet général de la Cour de cassation a été victime du décalque de la structure du ministère public des juridictions du fond qu’on lui a appliquée alors qu’il n’en remplit pas le rôle et n’agit pas selon les mêmes règles.

A partir de ces constats sur l’essentiel, quelques grandes lignes d’action peuvent être tracées pour favoriser une meilleure adaptation de la Cour de cassation, en ayant conscience de ce que les moyens matériels supplémentaires, au moins dans les quelques années à venir, seront nécessairement limités, et de ce que la situation de la Cour est d’ores et déjà très préoccupante en ce qui concerne les moyens en personnel de fonctionnaires.

On envisagera successivement :

 

  • la mise en place d’une structure de réflexion et d’animation autour du Premier président pour développer l’aspect prospectif de l’expression de la Cour au-delà de l’acquis et de l’existant qui en sont traditionnellement les centres principaux, la structure ainsi créée étant elle-même en lien avec celle à établir auprès des présidents de chambre qui ne bénéficient pas aujourd’hui d’une assistance organique

 

  • la défense des axes majeurs de l’indépendance et de la crédibilité de la justice que sont les conditions de la nomination des magistrats, l’attribution et la gestion des moyens de fonctionnement humains et matériels, et le statut du ministère public

 

  • quelques propositions de réformes d’adaptation interne tirées de l’expérience.

 

 I/ Une structure d’animation.

La Cour de cassation, qui s’appuie sur des personnels et des outils de haut niveau, porte une réflexion de grande qualité sur les sujets pour lesquels on la sollicite, qu’il s’agisse, par exemple, des délibérations en assemblée générale lorsqu’elle est consultée par le garde des sceaux ,ou de ses réponses aux demandes d’avis des assemblées parlementaires. Grâce à la matière abondante réunie par son service de documentation très performant et l’outil informatique qui ouvre toutes les portes de la recherche, les magistrats de la Cour produisent les meilleures synthèses sur l’état du droit existant au plan national et international.

De même, la Cour organise des colloques du plus grand intérêt sur des thèmes juridiques multiples avec le concours de spécialistes éminents, permettant ainsi de faire le point de l’état du droit et de ses évolutions.

Par ailleurs, elle sait montrer sa capacité à promouvoir des propositions à partir de groupes de travail dédiés, tel celui qui a récemment suggéré des retouches aux textes concernant le pourvoi civil.

Cependant, la Cour peut sans doute développer davantage sa démarche prospective sur les thèmes de réforme vers lesquels la porte son propre regard en prenant l’initiative de l’intérieur de l’institution. On peut songer par exemple au vaste champ d’investigation ouvert par l’évolution du pourvoi, de son objet et de sa technique, sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Ainsi pourrait-on concevoir, à partir d’une sélection de thèmes essentiels pour l’évolution de l’institution ou la préparation de ses décisions les plus importantes, la mise en place d’une chaîne de réflexion judiciaire qui permette de fédérer, autour de ces sujets,les structures existantes au sein de la Cour (colloques, commission permanente, assemblée générale, bureau…), ou entretenant des liens avec elle (conférence des premiers présidents de cour d’appel, Ecole nationale de la magistrature, réseau des chefs des cours suprêmes…), ou encore consentant à travailler avec elle (Conseil d’Etat, Conseil constitutionnel…).

Pour être pleinement efficace et s’installer dans la culture de la Cour, une telle démarche devrait reposer sur une structure d’animation permanente travaillant sous l’autorité du Premier président, auprès du président de chambre dirigeant le Service des Etudes, de la documentation et du rapport, et composée de quelques magistrats motivés par la démarche, ainsi que de collaborateurs extérieurs choisis pour leur savoir-faire.

Cette structure devrait aussi être relayée auprès des présidents de chambre. Actuellement, ceux-ci ne disposent pas officiellement d’assistants pour les seconder dans l’animation de leur chambre. En pratique, les besoins sont nombreux ( organisation des contributions au rapport de la Cour, actualisation permanente des formulaires d’aide à la décision, préparation des réponses aux consultations des assemblées parlementaires, interventions aux colloques et réunions où le président est convié, organisation de « journées de la chambre » destinées à confronter ses jurisprudences au regard des professionnels qualifiés, accueil des stagiaires…). Le président de chambre fait appel au volontariat pour répartir ces tâches. En réalité, l’expérience prouve l’utilité d’une assistance permanente et unique pour animer l’ensemble et lui donner de la cohérence. C’est grâce à la mise en place officieuse d’une telle assistance confiée à un conseiller référendaire que la chambre criminelle a pu enfin réaliser récemment la mise en délibéré de ses arrêts, rendue très difficile par la multiplicité des délais applicables devant elle : une concertation continue entre tous les acteurs concernés avec fixation d’étapes pendant deux ans a pu venir à bout du problème. Sans un assistant dédié, le président de la chambre aurait difficilement pu réussir, compte tenu des difficultés soulevées par cette réforme, voulue de longue date mais jamais aboutie jusque-là.

Ce schéma d’ensemble de la structure d’animation de la Cour pourrait être mis en place à partir des moyens en personnel de magistrats existants complétés du recrutement supplémentaire de quelques conseillers, en activité ou dans la réserve judiciaire, et contractuels.

Par ailleurs, le Premier président ne peut éviter de s’engager dans les grands débats institutionnels de la justice pour les années à venir, que sont la nomination des juges et les moyens des juridictions(1),ainsi que l’indépendance et le rôle du ministère public(2).

 

 II/ Des axes majeurs.

1/Le premier point concerne le transfert au Conseil supérieur de la magistrature de la gestion de la carrière des juges et des moyens des juridictions considérées en corps comme un pouvoir public et non comme une administration gérée par un ministre.

Cette doctrine, valorisée notamment il y a quelques années par les travaux de la conférence des premiers présidents de cour d’appel, est aujourd’hui consensuelle au plan national et européen parmi les juges. La Cour de cassation peut donc la promouvoir et son Premier président la soutenir de son autorité et avec les moyens d’expression dont il dispose, telle que l’audience solennelle de la Cour.

L’audience solennelle de la Cour peut en effet permettre de présenter les sujets intéressant le fonctionnement et l’avenir de l’institution judiciaire, et y faisant largement consensus, de façon à sensibiliser davantage l’opinion publique et les autorités de l’Etat à ces thèmes. A l’inverse, il n’est pas souhaitable que l’audience solennelle de la Cour soit utilisée comme tribune par l’Exécutif pour y faire l’annonce de projets suscitant un débat public :elle n’en est pas le lieu et il convient d’éviter tout brouillage de la séparation des pouvoirs qui pourrait affecter l’image de neutralité de la Cour.

Ceci pose plus généralement la question de la communication sociale extra-juridique de la Cour. L’affaire récente des écoutes téléphoniques qui a éclaboussé la chambre criminelle a montré une réelle méconnaissance par la presse, même la plus sérieuse, du fonctionnement interne de la Cour, ce qui a été la source à cette occasion d’approximations et d’inexactitudes. Il serait sans doute utile que des journalistes spécialisés dans les questions judiciaires soient invités à mieux pénétrer le fonctionnement de la Cour pour une meilleure diffusion de nos pratiques et de l’éthique qui les gouverne.

Le Premier président devrait aussi pouvoir user de sa liberté d’expression dans des écrits sobres, rares mais directs sur des sujets soigneusement sélectionnés où l’autorité de sa charge ne risquerait pas d’être compromise mais trouverait au contraire son plein accomplissement, comme par exemple la présentation d’une fonction soumise à l’occasion aux critiques d’un débat public (juge d’instruction, juge de l’application des peines…), avec ses difficultés et ses lignes de force.

 

2/Sur le second point, un constat doit être fait sans détours :le parquet général de la Cour de cassation, et l’affaire déjà évoquée des écoutes téléphoniques a servi là encore de révélateur, a souvent ( mais pas toujours, loin s’en faut)été utilisé par l’Exécutif comme une structure d’accueil de magistrats ayant fait une carrière de proximité avec l’action politique, quelle qu’en soit l’orientation. Cette réalité bloque actuellement toute sortie de la crise du ministère public à la Cour de cassation, tant les préventions sont grandes chez beaucoup de magistrats du siège.

La condition sine qua non d’une solution passe par la nomination à l’initiative du Conseil supérieur de la magistrature de tous les magistrats de la Cour de cassation, y compris ceux du ministère public.

A partir de là, on peut envisager deux issues.

La première consiste à maintenir les deux entités séparées du siège et du parquet, les magistrats du ministère public ayant un rôle essentiel à tenir en interface de la Cour pour ses contacts avec la société civile dans le traitement des pourvois, contacts qui sont absolument nécessaires aux études d’impact devant précéder les décisions importantes de la Cour(tout récemment, s’est tenue une chambre mixte où la décision s’est imposée d’elle-même grâce, notamment, au remarquable travail de l’avocat général qui, loin de se contenter de rédiger un « doublon juridique » des travaux du conseiller rapporteur, s’est livré à une consultation d’ensemble des organismes représentatifs des secteurs institutionnels et associatifs concernés, ce qui a mis très clairement en lumière le point de consensus pour une solution réaliste et acceptée).

Mais ce maintien de deux catégories de magistrats au sein de la Cour de cassation est-il bien justifié, alors qu’il prend sa source dans le modèle des juridictions du fond qui repose sur l’action publique, absente de la Cour de cassation ? Les magistrats du parquet général de la Cour de cassation sont les premiers à expliquer qu’il n’existe pas d’autorité hiérarchique parmi eux et qu’ils sont pleinement indépendants les uns des autres. Il est vrai que cette réalité, en opposition au schéma théorique encore en place selon les textes, y compris à la Cour de cassation où la parole est toujours légalement portée au nom du seul Procureur général, affaiblit la portée de l’expression de l’avocat général. En effet, celui-ci n’est plus censé exprimer le point de vue de la société en raison même de son indépendance, et son avis a en fait l’autorité qui s’attache à sa personne, c’est-à-dire à la compétence qui lui est reconnue, et non à ce qu’il représente(ainsi, à l’époque du débat sur la garde à vue, question grave s’il en est, on a pu voir deux avocats généraux exprimer des avis en sens contraire sur les pourvois qu’examinait la chambre criminelle).

C’est pourquoi, il apparaît que la création d’un corps unique de magistrats à la Cour de cassation sur le modèle du Conseil d’Etat récemment validé par la Cour de Strasbourg ,et qui s’accompagnerait de l’institution d’un groupe de rapporteurs publics ou de réviseurs participant à l’élaboration de la décision, en complément et non seulement en doublure du rôle spécifiquement juridique du conseiller rapporteur, offrirait des conditions de règlement mieux adaptées à la crise du ministère public à la Cour de cassation.

Enfin, quelques réformes législatives ponctuelles, fruit de l’expérience de cinq années passées comme président de chambre à la Cour, pourraient être proposées pour améliorer les conditions d’examen de certaines procédures.

 

 III/Des réformes d’adaptation.

On peut les envisager dans quatre domaines :

 

  • la procédure d’avis

 

  • l’assemblée plénière

 

  • l’achèvement de la représentation obligatoire par avocat aux Conseils

 

  • la généralisation de l’appel

 

1/ La procédure d’avis 

Il faut dire la vérité. Beaucoup de demandes d’avis ne présentent pas un intérêt tel qu’elles justifient la participation actuellement obligatoire du Premier président et des présidents de chambre, et ceci pour des séances de plus en plus fréquentes selon la tendance actuelle.

Nous avons connu la mise en place de la question prioritaire de constitutionnalité qui devait à ses débuts être examinée par une formation similaire extrêmement prenante : nous aurions pu difficilement continuer de concilier cette formule avec la présidence des chambres au-delà des trois mois de l’existence qu’elle a eue.

La réforme qui a transféré l’examen des questions de constitutionnalité aux chambres elles-mêmes a permis de les intégrer au reste du contentieux et de les absorber avec un gain de temps important.

La même évolution serait souhaitable pour les avis, la chambre compétente étant le mieux à même de les fournir.

 

2/L’assemblée plénière

La procédure d’avis dont il vient d’être question prévoit que, lorsqu’elle intervient en matière pénale, les magistrats de la chambre criminelle sont majoritaires dans la formation appelée à se prononcer, de façon à ce qu’un avis ne soit pas rendu par une majorité de magistrats non familiarisés avec les questions pénales.

La loi ne prévoit pas le même tempérament lorsque l’assemblée plénière de la Cour examine un pourvoi en matière pénale : la chambre criminelle y est représentée par trois membres sur dix-neuf dans tous les cas de figure, quel que soit le sujet traité. Ce système a pu être critiqué lorsque l’assemblée plénière a été saisie de la question de la garde à vue. Les problématiques envisagées par la chambre criminelle en termes d’incidences de la décision à prendre n’ont pas été perçues de la même manière par l’assemblée plénière, de sorte que la chambre criminelle s’est trouvée confrontée à la gestion d’une importante résistance des chambres de l’instruction qu’elle a résolue au prix d’une habile construction jurisprudentielle évitant la réunion d’assemblées plénières à répétition sur le même sujet.

 

3/L’extension du ministère d’avocat aux Conseils obligatoire

Après la réforme apportée à la chambre sociale, ce point concerne désormais principalement, mais pas seulement, la chambre criminelle devant laquelle l’auteur d’un pourvoi peut en théorie présenter un mémoire personnel qui le dispense du ministère de l’avocat spécialisé qu’est l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.

En fait, cette commodité est un trompe-l’œil : les subtilités de la technique du pourvoi en cassation échappent dans la plupart des cas aux auteurs de pourvois qui se défendent seuls, de sorte que la plupart de ces pourvois sont rejetés.

Cette soi-disant commodité est donc un piège pour le justiciable. C’est pourquoi la Cour propose régulièrement dans son rapport annuel la généralisation du ministère obligatoire d’avocat aux Conseils, recommandation validée à plusieurs reprises par la Cour de Strasbourg au regard de la spécificité de la technique française de la cassation.

La chambre criminelle a mis en place cette année un groupe de travail destiné à dégager les mesures d’accompagnement de l’instauration du ministère d’avocat obligatoire, notamment par une meilleure organisation de l’aide juridictionnelle devant la chambre criminelle :ce groupe de travail, animé par un conseiller honoraire affecté à la réserve judiciaire ( qui se révèle une institution très utile en appui des présidents de chambre), vient de déposer son rapport destiné à répondre aux consultations en cours en vue d’un projet de loi que la chancellerie a indiqué préparer sur ce sujet, essentiel à la bonne utilisation du temps de travail des conseillers.

4/La généralisation de l’appel

Beaucoup de petites affaires en matière civile et pénale échappent encore paradoxalement à l’appel en raison du faible intérêt en jeu. La cour d’appel apparaît cependant comme un échelon de proximité plus pertinent que la Cour de cassation pour le traitement de ce type d’affaires. C’est en tous cas flagrant pour les contraventions jugées par les juridictions de proximité, autre source d’énergie perdue là-encore pour tous, justiciables comme magistrats, tant pour la confection que pour l’étude de pourvois critiquant pour la plupart l’appréciation de situations de fait.

En conclusion, il est sans doute essentiel que le Premier président de la Cour de cassation, premier magistrat du siège, demeure d’abord un juge en prise quotidienne avec les difficultés de l’institution tout entière et habité par le souci des incidences multiples des décisions de la Cour. Ceci implique toutefois un travail d’analyse et de prospective pluridisciplinaire enrichi, qui ne soit pas seulement juridique mais envisage toutes les données des situations, de façon à fournir à la Cour des éléments d’appréciation complets à partir desquels elle puisse prendre des décisions pleinement libres, éclairées et responsables au regard de leurs incidences.

Pour illustrer cette idée en terminant, un exemple peut être donné de ce type de travail prospectif mené sur plusieurs années et ayant conduit à un complet retournement de la jurisprudence après avoir dégagé une analyse de ses effets sociologiques.

Il s’agit de la responsabilité pénale des personnes morales. La loi pose comme condition de cette responsabilité que l’acte délictueux ait été commis pour le compte de la personne morale par un de ses organes ou représentants.

La jurisprudence de la chambre criminelle s’était fixée en ce sens que lorsqu’un délit était commis dans l’activité d’une personne morale, il l’était nécessairement par un de ses organes ou représentants.

Ce « nécessairement »dispensait de la recherche de toute responsabilité individuelle et permettait la poursuite de la personne morale seule sans qu’il soit besoin d’inquiéter les personnes physiques, ce qui paraissait être une simplification conforme à l’intérêt des victimes.

Progressivement, à partir d’une réflexion entamée en 2011 dans le domaine des accidents du travail par un colloque interne à la chambre criminelle destiné à passer sa jurisprudence au crible de la critique de la doctrine, la chambre a pris conscience de l’effet pervers, car en fait démobilisateur, de cette jurisprudence en termes de prévention des infractions, simplement sanctionnées par des amendes prononcées contre des personnes morales qui les passaient en frais généraux. Les personnes physiques, rarement poursuivies par les parquets, ne craignant pas pour leur situation personnelle, n’étaient plus incitées à une forte vigilance sur les questions de sécurité au travail.

En trois ans, par un long travail de remise à plat, arrêt après arrêt, section après section, la chambre a complètement modifié sa démarche, contraignant désormais les parquets à identifier les auteurs personnes physiques des fautes des personnes morales, de façon à favoriser les doubles poursuites et à créer ainsi de meilleures conditions pour la prévention des risques.

Et ce qui s’applique en matière d’accidents du travail s’applique aussi en matière d’infractions économiques, telles que, par exemple, les contrefaçons qui permettaient à de grandes entreprises de piller la propriété intellectuelle sans autre risque qu’une amende à l’exclusion de toute recherche de responsabilité pénale individuelle.

Nombreux sont les exemples de cette nature où il est possible de mettre l’accent sur l’élaboration d’une jurisprudence pleinement consciente de ses effets.

L’entrée dans « la culture de l’impact » est sans doute l’une des clés de l’évolution de la conception du pourvoi à laquelle nous sommes conviés tout autant par la jurisprudence européenne que par le regard critique de nos concitoyens.

  • Relations institutionnelles
  • Discours

Par Bertrand Louvel

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