Installation de Vincent Lamanda : allocution de Jean-Louis Nadal

30/05/2007

Allocution prononcée par M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, lors de l'audience solennelle d'installation de M. Vincent Lamanda dans ses fonctions de premier président de la Cour de cassation. 

Monsieur le Président de la République,

vous avez accepté que l’un de vos premiers actes, dans l’exercice de la magistrature suprême, soit d’honorer cette cérémonie de votre présence. Nous sommes très sensibles à l’intérêt que vous manifestez ainsi pour l’institution judiciaire et ceux qui la servent et vous prions de croire à toute notre gratitude. Garant constitutionnel de l’indépendance de l’autorité judiciaire, vous êtes le bienvenu dans cette maison.

Monsieur le Président de la République, croyez bien que la Cour de cassation est prête à mettre sa capacité d’expertise à votre disposition dans la réflexion actuellement en cours sur la réforme de la Justice. Par sa vision élargie de l’activité des juridictions de ce pays, par la connaissance des systèmes étrangers qu’elle tient de son action internationale, par l’expérience et la compétence des magistrats qui la composent, cette Cour peut constituer un véritable laboratoire susceptible d’apporter une analyse objective et pertinente, tout en se gardant bien entendu d’empiéter sur les prérogatives de l’exécutif.

Madame le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice,

soyez également la bienvenue dans cette maison qui est désormais la vôtre par les éminentes fonctions qui vous sont confiées. Vous avez la charge passionnante de relever les défis qui permettront de conquérir ce surcroît de confiance indispensable, dont le peuple, au nom duquel la Justice est rendue, a tant besoin. A vous aussi, je veux dire notre accord sans réserve pour participer à la réflexion qui accompagnera cette entreprise.

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,

Mesdames et Messieurs, les membres du Conseil supérieur de la Magistrature,

Mesdames et Messieurs les hautes personnalités de l’Etat et du monde judiciaire que je suis honoré et heureux d’accueillir,

s’il est un honneur, dans la vie d’un procureur général près la Cour de cassation, c’est bien d’avoir à requérir l’installation du premier président de cette Cour.

Monsieur le premier président Vincent LAMANDA,

permettez-moi d’abord de rappeler à quelle exceptionnelle personnalité vous succédez. Vous trouvez une maison en ordre parfait car, vous prenez la suite d’un organisateur hors pair. Son esprit de méthode aurait pu ne servir qu’à favoriser une présentation seulement flatteuse de cette juridiction. Vous savez déjà qu’il n’en est rien et que la forme et le fond se sont rejoints dans une constante recherche d’excellence, dans le dépassement de soi et d’autrui, dans le dévouement au service de la justice, que Guy CANIVET portait au plus profond de lui même.

C’est dans cette exigence de la perfection que sa compétence trouvait sa source et sa force, une compétence dont il était convaincu qu’elle constituait à la fois la contrepartie et le premier rempart de l’indépendance. Et si la densité d’un homme peut se résumer en un seul mot, ainsi que le voulait Diogène, il me semble qu’il suffirait alors de dire de Guy CANIVET "c’était un juge".

Civiliste, commercialiste, il était un spécialiste reconnu du droit de la concurrence, matière complexe s’il en fut. Son goût pour la science juridique, il a également tenu à l’exprimer à la perfection au travers des multiples colloques et conférences dont il a pris l’initiative, faisant de cette Cour un centre remarqué et apprécié en France et à l’étranger, par la qualité des manifestations qui s’y tiennent.

Président du conseil d’administration de l’Ecole nationale de la magistrature où je siégeais à ses côtés, il a montré par ses interventions l’importance qu’il attachait à la pédagogie dont il suivait très précisément les évolutions.

Je n’oublie pas, enfin, que le premier président Guy CANIVET, a su donner à la Cour de cassation une aura internationale dont chacun s’accorde à reconnaître qu’elle avait rarement porté aussi loin.

Evoquant pour m’accueillir le riche parcours de mon prédécesseur, le regretté Jean-François BURGELIN, il avait recouru à cette belle image de la métamorphose, par laquelle, disait-il, le magistrat se transforme au gré de ses rôles et missions successifs, renaît, se recréée, paré comme par enchantement des qualités propres à son nouvel état. Il ne pouvait tenir de propos plus prémonitoires à son propre endroit, lui que nous avons vu si soudainement s’éloigner de la rive judiciaire pour regagner celles de la justice constitutionnelle, ainsi qu’elle est rendue dans le prestigieux Palais Royal.

C’est à lui que je voudrais m’adresser en terminant cette partie de mon propos, pour lui exprimer la reconnaissance des magistrats et fonctionnaires de cette Cour pour le travail accompli, et, par delà ces murs, la reconnaissance et l’admiration de tous ces magistrats pour lesquels il restera un modèle et aussi, car ils sont notre raison d’être, de tous ces justiciables, qui sont les bénéficiaires directs des considérables progrès accomplis sous la férule du premier président CANIVET.

Avant de me tourner vers vous, Monsieur le premier président, permettez-moi encore d’exprimer toute ma gratitude à Monsieur le président Bruno COTTE. En dépit des charges considérables de sa fonction, il a bien voulu s’investir, avec l’immense dévouement et la compétence sans faille que chacun lui connaît, dans la présidence de cette Cour qui, tel un lourd navire ne s’arrêtant jamais, a toujours besoin d’un capitaine.

Je lui suis extrêmement reconnaissant d’avoir, à la perfection, fait en sorte que l’intérim se déroule sans heurt alors que dans une maison comme celle-ci les échéances lourdes sont quotidiennes.

Monsieur le premier président Vincent LAMANDA, succédant à Monsieur CANIVET, vous vous inscrivez, dans une lignée d’illustres magistrats qui ont marqué cette Cour de leur empreinte, qui sont autant de références en droit et en humanité, dont la parole continue d’être citée.

Je veux parler des deux premiers présidents auprès de qui vous avez eu le privilège de travailler, Robert SCHMELCK décédé en 1990, et Simone ROZÈS. Je veux aussi parler de Pierre DRAI, de Pierre TRUCHE à qui nous sommes également redevables de nombre des progrès accomplis par la Cour de cassation.

Votre carrière, Monsieur le premier président a commencé au parquet, en qualité de substitut à Evry puis à Versailles. En juin 1974, deux ans à peine après votre première prise de fonctions, vos qualités exceptionnelles vous font appeler au cabinet du Garde des Sceaux en qualité de conseiller technique. Vous êtes ensuite nommé substitut au service de documentation et d’études de la Cour de cassation, avant d’être à nouveau distingué pour exercer, en 1977, des responsabilités importantes et délicates au cabinet du Garde des Sceaux.

En 1979, la Cour de cassation vous accueille en qualité de conseiller référendaire. Et là encore, vos qualités et notamment votre regard sur les fondements de notre institution et son devenir vous font sortir du circuit d’une carrière judiciaire classique, pour exercer les fonctions prestigieuses de secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature.

Votre carrière se déroulera ensuite au siège, à Paris comme vice-président, à Bordeaux en qualité de président. Dans ces dernières fonctions, vous êtes considéré comme un magistrat d’élite. Parallèlement vous dispensez un enseignement à l’Université, dans un domaine qui traduit votre appétence pour les grandes questions historiques, puisqu’il s’agit de l’histoire des idées et des doctrines criminologiques, que vous enseignez avec la procédure pénale et la pratique des parquets.

Et je ne doute pas que cette passion pour l’histoire a pu trouver à se nourrir dans ces monuments, témoins de notre passé, où vous avez ensuite exercé vos fonctions en qualité de premier président, qu’il s’agisse du prestigieux Parlement de Normandie, à la façade si finement ciselée, ou de la presque encore jeune cour d’appel de Versailles, où les équipages de Marie-Antoinette faisaient sonner les pavés, et que vous vous apprêtiez à quitter, pour rejoindre l’ancien hôpital royal à la rénovation duquel vous avez apporté un soin très attentif.

Dans le même temps, en 2002, votre intérêt pour l’institution a conduit vos pairs à vous désigner pour siéger jusqu’en 2006 au Conseil supérieur de la magistrature que vous allez dorénavant présider dans sa formation disciplinaire.

Par ce riche parcours, vous vous inscrivez dans cette "tradition du service des autres et de l’Etat" que vous évoquiez, pour l’appliquer à l’institution toute entière, lors de la dernière audience de rentrée de la Cour d’appel de Versailles. Je n’aurais pas donc la prétention d’ajouter aux propos très complets de M. le président COTTE pour vous présenter la Cour de cassation. Peut-être serez-vous simplement sensible, vous que je sais fidèle à cette harmonie entre la tradition et la modernité, à l’évolution accomplie sur le chemin du progrès dans cette illustre maison. La Cour de cassation, si elle est une vénérable institution, n’est pas une belle endormie mais une entreprise tournée vers la réflexion et la production. Je ne doute pas que vous saurez l’apprécier.

Vous comprendrez certainement que, du siège où j’ai l’honneur de vous accueillir, j’oriente à présent mon propos sur le parquet général de cette Cour et sur les rapports que nos fonctions respectives vont nous conduire à entretenir. Je veux d’abord vous redire, en présence de Monsieur le Président de la République, que ce parquet général est au service de l’institution et que sa fonction est de participer, avec les moyens dont il dispose, à la qualité de la production que je viens d’évoquer.

Vous savez qu’il a été conduit à une profonde remise en question, dont je continue de dire qu’elle était nécessaire pour conduire la Cour de cassation au strict respect des principes fondamentaux contenus dans la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il en est résulté une réforme, dont la première conséquence est que nul ne peut avoir de doute aujourd’hui sur la légitimité du parquet général de la Cour.

J’escompte bien que nous serons encore plus à même, dans l’avenir, d’apporter aux chambres un concours plus consistant, reposant sur une analyse juridique mieux ciblée en fonction des dossiers ; que nous serons aussi en mesure de mieux contribuer à la réflexion doctrinale.

Je me réjouis, également, Monsieur le premier président, de penser que nous aurons à préparer ensemble les manifestations qui font l’honneur de notre Cour.

Mais c’est bien sûr dans la conduite de la vie quotidienne de cette maison que nous aurons surtout à nous rencontrer, dans l’exercice subtil de cette dyarchie qui existe également ici. S’adressant au premier président BATTESTINI dont il allait requérir l’installation, le procureur général BESSON avait eu, en 1955, ces paroles : "L’administration de la Cour de cassation va nous appeler à une coopération permanente destinée à assurer le fonctionnement de la maison. [...]. Pour mener à bien cette œuvre, vous pouvez compter sur mon entier concours. Mais nous devrons faire réciproquement preuve d’une inlassable bonne volonté car nous n’avons pour correspondre que la frêle passerelle qui relie maintenant le siège au ministère public"

Il n’appartient qu’à nous, Monsieur le premier président, au moment même où la place du ministère public dans l’institution judiciaire fait débat, de conserver précieusement cette fragile passerelle et même de la consolider. Je ne manquerai pas de m’y employer, dans le strict respect bien sûr de nos prérogatives respectives. J’aurai à coeur de vous proposer la création d’espaces de concertation moins formels que les structures prévues par le Code de l’organisation judiciaire.

Notre Cour peut aussi être, Monsieur le premier président, en lien avec les responsabilités que nous partageons au sein du Conseil supérieur de la magistrature, un lieu de réflexion sur l’éthique et la déontologie des magistrats dont le socle est, pour l’essentiel, commun au siège et au parquet.

Voilà en quelques mots ce que je crois devoir vous proposer, Monsieur Vincent LAMANDA, à vous qui êtes maintenant le 33ème premier président de la Cour de cassation. Votre déjà excellente connaissance de cette maison, la reconnaissance de vos pairs, votre puissance de travail, ce que je sais aussi de la profonde humanité par laquelle vous faites passer votre conception des rapports qui doivent s’instaurer entre les personnes ou les institutions, sont autant d’atouts dans les lourdes responsabilités qui sont maintenant les vôtres.

En me faisant aussi l’interprète de tous les magistrats de ce parquet général, je vous prie de croire, avec tous mes souhaits très chaleureux de bienvenue, à ma volonté sincère de contribuer à cette entreprise.

Jean-Louis Nadal

Procureur général près la Cour de cassation

Vincent Lamanda

Premier président de la Cour de cassation

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  • Discours

Par Jean-Louis Nadal

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