Installation de Vincent Lamanda : allocution de Bruno Cotte

30/05/2007

Allocution prononcée par M. Bruno Cotte, président de chambre-doyen, lors de l'audience solennelle d'installation de M. Vincent Lamanda dans ses fonctions de premier président de la Cour de cassation. 

Monsieur le Président de la République,

A peine investi de vos nouvelles et hautes fonctions, vous voici, avec nous, à la Cour de cassation. Votre présence, alors que vous êtes appelé de toutes parts, nous touche et nous sommes heureux et fiers d’accueillir celui auquel l’article 64 de la Constitution confie la lourde mission d’être "garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire".

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de l’assemblée Nationale,

Nous sommes également très sensibles à votre présence et nous vous en remercions.

Madame le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice,

Il est important pour nous que l’un de vos premiers déplacements en juridiction s’effectue à la Cour de cassation ; nous souhaitons pouvoir souvent vous y accueillir.

Nos remerciements vont également à vous toutes et vous tous, que je ne puis nommer, qui avez tenu à être avec nous aujourd’hui. Votre présence démontre que notre juridiction compte pour vous ; elle manifeste aussi l’attention que vous portez à Monsieur Vincent Lamanda, notre nouveau premier président.

Le 3 janvier 1978, il y bientôt trente ans, Pierre Bellet, président de la 1ère chambre civile, était installé en qualité de premier président de la Cour de cassation.

Ceux qui dix ans plus tôt, c’était mon cas, avaient été ses élèves au Centre national d’études judiciaire, ne furent pas étonnés par son propos liminaire.

Les nombreuses personnalités qui, comme vous, étaient conviées à cette audience solennelle furent, en revanche, quelque peu surprises de l’entendre commencer d’une voix forte :

"Les magistrats ne sont pas faits pour prononcer des discours mais pour agir et les actes des magistrats du siège sont leurs jugements..." J’ajouterai, dans cette enceinte, "sont leurs arrêts..."

Voilà, Monsieur le Premier Président, qui devrait me conduire à demander sans plus attendre à Madame le directeur de greffe de donner lecture de votre décret de nomination et à vous inviter à prendre place dans ce fauteuil, vous et moi étant appelés par les arrêts qu’il nous faut rendre sans délai...ou du moins dans des délais raisonnables...

Mais je ne brûlerai pas les étapes et, comme le veut la tradition, je vais, brièvement, vous entretenir de la juridiction dont vous prenez aujourd’hui la présidence, cette Cour de cassation que, certes, vous connaissez pour y avoir exercé il y a plus de 20 ans mais qui a tant changé depuis.

Elle s’est en effet transformée, dans une très large mesure au cours de ces huit dernières années et sous l’impulsion d’un homme qui agissait, ce qui aurait plu au premier président Pierre Bellet... mais aussi, lorsque l’occasion lui en était donnée, qui prononçait des discours... des discours pénétrants, denses, ouvrant de vastes perspectives tout en définissant des objectifs d’action précis, des discours tous tendus vers la recherche d’une Justice plus présente, donc plus rapide, une justice plus attentive, donc plus accessible, une justice dépassant le strict cadre hexagonal pour s’ouvrir à l’Europe, bien sûr, mais encore très au delà.

- A- Ces huit années ont été placées sous le signe de la modernisation, de la recherche d’une sécurité juridique toujours plus grande et d’une qualité, elle aussi, toujours plus grande des décisions rendues, sous le signe, également, de la réflexion, du bouillonnement des idées et des échanges avec la communauté juridique et judiciaire, sous le signe, enfin, de l’ouverture sur l’extérieur.

- 1 - La juridiction que vous retrouvez aujourd’hui a en effet entrepris une démarche de modernisation sans précédent qu’il convient, car elle n’est pas achevée, de mener à son terme et de stabiliser, en tenant compte de réelles contraintes techniques et budgétaires mais aussi des légitimes appréhensions que suscite tout changement d’ampleur dans les méthodes de travail et dans les habitudes.

C’est ainsi qu’avant même l’entrée en vigueur, fixée au 1er janvier 2009, du décret du 28 décembre 2005 instaurant la communication par voie électronique en matière civile, la Cour de cassation, avec l’approbation de votre prédécesseur, Madame le Garde des Sceaux, a, en juillet 2002, passé une convention avec l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. C’est donc par voie électronique que la quasi totalité des avocats transmettent aujourd’hui leurs mémoires à la Cour ; en retour, ces mêmes avocats peuvent, par simple consultation, se renseigner sur l’état d’une procédure, depuis leur cabinet et en temps réel.

Dans le même esprit, les magistrats et fonctionnaires de la juridiction se sont vus proposer un système de "bureau virtuel" qui leur permet de disposer, en ligne, de l’intégralité du dossier du pourvoi qu’ils ont à traiter. Le dossier "papier" classique devrait donc disparaître à terme y compris lors de l’examen de l’affaire à l’audience, chacune des chambres de la Cour étant dotées (quatre le sont déjà) d’un équipement informatique ouvrant à chaque conseiller la possibilité de transcrire immédiatement les termes du délibéré collégial dans un arrêt rendu ainsi plus vite disponible.

Une telle démarche, qui permet à chacun des acteurs de la procédure : avocats, magistrats du siège comme du parquet, fonctionnaires, d’avoir accès, ensemble et en même temps, à toutes les informations pertinentes, répond, bien sûr, à un objectif de célérité mais surtout renforce, en la rénovant, la collégialité.

A cette démarche enfin, s’ajoute, autre exemple de modernisation, celle qui permet désormais à tout justiciable, demandeur ou défendeur à un pourvoi, d’accéder, par voie électronique, aux éléments d’information propre à la procédure qui le concerne. Et la réflexion se poursuit afin de favoriser, à terme, la formulation d’une demande d’aide juridictionnelle par internet et de permettre à chaque justiciable d’accéder de la même manière, s’il le souhaite, aux arrêts le concernant..

Vous l’avez compris : les idées foisonnent, les projets sont multiples, la Cour est en pleine modernisation. Il demeure, car les enjeux sont importants, qu’elle a besoin, pour mener à terme tous ses projets, de votre soutien constant, Madame le Ministre.

- 2 - Les justiciables qui s’adressent à la Cour de cassation et les juges des cours et tribunaux, qui attendent d’elle qu’elle joue pleinement son rôle régulateur et unificateur, ont, les uns comme les autres, droit à une justice rapide et sûre.

Une justice rapide ? à cet égard, jamais la Cour de cassation n’a jugé aussi vite et n’a comptabilisé un nombre aussi réduit de dossiers en instance de jugement... Il faut toutefois avoir conscience que de tels résultats ne sont jamais définitivement acquis, qu’ils supposent des effectifs stables et qu’ils nécessitent une mobilisation de tous et de tous les instants.

Une justice sûre ? sachez que tout est mis en oeuvre pour traquer les éventuelles divergences de jurisprudence, pour les dissiper lorsqu’elles existent, ce qui explique la forte augmentation du nombre des assemblées plénières et des chambres mixtes, pour tenter aussi d’atténuer les effets des revirements de jurisprudence.

Enfin, à l’initiative du premier président Guy Canivet, se sont instaurés, par le biais des commissions de méthodologie et de la commission de liaison avec les cours d’appel pour la qualité de la jurisprudence, des échanges étroits avec les premiers présidents, l’objectif poursuivi étant, grâce à une analyse attentive des arrêts censurés, de prévenir tout nouveau pourvoi et, par là même, tout ce qui pourrait être source de retard dans le règlement définitif des litiges.

L’Institution judiciaire ne peut demeurer à l’écart des démarches qualitatives ; la Cour de cassation, pour sa part, s’y est résolument engagée.

- 3 - Sur un tout autre plan, les cycles de conférences (plus d’une centaine de conférences), avec des intervenants de haut niveau, français ou étrangers, et les nombreux colloques (près de quarante) organisés depuis l’année 2000, offrent des occasions d’échanges exceptionnels aux juristes de toutes provenances : magistrats, avocats, universitaires, juristes d’entreprise, de banque, de compagnies d’assurances, aux étudiants aussi...

Ils ont fait de la Cour, où l’on a plaisir à se retrouver et à débattre, un lieu unique, et même, le mot n’est pas trop fort, un véritable temple de la réflexion et de la pensée juridique.

- 4 - Le temps me manque pour vous parler de l’activité internationale de la Cour de cassation. Guy Canivet a, là encore, mis en oeuvre une politique volontariste à laquelle il a associé nombre de magistrats : création du réseau des présidents de cours suprêmes européennes, mise en place d’une association des juges de l’Union européenne pour le droit de l’environnement, déplacements aux quatre coins du monde, visites de délégations, signature de conventions de jumelage, échanges multiples, et il ne s’agit là que de quelques exemples, jamais le rayonnement de la Cour de cassation hors de nos frontières n’a été aussi grand.

- 5 - Enfin, j’aurais aimé pouvoir vous entretenir des diverses commissions ou groupes de travail dont la présidence a été confiée à Guy Canivet au cours de ces huit années. Toutes ont donné lieu au dépôt de rapports innovants et audacieux. Nous citerons tout de même, Monsieur le Président de la République, la commission d’experts prévue par l’accord signé le 17 juin 2004 entre les professionnels de la grande distribution dont vous lui aviez confié la présidence, dans cette salle, le 20 juillet 2004, alors que vous étiez Ministre d’Etat, ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.

Vous succédez donc, monsieur le premier président, à un magistrat qui, selon la belle formule de Jean-Paul Sartre a, ici même, parfaitement illustré, "l’admirable conjonction d’un homme, d’une action et d’une oeuvre".

- B - Pour relever le défi qui vous attend, Monsieur le premier président, vous disposez de deux atouts essentiels : les membres de cette cour, nombreux ici ,aujourd’hui, pour vous accueillir, et l’expérience que vous avez vous même accumulée dans les différentes fonctions que vous avez exercées.

- 1 - Vous bénéficierez tout d’abord du concours de magistrats et de fonctionnaires d’une exceptionnelle qualité.

La Cour de cassation - on ne le mesure pas assez car on la connaît mal - est une juridiction pleine de vitalité où se côtoient, sans formalisme, trois générations de magistrats ; c’est une juridiction, prudente dans sa démarche mais capable de se passionner et parfaitement apte à se moderniser : elle en donne actuellement, je viens de vous le démontrer, une preuve éclatante ; c’est une juridiction qui, lorsqu’on lui fixe des objectifs auxquels elle adhère, sait mettre tout en oeuvre pour les réaliser.

Ainsi pourrez-vous vous appuyer sur près de 280 fonctionnaires et sur plus de 190 magistrats du siège aux parcours professionnels bien différents mais tous riches d’expériences diverses ; il s’agit là, je le répète, d’une communauté de travail unique.

Votre prédécesseur, qui s’est montré très entreprenant et, parfois même, très exigeant, en avait pleine conscience et il l’a exprimé de bien belle façon lorsque, le 2 mars dernier, il a fait ses adieux à la Cour :

"Nous ne représentons - a-t-il alors dit- que ce que nous sommes en commun. La Cour de cassation n’existe, ne progresse, ne se voit, ne brille que par ce qu’elle a été et ce qu’elle est collectivement... Aussi forte soit l’impulsion (et c’est désormais vous qui donnerez cette impulsion Monsieur le premier président) aussi forte soit l’impulsion, elle ne s’exécute que par le corps qui la prolonge. Et il n’ y a d’action que par la conjonction des deux."

Et, je n’aurais garde d’oublier le parquet, que vous présentera dans un instant Monsieur le procureur général, ni les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation : le barreau de cette Cour, nous l’avons vu, est en effet pleinement associé à sa démarche de modernisation et il lui apporte un concours dont vous apprécierez vite tout le prix.

- 2 - Votre propre parcours vous permet également d’aborder avec confiance votre nouvelle tâche.

Vous avez exercé vos fonctions durant deux années au parquet puis au sein de deux cabinets ministériels comme proche collaborateur de deux Gardes des Sceaux, Monsieur Jean Lecanuet puis Monsieur Alain Peyrefitte. C’est à cette époque que nous nous sommes rencontrés alors que je dirigeais un bureau à la direction des affaires criminelles et des grâces.

Vous m’avez ensuite succédé, ici même, en septembre 1981, en qualité de chargé de mission auprès de Monsieur Robert Schmelck, qui dirigeait alors cette Cour. Vous n’imaginiez certainement pas à cette époque que, 26 ans plus tard, vous seriez appelé à présider, à votre tour, aux destinées de la plus haute juridiction de notre pays.

Conseiller référendaire pendant cinq ans, vous serez affecté à la chambre criminelle puis à la 1ère chambre civile avant de rejoindre, en 1986, le tribunal de Paris en qualité de vice-président.

Puis commencera pour vous une carrière de chef de juridiction et donc de gestionnaire : président du tribunal de Bordeaux, premier président de la cour d’appel de Rouen puis de celle de Versailles.

A ce parcours professionnel complet, il convient d’ajouter quatre années passées, de 2002 à 2006, au Conseil supérieur de la magistrature. Ce poste d’observation privilégié vous a permis d’avoir une vision panoramique du corps judiciaire, de ses attentes, des difficultés qu’il rencontre mais également de ses sujets de satisfaction : délais de jugement contenus, outil informatique maîtrisé, innovations conduites avec succès... pour n’en citer que quelques uns.

Cette expérience du Conseil supérieur, vous sera, sans nul doute, très utile pour tout ce qui, dans vos nouvelles fonctions, déborde le strict cadre de la Cour de cassation, qu’il s’agisse, de l’indispensable vigilance à l’égard de tout ce qui peut porter atteinte à l’indépendance des magistrats du siège ou de la présidence des commissions d’avancement et d’intégration, du conseil d’administration de l’Ecole nationale de la magistrature ou encore, bien sûr, de la présidence de la formation disciplinaire du Conseil supérieur.

Monsieur le premier président, s’achève, à cet instant, un intérim de près de trois mois. Période, singulière et délicate, que n’avait jusqu’ici jamais connue la Cour de cassation. Période placée sous le signe du provisoire alors que, pourtant, il faut agir et, le cas échéant, engager la Cour tout en sachant que l’on ne pourra soi même poursuivre...

Période que j’ai traversée grâce à l’aide précieuse des magistrats et des fonctionnaires du secrétariat général de la première présidence, grâce aussi au concours, dévoué et efficace, des quatre doyens de la chambre criminelle qui, deux mois durant, m’ont substitué pour présider ses audiences.

Avant de quitter les premiers et de rejoindre les seconds, je tiens, devant les hautes personnalités ici présentes, à les remercier, toutes et tous, pour l’aide qu’ils m’ont apportée et dont, en réalité, a bénéficié l’ensemble de la Cour.

Monsieur le premier président, la tâche qui vous attend à présent est lourde mais essentielle. Pour avoir été conduit à brièvement l’exercer, je puis vous assurer qu’elle sera passionnante. Puisse-t-elle, quelles que soient les difficultés rencontrées, vous apporter de multiples satisfactions.

Je vous souhaite beaucoup de courage et, surtout, une totale réussite.

Monsieur le procureur général, vous avez la parole.

Vincent Lamanda

Premier président de la Cour de cassation (2007-2014)

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  • Discours

Par Bruno Cotte

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