Installation de Vincent Lamanda : allocution

30/05/2007

Allocution prononcée par M.  Vincent Lamanda, lors de son audience solennelle d'installation dans ses fonctions de premier président de la Cour de cassation.

Monsieur le Président,

Très sensible à votre présence et au souci dont elle s’inspire, j’ai hautement à cœur de vous exprimer, avec ma gratitude, un sentiment largement partagé.

En ces heures où tant d’êtres tournent leurs attentes vers la nouvelle destinée du pays, c’est beaucoup de voir un chef de l’Etat, "prompt à l’action de chaque jour, et portant vive sa charge d’homme à toutes brèches de la communauté", marquer d’emblée sa considération pour l’autorité judiciaire dont il est garant de l’indépendance.

Vous donnez à la magistrature la précieuse assurance qu’elle conserve la confiance de la Nation.

Nos vœux vous suivent ardemment dans l’œuvre qui va être la vôtre et qui peut engager une rénovation de notre justice que ses différents acteurs recherchent dans l’incertitude de leurs espérances.

MM. les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale,

L’attachement des élus du peuple français à la justice est pour nous un grand réconfort.

Je salue votre amicale venue comme le symbole de la coopération qui doit exister entre le Parlement et les juridictions, entre la loi et la jurisprudence.

Madame le Garde des Sceaux,

La justice est une vertu : vous en avez la passion.

La justice est une autorité : vous avez prêté serment de la servir.

La justice est une institution : vous avez en charge son administration.

A tous ces titres, vous partagez nos préoccupations.

Nous ne doutons pas que vous saurez y répondre et favoriser une meilleure compréhension des fonctions si spécifiques des juges.

Nous serons toujours fiers de vous recevoir.

Mes remerciements vont aussi aux nombreuses hautes personnalités qui, en participant à cette cérémonie, nous témoignent beaucoup d’égards.

Mes chers collègues,

Mon premier soin est de vous manifester combien je m’estime heureux d’être à nouveau uni à une compagnie pour laquelle j’ai l’attachement le plus parfait.

J’avoue cependant que ma satisfaction est troublée par la crainte de ne pas remplacer dignement le responsable prestigieux que vous venez de perdre au profit du Conseil constitutionnel ; et si quelque chose peut me rassurer, c’est l’espoir d’acquérir, par le secours de vos lumières, les avantages qui me manquent, pour répondre, comme je le désirerais, au choix dont le Conseil supérieur de la magistrature a bien voulu m’honorer.

En proposant ma nomination, les membres de la formation du siège m’ont donné une preuve de confiance dont je sens tout le prix. Il n’est donc pas pour moi de devoir plus essentiel que de leur témoigner ma profonde reconnaissance.

Je serais bien ingrat si je ne rendais aussi hommage à ceux qui furent mes chefs, et à ceux qui ont été mes collaborateurs. Leurs encouragements et leur attachement m’ont procuré l’insigne privilège d’être aujourd’hui parmi vous. Il serait inconcevable que je n’aie pas une pensée particulière pour les deux premiers présidents de cette cour auprès desquels j’ai eu la chance de travailler : le regretté Robert Schmelck, à qui je dois tant, et Mme Simone Rozès, dont j’aimerais suivre l’exemple, pour leur successeur, M. Pierre Drai, qui, jadis, à la chancellerie m’a transmis ses dossiers avec de salutaires conseils, et pour M. le premier avocat général Jean Cabannes qui y fut mon directeur toujours bienveillant.

Permettez-moi encore d’adresser un dernier adieu à la cour d’appel de Versailles que j’ai eu le bonheur de présider durant onze années. Qu’une importante délégation de celle-ci ait tenu à m’escorter jusqu’à vous constitue une attention dont la délicatesse me touche.

En cet instant solennel, il ne faut rien moins que la cordialité qui se dégage de cette assemblée pour apaiser mon inquiétude et me permettre de dominer mon émotion.

Ce n’est pas, en effet, sans appréhension que je me vois appelé à diriger vos travaux.

Comment demeurer impavide en songeant aux services incomparables qu’ont rendus les magistrats éminents qui m’ont précédé sur ce siège ?

Les regrets dont M. le premier président Canivet est l’objet, soulignent assez en quelle estime il était tenu. Sa succession m’est dévolue. Je ne saurais escompter le remplacer. Il a su imprimer un formidable élan de modernisation à cette juridiction et étendre son rayonnement bien au-delà de nos frontières.

Pour occuper la place qu’ont successivement agrandie mes prédécesseurs, je n’apporte rien de plus qu’un amour profond de la justice et un dévouement absolu à mes fonctions. C’est ce lien intime qui me rattachera à leur action.

Comme eux, j’ai la passion de notre profession et une foi ardente dans son œuvre. Comme eux, je mesure l’étendue de ma responsabilité et la grandeur de ma mission. Comme eux, j’appréhende avec humilité les devoirs de ma charge. Tel est l’unique patronage sous lequel je viens me présenter.

Je serai ce que j’ai toujours été : un magistrat, soucieux avant tout de l’indépendance et de la dignité de la justice, en quête permanente de l’excellence et de l’humanité de ses actes.

Je regagne vos rangs, sachant combien votre concours m’est nécessaire, heureux de répondre à vos sentiments par la sincérité des miens et prêt à engager au service de nos attributions respectives tout ce que je peux posséder d’application et de volonté.

Je n’ignore pas que vous avez, ces dernières années, en même temps, réussi notamment à enrichir le contenu de vos rapports, à maîtriser l’outil informatique et à abréger nettement les délais de jugement des pourvois. Ma principale ambition sera d’entretenir dans cette maison les saines traditions d’étude et de concorde qui en sont l’honneur, de poursuivre l’amélioration des pratiques de la cassation, de maintenir l’ouverture sur l’Europe et le monde, d’affirmer l’avenir dans la mesure du possible.

Monsieur le Procureur général,

Je vous sais gré de votre accueil chaleureux.

Nous nous connaissons depuis longtemps. L’entente entre nous n’est plus à faire. Ce ne sont pas seulement l’appartenance au même corps, la fidélité aux mêmes principes, la référence aux mêmes souvenirs qui la rendent solide. C’est encore et surtout notre détermination commune à défendre les intérêts dont nous avons la garde.

Bien des embarras s’atténuent, plus d’une difficulté s’efface, lorsque les hommes appelés à concourir à une même entreprise cherchent à atteindre le but en conjuguant leurs énergies. L’harmonie de ceux qui avancent à l’unisson, c’est un surcroît de force pour chacun d’eux.

Dans l’action que nous aurons à accomplir conjointement, je vous réponds d’apporter, comme je sais que vous y apporterez vous-même, la loyauté qui ne cherche à rien déguiser et la confiance qui permet de tout dire.

Monsieur le président doyen,

Vos paroles de bienvenue m’emplissent de confusion.

Soyez loué infiniment pour l’intérim que vous avez assuré avec cette ardeur, cette disponibilité et cette distinction qui vous caractérisent.

Le magistrat est trop souvent aux yeux de l’opinion celui qui se contente de paraître à l’audience.

Comment montrer les jours sans audience et les semaines sans dimanche qu’il passe sur des dossiers qui vivent pour lui et par lui ?

La haute situation que le statut de la magistrature fait aux membres de cette cour qui, comme vous, sont des juristes réputés et actifs, ils la justifient avec autant de sollicitude que s’il leur fallait chaque jour la conquérir de nouveau et ne la devoir jamais qu’à eux-mêmes.

Madame le directeur du greffe,

 

Il ne peut s’instaurer entre nous qu’une véritable communauté de vues. La règle est absolue : pas de bonne juridiction sans un bon greffe.

Trop méconnus, les fonctionnaires des services judiciaires sont pourtant les chevilles ouvrières du succès de nos projets.

Les agents placés sous votre autorité peuvent être assurés de la considération que je leur porterai.

Monsieur le président de l’Ordre des avocats aux Conseils,

 

La vision d’une curieuse peinture, contemplée par un chaud et silencieux matin de vacances au fond d’un musée d’Italie, me revient en mémoire.

Autour de la justice, représentée assise en majesté, tenant, comme il se doit, son glaive et sa balance, se pressent des plaideurs aveugles : aveuglés par l’intérêt. Ils tendent désespérément vers elle leurs mains crispées sur des placets, des libelles, des requêtes.

Pauvres gens démunis sans intercesseur entre eux et l’impassible déesse. Car c’est pour moi la moralité de cette allégorie : il faut aux plaideurs un confident clairvoyant, un spécialiste de leur choix qui fait profession de les défendre, qui sait déposer sur le plateau de la balance les écritures opportunes et faire entendre, au bon moment, sa voix. Nos aspirations et la finalité de nos missions sont convergentes. Elles sont le meilleur gage de notre entente.

Mes chers collègues des juridictions du fond,

C’est à vous que je tiens à adresser mon dernier mot.

Malmenée il n’y a guère, la justice a été accusée de faire injure à la Justice. Point d’équilibre de la société, elle en est devenue le point de mire. Vous avez ressenti douloureusement l’intransigeance des critiques. Mais vous ne vous êtes pas pour autant drapés de susceptibilités froissées. L’avenir est bon débiteur, il vous aurait rendu votre amertume. Vous ne vous êtes pas non plus cuirassés d’indifférence. Vous saviez, mieux que quiconque, que tout ce qui souffre accuse, que tout ce qui pleure dans l’individu saigne dans la société.

Au carrefour de tous les conflits, de toutes les frustrations, de toutes les mises en cause, vous êtes les premiers témoins du craquement des routines, de l’éclosion des colères. Votre tâche est difficile et exigeante. Mais elle est des plus nobles : héritiers d’un grand lignage humaniste, vous avez fait du service des autres une vocation. Elle est aussi des plus essentielles : les magistrats ne sont pas les rouages impersonnels d’une société sans âme ; ils incarnent la volonté collective de justice. L’âpre sévérité manifestée à leur encontre ne pouvait que stimuler davantage votre vigilance, qu’attiser encore votre zèle.

Mais le malaise demeure, vous laissant inquiets, perplexes.

Permettez-moi de vous dire : ne doutez pas !

Exhortation apparemment paradoxale, l’absence de certitude préconçue étant l’essence même du jugement. C’est que je n’entends pas évoquer cet indispensable doute méthodologique, mais un sentiment de morosité qui pourrait s’installer. Et si les magistrats doutaient de la magistrature, comment les justiciables n’en douteraient-ils pas ?

Ne doutez pas de votre position cruciale.

Dans nos sociétés en perpétuel mouvement, caractérisées par les contrastes et la violence, l’instantanéité et la mondialisation, l’apparition de nouvelles menaces, l’interrogation sur les valeurs, il n’est aucune réalité économique ou sociale, ni aucun ressort intime qui ne soit irrigué par le droit. Grand pourvoyeur de réglementations, notre temps est un grand pourvoyeur de justice. Le rôle prééminent du juge ne peut que s’affermir.

Ne doutez pas de votre légitimité.

Vous avez été distingués parmi les meilleurs. Vous avez bénéficié d’une solide formation. Votre indépendance n’est pas privilège, mais devoir envers vous-même comme envers les autres. Vous êtes fidèles aux principes directeurs qui garantissent aux citoyens européens qu’ils pourront bénéficier d’un procès équitable devant un tribunal impartial.

Ne doutez pas des vertus de la collégialité. Elle est le propre de la magistrature.

Décidant dans la sincérité de votre conscience, tout en devant composer avec l’instabilité du droit, la maîtrise des coûts et la recherche de la performance, vous vous sentez parfois d’autant plus seuls que vous êtes livrés à une plus grande exposition personnelle et qu’isolément vous courez des risques accrus. Ne cédez cependant ni à l’individualisme, ni à la division. Les contraintes sont moins fortes quand elles sont partagées. Vous appartenez à un ensemble juridictionnel, organisé hiérarchiquement aussi pour vous soutenir.

Mes chers collègues,

Il monte de mon cœur l’offrande d’un vieux rêve : un corps judiciaire doté de moyens appropriés, respecté de tous ses partenaires, riche de sa diversité, mais dépourvu de dissensions, passionné par ses fonctions, mais les exerçant, quoi qu’il arrive, sans passion, transparent dans sa manière d’agir, mais gardien vigilant des secrets qu’il détient, recevant de la société autant de confiance qu’il lui en apporte.

Nous sommes au printemps, saison des régénérations, comme le matin est le moment des réveils.

Unis par un même idéal, œuvrons pour que se lève sur notre justice ce jour lucide dont je veux discerner l’aube encore indécise.

Vincent Lamanda

Premier président de la Cour de cassation

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Par Vincent Lamanda

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