Allocution de M. Jean-Louis Nadal lors de son installation dans les fonctions de Procureur Général près la Cour de cassation - Audience solennelle du 17 novembre 2004

17/11/2004

Allocution prononcée par M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, lors de l'audience solennelle d'installation de son installation dans ses fonctions de procureur général près la Cour de cassation. 

Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, les plus hautes autorités de la République ont bien voulu, sur votre proposition, me juger digne de la fonction à laquelle j’accède en cet instant. Je suis sensible à cet honneur, à la confiance qui m’est ainsi accordée, par M. le Président de la République et par vous même, comme je le suis à votre présence, par laquelle vous marquez votre considération pour l’institution judiciaire et ceux qui la servent. Je me fais leur interprète, avec M. le Premier président, pour vous exprimer notre gratitude,

Madame la Ministre, Secrétaire d’Etat aux droits des victimes

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de la magistrature

Mesdames et Messieurs les Hautes Personnalités qui me pardonneront de ne pouvoir les citer nommément mais que je salue très chaleureusement,

Mesdames et Messieurs, Chers collègues,

Au moment de prendre possession de ce siège, et, au delà de la fierté que peut ressentir toute personne qui accède au grade le plus élevé de son corps, les sentiments que j’éprouve se partagent entre une très vive reconnaissance et une conscience aigue des responsabilités qui m’attendent.

Ma reconnaissance va d’abord à cette République qui a fait de l’un de ses enfants venu d’une lointaine province un procureur général près la Cour de cassation.

Je voudrais ensuite, vous dire, M. le Premier Président, combien je suis sensible à votre accueil, aux mots fort aimables que vous venez de prononcer, dictés par une amitié ancienne et jamais démentie. Vous êtes pour l’ensemble du monde judiciaire, en France et à l’étranger, une référence juridique et morale comme l’illustre l’ouvrage que avez consacré à la déontologie des magistrats. C’est donc un honneur pour moi de partager maintenant avec vous la lourde tâche de présider aux destinées de la Cour de cassation.

J’ai déjà eu l’occasion de dire ce que je pense du mot dyarchie, dont l’une des définitions est "gouvernement simultané de deux rois", ce qui, vous en conviendrez, est un régime plein de dangers. Je préfère la définition que pourraient en donner les ouvrages de management en la présentant comme une co-direction ou partenariat.

Soyez assuré, Monsieur le Premier président, que, dans cet exercice parfois délicat, vous trouverez toujours au parquet général un interlocuteur ouvert et attentif. Mes remerciements vont aussi à M. Régis de Gouttes, Premier avocat général, pour ses propos très amicaux.

Nous allons reprendre avec plaisir - j’en suis certain, mon cher Régis -, un dialogue inauguré sur les bancs de la faculté de droit de Toulouse, rue Albert Lautman et je te remercie (car le tutoiement reste possible) d’avoir si bien su toucher ici une corde sensible.

Messieurs les Présidents de chambre,

Mesdames et Messieurs les Hauts conseillers,

Mesdames et Messieurs les conseillers référendaires,

Mesdames et Messieurs les membres de ce parquet général,

je veux aussi vous saluer très chaleureusement et vous dire combien je suis heureux de vous rejoindre. Je vous connais déjà toutes et tous ou presque, et je sais que nous travaillerons ensemble avec le seul souci de servir toujours mieux la justice. Je connais la qualité de vos travaux, qu’il s’agisse d’arrêts, d’avis, de communications ou du remarquable rapport annuel qui contribue au rayonnement intellectuel de la Cour de cassation.

Mais, une juridiction est aussi une communauté humaine, et je resterai attentif à tout ce qui peut favoriser l’épanouissement de cette communauté à laquelle j’appartiens désormais. J’aurai la volonté, comme dans tous les postes qui m’ont été confiés, de rassembler les énergies, par delà les divergences d’opinion ou d’analyse afin d’oeuvrer ensemble pour le bien de la justice.

Je salue également les fonctionnaires de cette cour, dont je sais le dévouement et la qualité, ainsi que Mesdames et Messieurs les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, au premier rang desquels Monsieur le président du Conseil de l’Ordre, qui me font l’honneur de leur présence.

Permettez-moi d’abord, Mesdames et Messieurs, un dernier regard en arrière pour dire le souvenir très vif que je garderai de mes presque quatre années au parquet général de Paris. C’est un privilège que d’avoir pu travailler avec autant de magistrats de grande valeur réunis en une seule cour d’appel, et dont beaucoup ont vocation à enrichir vos rangs.

Mon salut va aussi aux fonctionnaires du parquet général de Paris, et de la Cour de Paris, aux avoués, aux huissiers aux membres du barreau, aux responsables des services de police et de gendarmerie ou d’autres services de l’Etat, au premier rang desquels l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse, aux associations enfin, avec lesquelles j’ai entretenu des relations toujours cordiales, dans le respect de nos responsabilités respectives.

Vous comprendrez aussi que j’aie en cet instant une pensée particulière pour les procureurs des neuf tribunaux de grande instance de cette grande cour. On ne dira jamais assez le travail accompli par les procureurs de la République, qui assument des fonctions difficiles, exposées et, bien souvent, exigeantes au delà du raisonnable. En première ligne, ils savent et vivent quotidiennement le sens du mot responsabilité. C’est pourquoi ils doivent bénéficier du soutien attentif de leur hiérarchie. Et je me suis efforcé pendant ces quatre années de le leur manifester en toute occasion.

Je n’oublie pas les premiers présidents avec qui j’ai eu l’honneur de partager la responsabilité de la cour d’appel de Paris, Jean-Marie COULON et Renaud CHAZAL de MAURIAC, avec lesquels j’ai travaillé en parfaite harmonie.

Je pense enfin à ceux qui m’ont précédé dans cette fonction, dont l’évocation et le souvenir que j’en garde personnellement m’incitent à la plus grande humilité.

- Pierre BEZIO, trop tôt disparu, dont le souvenir reste présent dans le coeur et l’esprit de tous ceux qui ont eu l’occasion d’apprécier sa culture juridique, sa force de caractère, sa haute stature morale.

- Pierre TRUCHE, dont l’amitié fidèle m’honore, à qui je succède pour la troisième fois, après le parquet général de Lyon, le parquet général de Paris et enfin celui de cette maison. J’ai aussi été son collaborateur immédiat à deux reprises, à l’Ecole nationale de la magistrature où il exerçait les fonctions de directeur des études, puis au parquet général de Paris. C’est dire tout ce que je lui dois comme tant d’autres magistrats C peut-être plus que d’autres C, qu’il a profondément marqués tout au long de sa vie professionnelle, par ses fonctions à l’ENM, à Lyon, à Paris, au parquet général de cette Cour puis à sa première présidence, par ses écrits, par ses interventions, par les fonctions qu’il a ensuite occupées à la tête de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ou par celles qu’il occupe toujours à la présidence de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, il n’a cessé d’exercer un magistère fondé sur l’éthique et le dévouement au bien public.

Pierre TRUCHE reste enfin pour nous tous l’homme qui, avec force et conviction, a porté l’accusation contre la barbarie. En requérant "qu’à vie soit reclus" un criminel contre l’humanité, il a contribué à ce que la jeunesse se souvienne des heures noires, «  contre les assassins de la mémoire  », selon les mots de Pierre VIDAL-NAQUET. Il a apporté une contribution déterminante à la définition du crime contre l’humanité, et montré la voix de ce combat nécessaire, vigilant et terriblement actuel contre la xénophobie, le racisme, l’antisémitisme, contre la haine et le rejet de l’autre, contre ces fléaux qui jettent l’esprit dans l’obscurité.

C’est avec émotion aussi que j’évoque mon prédécesseur direct, Jean-François BURGELIN qui occupait ce siège il y a quelques semaines à peine. Jean-François BURGELIN, c’est d’abord pour moi l’aventure de l’Ecole nationale de la magistrature. Les fonctions que nous y avons exercées à des époques différentes nous ont rapprochés et, au fil du temps, m’ont permis de mieux connaître ce haut magistrat à la riche personnalité.

Et puisque j’évoque ses fonctions de directeur de l’Ecole de la Magistrature, je veux rappeler qu’il les a exercées dans des conditions qui forcent le respect. Il y avait été nommé à une phase critique de l’histoire de cette Ecole encore jeune et le travail qu’il y a accompli a été déterminant pour son avenir. Il a su la consolider sur ses bases, légitimer son enseignement et, en définitive, mettre durablement à l’abri des critiques ce remarquable lieu de pédagogie et de libre réflexion que bien des pays nous envient. Il a contribué d’une façon décisive à son rayonnement et tous les magistrats qui bénéficient maintenant de la formation continue qu’il a installée dans le programme de l’Ecole lui en sont redevables.

Vous avez rappelé, Monsieur le Premier avocat général, le parcours professionnel exemplaire de Jean-François BURGELIN. J’y vois comme vous le cheminement d’un grand serviteur de la Justice, d’un humaniste naturellement porté vers les responsabilités les plus exposées. On ne devient pas secrétaire général du plus grand parquet général de notre pays, puis secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature, puis directeur de l’Ecole nationale de la magistrature et enfin directeur du cabinet du garde des sceaux sans avoir cette passion du service public et ce sens aigu de l’Etat qui le caractérisent.

D’une rectitude irréprochable, intransigeant pour lui-même, mais tolérant à l’égard d’autrui, Jean-François BURGELIN restera un modèle pour tous ceux qui ont travaillé à ses côtés ou sous ses ordres et dont je comprends la tristesse. Il sera toujours le bienvenu dans cette maison et je me réjouis qu’il continue de faire bénéficier la famille judiciaire de sa hauteur de vue, de la finesse de sa réflexion, en présidant notamment les travaux de l’importante commission santé-justice.

J’ai placé ces quelques propos sous le signe de la reconnaissance et de la responsabilité. J’ai dit ma reconnaissance, il me reste à évoquer les responsabilités, qui deviennent les miennes dans ce parquet général prestigieux où se sont succédées les personnalités dont je viens de parler.

J’affirme d’abord ma volonté de fédérer ce parquet général autour des quelques idées forces qui peuvent et doivent constituer le ciment d’une action commune dans le respect des convictions de chacun. Mais il serait bien présomptueux de ma part de venir vous exposer aujourd’hui une sorte de programme, d’autant qu’à l’instar de certains de mes prédécesseurs, je vais pour la première fois exercer mes fonctions à la Cour de cassation.

En effet, si toute ma carrière de magistrat a été consacrée au parquet, les responsabilités qui m’y ont été confiées m’ont placé constamment au contact direct de ces réalités humaines si diverses qui sont la matière, le pain quotidien du métier de parquetier. Et je ne peux vous dissimuler que j’ai aimé cette immersion profonde dans les activités des hommes, sous leurs innombrables facettes et je sais que ce contact direct me manquera puisqu’il faudra désormais voir les choses non de plus haut mais de plus loin.

 

J’aurai besoin, - vous l’avez compris -, d’un temps d’accoutumance. Dans cet apprentissage, ma première démarche sera nécessairement d’identifier les repères sur lesquels fonder une action susceptible à la fois de respecter les acquis et d’intégrer l’inéluctable nécessité de changement qui frappe toutes les institutions, parce que nous vivons dans une société marquée par l’accélération des mutations. Je sais déjà que la Cour de cassation n’a pas été miraculeusement préservée de cette évolution qui s’est emparée de tout le corps social. Mais si je vous demande encore un peu de temps avant d’en dire davantage, je crois que je peux déjà préciser au moins trois repères qui devraient s’appliquer ici comme je les ai déjà mis en oeuvre dans les quatre parquets généraux dont j’ai eu la charge et qui constituent aujourd’hui l’essentiel de mon bagage, ces quelque trois convictions que l’on emporte avec soi et sur lesquelles on ne cède pas, à savoir, la pédagogie, la déontologie et bien sûr le droit, dont cette Cour est la gardienne institutionnelle.

La pédagogie, c’est me semble-t-il l’une des missions essentielles de la cour unificatrice du droit qui doit, selon la belle expression de PORTALIS, veiller à ce que la loi soit correctement appliquée quand elle est claire et correctement interprétée quand elle est ambiguë. On dit parfois de cette Cour qu’elle juge les juges en ce qu’ils ont ou non correctement appliqué la règle de droit. Mais cette formule approximative relève d’une logique de censure. Je crois que la formule serait plus juste si l’on disait que la Cour de cassation éclaire et guide les juges, dans le respect de la liberté juridictionnelle. Il m’apparaît donc que le parquet général de la Cour de cassation a, lui aussi, un rôle pédagogique important à jouer à l’égard des magistrats du ministère public des cours et tribunaux qui, en engageant les poursuites, tracent déjà le cadre du jugement. La diffusion de votre jurisprudence est ici un élément essentiel pour éclairer, orienter, les choix de politique d’action publique.

La pédagogie, je la vois aussi, de manière incidente mais non secondaire dans le rôle qui me place désormais à vos côtés, Monsieur le Premier président, en qualité de vice-président du Conseil d’administration de l’Ecole nationale de la magistrature. Je me réjouis que mes nouvelles fonctions me permettent de renouer avec l’ENM, et de collaborer avec elle pour permettre aux magistrats de participer à la réflexion sur les métiers de juge , de procureur, et sur les actes de juger et de poursuivre. La pédagogie, je la vois enfin, et peut-être surtout, en cette époque où nombre de repères semblent vaciller, je la vois surtout en direction de nos concitoyens, car l’adhésion à la règle commune, fondement du contrat social, ne peut s’envisager que si celle ci est connue, comprise et acceptée. Dire le droit, c’est donc aussi l’expliquer. Et je souhaite que l’action du parquet général, en concertation avec le siège de la Cour de cassation, s’inscrive dans cette perspective.

La déontologie est bien sûr indissociable de tous nos actes professionnels. Elle doit guider notre réflexion et nos actions. Elle est cet élément indispensable du savoir-être de tout magistrat. Elle est surtout, nous ne le répéterons jamais assez, un facteur d’épanouissement professionnel et le socle sur lequel reposent la vraie liberté d’esprit, la parfaite indépendance, celle qui donne à l’acte du juge sa dimension authentiquement juridictionnelle.

Le procureur général près la Cour de cassation préside la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet. Je souhaite exercer ces fonctions le moins souvent possible et je veux le faire en gardant toujours à l’esprit que les garanties attachées à nos fonctions ont leur seule justification dans la protection des droits et des intérêts de ceux qui ont recours à la justice et non dans le confort de ceux qui sont chargés de la servir. Je vous rejoins pleinement, M. le Premier président quand vous écrivez que "contrairement à ce que l’on feint de croire avec angélisme, il ne suffit pas de s’en remettre au libre-arbitre de chaque juge en matière d’éthique" comme je rejoins Mme Dominique COMMARET, éminent avocat général près cette cour, quand elle écrit que les décisions du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire "appellent à une éthique de responsabilité, à un état de veille permanent, à un engagement personnel et collégial". Il me semble en effet que le respect scrupuleux des règles établies progressivement et collectivement garantit l’indépendance des magistrats tout autant que les nécessaires garanties statutaires.

C’est habité par ces principes que j’envisage la mission qui m’échoit en matière de déontologie, sur laquelle la commission, présidée par M. le Premier avocat général CABANNES, que je salue très chaleureusement, a formulé, dans sont rapport d’étape de novembre 2003 des réflexions et propositions du plus grand intérêt.

J’en arrive au sujet qui recouvre tous les autres : le droit. Je me limiterai aujourd’hui à deux observations. La première me paraît s’imposer : le procureur général près la Cour de cassation se doit, me semble-t-il, au moment où il prend ses fonctions, de rappeler la force régulatrice et plus encore pacificatrice, voire civilisatrice du droit. Garants de la bonne application de la règle de droit, nous avons, avec mais plus que d’autres institutions de l’Etat, la charge du maintien du lien social si souvent malmené.

Je viens des "juridictions du fond" où l’action du juge repose sur un principe simple : "la loi, rien que la loi, le dossier rien que le dossier". Il me semble que je dois maintenant laisser derrière moi la moitié de cette maxime. La loi rien que la loi, certes, mais bien au delà du seul dossier, à la mesure de cette allégorie que Paul Baudry a placée en cette salle au dessus de nos têtes.

Et c’est me semble-t-il la première de nos responsabilités : savoir identifier les affaires appelant une décision dont la portée dépasse les enjeux d’une seule procédure. C’est à ces dossiers là, me semble-t-il, que ce parquet général doit consacrer l’essentiel de sa réflexion, car c’est ici que sa plus-value peut être la plus importante. De ce point de vue, je viens ici avec la certitude que le parquet général de la Cour de cassation, non pas ministère public soutenant l’accusation, est bien un commissaire de la loi, un avocat du droit, un veilleur sur l’horizon de la justice.

Sa vocation, est de permettre l’examen d’une question dans sa globalité, dans ses incidences économiques et sociales dont nous ne pouvons faire litière, car la loi au respect de laquelle nous veillons n’est pas une relique, mais un principe de vie, une règle qui, comme on dit aujourd’hui, doit faire lien.

Les avocats généraux près cette Cour ont la possibilité - et dans certains cas le devoir -, de consulter des spécialistes, de recueillir des avis, de demander des explications à des administrations, et bien sûr de s’entretenir avec les conseils des parties, que nos collègues du siège peuvent difficilement contacter ; bref ils peuvent "sortir du dossier" et apporter à la Cour un éclairage qu’elle ne trouvera pas dans la procédure. Je souhaite faire en sorte que cette indispensable ouverture soit aussi souvent que possible apportée à nos collègues du siège comme aux parties, dans le respect du contradictoire.

Ma seconde observation concernera, avec beaucoup de précautions, la procédure par laquelle le droit est appliqué aux espèces qui nous sont soumises. Je salue la tradition et le génie créateur de ceux qui ont su, au fil du temps, le plus souvent dans le silence de la loi qui ne peut tout réglementer, instaurer une procédure bi-séculaire d’examen des pourvois, pour procéder à une analyse juridique aussi complète, aussi poussée que possible, avec le bénéfice que peut apporter non seulement la contradiction des parties mais aussi l’avis d’un parquet général s’exprimant en toute indépendance et d’un point de vue strictement juridique avec la distance que lui permet précisément le fait de ne pas être une partie au procès. Bien que non écrite, cette procédure paraissait gravée dans le marbre, sous réserve de quelques évolutions à la marge.

Mais comme je l’ai dit au début de mes propos, notre société est entrée dans un troisième millénaire marqué par la rapidité de l’évolution des moeurs et l’accélération des mutations. Ce qui était sage et raisonnable il y a quelques années devient inacceptable au regard de nouveaux standards qui s’imposent à nous comme des faits plus têtus que ne pourraient l’être nos regrets et nos critiques. "L’abrogation de la loi de la pesanteur ne supprimera pas la pesanteur", disait Paul Raynaud.

Je pense ici, vous l’avez compris, à l’évolution qui nous vient de la Cour de Strasbourg, elle-même expression d’un mouvement de fond sur l’apparence et l’impartialité qui nous oblige à permettre aux parties de mieux distinguer les rôles respectifs des magistrats du siège et du parquet général. Cette évolution est une réalité, nous sommes obligés d’en tenir compte. Nous sommes, par là même , invités à nous interroger sur le sens de nos fonctions respectives, tout en sachant que nos concitoyens, donc aussi le législateur, ne peuvent être indifférents à cette question.

Il est bien sûr trop tôt pour esquisser une solution dont la recherche constitue, à n’en point douter l’un des premiers dossiers dont je serai conduit à m’entretenir avec vous, M. le Premier président, pour y travailler selon les modalités que nous arrêterons ensemble.

Mais toute réflexion sur le droit conduit nécessairement à évoquer sa finalité, qui est tout simplement la justice, par laquelle je voudrais conclure. La Cour de cassation veille à préserver l’unité du droit, cette unité qui est la condition de la justice. Cette Cour est, en ce sens, la servante des juridictions du fond dont il importe de faciliter la tâche pour mieux répondre aux attentes des justiciables. C’est à l’amélioration de cette justice rendue au nom du peuple français que tendront mes efforts, cette justice dont Albert CAMUS écrivait, comme je l’ai déjà rappelé dans d’autres enceintes, qu’elle meurt "dès l’instant où elle devient un confort, où elle cesse d’être une brûlure et un effort sur soi-même".

Que faire pour que la justice ne meurt pas ? Trois brèves réflexions. La première est unanimement partagée et n’appelle aucun commentaire. Directement inspirée par les dispositions de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle concerne les délais de jugement. Je sais à quel point vous êtes engagés dans un combat permanent pour la réduction de ces délais, M. le Premier président, Mesdames et Messieurs les Présidents et Hauts-conseillers, Mesdames et Messieurs les avocats généraux, et vous me trouverez à vos côtés dans cette recherche constante d’amélioration.

Ma seconde observation touche à la clarification du rôle de la Cour de cassation, encore trop souvent considérée, pour autant que j’ai pu l’observer, comme un ultime juge du fond. Vous avez su mettre en oeuvre les moyens de mieux contenir, ou pour être clair, de mieux repousser les pourvois lorsqu’ils ne sont que des appels déguisés. Le parquet général apportera sa contribution à la réflexion si elle peut encore prospérer sur ce point.

La dernière de mes observations concerne les relations que je veux entretenir avec mes collègues procureurs généraux des cours d’appel. Je veux leur dire que si, d’une certaine manière, je ne suis plus des leurs, je resterai à leurs côtés dans les actions qu’ils entreprendront pour l’amélioration de la justice. Je souhaite que nous ayons des contacts fréquents, formels ou informels. Je souhaite qu’ils n’hésitent jamais à signaler au parquet général les dossiers posant une question de principe sur lesquels il serait urgent, par exemple, de combler le silence de la loi ou d’identifier la jurisprudence applicable en présence de solutions contradictoires. Nous pourrons ici travailler en étroite complémentarité, pour le bien de la justice.

Pédagogie du droit, application du droit, adaptation au droit, et toujours pour le bien de la justice, c’est, finalement agir en se souvenant qu’il y avait déjà du droit avant que nous ne soyons juristes et qu’il y aura toujours du droit lorsque nous aurons cessé de l’être. C’est dire, enfin, que notre responsabilité se pose en ces termes : quelle espérance savons nous entretenir en la justice ?

Je vous remercie.

Discours

Par Jean-Louis Nadal

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