Tunisie : Réunion de travail entre les Cours de cassation française et tunisienne

30/10/2015

Réunion de travail entre la délégation de la Cour de cassation française conduite par M. le Premier président Bertrand LOUVEL et la délégation de la Cour de cassation tunisienne conduite par M. le Premier président Khaled AYARI, consacrée à la mise en œuvre de la convention de coopération signée entre les deux premiers présidents à Paris le 24 mars 2015 

"Monsieur le Premier président [Khaled AYARI],

Monsieur le Procureur général [Rida BEN AMOR]

Chers collègues,

C’est un grand bonheur pour moi que nous puissions nous retrouver ici, à Tunis, dans votre Cour de cassation, pour cette réunion de travail. Nous poursuivons aujourd’hui le dialogue engagé le 24 mars dernier à Paris à l’occasion de la signature de la première convention de coopération signée entre deux Premiers présidents de nos Cours suprêmes judiciaires.

La signature est intervenue au milieu des drames qui ont ensanglanté nos deux pays tout au long du premier semestre de l’année. Vous aviez néanmoins tenu, Monsieur le Premier président, à vous rendre à Paris, et cette démarche nous avait tous profondément émus. Et alors que notre avenir aux uns et aux autres est lié aux mêmes incertitudes, vous avez voulu, M. le Premier président, qu’à travers moi, la Cour de cassation française fût présente à la rentrée judiciaire tunisienne. Au-delà de l’honneur que vous me faites, c’est la marque de la proximité et de la solidarité qui nous unissent que porte une telle démarche, par laquelle nous sommes touchés au plus profond de nos sentiments pour les Tunisiens.

Il y a aussi une grande symbolique dans votre geste. Il signifie qu’en France comme en Tunisie, la force des peuples libres face au terrorisme, si elle passe bien sûr par l’efficacité dans la lutte contre les criminels, est aussi indissociable de l’Etat de droit, au service duquel nos deux cours suprêmes tiennent une place essentielle. Précisément, c’est de droit, de jurisprudence, d’amélioration de la qualité de la justice, de sa modernisation, du rôle des cours suprêmes, mais aussi d’échanges et de formation des magistrats, dont nous allons parler maintenant.

La géographie et l’histoire ont voulu que nos pays cheminent ensemble dans beaucoup d’occasions. Il s’est ainsi créé comme dans tous les couples qui traversent les épreuves du temps, des liens affectifs très forts entre nos deux nations.

Les rapports entre les juristes tunisiens et les juristes français s’alimentent en outre d’une tradition juridique commune, des relations entre nos universités et entre les professions judiciaires, en particulier les avocats.

Ils se renforcent encore à travers l’Ecole nationale de la magistrature et les institutions de l’Europe et de la francophonie.

En effet, pour l’application concrète du droit, rien ne remplace les contacts directs entre les magistrats. Comme président du conseil d’administration de l’ENM, je me réjouis des échanges de magistrats entre nos deux pays et je suis prêt à porter toute initiative tendant à leur développement.

Et c’est cette relation privilégiée que nous mettons directement en œuvre aujourd’hui entre nos deux Cours de cassation à travers notre convention de coopération. Avant d’aborder son contenu, je souhaite souligner que cette coopération s’inscrit dans une finalité double : l’amélioration de la qualité de la justice et le renforcement de l’indépendance de la magistrature.

 

L’indépendance de la magistrature

J’insiste sur ce point. Nous présidons chacun, Monsieur le premier président, ès qualités, le Conseil supérieur de la magistrature ou son équivalent. Je sais l’intensité du débat que suscite chez vous la question de la mise en place d’un Conseil de justice. Je souhaite simplement dire, en tirant les leçons des difficultés de la France à parfaire ses propres institutions judiciaires, combien il est nécessaire que les magistrats eux-mêmes contribuent partout à promouvoir les garanties d’un Etat de droit authentique et durable pour nos concitoyens. Je sais que telle est aussi votre préoccupation de même qu’elle est partagée par tous les Conseils de la magistrature des pays démocratiques.

Aussi, le Conseil supérieur de la magistrature français est-il engagé dans des démarches européennes et internationales tendant à rechercher avec ses homologues un standard de Conseil de justice transposable dans les différents États, de façon à servir de modèle à la construction commune qu’il s’agit d’opérer.

A cette fin, les Conseils de justice européens se sont réunis en septembre dernier à la Cour de cassation.

Dans le même esprit, nous y organisons, aussi, les 19 et 20 novembre prochains, une conférence du réseau francophone des Conseils de la magistrature judiciaire. Vous y avez évidemment toute votre place et nous attendons beaucoup de votre exemple et de votre expérience.

 

La convention de coopération 

 Cette réunion de travail est destinée à fixer les perspectives concrètes de mise en œuvre de notre coopération sur les questions essentielles qui se posent à nos deux Cours. Les articles 2 et 3 en fixent le cadre :

Article 2 : Cette coopération portera tant sur les matières relevant du contentieux qui leur est dévolu, les questions d’organisation et de procédure, que sur l’établissement d’échanges réguliers entre magistrats et fonctionnaires.

Article 3 : Les deux Cours décident également d’engager une réflexion commune sur le rôle d’une cour suprême, la modernisation de son fonctionnement, les rapprochements des jurisprudences nationales, le rôle de l’institution judiciaire, ainsi que sur tout thème d’intérêt commun porteur d’un enjeu international, notamment :

- la protection des droits fondamentaux,

- la lutte contre la corruption,

- la lutte contre le terrorisme,

- le développement de l’Internet

Sur le plan de la coopération technique, je sais que vous souhaitez traiter tout particulièrement deux points, sur lesquels vous avez déjà commencé à travailler en mars dernier à Paris avec M. Jean, Président de chambre et directeur du SDER :

- La procédure de filtrage et de traitement des pourvois. La réflexion que je lui ai demandé de conduire au sein de la Cour de cassation française sur cette même question constituera un support très utile,et l’éclairage de votre point de vue nous le sera aussi car nous sommes nous-mêmes toujours en recherche ;

- Le traitement et la diffusion de la jurisprudence de votre Cour, en lien avec votre Centre d’Etudes Juridiques et Judiciaires. Là encore, notre SDER a commencé à vous offrir son savoir-faire et il continuera de le faire en tout ce que vous estimerez utile. 

Notre coopération porte aussi sur les échanges de jurisprudence entre nos deux Cours, d’abord pour mieux les connaître, ensuite pour envisager si des rapprochements sont possibles sur des thèmes d’intérêt commun. Nous avons choisi d’en retenir trois en priorité :

- la protection des droits fondamentaux,

- le traitement de la corruption,

- celui du terrorisme.

Sur la question du terrorisme, il s’agit de prolonger le travail engagé il y a un an à Dakar dans le cadre de l’AHJUCAF. Vous y jouez un rôle essentiel, puisque vous avez personnellement accueilli à Tunis la dernière réunion de ce réseau après avoir participé à celle organisée à Malte où a commencé à être mise en œuvre la coopération des cours suprêmes de la francophonie. Tout dernièrement, un groupe de travail a été mis en place au cours d’une réunion tenue à la Cour de cassation à Paris afin de déterminer les modalités concrètes de l’action à mener dans deux directions principalement : la défense des droits fondamentaux et la criminalité des mineurs dans le phénomène du terrorisme.

Nous allons ainsi étudier comment sont intégrées, dans les législations nationales, les normes des conventions internationales qui, à la fois, garantissent l’efficacité de la lutte contre le terrorisme mais aussi l’exigence du procès équitable. Nous examinerons ensuite comment ces principes sont appréciés par les Cours suprêmes de chaque pays, à travers leurs jurisprudences. Enfin, nous favoriserons le développement,parmi les membres des juridictions,de procédures et de formations adaptées à cet enjeu mondial.

Le sujet est essentiel bien sûr mais nous ne nous en interdisons aucun autre, selon ce que nous jugerons nécessaire de traiter en commun.

La préparation commune de notre réunion de travail augure bien de ces échanges privilégiés que nous engageons entre nos deux Cours.

Enfin, pour souligner l’importance qui s’attache, pour la Cour de cassation française, à sa relation avec la Cour de cassation tunisienne, j’ai l’honneur, Monsieur le Premier président, de vous inviter à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation en janvier 2016, année dont je sais l’importance pour votre pays puisqu’elle marque le 60ème anniversaire de votre indépendance que nous marquerons ainsi ensemble."

Bertrand Louvel

Tunisie

International

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