Séminaire avec la Cour suprême de Singapour

06/02/2024

Le 31 janvier 2024, s’est tenu un séminaire de travail en visioconférence entre la Cour suprême de Singapour et la Cour de cassation, qui avait pour thème « nouvelles technologies et intelligence artificielle (IA) : sujets de justice et objets de justice ». Ce séminaire de travail s’inscrit dans le programme de coopération signé le 12 mai 2023 entre les deux cours.

M. le Juge en Chef Sundaresh Menon a ouvert la rencontre en saluant le dynamisme de la coopération unissant les deux cours. M. le premier président Christophe Soulard a ensuite introduit les tables rondes, en rappelant les enjeux posés par l’intelligence artificielle dans le monde judiciaire. Il a entendu présenter l’IA à la fois comme risque et comme opportunité d’accessibilité et de prévisibilité de la justice. En ce sens, il a pu interroger les nouveaux contentieux qui en sont issus (comme l’affaire Thaler v Comptroller-General of Patents, Designs and Tramarks au Royaume-Uni). Il a également questionné l’utilisation par les professionnels de justice de l’IA, faisant planer le risque d’une désincarnation de la justice et de l’avènement d’une jurisprudence de fait, rappelant les travaux menés à l’initiative de M. le juge en chef Donal O’Donnell dans le cadre du réseau des présidents des cours suprêmes judiciaires de l’Union européenne.

Lors de la première table ronde portant sur l’utilisation par les Cours supérieures des nouvelles technologies et de l’IA, Mme la présidente Sandrine Zientara, directrice du Service de la Documentation, des Etudes et du Rapport, a pu exposer le projet Open Data des décisions de justice piloté par la Cour de cassation et les initiatives d’intelligence artificielle développées pour pseudonymiser les décisions rendues publiques. Elle a également fait état de la possibilité de recours à l’IA pour la détection des contentieux émergents et sériels, en lien avec le projet, porté par la Cour, d’Observatoire des litiges judiciaires. L’objectif est ici de favoriser le dialogue entre juges, horizontal et vertical et de permettre à la Cour d’avoir une vision précise de l’état du traitement d’une question nouvelle par l‘ensemble des juridictions du fond avant de statuer elle-même. Le Juge Aedit Abdullah de la Cour singapourienne a quant à lui, indiqué que dès 2019 un juge de la Cour était assigné à la réflexion sur l’innovation technologique et un Bureau de la transformation et de l’innovation a ouvert à la Cour. Il a développé les différentes technologies algorithmiques mises en place, comme par exemple un moteur pouvant déterminer la responsabilité civile (en cas d’accident) et le montant de réparation d’un dommage. La Cour de Singapour a par ailleurs mis en place un système d’authentification des décisions avec une signature électronique et un archivage des décisions par QR code. De manière encore plus innovante, le juge Aedit Abdullah a pu expliquer que depuis 2023 était mis en place, outre le e-recours, « l’audience asynchronique » permettant des échanges non simultanés entre les magistrats et les conseils des parties pour la mise en état des dossiers. Il a conclu son propos en évoquant les perspectives de collaboration avec des start-ups de la legal tech, visant la construction d’un chatbot pouvant répondre aux interrogations du justiciable sur les modalités d’action en présence d’une situation donnée. L’exemple développé était alors celui d’un justiciable posant une question sur son voisin trop bruyant.

La seconde table ronde portait sur le droit positif et l’IA. Du point de vue pénal, Mme Isabelle Goanvic, conseillère à la chambre criminelle, a présenté le cadre normatif existant au niveau européen et national. Elle a souligné que la diversité de la faute pénale en droit français était de nature à permettre la caractérisation d’infractions de droit commun commises dans le contexte de l’IA. En matière d’usage des données personnelles, elle a souligné la possibilité pour la chambre criminelle d’adapter la nature de son contrôle aux risque nouveaux engendrés par l’IA .

Mme Caroline Azar, conseillère référendaire à la première chambre civile et chargée de mission de M. le premier président a quant à elle interrogé le contentieux de la protection de l’IA en matière de propriété intellectuelle et de droit des brevets. Elle s’est ensuite interrogée sur la réparation d’éventuels dommages causés par une IA ou un robot autonome. Mme Caroline Azar a finalement conclu son propos sur la pertinence de la réglementation en cours d’élaboration au niveau européen.

En réplique, M. le juge Goh Yihan a distingué les différentes facultés de l’IA afin de s’interroger sur les éventuelles responsabilités en présence. Par exemple, il a développé le cas de l'affaire Quoine c. B2C2 pour expliquer que dans le cadre d’IA auto-apprenantes, les discriminations qui pouvaient résulter d’un mauvais apprentissage étaient imputables aux concepteurs, n’ayant pas anticipé le biais adopté par la machine.

Les échanges entre les deux cours sur cette thématique d’une grande actualité ont été nourris. Après avoir dépeint le paysage réglementaire de chaque Etat et les initiatives mises en place dans chaque Cour lors de ce séminaire, il a été conclu de poursuivre ces travaux sur des thématiques ciblées de droit substantiel et d’organisation judiciaire. Ces discussions opérationnelles de haut niveau constituent un axe important de la stratégie internationale de la Cour portée par M. le premier président, favorisant le droit comparé et l’inspiration de bonnes pratiques.

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