Les bonnes pratiques ou comment assurer la moralisation de l’expertise judiciaire
vendredi 10 novembre 2017
Allocution de Monsieur Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, lors du colloque organisé par la Compagnie des experts agréés par la Cour de cassation : "Les bonnes pratiques ou comment assurer la moralisation de l’expertise judiciaire".
Mesdames,
Messieurs,
Le thème de votre colloque associe la moralisation, la déontologie et les bonnes pratiques dans l’expertise judiciaire.
Tout
au long de cette journée, vous allez progresser sur le sens de cette
association et la démarche dynamique qui l’anime.
Les
bonnes pratiques renvoient plutôt aux règles procédurales à suivre pour garantir
la régularité de l’expertise. En tête de ces règles, figure le principe
cardinal de la contradiction, source de tant de difficultés dans les conflits,
mais aussi solution pour beaucoup d’autres. Le juge et l’expert ont en partage
ce principe qui guide la méthode de l’un comme de l’autre.
En
effet, l’expertise est un procès dans le procès et elle obéit aux mêmes règles,
en particulier l’absolue transparence des écrits comme des paroles de tous les
participants.
La
déontologie, quant à elle, évoque davantage les codes qui commandent le
comportement personnel, ceux qui appellent le juge comme l’expert à une
vigilance constante sur lui-même, sur ses préjugés, ses sensibilités, les
influences qu’il subit, afin de toujours rester maître de son impartialité, premier
devoir de la déontologie commune.
La
moralisation est un terme plus complexe.
Certes,
il renvoie d’emblée à la morale et nous rapproche en ce sens de la déontologie,
mais surtout, il évoque le mouvement
vers la morale, une quête vers plus de morale, donc à partir d’une base qui en manquerait.
Et
là, on touche à la sphère la plus intime de la personne, à ses inclinations, à
sa culture existentielle, à ses
habitudes de vie plus ou moins vertueuses.
Au
premier rang, on rencontre les moteurs profonds de nos choix, l’intérêt qui
nous pousse à exercer une fonction. Le cœur de la morale, c’est la motivation
strictement intellectuelle pour ce que l’on fait, sans s’arrêter aux avantages matériels à en
attendre.
En
ce sens, la moralisation tend à développer le caractère désintéressé de nos
actions par rapport à cet aspect lucratif.
La
force du désintéressement, c’est la part de gratuité, de don de lui-même que
fait à la justice un juge ou un expert, soit en travaillant sans ménager son
repos, soit en pratiquant une tarification modeste, soit en maîtrisant les
considérations d’intérêts qui sont à la source de la convoitise.
Contradiction,
impartialité, désintéressement, voilà sans doute les trois caractères dominants
de la fonction que le juge partage avec l’expert chargé de l’éclairer grâce aux
connaissances qu’il a acquises dans sa discipline.
Depuis
les origines, ce partage donne sa légitimité
à l’œuvre de justice, sa reconnaissance sociale, la confiance qu’elle
inspire, mais les progrès des sciences et techniques ont donné à cette alliance
un développement continu. Elle a été portée à un tel point qu’on conçoit
difficilement aujourd’hui un débat technique sans l’intervention d’un expert
auprès du juge.
Ceci
met d’autant plus en évidence l’importance des valeurs que vous avez inscrites
au programme de votre colloque.
Dans
le même temps que se développe en nombre et en difficulté la demande en
justice, avec le besoin qui la complète de viviers d’experts inscrits sur des
listes réunissant les meilleurs dans toutes les spécialités, la pression sociale
se fait aussi plus forte en faveur d’une justice toujours mieux préservée des
reproches d’ordre moral.
Cette
attente se manifeste d’abord à l’égard des juges, tenus désormais de remplir
des déclarations d’intérêts et de se plier à des entretiens déontologiques
propres à prévenir les risques de défaillance auxquels ils sont exposés. Elle
est très forte aussi à l’égard des experts dont les intérêts croisés sont
susceptibles d’affecter une impartialité désormais scrutée à l’aune de facteurs
toujours plus nombreux et exigeants.
Cette
double réalité d’aujourd’hui, d’un besoin conséquent d’experts dans de
multiples spécialités et d’une attente de comportements moraux toujours plus
sévèrement contrôlés, érige en nécessité d’intérêt public la constitution de
listes d’experts complètes et sûres. C’est le rôle d’une institution comme la
compagnie des experts de la Cour de cassation de porter très haut ce label
d’excellence technique et morale de l’expertise et de se constituer comme un
pôle où chacun puisse identifier sa référence, rechercher son orientation et
trouver les réponses à ses questions.
Je
forme le vœu que ce colloque contribue fortement à ce renouveau vital et
durable de nos listes d’experts pour une justice ressourcée et renforcée dans
ses fondamentaux, ses connaissances techniques et ses valeurs morales.
Bertrand Louvel
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