Rapport annuel 2022 (IV. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE)

Rapport annuel

Ouvrage de référence dans les milieux judiciaire et universitaire, le Rapport de la Cour de cassation est aussi un précieux instrument de travail pour les praticiens du droit. Le Rapport 2022 comporte des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, ainsi que l’analyse des principaux arrêts et avis ayant été rendus, tout au long de l’année, dans les différentes branches du droit privé. Le Rapport présente également, de manière détaillée, l’activité juridictionnelle et extra-juridictionnelle de la Cour de cassation, ainsi que celle des juridictions et commissions instituées auprès d’elle.

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Rapport annuel 2022 (IV. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE)

IV. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE

A. Suivi des suggestions de réforme

Procédures collectives

Déclaration d’insaisissabilité

L’article L. 526-1 du code de commerce prévoit deux modalités de protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel : la première contre la saisie de sa résidence principale (disposition introduite par la loi no 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques) ; la seconde contre celle de tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’il n’a pas affecté à son usage professionnel.

Lors des débats parlementaires de la loi no 2015-990 du 6 août 2015 précitée, il était envisagé de supprimer la déclaration notariée d’insaisissabilité introduite par la loi no 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique dont le domaine d’application a été élargi de la résidence principale du débiteur à tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à son usage professionnel par la loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.

Le législateur, ni en 2003, ni en 2008, ni en 2015, n’a prévu l’articulation de ces dispositions protectrices d’une partie du patrimoine du débiteur, personne physique, avec le droit des procédures collectives. Par conséquent, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a dû élaborer, au gré des pourvois, un régime juridique propre au sort de la déclaration notariée d’insaisissabilité confrontée à l’ouverture d’une procédure collective.

Deux aspects sont, particulièrement, mis en exergue.

Le premier concerne le pouvoir pour les organes de la procédure de contester la déclaration d’insaisissabilité au nom de l’intérêt commun des créanciers, qui comprend la nécessaire reconstitution du gage des créanciers concernés par la procédure collective. Les difficultés sont telles que la Cour de cassation a dû revenir sur sa jurisprudence. Ainsi par un arrêt du 15 novembre 201666 , elle a dû préciser l’étendue des pouvoirs du liquidateur confronté à une déclaration d’insaisissabilité dont la régularité de la publicité pose difficulté. Cassant la décision de la cour d’appel, elle précise que la solution résultant de l’arrêt du 13 mars 201267  a eu pour effet de priver les organes de la procédure de la possibilité de contester l’opposabilité de la déclaration d’insaisissabilité à la procédure tandis que, dans un autre arrêt du 2 juin 201568, elle a jugé que les organes de la procédure collective avaient qualité pour agir pour la protection et la reconstitution du gage commun des créanciers. Elle a donc modifié la solution résultant de l’arrêt du 13 mars 2012 précité et a retenu que, désormais, la déclaration d’insaisissabilité n’étant opposable à la liquidation judiciaire que si elle a fait l’objet d’une publicité régulière, le liquidateur, qui a qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, est recevable à en contester la régularité à l’appui d’une demande tendant à reconstituer le gage commun des créanciers.

Le second vise à circonscrire les pouvoirs du ou des créanciers à qui la déclaration notariée d’insaisissabilité n’est pas opposable lorsqu’il(s) entend(ent) agir sur le ou les biens sous déclaration d’insaisissabilité échappant à l’emprise de la procédure collective. Inévitablement la jurisprudence de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a dû tirer les conséquences de l’effet réel de la procédure collective. Le(s) bien(s) sous déclaration d’insaisissabilité opposable à la procédure échappant à la saisie collective, les créanciers peuvent agir librement en marge de la procédure69.

Si la jurisprudence tente de pallier les silences du législateur, elle ne peut résoudre un paradoxe que lui seul peut dépasser : les procédures collectives ont un effet réel et un effet personnel. Ce dernier est mis à mal par la déclaration d’insaisissabilité, car elle conduit à nier la dimension personnelle de la procédure collective dans les relations du débiteur avec ses créanciers. En outre, inévitablement, une inégalité entre les créanciers du débiteur se dessine. Les créanciers à qui la déclaration d’insaisissabilité est inopposable peuvent agir en marge de la procédure collective et saisir le bien sous déclaration tout en agissant dans le cadre de la procédure en déclarant leur créance. Les autres créanciers sont contraints par l’obligation de déclarer leur créance dans les délais et sont soumis à la discipline collective (interdiction des paiements, des poursuites individuelles, d’inscription des hypothèques) et ne peuvent pas agir sur le bien sous déclaration d’insaisissabilité.

Une autre difficulté se profile : en cas de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, en principe, les créanciers à qui la déclaration d’insaisissabilité n’est pas opposable pourront poursuivre le débiteur sur le bien sous déclaration d’insaisissabilité tandis que les autres créanciers verront toutes leurs poursuites bloquées par les effets de la clôture pour insuffisance d’actif.

Autant de questions qui portent atteinte à la sécurité juridique et qui justifient, comme le législateur l’avait prévu en 2015, de supprimer l’alinéa 2 de l’article L. 526-1 du code de commerce visant la déclaration notariée d’insaisissabilité pour ne maintenir que l’insaisissabilité légale.

Cette suggestion, qui figure aux Rapports depuis 2017, reste d’actualité et doit être maintenue.

Malgré l’adoption de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante (dite loi API), l’avis réservé de la DACS publié au Rapport 2021 demeure d’actualité. Elle précise que cette loi, si elle organise l’extinction de l’EIRL pour l’avenir, créé un nouveau statut pour l’entrepreneur individuel (l’EI) à la tête désormais de deux patrimoines, l’un professionnel gage de ses créanciers professionnels, et l’autre personnel à l’abri des poursuites de ces derniers. Ce nouveau statut cohabite désormais avec l’insaisissabilité légale de la résidence principale et la possibilité d’effectuer une déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) pour les autres immeubles ; techniques de protection de biens immobiliers.

Si l’on se place du point de vue de la sécurité juridique et de la simplicité du droit, la proposition consistant à supprimer la DNI pourrait paraître pertinente car la coexistence du statut de l’EI et de la DNI complique le droit positif, particulièrement en cas d’ouverture d’une procédure collective.

Cependant, si l’on se place du point de vue de la protection du patrimoine personnel de l’EI, la DACS estime que la création du statut de l’EI, doté de deux patrimoines séparés, ne justifie pas la proposition consistant à supprimer la DNI prévue par l’article L. 526-1 du code de commerce pour ne maintenir que l’insaisissabilité légale.

Tout d’abord, le législateur a estimé utile de conserver la DNI malgré l’adoption du statut de l’EI. Ceci résulte de l’article L. 526-22, alinéa 4, du code de commerce qui dispose : « Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l’article L. 526-7 du présent code, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-25. »

L’article L. 526-1, alinéa 2, du code de commerce permet à l’entrepreneur individuel de déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, autre que l’immeuble où est fixée sa résidence principale et qu’il n’a pas affecté à son usage professionnel.

Le but de la DNI consiste à protéger l’entrepreneur individuel puisque ses biens immobiliers déclarés insaisissables ne peuvent être saisis par les créanciers professionnels postérieurs à la déclaration lorsque son entreprise rencontre des difficultés.

A priori, on pourrait penser que la DNI ne présente plus d’utilité depuis la création de l’EI car les créanciers professionnels ne peuvent agir que sur les biens composant le patrimoine professionnel70.

Cependant, en dépit de la séparation patrimoniale instaurée par la loi API, la DACS rappelle que la DNI conserve son utilité consistant à protéger certains biens du patrimoine personnel de l’entrepreneur car la séparation patrimoniale organisée par le statut de l’EI présente plusieurs limites.

D’une part, certains créanciers professionnels comme le fisc ou l’URSSAF bénéficient d’un droit de gage sur les deux patrimoines et donc sur le patrimoine personnel de l’EI71.

D’autre part, l’EI peut renoncer à la séparation patrimoniale au profit d’un créancier professionnel72. En pareille hypothèse, le créancier professionnel pourra agir tant sur les biens du patrimoine professionnel que sur ceux du patrimoine personnel.

Ensuite, les créanciers professionnels pourront agir sur les biens du patrimoine personnel en cas de cessation de l’activité professionnelle indépendante de l’EI puisqu’en ce cas, l’article L. 526-22, alinéa 8, du code de commerce prévoit la réunion des patrimoines professionnel et personnel.

Enfin, la DNI peut présenter un intérêt dans les hypothèses de réunion des patrimoines prévues en cas d’ouverture d’une procédure collective. En vertu de l’article L. 621-2, alinéa 3, du code de commerce : « [À la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public], un ou plusieurs autres patrimoines du débiteur peuvent être réunis au patrimoine visé par la procédure, en cas de confusion avec celui-ci. Il en va de même lorsque le débiteur a commis […] une fraude à l’égard d’un créancier titulaire d’un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédure ». Dans ces hypothèses de réunion des patrimoines, l’existence d’une DNI devrait conduire à l’application de la jurisprudence de la Cour de cassation qui interdit au liquidateur de réaliser les immeubles insaisissables dans le cadre de la liquidation judiciaire dès lors qu’elle compte des créanciers auxquels l’insaisissabilité est opposable73. Les immeubles déclarés insaisissables demeureraient donc à l’abri des créanciers professionnels puisque seuls les créanciers auxquels la DNI est inopposable peuvent saisir ces biens dans les conditions de droit commun74. Comme la doctrine le souligne, l’insaisissabilité peut présenter un intérêt pour le débiteur « spécialement si le passif dû aux créanciers à qui elle est inopposable est relativement faible »75  car « ces créanciers peuvent s’abstenir de réaliser le bien, comptant être payés au titre de la procédure collective dont ils ne sont nullement exclus »76.

Dans toutes ces hypothèses de décloisonnement des patrimoines où les créanciers professionnels ou certains d’entre eux disposent d’un droit de gage sur les patrimoines professionnel et personnel de l’EI, le maintien de la DNI, qui permet de protéger certains biens immobiliers de l’entrepreneur contre les poursuites des créanciers professionnels, conserve tout son intérêt.

La DACS conclut en rappelant que comme le souligne M. le professeur Florent Petit : « La technique [de l’insaisissabilité] réduit le risque entrepreneurial en instaurant une deuxième ligne de protection : lorsque le rempart érigé par la séparation patrimoniale ne suffit plus à protéger le patrimoine personnel, l’insaisissabilité se dresse pour empêcher les créanciers professionnels d’atteindre certains biens. »77   


66.Com., 15 novembre 2016, pourvoi no 14-26.287, Bull. 2016, IV, no 142.

67.Com., 13 mars 2012, pourvoi no 11-15.438, Bull. 2012, IV, no 53.

68.Com., 2 juin 2015, pourvoi no 13-24.714, Bull. 2015, IV, no 94, publié au Rapport annuel.

69. Par exemple, pour la cession forcée, Com., 4 mai 2017, pourvoi no 15-18.348 ; Com., 4 mai 2017, pourvoi no 15-18.489 ; Com., 22 mars 2016, pourvoi no 14-21.267, Bull. 2016, IV, no 46 ; Com., 28 juin 2011, pourvoi no 10-15.482, Bull. 2011, IV, no 109, publié au Rapport annuel.

70. Article L. 526-22, alinéa 4, du code de commerce.

71. Article L. 526-24 du code du commerce.

72. Article L. 526-25, ibid.

73.Com., 28 juin 2011, pourvoi n° 10-15.482, Bull. 2011, IV, n° 109, publié au Rapport annuel ; D. 2011, p. 1751, obs. A. Lienhard.

74.Com., 5 avril 2016, pourvoi n° 14-24.640, Bull. 2016, IV, n° 56. 

75. F. Perochon avec le concours de M. Laroche, F. Reille, T. Favario et A. Donnette, Entreprises en difficulté, LGDJ, 11e éd., 2022, p. 866, n° 2101.

76. Ibid.

77. F. Petit., « Retour sur l’insaisissabilité des biens », Rev. proc. coll. novembre 2022, dossier 42, § 12.

B. Suggestions nouvelles

Aménagement de la règle de suspension de la procédure de saisie immobilière en cours à la date du jugement d’ouverture

Dans un arrêt du 8 mars 202378, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a jugé qu’« il résulte de la combinaison de l’article L. 622-21, II, du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l’article L. 631-14, et des articles L. 642-18, alinéa 2, et L. 643-2, alinéas 1 et 3, du même code que l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires entraîne la suspension de la procédure de saisie immobilière en cours à la date du jugement d’ouverture. Cette suspension emporte le maintien des actes de procédure et juridictionnels afférents à cette procédure intervenus avant le jugement d’ouverture ».

Cette solution se fonde sur les dispositions de l’article L. 642-18, alinéa 2, du code de commerce, qui reprend la solution de l’ancien article L. 622-16 issu de la loi n° 94-475 du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises, dont l’objectif était d’accélérer la procédure de réalisation des immeubles en liquidation judiciaire, en évitant au liquidateur de perdre le bénéfice des actes précédemment accomplis par le créancier poursuivant, à l’occasion d’une saisie immobilière, lorsque le jugement de redressement judiciaire était suivi, à bref délai, d’une conversion en liquidation judiciaire. Alors que l’article L. 622-21, II, édicte un principe d’arrêt des procédures d’exécution en cours, sur les meubles comme sur les immeubles du débiteur, à la date du jugement d’ouverture, l’article L. 642-18, alinéa 2, prévoit, par exception, un principe de suspension de la saisie immobilière en cours. Ce texte dispose ainsi que : « Lorsqu’une procédure de saisie immobilière engagée avant l’ouverture de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires a été suspendue par l’effet de cette dernière, le liquidateur peut être subrogé dans les droits du créancier saisissant pour les actes que celui-ci a effectués, lesquels sont réputés accomplis pour le compte du liquidateur qui procède à la vente des immeubles. La saisie immobilière peut alors reprendre son cours au stade où le jugement d’ouverture l’avait suspendue. »

La solution adoptée par l’arrêt du 8 mars 2023 uniformise donc les règles applicables en cas de saisie immobilière en cours à la date du jugement d’ouverture : quel que soit le type de procédure collective qui a été ouverte (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaires), cette saisie, si elle est en cours, se trouve suspendue par l’effet du jugement d’ouverture. Seul importe le fait que, s’il ne s’agit pas d’une liquidation judiciaire ouverte ab initio, cette liquidation intervienne ultérieurement, ce qui permettra au liquidateur de reprendre la saisie immobilière s’il le souhaite.

Cependant, ni le législateur de 1994, ni celui de 2005 n’ont envisagé le sort de la saisie immobilière en cours dans une hypothèse comparable à celle de l’espèce, où le redressement judiciaire (ou la sauvegarde) aboutit à l’arrêté d’un plan de redressement (ou de sauvegarde). Or, dans ce cas de figure, la suspension de la procédure de saisie immobilière en cours a des incidences pratiques non négligeables : cette procédure se trouve suspendue pendant toute la durée d’exécution du plan, qui peut être de dix ans, voire quinze ans s’il s’agit d’un agriculteur79. Cette suspension se prolongera également si le plan est résolu avant son terme, avec l’ouverture concomitante d’une liquidation judiciaire, le liquidateur pouvant encore reprendre, à l’occasion de cette nouvelle procédure collective, la saisie immobilière qui avait été suspendue par l’effet du premier jugement d’ouverture. En conséquence de cette suspension, le commandement de payer valant saisie conserve ses effets, de sorte que l’immeuble est susceptible de rester indisponible pendant une longue durée, privant ainsi le débiteur de la possibilité de le vendre ou de consentir des baux. Cela interdit également aux créanciers dont la créance est née après l’arrêté du plan, et donc payable dans les conditions de droit commun80, de saisir l’immeuble afin d’obtenir le paiement de leur créance.

Dans ces conditions, dans une hypothèse telle que celle de l’espèce, il semble opportun d’aménager la règle de la suspension de la saisie immobilière en cours, afin d’en limiter les effets dans le temps. Cet aménagement pourrait passer par la modification de l’article L. 622-21, II, du code de commerce. Ce texte pourrait être complété comme suit :

« II. - Il [le jugement d’ouverture] arrête ou interdit également toute procédure d’exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture.

Toutefois, lorsqu’une procédure de saisie immobilière est en cours à la date du jugement d’ouverture, elle n’est que suspendue jusqu’à sa reprise par le liquidateur en application de l’article L. 642-18, alinéa 2. Elle ne s’arrête que par l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de redressement au profit du débiteur saisi. »

La DACS indique que cet arrêt confirme effectivement que la règle de l’arrêt et l’interdiction des voies d’exécution posée par l’article L. 622-21, II, du code de commerce, applicable non seulement en liquidation judiciaire mais également en sauvegarde et redressement judiciaire, combinée à celle de l’article L. 642-18, alinéa 2, prévoyant par exception la suspension de la saisie immobilière en cours, permet bien au liquidateur de reprendre la saisie, s’il le souhaite, quelle que soit la procédure ouverte au départ (sauvegarde, redressement ou liquidation). Cette possibilité pour le liquidateur d’être subrogé dans les droits du créancier saisissant et de poursuivre les opérations menant à l’adjudication trouve effectivement moins d’intérêt, voire présente des inconvénients (signalés par la Cour de cassation), dans l’hypothèse où la procédure de sauvegarde ou de redressement n’est pas convertie en liquidation et aboutit à l’adoption d’un plan.

La DACS expertisera la proposition de modification de l’écriture de l’article L. 622-21, II, du code de commerce formulée par la Cour de cassation, pour assouplir le mécanisme de l’arrêt des voies d’exécution s’agissant des saisies immobilières initiées avant le jugement d’ouverture lorsque la procédure ne débouche pas sur une liquidation judiciaire. Il s’agit toutefois d’une modification nécessitant un vecteur législatif.

Droit des sociétés

Désignation d’un expert en application de l’article 1843-4 du code civil

La désignation d’un expert, prévue à l’article 1843-4 du code civil, lequel ne procède pas à une véritable expertise au sens des articles 263 et suivants du code de procédure civile, constitue une institution particulière et très usitée du droit des sociétés.

Elle est ordonnée par le président du tribunal judiciaire ou de commerce compétent pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé ou le rachat de ceux-ci par la société, lorsque les parties ne parviennent à s’entendre ni sur la valeur de ces parts sociales, ni sur la personne de l’expert à désigner.

Parmi les rares textes régissant cette institution, dont le régime résulte principalement de la jurisprudence de la Cour de cassation, figurent les articles 1843-4 du code civil et R. 228-23, alinéa 2, du code de commerce, qui précisent tous les deux que la décision ordonnant la désignation de l’expert n’est pas susceptible de recours, ce dont la Cour de cassation a déduit que cette interdiction s’applique à la voie de l’appel comme à celle du pourvoi en cassation81.

La seule exception à cette absence de recours tenait à l’ouverture d’un re-cours-nullité, qui consiste à sanctionner principalement les décisions du président du tribunal par lesquelles celui-ci désigne l’expert tout en empiétant sur les pouvoirs de ce dernier de fixer la valeur des parts sociales82. En revanche, il était jugé que l’inobservation par le président du tribunal, saisi en application de l’article 1843-4 du code civil, des conditions d’application de ce texte ne constitue pas un excès de pouvoir permettant de déroger à la règle interdisant d’exercer un recours83.

Cette fermeture de toute voie de recours, sauf recours-nullité, était aussi applicable à la décision du président du tribunal refusant la désignation d’un expert84.

Constatant que, dans le cas du refus de désignation de l’expert, cette rigueur avait pour effet, d’une part, de priver les titulaires des parts sociales de la possibilité de faire évaluer la valeur de celles-ci, ce qui était à l’origine de situations de blocage contraires à l’objectif de célérité poursuivi par le législateur, et, d’autre part, d’interpréter de manière extensive les articles 1843-4 du code civil et R. 228-23 du code de commerce, qui ne visent que la décision désignant l’expert, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a décidé d’abandonner sa jurisprudence résultant de l’arrêt du 11 mars 2008, précité.

Dans un arrêt récent, elle a ainsi admis d’ouvrir la voie de l’appel à l’encontre de toute décision du président du tribunal rejetant, pour quelque cause que ce soit, la demande de désignation de l’expert prévue à l’article 1843-4 du code civil. Elle précise en outre que la cour d’appel, saisie d’un appel-réformation, dispose du pouvoir de réformer l’ordonnance rejetant la désignation de l’expert en procédant elle-même à cette désignation. En revanche, la Cour de cassation maintient l’interdiction de toute voie de recours, sauf recours-nullité, à l’encontre des décisions ordonnant la désignation d’un expert85.

Pour une meilleure lisibilité des textes, il est donc suggéré de modifier les articles 1843-4 du code civil et R. 228-23 du code de commerce pour faire apparaître que seule la décision du président du tribunal ordonnant la désignation de l’expert prévue par l’article 1843-4 du code civil n’est pas susceptible de recours, celle refusant cette désignation « pour quelque cause que ce soit » étant, quant à elle, susceptible de recours.

Il serait ainsi utile de modifier l’article 1843-4 du code civil en ajoutant un III ainsi rédigé :

« Lorsque le président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce saisi d’une demande de désignation d’un expert refuse de l’accueillir pour quelque cause que ce soit, sa décision est susceptible d’appel. »

De la même manière, il conviendrait de compléter la dernière phrase de l’alinéa 2 de l’article R. 228-23 du code de commerce par le membre de phrase suivant :

« […] sauf lorsqu’elles refusent, pour quelque cause que ce soit, la désignation de l’expert. »

La DACS a indiqué être favorable à cette mesure de précision.  


78.Com., 8 mars 2023, pourvoi n° 21-18.722, publié au Bulletin. 

79. Article L. 626-12 du code de commerce.

80.Com., 26 octobre 2022, pourvoi n° 21-13.474, publié au Bulletin. 

81.1re Civ., 6 décembre 1994, pourvoi n° 92-18.007, Bull. 1994, I, n° 364 ; Com., 15 mai 2012, pourvoi n° 11-12.999, Bull. 2012, IV, n° 103

82.Com., 3 mai 2012, pourvoi n° 11-16.349, Bull. 2012, IV, n° 90 ; Com., 15 mai 2012, pourvoi n° 11-12.999, précité ; Com., 7 juillet 2021, pourvoi n° 19-23.699, publié au Bulletin. 

83.Com., 15 mai 2012, pourvoi n° 11-17.866, Bull. 2012, IV, n° 98 ; Com., 7 juillet 2020, pourvoi n° 18-18.190

84.Com., 11 mars 2008, pourvoi n° 07-13.189, Bull. 2008, IV, n° 62

85.Com., 25 mai 2022, pourvoi n° 20-14.352, publié au Bulletin et au Rapport annuel

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