Rapport annuel 2022 (III. ARRÊTS RENDUS PAR LES CHAMBRES)

Rapport annuel

Ouvrage de référence dans les milieux judiciaire et universitaire, le Rapport de la Cour de cassation est aussi un précieux instrument de travail pour les praticiens du droit. Le Rapport 2022 comporte des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, ainsi que l’analyse des principaux arrêts et avis ayant été rendus, tout au long de l’année, dans les différentes branches du droit privé. Le Rapport présente également, de manière détaillée, l’activité juridictionnelle et extra-juridictionnelle de la Cour de cassation, ainsi que celle des juridictions et commissions instituées auprès d’elle.

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Rapport annuel 2022 (III. ARRÊTS RENDUS PAR LES CHAMBRES)

III. ARRÊTS RENDUS PAR LES CHAMBRES

A. Droit des personnes et de la famille

1. Autorité parentale

Autorité parentale Délégation – Désignation d’un délégataire – Proche digne de confiance – Appréciation

1re Civ., 21 septembre 2022, pourvoi no 21-50.042, publié au Bulletin, rapport de Mme Azar et avis de Mme Caron-Déglise

Au sens de l’article 377, alinéa 1, du code civil, ne saurait être considérée comme un proche une personne dépourvue de lien avec les délégants et rencontrée dans le seul objectif de prendre en charge l’enfant en vue de son adoption ultérieure.

En conséquence, viole ces dispositions une cour d’appel, qui, après avoir constaté que les parents d’un enfant vivant en Polynésie française avaient recherché une famille adoptante en métropole avec laquelle ils étaient entrés en relation, accueille leur demande en délégation de l’exercice de l’autorité parentale.

Cependant, dès lors qu’à la date de la naissance de l’enfant, les parents légaux, comme le couple candidat à la délégation, s’étaient engagés dans un processus de délégation d’autorité parentale en vue d’une adoption qu’ils pouvaient, de bonne foi, considérer comme étant conforme au droit positif, il n’y a pas lieu d’accueillir le pourvoi dès lors que l’application immédiate de la jurisprudence nouvelle sanctionnant un tel processus porterait une atteinte disproportionnée aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime, ainsi qu’à l’intérêt supérieur de l’enfant, garanti par l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, et au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées, garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Autorité parentale – Délégation – Désignation de plusieurs délégataires – Conditions – Détermination – Portée

Même arrêt

L’article 377 du code civil n’interdit pas la désignation de plusieurs délégataires lorsque, en conformité avec l’intérêt de l’enfant, les circonstances l’exigent.

Contrats et obligations conventionnelles – Nullité – Atteinte à l’ordre public – Procréation ou gestation pour le compte d’autrui – Champ des conventions prohibées – Appréciation

Même arrêt

Le projet d’une mesure de délégation d’autorité parentale, par les parents d’un enfant à naître, au bénéfice de tiers souhaitant le prendre en charge à sa naissance, n’entre pas dans le champ des conventions prohibées par l’article 16-7 du code civil dès lors, d’une part, que l’enfant n’a pas été conçu en vue de satisfaire la demande des candidats à la délégation, d’autre part, que la mesure de délégation, qui n’est qu’un mode d’organisation de l’exercice de l’autorité parentale, est ordonnée sous le contrôle du juge, est révocable et est, en elle-même, sans incidence sur la filiation de l’enfant.

La Cour de cassation a été saisie de sept pourvois formés par le parquet général près la cour d’appel de Papeete contre des arrêts ayant accueilli les demandes de délégation d’autorité parentale formées par des parents polynésiens au bénéfice de candidats à l’adoption métropolitains.

Depuis plus de trente ans, en Polynésie française, a été mis en œuvre un processus par lequel des familles polynésiennes s’entendent directement avec une famille métropolitaine sur l’adoption plénière ou simple d’un enfant, organisée via une procédure préalable de délégation d’autorité parentale prenant effet peu de temps après la naissance.

Les pourvois dont a été saisie la Cour de cassation soulevaient indirectement la question de la compatibilité de ce processus avec les dispositions impératives du droit de l’adoption31, qui font obligation aux parents souhaitant faire adopter leur enfant de moins de deux ans de le remettre à l’aide sociale à l’enfance (ASE), sans pouvoir choisir l’adoptant.

En pratique, après une prise de contact informel entre les parties (par le bouche-à-oreille, principalement, ou par l’intermédiaire d’associations), l’enfant est remis par les parents biologiques aux futurs délégataires dès la naissance, sans remise préalable à l’ASE. Après avoir obtenu le jugement de délégation, les délégataires regagnent assez rapidement la métropole et, lorsque l’enfant atteint l’âge de deux ans, sollicitent son adoption, le plus souvent plénière.

Ce dispositif était validé par les juridictions de Polynésie française depuis de nombreuses années.

Sa légalité se trouvant remise en cause par le parquet général, la cour d’appel de Papeete a rendu plusieurs arrêts rejetant la contestation.

Elle a relevé notamment qu’il avait pu être vérifié, dans chacune des hypothèses concernées, que le consentement des parents à la délégation était libre, éclairé et sans réserve et qu’en présence d’une carence de textes réglementaires sur le statut des pupilles de l’État en Polynésie française, le législateur polynésien avait lui-même souhaité adapter, via le code de procédure civile applicable sur le territoire, l’usage de la procédure de délégation de l’autorité parentale à la pratique du fa’a’amu en conférant au juge aux affaires familiales des pouvoirs d’investigations spécifiques en la matière et en subordonnant la délégation à la justification d’un agrément en vue de l’adoption pour les personnes non résidentes en Polynésie française, de sorte qu’était ainsi assuré un contrôle renforcé des mesures de « délégations adoptives ».

Devant la Cour de cassation, le pourvoi du parquet général près la cour d’appel de Papeete posait à titre principal deux questions: d’une part, celle de l’assimilation d’une telle pratique à la gestation pour autrui, d’autre part, celle de sa compatibilité, en amont du droit de l’adoption, avec le droit de la délégation volontaire de l’autorité parentale32, en ce qu’il prévoit que l’enfant ne peut se voir confié qu’à un membre de la famille ou un proche digne de confiance.

S’agissant de la gestation pour autrui, la Cour de cassation écarte l’assimilation de la « délégation adoptive » à une telle pratique, dès lors, d’une part, que, dans les hypothèses qui lui étaient soumises, l’enfant n’avait pas « été conçu en vue de satisfaire la demande des candidats à la délégation, d’autre part, que la mesure de délégation, qui n’est qu’un mode d’organisation de l’exercice de l’autorité parentale, est ordonnée sous le contrôle du juge, est révocable et est, en elle-même, sans incidence sur la filiation de l’enfant ». Elle juge que, dans ce contexte, la délégation aux fins d’adoption ne porte ainsi atteinte ni au principe d’indisponibilité du corps humain ni à celui de l’état des personnes, qui fondent l’interdiction de la gestation pour autrui.

S’agissant des autres questions, la Cour de cassation censure l’usage de la « délégation adoptive » au bénéfice de métropolitains, en retenant que, si l’article 377, alinéa 1, du code civil ouvre « la possibilité de désigner comme délégataire une personne physique qui ne soit pas membre de la famille, c’est à la condition que celle-ci soit un proche digne de confiance », ce que ne saurait être « une personne dépourvue de lien avec les délégants et rencontrée dans le seul objectif de prendre en charge l’enfant en vue de son adoption ultérieure ».

Il doit être relevé que cette censure est sans effet sur la coutume polynésienne du fa’a’amu, qui peut connaître une traduction juridique au travers de la délégation d’autorité parentale, dès lors que celle-ci intervient au sein d’un cercle familial élargi ou au bénéfice de personnes connues des délégants.

Cependant, admettant une dérogation au principe d’application immédiate de la jurisprudence nouvelle aux situations des enfants pour lesquels une instance est en cours, la Cour de cassation rejette le pourvoi, tenant ainsi compte (de façon inédite en droit de la famille), du caractère exceptionnel de la situation.

En effet, elle juge que l’application immédiate de la jurisprudence nouvelle, qui intervient dans un contexte de carence réglementaire imputable à l’État ayant conduit les autorités polynésiennes à prévoir des aménagements spécifiques du code de procédure civile de la Polynésie française pour la mise en œuvre de la « délégation adoptive » validée par une jurisprudence trentenaire de la cour d’appel de Papeete, porterait une atteinte disproportionnée, d’abord, aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime, ensuite, au regard des liens tissés entre l’enfant et les délégataires, à l’intérêt supérieur de l’enfant, garanti par l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, enfin, au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées, garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En outre, l’arrêt, mettant ainsi fin à une divergence de jurisprudence entre plusieurs cours d’appel, apporte une précision importante sur le régime de délégation d’autorité parentale en retenant que la désignation de plusieurs délégataires est possible, « lorsque, en conformité avec l’intérêt de l’enfant, les circonstances l’exigent ».

2. Succession

Succession – Conjoint successible – Droits légaux de succession – Libéralités reçues – Rapport spécial en moins prenant – Conditions – Article 758-6 du code civil

1re Civ., 12 janvier 2022, pourvoi no 20-12.232, publié au Bulletin, rapport de M. Buat-Ménard et avis de Mme Caron-Déglise

Il résulte de la combinaison des articles 758-5 et 758-6 du code civil que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l’article 758-6.

Dès lors, une cour d’appel ayant retenu que le pacte tontinier compris dans l’acte d’achat d’un appartement constituait une donation déguisée du de cujus en faveur de son épouse, cette donation est soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l’article 758-6 du code civil.

Succession – Conjoint successible – Droits légaux de succession – Cumul avec un legs – Possibilité – Exclusion

1re Civ., 12 janvier 2022, pourvois no 19-25.158 et no 20-10.091, publié au Bulletin, rapport de Mme Dard et avis de M. Sassoust

Il résulte de la combinaison des articles 758-5 et 758-6 du code civil que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l’article 758-6.

Dès lors, la présomption de dispense de rapport des legs prévue à l’article 843 du code civil ne lui est pas applicable.

Deux arrêts du 12 janvier 2022 ont été l’occasion, pour la première chambre civile de la Cour de cassation, de trancher la question de savoir si le conjoint survivant est ou non tenu au rapport successoral.

Dans une première affaire, le de cujus a, peu de temps avant son décès en 2013, acquis avec son épouse un appartement aux termes d’un acte comportant un pacte tontinier. Ses enfants d’un premier lit, agissant en partage successoral, sollicitent la nullité du pacte et le rapport à la succession de leur père de l’appartement qui en était l’objet. Leurs demandes étant rejetées par le tribunal, ils demandent à la cour d’appel d’ordonner le rapport de l’appartement, non plus en raison de la nullité du pacte tontinier, mais en ce qu’il dissimulerait, en réalité, une donation. La cour d’appel requalifie le pacte en donation déguisée de l’appartement à l’épouse dont elle ordonne le rapport.

Le conjoint survivant forme alors un pourvoi invoquant une violation des articles 758-6 et 843 du code civil, en soutenant, d’une part, que le rapport successoral qui s’exécute en moins prenant par le débiteur est une opération qui participe à la détermination de la masse partageable et qui est dû par l’héritier à ses cohéritiers, à l’exclusion du conjoint, d’autre part, que ce dernier est soumis à la règle spéciale d’imputation selon laquelle les libéralités qui lui ont été consenties s’imputent, en moins prenant, sur ses droits ab intestat et ne conduisent pas à une restitution à la masse partageable.

Dans une seconde affaire, le de cujus, qui a institué son épouse légataire à titre particulier de la pleine propriété de divers biens, décède en 2015 en laissant pour lui succéder celle-ci et ses deux filles issues d’un précédent mariage. Ces dernières assignent leur belle-mère afin de faire juger que le testament emporte son exhérédation pour tout ce qui ne concerne pas le legs particulier, la veuve soutenant, de son côté, bénéficier d’un cumul entre la libéralité et ses droits légaux. La cour d’appel approuve le tribunal d’avoir considéré que le legs n’avait pas privé le conjoint survivant de ses droits légaux dans la succession, mais infirme le jugement en ce qu’il a dit que la veuve bénéficiait du cumul de son legs et de ses droits légaux sans imputation et dans la limite de la réserve héréditaire. Statuant à nouveau de ce chef, elle décide que la libéralité faite au conjoint s’impute sur ses droits légaux.

L’épouse se pourvoit en cassation, reprochant aux juges d’appel de n’avoir pas répondu à ses conclusions en ce qu’elle soutenait qu’en application de l’article 843 du code civil, qui présume les legs faits hors part successorale, elle était en droit de cumuler son legs et ses droits successoraux de conjoint survivant. Ce qui revient, là encore, bien qu’indirectement, à poser la question de l’existence et, le cas échéant, des modalités de l’obligation au rapport du conjoint survivant.

La doctrine majoritaire considère, à l’instar du professeur Bernard Vareille33, que l’imputation des libéralités reçues par le conjoint survivant sur sa part héréditaire que prévoit l’article 758-6 du code civil représente pour lui comme un « succédané imparfait de rapport »34 qui n’en emprunte que pour partie les traits en ce sens que si l’imputation « opère à la manière du rapport en moins prenant puisque la libéralité imputée vient en déduction de la part successorale du gratifié »35, le conjoint n’est pas tenu de restituer l’excédent des libéralités reçues36 et ne bénéficie pas des rapports de ses cohéritiers alors que l’article 857 du code civil pose à cet égard un principe de réciprocité37.

Mais d’autres auteurs38 ont analysé la technique de l’imputation comme « une forme particulière de rapport » qui, enserrée dans les limites de l’article 758-6 du code civil et « symétrique à celle qui pèse sur les enfants à l’égard du conjoint [survivant] » en application de l’article 758-5 du même code, s’exerce exclusivement en moins prenant, sans jamais pouvoir donner lieu à restitution.

Le pourvoi no 20-12.232 soutient, en substance, que le rapport des libéralités serait une opération participant à la détermination de la masse partageable, si bien que le mécanisme d’imputation auquel l’article 758-6 du code civil soumet le conjoint, qui ne peut donner lieu à restitution à la masse partageable, ne pourrait être assimilé au rapport, lequel ne pourrait, dès lors, concerner le conjoint. Autrement dit, un mécanisme ne participant pas à la détermination de la masse à partager en ce qu’il ne peut entraîner restitution à cette masse ne pourrait être qualifié de rapport successoral.

À cet égard, il peut tout d’abord être observé que ce que vise en propre l’institution du rapport est le respect des vocations légales39 au moyen de la prise en compte des libéralités reçues par les héritiers ab intestat du de cujus. Or, le plafonnement des droits légaux du conjoint survivant que produit la règle de l’imputation participe à la détermination de ses droits successoraux concrets. En ce sens, il contribue bien au respect de sa vocation légale par la prise en compte des libéralités qu’il a déjà reçues du défunt et peut constituer une modalité de rapport40.

En outre, il est, certes, unanimement admis que le mécanisme de l’article 758-6 du code civil ne peut conduire à restitution par le conjoint de la libéralité reçue si elle dépasse ses droits théoriques. Cependant, le rapport des libéralités peut se traduire par plusieurs modalités concrètes: restitution à la masse à partager et/ou imputation sur les droits légaux des gratifiés. Ne peut-on, dès lors, considérer que, lorsqu’il concerne les héritiers par le sang, ces deux modalités se conjuguent (le rapport se fait en moins prenant à concurrence des droits du gratifié dans la masse, l’excédent devant être reversé à la masse) quand, lorsqu’il concerne le conjoint, seule la seconde est mise en œuvre (le rapport se fait en moins prenant à concurrence des droits du conjoint mais l’excédent ne doit pas être restitué)?

Compte tenu de la règle de réciprocité du rapport, une telle option devrait impliquer que le conjoint, non tenu de restituer à la masse la libéralité reçue, ne bénéficie pas lui-même d’une telle restitution. Or, ainsi que le montre le professeur Michel Grimaldi41, c’est bien ce qui résulte de l’exclusion des libéralités faites aux autres successibles de la masse d’exercice des droits du conjoint, alors qu’elles sont réunies à la masse de calcul de ses droits (article 758-5 du code civil): ils rapportent donc leurs libéralités à la masse de calcul des droits du conjoint, ce qui augmente les droits théoriques du conjoint, mais pas à la masse d’exercice, ce qui aboutirait, sinon, à grever les libéralités reçues des droits du conjoint, et donc, potentiellement, à générer des restitutions.

En retenant, dans les deux arrêts commentés, qu’« il résulte de la combinaison des articles 758-5 et 758-6 du code civil que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l’article 758-6 », la première chambre civile souscrit à cette approche.

Il en résulte, dans la première affaire, que si une cour d’appel peut ordonner le rapport à la succession de la donation déguisée faite par le de cujus à son épouse, un tel rapport ne pourra être opéré que dans les limites et selon les modalités prévues à l’article 758-6 du code civil, ce pourquoi la présomption de dispense de rapport des legs prévue à l’article 843 du code civil ne s’applique pas au conjoint survivant, ainsi que l’affirme l’arrêt rendu sur les pourvois n° 19-25.158 et n° 20-10.091.

 


31.Cf. les articles 348-4 et 348-5 du code civil, dans leur rédaction alors en vigueur.

32.Cf. l’article 377 du code civil.

33. B. Vareille, « Réflexions sur l’imputation en droit des successions », RTD civ. 2009, p. 1, no 21. Cf., également, P. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions et des libéralités, LGDJ, 9e éd., 2020, no 679.

34. B. Vareille (dir.), Successions et libéralités 2022, Mémento pratique Francis Lefebvre, 2021, no 31025.

35. P. Catala et L. Leveneur, JCl. Civil Code, Art. 756 à 767, fasc. 10 « Successions - Droits du conjoint successible - Nature. Montant. Exercice », 12 novembre 2021, no 78.

36. C. Pérès et C. Vernières, Droit des successions, PUF, 2018, no 671.

37. N. Peterka, JCl. Civil Code, Art. 843 à 857, fasc. unique « Successions - Rapport des libéralités - Généralités et domaine d’application », 6 janvier 2022, no 164.

38. M. Grimaldi, « L’admission du cumul de la vocation légale et de la vocation testamentaire du conjoint survivant... lorsque la succession s’est ouverte entre le 1er juillet 2002 et le 1er janvier 2007 », RTD civ. 2010, p. 141 et J. Casey, « Donation au dernier vivant et vocation légale du conjoint : un cumul limité », AJ Famille 2018, p. 51, approuvant l’analyse de Michel Grimaldi. Il peut également être relevé que F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet voient dans l’imputation des libéralités du conjoint « une forme détournée de rapport », Droit civil : Les successions, les libéralités, Dalloz, 4e éd., 2013, no 1051.

39. F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil : Les successions, les libéralités, op. cit., no 1046.

40. Si, donc, l’on admet, avec le professeur Grimaldi, que « ce qu’assure le rapport, c’est, pour chaque héritier, l’égalité entre sa vocation légale et la quote-part des biens qui lui revient compte tenu de la dévolution légale et des libéralités consenties aux héritiers », M. Grimaldi, Droit des successions, LexisNexis, 8e éd., 2020, no 724.

41. M. Grimaldi, « L’admission du cumul de la vocation légale et de la vocation testamentaire du conjoint survivant... lorsque la succession s’est ouverte entre le 1er juillet 2002 et le 1er janvier 2007 », loc. cit.

B. Droit du travail

1. Accords collectifs et conflits collectifs de travail

a. Conflits du travail

Aucun arrêt publié au Rapport en 2022.

b. Conventions et accords collectifs

Représentation des salariés – Comité social et économique – Attributions – Exercice – Prérogatives du comité social et économique – Violation – Clause d’un accord collectif – Cas – Exception d’illégalité – Recevabilité

Soc., 2 mars 2022, pourvoi no 20-16.002, publié au Bulletin, rapport de M. Huglo et avis de Mme Berriat

Eu égard au droit à un recours juridictionnel effectif garanti tant par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, applicable en l’espèce du fait de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, et l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, un comité social et économique est recevable à invoquer par voie d’exception, sans condition de délai, l’illégalité d’une clause d’un accord collectif aux motifs que cette clause viole ses droits propres résultant des prérogatives qui lui sont reconnues par la loi.

L’exception d’illégalité d’une convention ou d’un accord collectif ne relève pas des dispositions de l’article 1185 du code civil.

Lorsque l’illégalité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif est invoquée par voie d’exception, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de la demande.

La reconnaissance de l’illégalité d’une clause d’une convention ou d’un accord collectif la rend inopposable à celui qui a soulevé l’exception.

Statut collectif du travail – Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accords d’entreprise – Accord sur les modalités de consultation– Consultations récurrentes des institutions représentatives du personnel– Attributions économiques, financières et sociales du comité d’entreprise – Possibilité

Même arrêt

Selon l’article L. 2323-7, 1o, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi no 2015-994 du 17 août 2015, un accord d’entreprise, conclu dans les conditions prévues à l’article L. 2232-12, peut définir les modalités des consultations récurrentes du comité d’entreprise sur la situation économique et financière de l’entreprise ainsi que sur la politique sociale de celle-ci, les conditions de travail et d’emploi.

Il en résulte qu’un accord d’entreprise peut définir, dans les entreprises comportant des établissements distincts, les niveaux auxquels les consultations récurrentes sont conduites et, le cas échéant, leur articulation.

Viole ce texte la cour d’appel qui retient qu’à la date de la signature le 25 mai 2017 d’un accord d’entreprise sur le dialogue social, l’article L. 2323-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 17 août 2015 applicable aux accords collectifs définissant les modalités d’organisation des consultations récurrentes des institutions représentatives du personnel, ne prévoyait pas la possibilité de conclure un accord dérogatoire quant au niveau de la consultation et que, par suite, les dispositions de l’accord du 25 mai 2017 réservant au seul comité central d’entreprise les consultations périodiques sur la politique sociale et la situation économique et financière de l’entreprise n’étaient pas conformes aux dispositions légales alors applicables.

Voir le commentaire sous la partie Fonctionnement des institutions représentatives du personnel, p. 137.

2. Durée du travail et rémunération

a. Durée du travail, repos et congés

Travail réglementation, durée du travail – Repos et congés – Prise de jours de repos – Décision de l’employeur – Décision unilatérale – Étendue – Fixation de la période de congé – Fondement – Effets d’une crise sanitaire sur les intérêts économiques de l’entreprise – Preuve – Office du juge – Portée

Soc., 6 juillet 2022, pourvoi no 21-15.189, publié au Bulletin, rapport de Mme Marguerite et de M. Flores et avis de Mme Roques

En cas de litige relatif à la mise en œuvre par l’employeur des dispositions des articles 2 à 5 de l’ordonnance no 2020-323 du 25 mars 2020, lui permettant, lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19, d’imposer aux salariés à des dates déterminées par lui la prise de jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail, d’une convention de forfait ou résultant de droits affectés sur un compte épargne-temps, il appartient au juge de vérifier que l’employeur, auquel incombe la charge de la preuve, justifie que les mesures dérogatoires, qu’il a adoptées en application de ces articles, ont été prises en raison de répercussions de la situation de crise sanitaire sur l’entreprise.

Travail réglementation, durée du travail – Repos et congés – Prise de jours de repos – Décision de l’employeur – Décision unilatérale – Crise sanitaire provoquée par le Covid-19 – Fixation de la période de congé – Limites – Salariés vulnérables – Définition – Portée

Même arrêt

Les mesures des articles 2 à 5 de l’ordonnance no 2020-323 du 25 mars 2020, qui permettent à l’employeur, lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie au regard des difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19, d’imposer unilatéralement l’utilisation de droits à repos acquis, ne s’appliquent pas aux salariés qui se trouvent dans l’impossibilité de continuer à travailler au motif qu’ils relèveraient, en raison de leur situation personnelle, du régime d’activité partielle institué par l’article 20 de la loi no 2020-473 du 25 avril 2020, prévu pour les salariés vulnérables présentant un risque de développer une forme grave au virus SARS-CoV-2, partageant le même domicile qu’une personne présentant cette vulnérabilité ou étant parent d’un enfant ou d’une personne en situation de handicap faisant l’objet d’une mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile.

La chambre sociale de la Cour de cassation était, pour la première fois, saisie d’une question d’interprétation des articles 2 à 4 de l’ordonnance no 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos. Ces dispositions ont permis aux employeurs, lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifiait, eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19, d’imposer aux salariés, nonobstant les dispositions légales ou conventionnelles applicables, de prendre des jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par une convention de forfait ou des jours de repos résultant de l’utilisation des droits affectés sur le compte épargne-temps du salarié. Elles ont également autorisé l’employeur à modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos déjà fixées. Le nombre de jours concernés était limité à dix.

Ces dispositions ont fait l’objet par les juges du fond d’une interprétation diamétralement opposée. Le juge de première instance a jugé que les articles 2 et 4 de l’ordonnance no 2020-323 du 25 mars 2020 précitée devaient être interprétés comme laissant à l’ensemble des entreprises, et non aux seules entreprises justifiant de difficultés économiques particulières en lien avec l’épidémie de covid-19, la possibilité de recourir à ces dispositions. Au contraire, la cour d’appel a retenu que l’employeur devait rapporter la preuve des difficultés économiques liées au covid-19, ce qui, selon elle, n’était pas le cas dans l’espèce soumise.

La chambre sociale censure l’arrêt de la cour d’appel et écarte les deux interprétations successivement adoptées par les juges du fond.

Elle juge que le recours aux mesures prévues par les articles 2 à 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 n’est pas limité à la seule situation de difficultés économiques, notamment telles qu’elles sont définies en matière de licenciement économique, ou aux problèmes de trésorerie.

La chambre sociale estime que ces dispositions peuvent être mobilisées par l’employeur lorsque la crise sanitaire a un retentissement sur le fonctionnement de l’entreprise. Elle admet que les difficultés d’organisation du travail en lien avec la crise sanitaire puissent constituer un motif suffisant pour recourir à ces mesures dérogatoires.

La chambre sociale reprend ensuite la règle de preuve habituelle lorsque l’employeur entend mobiliser un dispositif dérogatoire au droit commun: il lui incombe de prouver la réalité du retentissement de la crise sanitaire sur le fonctionnement de l’entreprise, sans que le juge puisse substituer son appréciation à celle de l’employeur sur le choix de recourir à ces mesures dérogatoires si cette preuve est rapportée.

Enfin, la chambre sociale a assuré l’articulation des dispositions des articles 2 à 4 de l’ordonnance no 2020-323 du 25 mars 2020 avec celles de l’article 20 de la loi no 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, instaurant un dispositif d’activité partielle pour certains salariés ne pouvant reprendre le travail à l’issue de la période de confinement.

Ce dispositif concernait les salariés vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d’infection au SARS-CoV-2, ceux partageant le même domicile qu’une personne vulnérable ou, encore, ceux « parent d’un enfant de moins de seize ans ou d’une personne en situation de handicap faisant l’objet d’une mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile ».

Jusqu’à la loi no 2020-473 du 25 avril 2020 précitée, ces salariés étaient placés en arrêt maladie et percevaient les indemnités journalières. En créant un nouveau dispositif d’activité partielle, la loi a transféré la charge financière de cette indemnisation de l’assurance maladie à l’État. Il s’agit d’un régime d’activité partielle spécifique fondé sur la situation personnelle de ces salariés.

La chambre sociale considère qu’un employeur de salariés relevant de cette situation particulière n’était pas tenu de recourir à l’activité partielle, et ainsi à la solidarité nationale, et pouvait décider d’assurer le maintien de la rémunération et des avantages découlant du contrat de travail, malgré l’impossibilité de travailler des salariés.

Toutefois, dans ce cas, l’employeur ne pouvait alors appliquer à ces salariés, au motif qu’ils étaient dans l’impossibilité de travailler, les dispositions des articles 2 à 4 de l’ordonnance no 2020-323 du 25 mars 2020 précitée et leur imposer la prise de jours de repos. En effet, ces dernières mesures visent à répondre à la situation concrète de l’entreprise et ne sauraient être mobilisées en raison de la situation personnelle de certains salariés dans l’impossibilité de travailler. L’employeur ne peut pas décider de la cause de suspension du contrat de travail lorsque celle-ci est commandée par la situation personnelle du salarié.

Travail réglementation, durée du travail – Travail effectif – Définition – Salarié restant en permanence à la disposition de l’employeur – Caractérisation – Office du juge – Étendue

Soc., 26 octobre 2022, pourvoi no 21-14.178, publié au Bulletin, rapport de M. Flores et avis de Mme Molina

Prive sa décision de base légale la cour d’appel qui, alors que le salarié invoquait le court délai d’intervention qui lui était imparti pour se rendre sur place après l’appel de l’usager, a écarté la demande en requalification d’une période d’astreinte en temps de travail effectif, sans vérifier si le salarié avait été soumis, au cours de cette période, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement au cours de cette période, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles.

Un salarié, qui effectuait des permanences de dépannages d’urgence sur routes et autoroutes réclamait le paiement d’heures supplémentaires en soutenant notamment que les périodes d’astreinte devaient être requalifiées en temps de travail effectif. La cour d’appel a certes retenu l’accomplissement de très nombreuses heures supplémentaires, mais a écarté la demande de requalification des astreintes en temps de travail effectif.

Avec le présent arrêt, la Cour de cassation prend en compte les arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne le 9 mars 202142 et précise la méthode que doivent suivre les juges du fond pour apprécier si les périodes contestées constituent ou non du temps de travail effectif.

En application de l’article L. 3121-1 du code du travail, « la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles », alors que selon l’article L. 3121-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, devenu l’article L. 3121-9, constitue au contraire une astreinte la période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour effectuer un travail au service de l’entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif43. La notion de temps de travail constitue toutefois une notion du droit de l’Union européenne « qu’il convient de définir selon des caractéristiques objectives, en se référant au système et à la finalité » de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail44.

Lors d’une permanence assurée en dehors de l’entreprise, la qualification d’astreinte repose d’abord sur la faculté que peut avoir le salarié de vaquer à des occupations personnelles en dehors des temps d’intervention, ce qui doit conduire le juge à vérifier la nature des sujétions qui lui sont réellement imposées45.

Reprenant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne46, la Cour de cassation précise que l’examen des sujétions pesant sur le salarié ne se limite pas aux tâches qui lui sont imposées pendant les permanences, mais doit également porter sur le point de savoir « si le salarié avait été soumis, au cours de ses périodes d’astreinte, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles ». Or, en l’espèce, le salarié invoquait le court délai d’intervention qui lui était imparti pour se rendre sur place après l’appel de l’usager. Dès lors, la cour d’appel, qui avait retenu l’existence de 737,47 heures supplémentaires en 2013, 873,31 en 2014 et 762,46 en 2015 hors astreinte, devait vérifier si les contraintes imposées au travailleur étaient « d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts »47.

La qualification d’astreinte, qui exclut celle de temps de travail effectif, implique de procéder à une analyse qualitative des conditions concrètes de l’exercice des permanences pour s’assurer que, entre deux interventions, le salarié peut effectivement vaquer à des occupations personnelles.

Travail règlementation, durée du travail – Travail effectif – Temps assimilé à du travail effectif – Temps de trajet – Temps de déplacement professionnel – Temps dépassant le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail – Exclusion – Cas – Travailleur n’ayant pas de lieu de travail fixe ou habituel – Déplacements entre le domicile et les sites des clients

Soc., 23 novembre 2022, pourvoi no 20-21.924, publié au Bulletin, rapport de Mme Techer et avis de Mme Molina

Il résulte de l’obligation d’interprétation des articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du code du travail à la lumière de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail que, lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu’elle est fixée par l’article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L. 3121-4 du même code.

Un salarié itinérant avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de rappels de salaire à titre d’heures supplémentaires correspondant au temps de trajet entre son domicile et les premier et dernier clients de la journée. La cour d’appel a retenu que ces temps de trajet constituaient du temps de travail effectif en s’appuyant sur les motifs de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 septembre 201548, qui a dit pour droit que « dans des circonstances telles que celles en cause au principal, dans lesquelles les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du “temps de travail”, au sens de [la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail], le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur ».

Le pourvoi en cassation formé contre cet arrêt a permis à la Cour de cassation de réexaminer sa jurisprudence au regard des évolutions récentes de la jurisprudence européenne.

En effet, dans un arrêt du 30 mai 201849, la chambre sociale avait jugé qu’aux termes de l’article L. 3121-4 du code du travail, « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas du temps de travail effectif », de sorte que ce texte excluait toute possibilité de réclamer la rémunération des temps de trajet à ce titre. Cette solution reposait sur la distinction entre le temps de travail effectif et la rémunération, cette dernière, sauf exception en matière de congés payés, n’entrant pas dans le champ d’application de la directive 2003/88/CE précitée50.

Pour autant, la situation des temps de trajet est différente de celle des temps d’équivalence en cause dans l’arrêt Dellas précité de la Cour de justice. Si ces derniers appellent une rémunération réduite, dans les conditions prévues par les articles L. 3121-13 et suivants du code du travail, l’intégralité de la durée de travail accomplie par le salarié concerné constitue du temps de travail effectif au regard du droit au repos sans qu’aucune pondération puisse y être apportée pour le calcul des seuils et plafonds de durée du travail résultant du droit de l’Union européenne51. En revanche, s’agissant du temps de trajet, l’exclusion de la qualification de temps de travail effectif par l’article L. 3121-4 du code du travail a nécessairement des conséquences, non seulement en matière de rémunération, mais aussi en matière de droit au repos.

Or, la qualification de temps de travail constitue une notion autonome du droit de l’Union, de sorte que « les États membres ne sauraient déterminer unilatéralement la portée des notions de “temps de travail” et de “période de repos”, en subordonnant à quelque condition ou restriction que ce soit le droit, reconnu directement aux travailleurs par cette directive, à ce que les périodes de travail et, corrélativement, celles de repos soient dûment prises en compte »52.

Par ailleurs, si la rémunération reste extérieure au champ d’application de la directive, la Cour de justice de l’Union européenne souligne la nécessité de mettre en place un système permettant de mesurer la durée de travail effectuée par chaque travailleur et de déterminer de façon objective et fiable le nombre d’heures de travail, leur répartition dans le temps ainsi que le nombre des heures effectuées au-delà du temps de travail normal en tant qu’heures supplémentaires, « pour assurer le respect effectif de la durée maximale hebdomadaire de travail ainsi que des périodes minimales de repos journalier et hebdomadaire »53. La Cour de cassation, par deux arrêts de plénière de chambre, en a tiré les conséquences en ce qui concerne la preuve des heures supplémentaires54.

S’agissant des périodes d’astreinte, la Cour de cassation avait déjà retenu que « le temps de déplacement accompli lors de périodes d’astreintes fait partie intégrante de l’intervention et constitue un temps de travail effectif »55. Il en va de même pour le temps de trajet accompli par le salarié qui, pour exercer l’astreinte, est tenu de rejoindre son domicile par le chemin le plus court avec le véhicule fourni par l’entreprise56.

Plus récemment, tirant les enseignements de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne57, la Cour de cassation a jugé que la qualification de temps de travail effectif ne pouvait être écartée si le salarié a « été soumis, au cours de ses périodes d’astreinte, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles »58.

Dès lors, eu égard à son obligation d’assurer une interprétation conforme à la directive 2003/88/CE de l’ensemble du droit interne applicable, soit en l’espèce les articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du code du travail, la Cour de cassation a choisi de modifier sa jurisprudence en ce sens que, pour les salariés itinérants, la qualification de temps de trajet entre le domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur n’est désormais ouverte que lorsque cette période ne répond pas à la définition du temps de travail effectif. En cas de litige sur ce point, le juge doit vérifier préalablement si, pendant ce temps de trajet, le salarié itinérant doit « se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles ». Si tel est le cas, ce temps de trajet sera pris en compte pour apprécier le respect des seuils et plafonds de durée du travail prévus par le droit de l’Union européenne et le droit interne et le salarié pourra prétendre à la rémunération correspondante selon les dispositions pertinentes du droit interne. En revanche, si ce temps de trajet ne constitue pas un temps de travail effectif, compte tenu de la situation du salarié itinérant durant ses déplacements, celui-ci ne pourra prétendre qu’à la contrepartie prévue par l’article L. 3121-4 du code du travail, s’il en remplit les conditions.

b. Rémunération

Travail réglementation, durée du travail – Convention de forfait – Convention de forfait sur l’année – Convention de forfait en jours sur l’année – Dépassement du forfait annuel – Indemnisation – Rémunération des sujétions imposées – Montant – Détermination – Renonciation sur accord écrit à des jours de repos – Renonciation en contrepartie d’une majoration de salaire – Défaut – Portée

Soc., 26 janvier 2022, pourvoi no 20-13.266, publié au Bulletin, rapport de M. Flores et avis de Mme Wurtz

Lorsque le salarié, soumis à un régime de forfait en jours, accomplit des jours de travail en dépassement de ce forfait malgré l’absence de conclusion de l’accord écrit relatif à la renonciation des jours de repos en contrepartie d’une majoration de salaire, le juge fixe, dans le respect du minimum de 10%, le montant de la majoration applicable à la rémunération due en contrepartie du temps de travail excédant le forfait convenu.

La question posée par le pourvoi portait sur la nature des droits que pouvait invoquer le salarié en cas de dépassement du nombre de jours de travail inclus dans le forfait alors que, malgré les exigences de la loi, aucun avenant organisant ce dépassement n’a été établi.

La situation était différente de celle jugée lors d’un précédent arrêt du 7 décembre 201059, qui s’inscrivait dans le régime issu des dispositions transitoires de la loi no 2005-296 du 31 mars 2005 portant réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise.

La chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que l’irrégularité résultant de l’absence de conclusion d’un avenant écrit n’avait aucune incidence sur la nature des jours de travail accomplis en dépassement du plafond ni sur la contrepartie du travail ainsi fourni par le salarié. De façon générale, la rémunération se définit comme la contrepartie du travail. Or, le salarié qui dépasse le plafond du forfait fournit néanmoins un travail dans les conditions prévues par son contrat. La chambre sociale juge d’ailleurs que « si l’interdiction qu’édictent les articles L. 324-2 et L. 324-3 du code du travail, en cas d’inertie du salarié invité à régulariser sa situation, autorise l’employeur à mettre en œuvre la procédure de licenciement, elle ne le libère pas de son obligation de paiement des salaires correspondant aux heures de travail effectuées »60.

Notons en outre que la preuve des jours de travail en dépassement du forfait relève, comme les heures supplémentaires, du régime prévu par l’article L. 3171-4 du code du travail61.

Il apparaît en conséquence que les sommes dues en contrepartie de ces jours de travail ne sont pas des dommages-intérêts, qui seraient évalués en fonction du dommage subi, mais bien une rémunération. Celle-ci est soumise à l’ensemble des cotisations afférentes et entre dans l’assiette de l’indemnité de congés payés, puisqu’elle est bien versée en contrepartie ou à l’occasion du travail du salarié62. De la même façon, elle est susceptible d’être prise en compte dans les assiettes de calcul assises sur les salaires perçus, comme l’indemnité de licenciement ou l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dès lors, en l’absence de conclusion d’un avenant relatif au dépassement du nombre de jours inclus dans le forfait, il appartient au juge de fixer la rémunération due au salarié, dans le respect des minima légaux applicables.

3. Égalité de traitement, discrimination, harcèlement

a. Discrimination

Contrat de travail, exécution – Employeur – Pouvoir de direction – Étendue – Différence de traitement en raison du sexe – Conditions – Exigence professionnelle véritable et déterminante – Caractérisation – Défaut – Cas – Différence de traitement relative à la coiffure entre hommes et femmes – Portée

Soc., 23 novembre 2022, pourvoi no 21-14.060, publié au Bulletin, rapport de M. Barincou et de Mme Sommé et avis de Mme Laulom

En application des articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction antérieure à la loi no 2012-954 du 6 août 2012, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en œuvre en droit interne les articles 2, § 1, et 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, gde ch., arrêt du 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, C-188/15) que, par analogie avec la notion d’« exigence professionnelle essentielle et déterminante » prévue à l’article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, la notion d’« exigence professionnelle véritable et déterminante », au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Il résulte en effet de la version en langue anglaise des deux directives précitées que les dispositions en cause sont rédigées de façon identique: « such a characteristic constitutes a genuine and determining occupational requirement ».

Doit en conséquence être censuré l’arrêt qui, pour débouter un salarié engagé en qualité de steward de ses demandes fondées notamment sur la discrimination, après avoir constaté que l’employeur lui avait interdit de se présenter à l’embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon et que, pour pouvoir exercer ses fonctions, l’intéressé avait dû porter une perruque masquant sa coiffure au motif que celle-ci n’était pas conforme au référentiel relatif au personnel navigant commercial masculin, ce dont il résultait que l’interdiction faite à l’intéressé de porter une coiffure, pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe, d’une part se prononce par des motifs, relatifs au port de l’uniforme, inopérants pour justifier que les restrictions imposées au personnel masculin relatives à la coiffure étaient nécessaires pour permettre l’identification du personnel de la compagnie aérienne et préserver l’image de celle-ci, d’autre part se fonde sur la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin, laquelle ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes, au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006.

La chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la question de savoir si la restriction apportée par un employeur à la liberté d’un salarié de se coiffer pouvait constituer une discrimination en raison de l’apparence en lien avec le sexe.

La société Air France, se fondant sur le référentiel contenu dans le manuel du port de l’uniforme pour le personnel navigant masculin, prévoyant que « les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur du col de la chemise. Décoloration et/ou coloration apparente(s) non autorisée(s). La longueur des “pattes” ne dépassant pas la partie médiane de l’oreille. Accessoires divers: non autorisés », avait refusé l’embarquement à un steward qui s’était présenté coiffé de tresses africaines nouées en chignon, au motif que cette coiffure n’était pas conforme au référentiel. Pendant un temps, le salarié avait porté une perruque pour pouvoir exercer ses fonctions. S’étant par la suite à nouveau présenté à l’embarquement avec la même coiffure, il avait fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire. Il avait en définitive été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

À l’appui de sa demande en nullité du licenciement, le salarié soutenait notamment avoir subi une discrimination en raison de l’apparence physique liée au sexe, en invoquant une différence de traitement non justifiée entre les femmes et les hommes instaurée par le manuel du port de l’uniforme de la société Air France, lequel prévoit en effet, pour le personnel navigant féminin, que « les tresses africaines sont autorisées à condition d’être retenues en chignon ».

On sait qu’une différence de traitement fondée sur l’un des motifs énumérés à l’article L. 1132-1 du code du travail constitue une discrimination directe. Tel était bien le cas en l’espèce, dès lors que l’employeur, pour interdire au salarié d’exercer ses fonctions en étant coiffé de tresses africaines nouées en chignon, s’était prévalu du référentiel en vigueur dans l’entreprise, alors que ce même référentiel autorise cette coiffure pour le personnel navigant féminin. La différence de traitement subie par le salarié était donc constitutive d’une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe.

Par conséquent seule une exigence professionnelle véritable et déterminante, résultant de la nature des activités concernées ou du cadre dans lequel elles se déroulent et pour autant que son objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée, permettant, en application de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, de déroger au principe de non-discrimination, était susceptible en l’espèce de justifier la différence de traitement imposée au salarié.

Ce mécanisme de justification d’une discrimination directe est également prévu par la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, qui prohibe les discriminations fondées sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle. L’article 4, § 1, de cette directive, prévoit en effet qu’une différence fondée sur une caractéristique liée à l’un de ces motifs ne constitue pas une discrimination lorsque « la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée ».

Selon la Cour de justice de l’Union européenne63, cette notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante prévue par l’article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE précitée s’entend d’une « exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions » de l’exercice en cause, sans qu’elle puisse « couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client ». Les arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation64, relatifs aux restrictions apportées à la liberté religieuse du salarié dans l’entreprise, s’inscrivent dans le droit-fil de cette jurisprudence.

À ce jour, la Cour de justice de l’Union européenne ne s’est pas prononcée sur la notion d’exigence professionnelle véritable et déterminante prévue par l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006. Toutefois, relevant que dans leur version en langue anglaise les dispositions de cet article et celles de l’article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 sont rédigées en termes identiques, la chambre sociale de la Cour de cassation énonce dans l’arrêt commenté que, par analogie avec l’interprétation de la notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante retenue par la Cour de justice de l’Union européenne, la notion d’exigence professionnelle véritable et déterminante, au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE précitée, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause.

Au cas présent, pour censurer l’arrêt ayant rejeté les demandes du salarié, la chambre sociale retient que la cour d’appel, d’une part, s’est prononcée par des motifs inopérants relatifs au port de l’uniforme – lequel est en effet distinct de la coiffure – pour justifier que les restrictions imposées au personnel navigant masculin à la liberté de se coiffer étaient nécessaires pour permettre l’identification du personnel de la compagnie aérienne et préserver l’image de celle-ci, d’autre part, s’est fondée à tort, pour justifier la différence de traitement litigieuse, sur la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin, cette perception ne pouvant constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006.

b. Égalité de traitement

Aucun arrêt publié au Rapport en 2022.

c. Harcèlement

Aucun arrêt publié au Rapport en 2022.

4. Représentation du personnel et élections professionnelles

a. Élections, représentativité, représentants syndicaux : mise en œuvre de la loi du 20 août 2008

Aucun arrêt publié au Rapport en 2022.

b. Élections, syndicats hors application de la loi du 20 août 2008

Élections professionnelles – Comité social et économique – Collèges électoraux – Répartition des sièges et des électeurs – Accord entre l’employeur et les organisations syndicales intéressées – Défaut – Saisine de l’autorité administrative – Recours – Tribunal judiciaire – Pouvoirs – Étendue – Office du juge – Détermination – Portée

Soc., 14 décembre 2022, pourvoi no 21-19.551, publié au Bulletin, rapport de Mme Ott et avis de Mme Berriat

En application des articles L. 2314-13 et R. 2314-3 du code du travail, relèvent de la compétence du tribunal judiciaire, en dernier ressort, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux, les contestations contre la décision de l’autorité administrative fixant la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux.

Il appartient en conséquence au tribunal judiciaire d’examiner l’ensemble des contestations, qu’elles portent sur la légalité externe ou la légalité interne de la décision de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), désormais la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), et, s’il les dit mal fondées au regard de l’ensemble des circonstances de fait dont il est justifié à la date de la décision administrative, de confirmer la décision, ou s’il les accueille partiellement ou totalement, d’annuler la décision administrative et de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative, sur les questions demeurant en litige d’après l’ensemble des circonstances de fait à la date où le juge statue.

À cet égard, il résulte des articles L. 2313-8 et L. 2314-13 du code du travail que, dès lors que la détermination du périmètre des établissements distincts est préalable à la répartition des salariés dans les collèges électoraux de chaque établissement, il incombe à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge judiciaire à qui sa décision peut être déférée, de procéder à la répartition sollicitée par application de l’accord collectif définissant les établissements distincts et leurs périmètres respectifs. Il appartient ensuite au tribunal judiciaire, saisi du recours formé contre la décision rendue par la DIRECCTE, d’apprécier la légalité de cette décision, au besoin après l’interprétation de l’accord collectif en cause, d’abord en respectant la lettre du texte de l’accord collectif, ensuite, si celui-ci manque de clarté, au regard de l’objectif que la définition des périmètres des établissements distincts soit de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel.

Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à se prononcer pour la première fois sur l’office du tribunal judiciaire statuant comme instance de recours contre la décision d’un directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) saisi aux fins de fixer la répartition du personnel et des sièges entre les différents collèges électoraux au sein des établissements distincts en vue de la mise en place des comités sociaux et économiques, lorsque se pose à cette occasion une difficulté d’interprétation de l’accord collectif définissant le périmètre de ces établissements distincts.

La loi no 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a transféré du juge administratif au juge judiciaire le recours formé contre la décision de l’autorité administrative intervenant en matière d’élections professionnelles. Ce transfert répondait, selon les travaux parlementaires, au souci du législateur d’éviter « un enchevêtrement des compétences qui peut être source de complexité pour les entreprises » et est « susceptible d’allonger significativement le déroulement du processus électoral et retarder l’organisation des élections professionnelles »65. Ce transfert, complété par la loi no 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, a été confirmé par l’ordonnance no 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, ayant institué les comités sociaux et économiques.

Il est ainsi prévu que « la décision de l’autorité administrative peut faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux », cela dans des termes identiques tant par l’article L. 2313-5 du code du travail s’agissant du recours contre la décision administrative fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts que par l’article L. 2314-13 du code du travail s’agissant du recours contre la décision administrative qui, lorsqu’au moins une organisation syndicale a répondu à l’invitation à négocier le protocole d’accord préélectoral et que l’accord prévu par cet article ne peut être obtenu, fixe la répartition du personnel et des sièges selon les collèges électoraux au sein des établissements distincts comme dans le cas d’espèce ayant donné lieu à l’arrêt commenté. Il est également prévu que le tribunal judiciaire est saisi directement afin qu’il soit statué sur la contestation ou sur la répartition en cas de décision implicite de rejet du DIRECCTE si celui-ci n’a pas pris sa décision dans un certain délai.

Au cas présent, un accord collectif avait été conclu entre les différentes entités composant une unité sociale et économique dans le domaine de la santé et des organisations syndicales, accord qui prévoyait la mise en place, outre d’un comité social et économique central, de deux comités sociaux et économiques d’activités.

En l’absence de protocole préélectoral après échec des négociations, l’employeur a saisi le DIRECCTE aux fins de répartir le personnel et de fixer le nombre de sièges, par collèges électoraux, des deux comités sociaux et économiques d’établissement. Par une décision du 25 janvier 2021, le DIRECCTE a rejeté la demande en considérant, en substance, que la détermination claire et précise du périmètre des établissements distincts est un préalable indispensable pour connaître le personnel concerné par la répartition sollicitée, qu’il existe un litige entre l’employeur et les organisations syndicales quant à ce que recouvre l’activité « support » entrant dans la définition du périmètre d’un des deux établissements distincts et qu’il ne lui appartient pas d’interpréter l’accord collectif procédant à ce « découpage » entre établissements selon les activités. Par le jugement, objet du pourvoi, le tribunal judiciaire, à qui il était demandé de procéder à la répartition, au besoin après interprétation de l’accord collectif s’il était considéré comme ambigu, s’est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir.

La chambre sociale de la Cour de cassation censure cette décision, au visa de l’article 4 du code civil et des articles L. 2313-8 et L. 2314-13 du code du travail, le tribunal judiciaire ayant méconnu l’étendue de ses pouvoirs alors qu’il entrait dans son office d’annuler la décision administrative ayant refusé d’appliquer l’accord collectif et, exerçant sa plénitude de juridiction, d’interpréter cet accord collectif afin de procéder ensuite à la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux au sein des établissements distincts ainsi délimités, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative.

Le premier enseignement de cet arrêt est de transposer, s’agissant de la répartition du personnel et des sièges entre les différents collèges électoraux au sein des établissements distincts, la solution dégagée, s’agissant de la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts pour la mise en place, à l’époque, de comités d’établissement, par un arrêt du 19 décembre 201866, qui a jugé que: « En application de l’article L. 2313-5 du code du travail, relèvent de la compétence du tribunal d’instance, en dernier ressort, à l’exclusion de tout autre recours, les contestations élevées contre la décision de l’autorité administrative fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts. Il appartient en conséquence au tribunal d’instance d’examiner l’ensemble des contestations, qu’elles portent sur la légalité externe ou sur la légalité interne de la décision de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) et, s’il les dit mal fondées, de confirmer la décision, s’il les accueille partiellement ou totalement, de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative, sur les questions demeurant en litige. »

Cette solution a été complétée par un arrêt du 8 juillet 202067, aux termes duquel « il résulte de l’article L. 2313-5 du code du travail que, lorsqu’il est saisi de contestations de la décision de l’autorité administrative quant à la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts, il appartient au juge de se prononcer sur la légalité de cette décision au regard de l’ensemble des circonstances de fait dont il est justifié à la date de la décision administrative et, en cas d’annulation de cette dernière décision, de statuer à nouveau, en fixant ce nombre et ce périmètre d’après l’ensemble des circonstances de fait à la date où le juge statue ».

En conséquence, par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation transpose la même solution compte tenu de la similitude de rédaction des textes légaux en décidant ainsi: « Il appartient [...] au tribunal judiciaire d’examiner l’ensemble des contestations, qu’elles portent sur la légalité externe ou la légalité interne de la décision de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), désormais la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), et, s’il les dit mal fondées au regard de l’ensemble des circonstances de fait dont il est justifié à la date de la décision administrative, de confirmer la décision, ou s’il les accueille partiellement ou totalement, d’annuler la décision administrative et de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative, sur les questions demeurant en litige d’après l’ensemble des circonstances de fait à la date où le juge statue. »

Le deuxième apport de cet arrêt est de se prononcer pour la première fois sur l’office du juge judiciaire, instance de recours, et son articulation avec les prérogatives et obligations de l’autorité administrative dont émane la décision contestée, lorsque devant le DIRECCTE, ou désormais le directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), saisi d’une demande de répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux entrant dans ses attributions, survient un litige relatif à la délimitation du périmètre des établissements distincts tel qu’il est défini dans l’entreprise par un accord collectif.

Le tribunal judiciaire pouvait et devait interpréter l’accord collectif, le juge de l’action étant le juge de l’exception ainsi que l’a déjà jugé, en matière d’institution représentative du personnel, la chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt du 11 octobre 201768, par lequel a été rejeté un moyen critiquant un jugement, qui avait rejeté une exception d’incompétence, en jugeant que « le tribunal d’instance, compétent pour statuer sur la régularité de la désignation de la délégation du personnel au CHSCT, est également compétent, par voie d’exception, pour apprécier la validité de l’accord conclu par le comité d’entreprise avec l’employeur pour modifier le nombre de CHSCT en application de l’article L. 4613-4 du code du travail ».

Le tribunal judiciaire ne pouvait donc refuser d’interpréter l’accord collectif en cause quant à la définition de l’activité « support » en litige entre les parties et se retrancher, pour ne pas procéder à la répartition demandée, derrière l’insuffisance des informations fournies. En effet, la chambre sociale de la Cour de cassation a déjà jugé que lorsqu’il est saisi, faute d’accord préélectoral, en application de l’article L. 2314-13 du code du travail, d’une demande visant à répartir les sièges entre les collèges électoraux, il appartient au tribunal d’effectuer cette répartition en s’appuyant sur les pièces fournies par l’employeur et, « dans le cas où ces pièces lui paraissaient insuffisantes, de demander la production de justificatifs complémentaires »69.

Toutefois, la compétence de plein contentieux reconnue au tribunal judiciaire pour prendre une décision se substituant à celle de l’autorité administrative et ainsi statuer sur les questions en litige suppose d’annuler au préalable la décision de l’autorité administrative comme n’étant pas régulière, ce qui revient en l’occurrence à considérer qu’est irrégulier le rejet par le DIRECCTE d’une demande de répartition entrant dans ses attributions et, ainsi, à admettre que ce dernier doit prendre position sur la définition du périmètre des comités sociaux et économiques d’établissement institués par l’accord collectif.

Le présent arrêt décide ainsi: « il résulte des articles L. 2313-8 et L. 2314-13 du code du travail que, dès lors que la détermination du périmètre des établissements distincts est préalable à la répartition des salariés dans les collèges électoraux de chaque établissement, il incombe à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge judiciaire à qui sa décision peut être déférée, de procéder à la répartition sollicitée par application de l’accord collectif définissant les établissements distincts et leurs périmètres respectifs. Il appartient ensuite au tribunal judiciaire, saisi du recours formé contre la décision rendue par le DIRECCTE, d’apprécier la légalité de cette décision, au besoin après l’interprétation de l’accord collectif en cause, d’abord en respectant la lettre du texte de l’accord collectif, ensuite, si celui-ci manque de clarté, au regard de l’objectif que la définition des périmètres des établissements distincts soit de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel ».

Le troisième et dernier apport de cet arrêt est le rappel des règles d’interprétation d’un accord collectif telles que fixées par la jurisprudence de la Cour de cassation, tant par son assemblée plénière70 que par la chambre sociale71, adaptées ici au regard de l’objet de l’accord collectif, à savoir la détermination concrète du périmètre d’un établissement distinct en fonction de l’organisation spécifique d’une entreprise, par la référence à l’objectif poursuivi par la définition des périmètres des établissements distincts qui est de permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel. Le présent arrêt marque ainsi une nouvelle illustration de « l’effet utile » auquel la chambre sociale a déjà eu recours72, en matière de caractérisation des établissements distincts, en jugeant que, lorsqu’il doit se prononcer sur le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques qui sont fixés compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel, il appartient « au tribunal judiciaire de rechercher, au regard des éléments produits tant par l’employeur que par les organisations syndicales, si les directeurs des établissements concernés ont effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service, et si la reconnaissance à ce niveau d’établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques est de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel ».

Cet arrêt donne ainsi des lignes directrices aux tribunaux judiciaires confrontés à des contentieux encore nouveaux, lesquelles pourront également servir de guide pour les DREETS, ayant succédé aux DIRECCTE, qui sont invités à rendre des décisions répartissant les salariés et les sièges entre les collèges électoraux au sein des différents établissements distincts.

c. Fonctionnement des institutions représentatives du personnel

Représentation des salariés – Comité social et économique – Attributions – Exercice – Prérogatives du comité social et économique – Violation – Clause d’un accord collectif – Cas – Exception d’illégalité – Recevabilité

Soc., 2 mars 2022, pourvoi no 20-16.002, publié au Bulletin, rapport de M. Huglo et avis de Mme Berriat

Eu égard au droit à un recours juridictionnel effectif garanti tant par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, applicable en l’espèce du fait de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, et l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, un comité social et économique est recevable à invoquer par voie d’exception, sans condition de délai, l’illégalité d’une clause d’un accord collectif aux motifs que cette clause viole ses droits propres résultant des prérogatives qui lui sont reconnues par la loi.

L’exception d’illégalité d’une convention ou d’un accord collectif ne relève pas des dispositions de l’article 1185 du code civil.

Lorsque l’illégalité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif est invoquée par voie d’exception, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de la demande.

La reconnaissance de l’illégalité d’une clause d’une convention ou d’un accord collectif la rend inopposable à celui qui a soulevé l’exception.

Statut collectif du travail – Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accords d’entreprise – Accord sur les modalités de consultation – Consultations récurrentes des institutions représentatives du personnel – Attributions économiques, financières et sociales du comité d’entreprise – Possibilité

Même arrêt

Selon l’article L. 2323-7, 1o, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi no 2015-994 du 17 août 2015, un accord d’entreprise, conclu dans les conditions prévues à l’article L. 2232-12, peut définir les modalités des consultations récurrentes du comité d’entreprise sur la situation économique et financière de l’entreprise ainsi que sur la politique sociale de celle-ci, les conditions de travail et d’emploi.

Il en résulte qu’un accord d’entreprise peut définir, dans les entreprises comportant des établissements distincts, les niveaux auxquels les consultations récurrentes sont conduites et, le cas échéant, leur articulation.

Viole ce texte la cour d’appel qui retient qu’à la date de la signature le 25 mai 2017 d’un accord d’entreprise sur le dialogue social, l’article L. 2323-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 17 août 2015 applicable aux accords collectifs définissant les modalités d’organisation des consultations récurrentes des institutions représentatives du personnel, ne prévoyait pas la possibilité de conclure un accord dérogatoire quant au niveau de la consultation et que, par suite, les dispositions de l’accord du 25 mai 2017 réservant au seul comité central d’entreprise les consultations périodiques sur la politique sociale et la situation économique et financière de l’entreprise n’étaient pas conformes aux dispositions légales alors applicables.

La chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à tirer les conséquences de la décision no 2018-761 DC du 21 mars 2018 du Conseil constitutionnel statuant sur la loi no 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant les ordonnances no 2017-1385 à no 2017-1389 du 22 septembre 2017 et, notamment, sur la constitutionnalité de l’article L. 2262-14 du code du travail.

Selon ce texte résultant de l’ordonnance no 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, « toute action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois à compter:

1o De la notification de l’accord d’entreprise prévue à l’article L. 2231-5, pour les organisations disposant d’une section syndicale dans l’entreprise;

2o De la publication de l’accord prévue à l’article L. 2231-5-1 dans tous les autres cas ».

Aux termes de l’article L. 2231-5 du même code, « la partie la plus diligente des organisations signataires d’une convention ou d’un accord en notifie le texte à l’ensemble des organisations représentatives à l’issue de la procédure de signature ».

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a jugé que l’article L. 2262-14 du code du travail « ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par la voie de l’exception, l’illégalité d’une clause de convention ou d’accord collectif, à l’occasion d’un litige individuel la mettant en œuvre » et qu’il en résulte que cette disposition ne méconnaît pas le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

S’agissant en l’espèce de la contestation d’un accord collectif d’entreprise sur le dialogue social, réservant au seul comité central d’entreprise les consultations obligatoires récurrentes, par un comité d’établissement ayant ordonné une expertise en estimant qu’il devait être consulté sur la situation économique et financière de l’entreprise et sur la politique sociale, la question se posait de savoir si l’exception d’illégalité d’un accord collectif d’entreprise devait être admise à d’autres personnes que le salarié.

Dans la mesure où le Conseil constitutionnel a seulement précisé les conditions de la constitutionnalité de l’article L. 2262-14 du code du travail au regard du droit à un recours juridictionnel effectif, sa décision ne pouvait conduire à exclure la possibilité pour d’autres personnes que le salarié de soulever, dans un litige individuel, une telle exception d’illégalité.

C’est ce qu’admet au profit d’un comité d’établissement l’arrêt ici commenté du 2 mars 2022 prononcé en formation plénière de chambre par la chambre sociale de la Cour de cassation, au visa du droit à un recours juridictionnel effectif garanti tant par l’article 16 de la Déclaration de 1789 que par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, applicable en l’espèce du fait de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, et l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Toutefois, il résulte de la jurisprudence constante de la chambre sociale qu’un comité d’entreprise – et aujourd’hui un comité social et économique – est irrecevable à intenter une action ou intervenir dans une action tendant au respect ou à l’exécution de dispositions conventionnelles générales, car ce n’est pas lui qui assure la défense des salariés et de l’intérêt collectif de la profession, mais les organisations syndicales73. En revanche, de façon tout autant traditionnelle, la chambre sociale admet depuis longtemps l’intérêt à agir d’un comité d’entreprise à l’encontre d’un accord collectif dès lors qu’il s’agit de défendre ses droits propres, notamment à l’information-consultation74.

L’arrêt du 2 mars 2022 reconnaît dès lors le droit pour un comité d’établissement – et désormais pour un comité social et économique – d’invoquer l’exception d’illégalité d’un accord collectif lorsqu’il s’agit pour lui de défendre un droit propre, ce qui est le cas ici où un comité d’établissement qui a désigné un expert dans le cadre de la consultation récurrente sur la situation économique et financière de l’entreprise et sur la politique sociale, voit cette décision contestée par l’employeur au motif qu’un accord collectif d’entreprise dispose que cette information-consultation a lieu au seul niveau du comité central d’entreprise.

En décider autrement aurait suscité de graves difficultés au regard du droit à un recours juridictionnel effectif et aurait privé l’institution représentative du personnel de la possibilité de défendre ses prérogatives, en contradiction avec l’article 8 de la directive 2002/14/CE précitée qui impose aux États membres de prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives75.

Une fois l’exception d’illégalité admise, la Cour de cassation a dû prendre une position de principe sur le point de savoir si, en application de la loi no 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite loi Rebsamen, et avant les ordonnances de 2017 précitées qui en ont reconnu explicitement la possibilité, un accord collectif d’entreprise peut, au titre des « modalités » des consultations récurrentes du comité d’entreprise, prévoir que, sur la politique économique et sur la politique sociale (deux des trois consultations récurrentes, à côté des orientations stratégiques de l’entreprise), seul le comité central d’entreprise – et non les comités d’établissement – sera consulté.

L’article L. 2323-7, 1o, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi no 2015-994 du 17 août 2015, prévoyait qu’un accord d’entreprise, conclu dans les conditions prévues à l’article L. 2232-12 du même code, peut définir « les modalités des consultations récurrentes du comité d’entreprise prévues aux sous-sections 3 et 4 de la présente section ». L’actuel article L. 2312-19, 3o, du code du travail, issu de l’ordonnance no 2017-1718 du 20 décembre 2017, prévoit désormais qu’un accord collectif d’entreprise peut prévoir « les niveaux auxquels les consultations sont conduites et, le cas échéant, leur articulation ».

Dans la mesure où la loi no 2015-994 du 17 août 2015 avait permis la fusion des institutions représentatives du personnel par voie d’accord collectif, préfigurant en cela les ordonnances du 22 septembre 2017 précitées, la chambre sociale de la Cour de cassation a estimé qu’admettre un tel aménagement plus limité par voie d’accord collectif était conforme à l’intention du législateur, eu égard à la place accrue de la négociation collective, notamment dans le domaine du dialogue social qui est au cœur du rôle et des compétences des organisations syndicales ayant négocié et signé l’accord collectif en cause.

Par ailleurs, l’aménagement des délais de consultation de l’institution représentative du personnel faisant l’objet de dispositions législatives distinctes, il aurait été malaisé de discerner ce que pouvaient recouvrir, dans l’hypothèse d’une solution inverse, ces « modalités » à propos desquelles la loi du 17 août 2015 précitée permettait l’adoption d’un accord collectif dérogatoire.

La légalité de l’accord collectif d’entreprise a donc été reconnue par la décision du 2 mars 2022.

Représentation des salariés – Comité social et économique – Attributions – Attributions consultatives – Organisation, gestion et marche générale de l’entreprise – Consultation ponctuelle – Orientations stratégiques de l’entreprise – Consultation – Nécessité (non)

Soc., 21 septembre 2022, pourvoi no 20-23.660, publié au Bulletin, rapport de M. Le Masne de Chermont et avis de Mme Roques

La consultation ponctuelle sur la modification de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise ou en cas de restructuration et compression des effectifs n’est pas subordonnée au respect préalable par l’employeur de l’obligation de consulter le comité social et économique sur les orientations stratégiques de l’entreprise.

Selon l’article 11, I, 1o, b, de la loi no 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi, le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance toute mesure, en matière de droit du travail, ayant pour objet de modifier les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique, pour leur permettre d’émettre les avis requis dans les délais impartis.

Selon l’article 11, I, 2°, de la même loi, afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l’épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, le gouvernement est autorisé à prendre, par ordonnance, toute mesure adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions.

Aux termes de l’article 2 de l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, prise en application de la loi d’habilitation no 2020-290, notamment l’article 11, I, 2o, a et b, tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

Il en résulte que ce texte ne s’applique pas aux délais de consultation du comité social et économique.

Par cet arrêt, la Cour de cassation tranche, en premier lieu, la question, discutée par la doctrine, de l’articulation de la consultation récurrente sur les orientations stratégiques de l’entreprise avec les consultations ponctuelles en retenant que les secondes ne sont pas subordonnées au respect préalable par l’employeur de la première.

Selon l’article L. 2312-8 du code du travail, le comité social et économique « est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise », cependant que l’article L. 2312-37 de ce code prévoit, plus spécifiquement, une consultation dans les cas de mise en œuvre des moyens de contrôle de l’activité des salariés, de restructuration et de compression des effectifs, de licenciement collectif pour motif économique, d’opération de concentration, d’offre publique d’acquisition et de procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire.

Par ailleurs, en vertu de l’article L. 2312-24 du code du travail, « le comité social et économique est consulté sur les orientations stratégiques de l’entreprise, définies par l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, et sur leurs conséquences sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages. Cette consultation porte, en outre, sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sur les orientations de la formation professionnelle et sur le plan de développement des compétences ».

Conformément aux articles L. 2312-19 et L. 2312-22 du même code, cette consultation intervient chaque année à moins que, par accord d’entreprise, il ne soit décidé d’une autre périodicité, laquelle ne peut être supérieure à trois ans.

Les dispositions relatives à l’information et à la consultation sur les orientations stratégiques, issues de la loi no 2013-504 du 14 juin 2013, sont la traduction législative de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés. Ainsi que l’expriment tant les termes de cet accord que les travaux parlementaires, elles visent, par une consultation récurrente, à promouvoir l’anticipation dans les entreprises tout en associant le comité social et économique au processus de définition des orientations stratégiques.

Aussi, par son objet et par sa temporalité, cette consultation a été définie indépendamment des consultations ponctuelles. Elle offre un cadre à une discussion prospective sur l’avenir général de l’entreprise, distincte des consultations ponctuelles du comité social et économique relatives à un projet déterminé de l’employeur ayant des répercussions sur l’emploi, notamment en matière de restructurations.

La solution retenue s’inscrit dans la continuité de l’arrêt du 30 septembre 200976 qui exclut que la régularité de la consultation du comité d’entreprise sur un projet de licenciement économique soit subordonnée au respect préalable par l’employeur de l’obligation de consulter le même comité sur l’évolution annuelle des emplois et des qualifications prévue par l’article L. 2323-56 du code du travail, alors applicable, et de celle d’engager tous les trois ans une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences imposée par l’article L. 2242-15 du même code, alors applicable.

En second lieu, la Cour de cassation, amenée à se prononcer sur les délais de consultation pendant la période d’état d’urgence sanitaire, exclut que l’article 2 de l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, s’applique aux délais de consultation du comité social et économique.

Ce texte prévoit que « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque » et qui aurait dû être accompli pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 « sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».

Il a été pris par le gouvernement en application de la loi d’habilitation no 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

Or cette loi distingue expressément, à son article 11, I, les mesures destinées à faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie afin, notamment, de prévenir et de limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations, qui sont énumérées au 1o de cette disposition, des mesures destinées à faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de cette propagation, qui font l’objet du 2o de la même disposition.

Les premières comprennent, en particulier, selon cet article 11, I, en matière de droit du travail, les mesures ayant pour objet « de modifier les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique, pour leur permettre d’émettre les avis requis dans les délais impartis ». L’étude d’impact accompagnant le projet de loi ayant abouti à l’adoption de la loi no 2020-290 du 23 mars 2020 précitée faisait notamment mention de mesures facilitant le recours à une consultation dématérialisée du comité social et économique.

Les secondes incluent les mesures « adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions ».

Les travaux parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi d’habilitation no 2020-290, et plus particulièrement le rapport de la commission des lois du Sénat, présentent, avec la même structure, d’une part, les mesures destinées à assurer la continuité du fonctionnement des administrations et des juridictions, parmi lesquelles sont évoquées celles relatives aux délais, et, d’autre part, les mesures tendant à simplifier la vie des entreprises par un assouplissement provisoire des procédures.

Ainsi, dans le contexte de la pandémie, la loi no 2020-290 du 23 mars 2020, en ses dispositions afférentes au comité social et économique, visait à garantir, et non à suspendre, la poursuite de l’activité des associations et entreprises, en ce compris l’activité de leurs institutions représentatives du personnel, tout en adaptant les modalités d’exercice des droits à information et à consultation du comité social et économique pour faciliter leur exercice dans les délais légaux impartis, mais à distance.

Cette lecture rejoint celle opérée par le Conseil d’État qui, dans sa décision du 19 mai 202177, a exclu que l’article 11 de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 autorise le gouvernement à adapter, par voie d’ordonnance, les délais d’information et de consultation des comités sociaux et économiques.

d. Protection des représentants du personnel

Aucun arrêt publié au Rapport en 2022.

e. Syndicat professionnel

Syndicat professionnel – Droits syndicaux – Exercice – Domaine d’application – Délégué syndical – Désignation – Périmètre de la désignation – Dispositions légales – Caractère d’ordre public – Portée

Soc., 2 mars 2022, pourvoi no 20-18.442, publié au Bulletin, rapport de M. Huglo et avis de Mme Berriat

En premier lieu, eu égard au droit à un recours juridictionnel effectif garanti tant par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, une organisation syndicale non signataire d’un accord collectif est recevable à invoquer par voie d’exception, sans condition de délai, l’illégalité d’une clause d’un accord collectif lorsque cette clause est invoquée pour s’opposer à l’exercice de ses droits propres résultant des prérogatives syndicales qui lui sont reconnues par la loi.

En second lieu, aux termes de l’article L. 2143-3, alinéa 4, du code du travail, la désignation d’un délégué syndical peut intervenir au sein de l’établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques.

Ces dispositions, même si elles n’ouvrent qu’une faculté aux organisations syndicales représentatives, sont d’ordre public quant au périmètre de désignation des délégués syndicaux.

Il s’ensuit que ni un accord collectif de droit commun, ni l’accord d’entreprise prévu par l’article L. 2313-2 du code du travail concernant la mise en place du comité social et économique et des comités sociaux et économiques d’établissement ne peuvent priver un syndicat du droit de désigner un délégué syndical au niveau d’un établissement au sens de l’article L. 2143-3 du code du travail.

La chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à tirer les conséquences de la décision no 2018-761 DC du 21 mars 2018 du Conseil constitutionnel statuant sur la loi no 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant les ordonnances no 2017-1385 à no 2017-1389 du 22 septembre 2017 et, notamment, sur la constitutionnalité de l’article L. 2262-14 du code du travail.

Selon ce texte résultant de l’ordonnance no 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, « toute action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois à compter:

1o De la notification de l’accord d’entreprise prévue à l’article L. 2231-5, pour les organisations disposant d’une section syndicale dans l’entreprise;

2o De la publication de l’accord prévue à l’article L. 2231-5-1 dans tous les autres cas ».

Aux termes de l’article L. 2231-5 du même code, « la partie la plus diligente des organisations signataires d’une convention ou d’un accord en notifie le texte à l’ensemble des organisations représentatives à l’issue de la procédure de signature ».

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a jugé que l’article L. 2262-14 du code du travail « ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par la voie de l’exception, l’illégalité d’une clause de convention ou d’accord collectif, à l’occasion d’un litige individuel la mettant en œuvre » et qu’il en résulte que cette disposition ne méconnaît pas le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

S’agissant en l’espèce de la contestation d’un accord collectif d’entreprise sur le dialogue social, disposant que les périmètres des établissements distincts pour l’élection des représentants du personnel aux différents comités sociaux et économiques d’établissement serviront à l’identique de périmètre de désignation de tous les représentants syndicaux, la question se posait de savoir si l’exception d’illégalité d’un accord collectif d’entreprise devait être admise à d’autres personnes que le salarié, et notamment à une organisation syndicale représentative à qui l’accord collectif en cause avait été notifié et qui n’a pas exercé de recours en annulation dans le délai de deux mois.

L’on sait que l’article L. 2143-3 du code du travail, tel qu’issu de la loi no 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, avait pour objet de mettre fin à la jurisprudence de la Cour de cassation78 ayant établi une identité du périmètre des établissements distincts pour les comités d’établissement et de celui applicable pour les désignations des délégués syndicaux. Cet article prévoit depuis cette date que « la désignation d’un délégué syndical peut intervenir lorsque l’effectif d’au moins cinquante salariés a été atteint pendant douze mois consécutifs. Elle peut intervenir au sein de l’établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques ».

Il en résulte qu’un syndicat peut désigner un délégué syndical sur un périmètre plus restreint que celui des établissements distincts déterminé pour l’élection des comités sociaux et économiques d’établissement.

En l’espèce, le 11 décembre 2019, l’employeur avait signé avec seulement deux organisations syndicales représentatives dans l’entreprise un avenant à un accord collectif antérieur, lequel avenant précise que la détermination des établissements distincts est faite « pour servir à l’identique de périmètre d’élection du comité social et économique et de désignation de tous les représentants syndicaux ». L’accord du 26 mars 2019 avait été signé par quatre organisations syndicales représentatives. L’avenant du 11 décembre 2019 n’avait notamment pas été signé par le syndicat qui avait procédé le 20 novembre 2019 à la désignation d’un délégué syndical sur un périmètre plus restreint que celui de l’établissement distinct au sens des comités sociaux et économiques d’établissement.

Par une décision de principe79, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que les dispositions de l’article L. 2143-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi no 2014-288 du 5 mars 2014, « même si elles n’ouvrent qu’une faculté aux organisations syndicales représentatives, sont d’ordre public quant au périmètre de désignation des délégués syndicaux. Il s’ensuit qu’un accord d’entreprise, conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte, se référant à un périmètre de désignation des délégués syndicaux identique à celui des élections au comité d’entreprise, ne peut priver un syndicat du droit de désigner un délégué syndical au niveau d’un établissement, au sens de l’article L. 2143-3 du code du travail, peu important que cet accord n’ait pas été dénoncé ».

Cette jurisprudence a récemment été réitérée80.

L’illégalité de l’avenant du 11 décembre 2019 à l’accord collectif antérieur au regard des dispositions d’ordre public de l’article L. 2143-3 du code du travail était donc encourue.

Se posait néanmoins de façon préalable la question de savoir si l’exception d’illégalité devait être admise au profit de l’organisation syndicale ayant procédé à la désignation contestée, faute pour elle d’avoir exercé son droit à un recours en annulation dans le délai de deux mois à l’encontre de cet avenant à l’accord collectif.

Dès lors qu’il résulte d’une jurisprudence établie de la chambre sociale81 et des dispositions de l’article R. 2143-5 du code du travail que le tribunal d’instance, et désormais le tribunal judiciaire, doit d’office convoquer toutes les parties intéressées à la contestation de la désignation, et notamment le salarié désigné en qualité de représentant syndical, celui-ci est donc nécessairement partie au litige et pourrait de toute façon, pour s’opposer à l’annulation de sa désignation, soulever l’illégalité par voie d’exception de l’accord collectif, en application de la décision précitée du Conseil constitutionnel. En conséquence, refuser le droit à l’organisation syndicale ayant procédé à la désignation de soulever par voie d’exception l’illégalité de l’accord collectif aurait conduit à une situation étrange d’un accord collectif dont le tribunal pourrait constater l’illégalité au regard du salarié mais non au regard du syndicat l’ayant désigné.

La chambre sociale de la Cour de cassation a donc été conduite à reconnaître au syndicat la possibilité, lorsqu’une de ses prérogatives syndicales dans l’entreprise est contestée, de soulever l’illégalité par voie d’exception d’un accord collectif. De la même manière que pour l’institution représentative du personnel82, cette possibilité est limitée à la situation où l’accord collectif prive un syndicat des droits propres résultant des prérogatives syndicales qui lui sont reconnues par la loi.

La question demeure en revanche plus ouverte s’agissant de l’action d’un syndicat au titre de la seule défense de l’intérêt collectif de la profession au sens de l’article L. 2132-3 du code du travail.

Syndicat professionnel – Action en justice – Conditions – Intérêt collectif de la profession – Atteinte – Applications diverses – Règlement intérieur – Défaut de consultation préalable des institutions représentatives du personnel – Action en référé tendant à la suspension du règlement intérieur – Portée

Soc., 21 septembre 2022, pourvoi no 21-10.718, publié au Bulletin, rapport de Mme Ott et avis de Mme Roques

Il résulte des articles L. 1321-4 et L. 2132-3 du code du travail qu’un syndicat est recevable à demander en référé que soit suspendu le règlement intérieur d’une entreprise en raison du défaut d’accomplissement par l’employeur des formalités substantielles tenant à la consultation des institutions représentatives du personnel, en l’absence desquelles le règlement intérieur ne peut être introduit, dès lors que le non-respect de ces formalités porte un préjudice à l’intérêt collectif de la profession qu’il représente.

En revanche, un syndicat n’est pas recevable à demander au tribunal judiciaire par voie d’action au fond la nullité de l’ensemble du règlement intérieur ou son inopposabilité à tous les salariés de l’entreprise, en raison du défaut d’accomplissement par l’employeur des formalités substantielles tenant à la consultation des institutions représentatives du personnel.

Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à se prononcer pour la première fois sur la recevabilité à agir d’un syndicat, au nom de la défense de l’intérêt collectif de la profession, aux fins d’obtenir la nullité ou l’inopposabilité aux salariés d’une entreprise du règlement intérieur qui n’a pas été soumis pour avis aux institutions représentatives du personnel.

Selon l’article L. 2132-3 du code du travail, « les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice » et peuvent, devant les juridictions, « exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ».

La chambre sociale en a déduit qu’un syndicat peut « demander en référé les mesures de remise en état destinées à mettre fin à un trouble manifestement illicite affectant cet intérêt collectif » et demander, à ce titre, la suspension d’une mesure prise par un employeur tant que ce dernier n’aura pas procédé aux informations et consultations obligatoires, le défaut de réunion, d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel, lorsqu’elles sont légalement obligatoires, portant atteinte à l’intérêt collectif de la profession83.

Un syndicat ne pouvant toutefois se substituer à l’institution représentative du personnel, en agissant en ses lieu et place, il n’est pas recevable à solliciter la communication à son profit de documents qui, selon lui, auraient dû être transmis au comité d’entreprise84 ou à demander qu’un comité d’entreprise bénéficie des informations qui sont destinées à ce dernier par la loi ou un accord collectif85.

Au cas présent, un syndicat avait saisi le tribunal judiciaire aux fins d’annuler le règlement intérieur en raison de l’absence de consultation du comité d’entreprise et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail concernés. Déclaré irrecevable à agir en contestation des procédures de consultation des institutions représentatives du personnel, le syndicat avait demandé, en appel, la nullité du règlement intérieur et, subsidiairement, son inopposabilité aux salariés de l’entreprise. La cour d’appel a confirmé la décision de première instance en se fondant sur la jurisprudence précitée et en retenant que l’action des organisations syndicales ne peut que s’associer à l’instance engagée par une des institutions représentatives du personnel mais ne peut se substituer à elle en se prévalant d’un défaut de consultation.

Tout en ne partageant pas cette analyse, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le syndicat contre l’arrêt de la cour d’appel par un motif de pur droit substitué à ceux critiqués. La chambre sociale reconnaît ainsi un droit d’action au syndicat pour la défense de l’intérêt collectif des salariés de l’entreprise, compte tenu de l’atteinte qui y est portée en raison du défaut d’accomplissement par l’employeur de cette formalité substantielle.

Cette solution s’explique au regard des spécificités du règlement intérieur d’une entreprise, acte réglementaire de droit privé s’imposant à tous les membres du personnel86 et qui, notamment, fixe les règles disciplinaires au sein de l’entreprise, dont la nature et l’échelle des sanctions disciplinaires, et peut prévoir des clauses restrictives des droits et des libertés personnelles des salariés de l’entreprise, à la condition qu’elles soient justifiées et proportionnées87.

Or selon l’article L. 1321-4 du code du travail, le règlement intérieur ne peut être introduit qu’après avoir été soumis à l’avis des institutions représentatives du personnel.

Cette consultation des institutions représentatives du personnel, de même que la transmission du règlement intérieur à l’inspecteur du travail, répondent à la nature réglementaire du règlement intérieur et à son caractère contraignant pour les salariés.

La chambre sociale de la Cour de cassation ne s’était jusqu’alors prononcée que dans le cas où un salarié contestait la sanction disciplinaire prononcée par son employeur en invoquant, par voie d’exception, l’inopposabilité d’une des clauses du règlement intérieur pour défaut de consultation des institutions représentatives du personnel. Elle juge traditionnellement que le règlement intérieur ne peut être opposé au salarié que « si l’employeur a accompli les diligences prévues par l’article L. 1321-4 du code du travail » qui constituent des formalités substantielles protectrices de l’intérêt des salariés, de sorte que la sanction disciplinaire prononcée dans ces conditions par l’employeur doit être annulée88.

Le second apport de l’arrêt est de délimiter ce droit à agir au regard de la mesure sollicitée en raison du défaut d’accomplissement de la consultation. En effet, l’article L. 1321-4 du code du travail n’institue pas la consultation des institutions représentatives du personnel comme une condition de validité du règlement intérieur puisqu’il est simplement prévu qu’à défaut de cette formalité, le règlement intérieur ne peut être « introduit », c’est-à-dire entrer en vigueur dans l’entreprise. La nullité du règlement intérieur dans son ensemble ne peut donc être prononcée, ni son inopposabilité erga omnes à tous les salariés de l’entreprise, s’agissant dans les deux cas de mesures définitives alors que l’employeur peut, à tout moment, introduire le règlement intérieur après l’avoir soumis à la consultation du comité social et économique. La mesure sollicitée, qui doit dès lors s’analyser en une mesure de suspension, est, par essence, provisoire et ne peut résulter que d’une décision n’ayant pas l’autorité de la chose jugée au fond, c’est-à-dire d’une décision de la juridiction des référés.

La chambre sociale juge ainsi « qu’un syndicat est recevable à demander en référé que soit suspendu le règlement intérieur d’une entreprise en raison du défaut d’accomplissement par l’employeur des formalités substantielles tenant à la consultation des institutions représentatives du personnel, en l’absence desquelles le règlement intérieur ne peut être introduit, dès lors que le non-respect de ces formalités porte un préjudice à l’intérêt collectif de la profession qu’il représente. En revanche, un syndicat n’est pas recevable à demander au tribunal judiciaire par voie d’action au fond la nullité de l’ensemble du règlement intérieur ou son inopposabilité à tous les salariés de l’entreprise, en raison du défaut d’accomplissement par l’employeur des formalités substantielles tenant à la consultation des institutions représentatives du personnel ».

La solution adoptée par cette décision permet aux syndicats de contraindre l’employeur à respecter son obligation légale de soumettre le règlement intérieur à la consultation des institutions représentatives du personnel et assure l’effectivité des garanties prévues par le législateur.

5. Rupture du contrat de travail

a. Indemnités de rupture

Aucun arrêt publié au Rapport en 2022.

b. Licenciement

Conventions internationales – Accords et conventions divers – Convention internationale du travail no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) – Article 10 – Applicabilité directe – Portée

Soc., 11 mai 2022, pourvoi no 21-14.490, publié au Bulletin, rapport de M. Barincou et Mme Prache et avis de Mme Berriat

Les stipulations de l’article 10 de la Convention no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l’encontre d’autres particuliers et qui, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale de la Convention, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire, sont d’effet direct en droit interne.

Contrat de travail, rupture – Licenciement – Indemnités – Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse – Compatibilité avec les stipulations de l’article 10 de la Convention internationale du travail no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) – Effets – Montant – Détermination – Office du juge – Portée

Même arrêt

Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance no 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur, sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.

Doit en conséquence être cassé l’arrêt qui, pour condamner l’employeur au paiement d’une somme supérieure au montant maximal prévu par l’article L. 1235-3 précité, retient que ce montant ne permet pas, compte tenu de la situation concrète et particulière du salarié, une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi compatible avec les exigences de l’article 10 de la Convention no 158 de l’Organisation internationale du travail, alors qu’il lui appartenait seulement d’apprécier la situation concrète de la salariée pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L. 1235-3 du code du travail.

Conventions internationales – Accords et conventions divers – Traité international – Dispositions – Applicabilité directe – Conditions – Détermination – Portée

Soc., 11 mai 2022, pourvoi no 21-15.247, publié au Bulletin, rapport de M. Barincou et Mme Prache et avis de Mme Berriat

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, les stipulations d’un traité international, régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution, sont d’effet direct dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elles n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers.

Conventions internationales – Accords et conventions divers – Charte sociale européenne révisée – Article 24 – Applicabilité directe – Défaut – Portée

Même arrêt

Les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les États contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en œuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L’invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance no 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Par deux arrêts du 11 mai 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation, siégeant en formation plénière, a été amenée à se prononcer sur la conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne et à l’article 10 de la Convention no 158 sur le licenciement de l’Organisation internationale du travail (OIT) du barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, issu de l’ordonnance no 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail, que le Conseil constitutionnel avait déjà déclarée conforme à la Constitution89.

Ce texte met en place un barème applicable à la fixation par le juge de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle-ci devant être comprise entre des montants minimaux et maximaux, ces derniers variant, selon l’ancienneté du salarié, entre un et vingt mois de salaire brut.

Dans un premier pourvoi, formé contre un arrêt de la cour d’appel de Paris (pourvoi no 21-14.490), il était demandé à la chambre sociale de se prononcer sur la possibilité, pour les juges du fond, de procéder à un contrôle in concreto de la conventionnalité du barème des indemnités de licenciement sans cause et sérieuse au regard de l’article 10 de la Convention no 158 sur le licenciement de l’OIT.

Dans une seconde série de pourvois, formés contre des arrêts de la cour d’appel de Nancy (pourvois no 21-15.247, no 21-15.249 et no 21-15.250), il lui était demandé de décider de l’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers des dispositions de la Charte sociale européenne et, notamment, de dire si l’invocation de son article 24 pouvait conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance no 2017-1387 du 22 septembre 2017 précitée.

Ces deux pourvois ont conduit la chambre sociale, d’une part, à trancher pour la première fois, la question de l’effet direct, dans un litige entre particuliers, des stipulations de l’article 10 de la Convention no 158 de l’Organisation internationale du travail et de l’article 24 de la Charte sociale européenne (I) et, d’autre part, à écarter la possibilité d’un contrôle de conventionnalité in concreto du barème des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse au regard de l’article 10 de la Convention no 158 de l’OIT, avec lequel elle énonce, à son tour, la compatibilité des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail (II).

I. La confirmation d’un effet direct de l’article 10 de la Convention no 158 de l’Organisation internationale du travail et de l’absence d’effet direct de la Charte sociale européenne

Par deux avis du 17 juillet 201990, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a reconnu un effet direct de l’article 10 de la Convention no 158 de l’OIT dans un litige entre particuliers.

Cette solution, qui s’inscrivait dans la ligne des décisions de la Cour de cassation relatives à l’effet direct déjà reconnu à certaines des dispositions de cette même Convention91, est reprise par la chambre sociale dans l’arrêt rendu sur le pourvoi no 21-14.490 dès lors que:

1o) les stipulations de l’article 10 précité sont suffisamment claires et inconditionnelles et ne nécessitent pas d’acte complémentaire pour être définies;

2o) les formulations de la Convention no 158 de l’OIT sont énoncées pour la plupart comme des droits reconnus aux travailleurs, et non comme des obligations procédurales ne créant d’obligations qu’à la charge de l’État signataire92;

3o) la Convention no 158 de l’OIT se réfère expressément au juge quant à ses modalités d’application.

En effet, l’article 1er de la Convention no 158 de l’OIT précise: « Pour autant que l’application de la présente convention n’est pas assurée par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière conforme à la pratique nationale, elle devra l’être par voie de législation nationale ». Au cœur du dispositif de l’article 10 de la Convention no 158 figurent ainsi les tribunaux (« les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention ») qui doivent pouvoir allouer aux salariés injustement licenciés une indemnité adéquate.

À l’inverse, l’article 24 de la Charte sociale européenne met au cœur du dispositif, non pas les juridictions nationales, mais les seuls États parties, sur lesquels reposent la mission de permettre, par leur législation ou par voie de la négociation collective, l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement sans motif valable, en assurant aux salariés « un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial ».

En effet, la Charte définit seulement des engagements des États contractants permettant de constituer un socle minimal commun de droits sociaux. Ainsi, elle indique qu’il s’agit pour eux de reconnaître comme « objectif d’une politique » que les États s’engagent à poursuivre « par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l’exercice effectif des droits et principes » ensuite énumérés, parmi lesquels figure le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement. Le caractère général et programmatique des stipulations de la Charte, dans laquelle s’intègrent celles de l’article 24, fait qu’elles nécessitent l’adoption de mesures nationales pour leur mise en œuvre.

De plus, l’annexe de la Charte sociale européenne énonce, en sa partie III, que « la Charte contient des engagements juridiques de caractère international » et réserve le mécanisme d’application de la Charte aux seules réclamations collectives auprès du Comité européen des droits sociaux (CEDS) institué par la partie IV et constitué d’experts internationaux, excluant dès lors toute intervention directe du juge national.

Ce mécanisme de contrôle prévu par la Charte, confié au CEDS et au comité des ministres du Conseil de l’Europe écarte ainsi toute possibilité d’effet direct de la Charte, ainsi que l’expliquait Pierre Laroque93 et le regrettait Jean-Michel Belorgey94, anciens présidents du CEDS. Si la révision en 1996 de la Charte sociale européenne de 1961 comporte des avancées, elle n’a cependant pas apporté de modifications en termes d’effectivité de ce traité.

Ainsi, dans le cadre de ses décisions relatives aux conventions de forfait-jours95, au sujet desquelles des critiques avaient été formulées à plusieurs reprises par le CEDS au regard de la Charte, la chambre sociale avait déjà été amenée à écarter implicitement son effet direct.

Au terme d’une analyse globale des termes de la Charte sociale européenne et de la volonté de ses rédacteurs, à laquelle avait également procédé l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans ses avis précités, la chambre sociale conclut en conséquence à l’absence de tout effet direct de la Charte dans un litige entre particuliers.

La chambre sociale de la Cour de cassation fixe à cette occasion sa jurisprudence en matière d’effet direct des traités internationaux, hors droit de l’Union européenne, et énonce explicitement, pour la première fois, les critères selon lesquels elle entend apprécier si une convention internationale est d’effet direct dans un litige entre particuliers, en reprenant le raisonnement tenu par le Conseil d’État dans la décision Gisti du 11 avril 201296.

Un raisonnement identique avait conduit la première chambre civile de la Cour de cassation à juger récemment que les stipulations de la Charte sociale européenne invoquée devant elle ne sont pas d’effet direct en ce qu’elles « requièrent l’intervention d’actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers »97.

L’ensemble de ces éléments a donc conduit la chambre sociale à rejeter, dans l’arrêt rendu sur le pourvoi no 21-15.247, le pourvoi incident formé par la salariée contre l’arrêt de la cour d’appel de Nancy, qui, sur ce point, s’était strictement conformée aux avis précités de l’assemblée plénière de la Cour de cassation ayant écarté l’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne dans un litige entre particuliers.

II. Le refus d’un contrôle de conventionnalité in concreto du barème au regard de l’article 10 de la Convention no 158 de l’OIT

Dans ses avis du 17 juillet 2019 précités, la formation plénière de la Cour de cassation avait également décidé que la compatibilité d’une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales pouvait faire l’objet d’une demande d’avis sous réserve que « son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond ».

Certains en ont déduit que les juges du fond pourraient procéder à un contrôle, in concreto, de la compatibilité des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail avec les stipulations de l’article 10 de la Convention no 158 de l’OIT y compris lorsque ces dispositions ont été jugées compatibles, in abstracto, avec cette même Convention.

La chambre sociale de la Cour de cassation a entendu écarter cette possibilité.

Au préalable, la chambre sociale affirme à son tour que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention no 158 de l’OIT.

Elle constate que le barème prend en compte la gravité de la faute de l’employeur en excluant de son champ d’application les licenciements entachés de l’une des nullités énumérées par l’article L. 1235-3-1 du code du travail, dont elle cite les dispositions, avant de rappeler les libertés fondamentales, visées par le 1° de ce texte, qu’elle a déjà reconnues: la liberté syndicale, le droit de grève, le droit à la protection de la santé, le principe d’égalité des droits entre l’homme et la femme, le droit à un recours juridictionnel et la liberté d’expression. Elle rappelle enfin les cas dans lesquels un licenciement serait discriminatoire ou porterait atteinte aux droits d’un salarié protégé et ne serait donc pas davantage soumis au barème.

La chambre sociale retient, en se référant pour cela à une décision du Conseil d’administration de l’OIT98, que le terme « adéquate » visé à l’article 10 de la Convention précitée « signifie que l’indemnité pour licenciement injustifié doit, d’une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d’autre part raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi ».

Elle indique que le caractère dissuasif de l’indemnité de licenciement injustifié est assuré par les dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail selon lesquelles le juge ordonne, même d’office, le remboursement par l’employeur fautif de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, dans la limite de six mois d’indemnités par salarié intéressé.

Elle affirme que les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail prévoyant une indemnité « dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié […] permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi ».

Toute autre solution aurait imposé que la chambre sociale renvoie l’examen du pourvoi à l’assemblée plénière de la Cour de cassation dès lors que cette dernière avait déjà retenu, dans ses avis, que la Convention no 158 de l’OIT laissait une marge d’appréciation aux États, compte tenu de l’obligation pour les États signataires de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales d’organiser leur système judiciaire « de façon à éviter l’adoption de jugements divergents »99.

La chambre sociale a bien sûr pris en compte, dans le cadre de son délibéré, le rapport, rendu public dans les jours précédant son audience, du comité de l’OIT chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la Convention no 158.

Ce rapport propose au Conseil d’administration de l’OIT d’inviter le gouvernement « à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif ».

Ayant ainsi confirmé que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention no 158 de l’OIT, d’effet direct en droit interne, il restait à la chambre sociale à dire si leur application à une situation particulière pouvait conduire le juge du fond à écarter cette norme interne, à l’issue d’un contrôle de conventionnalité effectué, in concreto, au regard de cette même Convention.

La chambre sociale a répondu à cette question par la négative en considérant que ceci serait contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi, reconnu par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Un contrôle de conventionnalité in concreto en matière d’indemnité de licenciement pourrait laisser la place, selon les cas d’espèce, à une très grande variété de solutions que la chambre sociale de la Cour de cassation ne pourrait que difficilement contrôler, compromettant ainsi le principe de sécurité juridique et venant heurter directement la volonté du législateur lequel, par l’instauration d’un barème impératif, a précisément entendu offrir une plus grande prévisibilité aux employeurs et aux salariés. Le risque aurait été grand de substituer au barème du législateur un barème du juge en fonction de motifs inhérents à la personne du salarié, sans en revêtir la même légitimité.

Un tel contrôle in concreto, qui heurte la conception française d’une norme générale et abstraite, adoptée par le pouvoir législatif et s’imposant à tous, s’est développé exclusivement dans le champ de la protection des droits fondamentaux reconnus par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sous le contrôle de la Cour de Strasbourg.

Il permet aux juridictions nationales de continuer à garantir l’exercice de ces droits fondamentaux, y compris lorsqu’ils seraient remis en cause par l’application d’une règle interne, sans attendre une possible condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme. Or, les mécanismes de contrôle mis en place par l’OIT ne sont pas du même ordre que celui conçu pour assurer l’application des dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Il convient de souligner que la chambre sociale de la Cour de cassation n’a jamais admis de procéder à un contrôle de conventionnalité in concreto au regard d’une convention de l’OIT. Ce n’est qu’au terme d’un contrôle in abstracto qu’elle a jugé les dispositions de l’article L. 1223-4 du code du travail, relatives aux modalités de rupture des contrats nouvelles embauches, contraires à la Convention no 158 de l’OIT100 ou déraisonnable une durée de période d’essai d’un an101.

Ainsi, les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail n’étant pas incompatibles avec une norme de droit supérieur d’effet direct en droit interne et ne laissant place à aucune interprétation, l’arrêt de la cour d’appel ayant refusé de s’y conformer ne pouvait qu’être cassé.

Contrat de travail, rupture – Licenciement – Nullité – Effets – Réintégration – Réparation du préjudice subi au cours de la période d’éviction – Étendue – Départ à la retraite – Portée

Soc., 21 septembre 2022, pourvoi no 21-13.552, publié au Bulletin, rapport de Mme Ott et avis de Mme Roques

Il résulte des articles L. 2411-1, L. 2411-2 et L. 2411-6 du code du travail et de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, interprétés à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, C-762/18 et C-37/19; CJUE, arrêt du 20 juillet 2016, Maschek, C-341/15) que, lorsque le salarié protégé, dont le licenciement est nul en l’absence d’autorisation administrative de licenciement et qui a demandé sa réintégration, a fait valoir, ultérieurement, ses droits à la retraite, rendant ainsi impossible sa réintégration dans l’entreprise, l’indemnité due au titre de la violation du statut protecteur ouvre droit au paiement, au titre des congés payés afférents, à une indemnité compensatrice de congés payés. Dans l’hypothèse où le salarié a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de son départ à la retraite, il ne saurait toutefois prétendre, à l’égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi.

Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à préciser sa jurisprudence en matière d’indemnité pour violation du statut protecteur due à un salarié protégé, s’agissant des congés payés éventuellement dus sur cette indemnité, dans le prolongement des conséquences à tirer, en cas de licenciement nul, de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 25 juin 2020102.

Selon les articles L. 2411-1 et L. 2411-2 du code du travail, les salariés titulaires de certains mandats bénéficient d’une protection contre le licenciement nécessitant que l’employeur ait obtenu une autorisation administrative de licenciement pour mettre fin à leur contrat de travail.

La chambre sociale de la Cour de cassation distingue traditionnellement deux cas de figure.

Lorsque le salarié protégé a été licencié sur le fondement d’une décision d’autorisation de l’inspecteur du travail ultérieurement annulée de façon définitive, l’article L. 2422-4 du code du travail prévoit que le salarié protégé a droit au paiement d’une indemnité d’éviction pour « la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s’il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision ». Ce texte précisant que le paiement de cette indemnité « s’accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire », la chambre sociale en déduit que cette indemnité ouvre droit au paiement de congés payés103, ce qui a été réaffirmé très récemment par un arrêt rendu en formation plénière de chambre104.

Lorsque le salarié protégé a été licencié sans autorisation administrative de licenciement ou malgré un refus d’autorisation, la chambre sociale juge de façon constante que ce licenciement ouvre droit à ce salarié à une indemnité, qualifiée d’indemnité pour violation du statut protecteur puisqu’elle répare l’atteinte portée au mandat du salarié investi de fonctions représentatives du personnel ou de fonctions syndicales105.

La question était posée de savoir si cette indemnité pour violation du statut protecteur ouvre droit à des congés payés. La réponse à cette question repose sur l’acquisition ou non des droits à congés payés et leur possible « monétisation », au regard de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, qui instaure au bénéfice de tout travailleur un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, sans que cette période minimale de congé puisse être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.

Lorsque le salarié protégé, illégalement licencié, ne demande pas sa réintégration, le contrat de travail est rompu par le licenciement illicite et la sanction de la méconnaissance par l’employeur du statut protecteur est la rémunération que ce salarié aurait perçue jusqu’à la fin de la période de protection en cours et non la réparation du préjudice réellement subi par lui pendant cette période. Cette indemnité est due quand bien même le salarié a retrouvé un emploi durant la période en cause106. Il s’agit alors d’une indemnité forfaitaire et la chambre sociale en a déduit, par trois arrêts diffusés, que ce salarié, qui ne demande pas sa réintégration, « ne peut prétendre au paiement des congés payés afférents »107. Ces trois arrêts concernaient des situations de fait où il ne pouvait y avoir réintégration, pour le premier puisque le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, laquelle produit un effet immédiat de fin de la relation de travail, pour le deuxième car le salarié avait sollicité et obtenu la résiliation judiciaire de son contrat de travail, pour le troisième, parce que le salarié licencié par l’entreprise entrante à laquelle son contrat de travail avait été transféré ne sollicitait pas sa réintégration. Un salarié ne peut en effet acquérir de droits à congés payés pour la période postérieure à la fin de la relation de travail.

En revanche lorsque le salarié protégé, illégalement licencié, sollicite sa réintégration, celle-ci est de droit et son contrat de travail n’est pas rompu par le licenciement nul pour violation de son statut protecteur.

La formation plénière de la chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu l’occasion, dans le cas de nullité du licenciement d’un salarié, non protégé et licencié en raison de son état de santé, puis réintégré, de tirer les conséquences de l’interprétation donnée de l’article 7 de la directive 2003/88/CE précitée par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt du 25 juin 2020108, qui a dit pour droit que l’article 7, § 1, de la directive « doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur ». Ainsi par son arrêt du 1er décembre 2021109, la chambre sociale a décidé qu’il y avait lieu de juger désormais, au visa des articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail, que, « sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail ».

Dans la présente affaire, le salarié, après avoir demandé sa réintégration devant le conseil de prud’hommes, avait ultérieurement fait valoir ses droits à la retraite, tandis que la procédure était pendante devant la cour d’appel.

Selon la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation110, « le salarié qui a fait valoir ses droits à la retraite, rendant ainsi impossible sa réintégration, a droit au titre de la violation du statut protecteur à la rémunération qu’il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu’à celle de son départ à la retraite ».

La question se posait dès lors de savoir si, durant cette période d’éviction, le salarié avait acquis des congés payés et s’il était en droit, du fait de son départ à la retraite, de « monétiser » ses droits à congés payés, en application de l’article 7 de la directive précitée.

Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne111 que le paragraphe 2 de l’article 7 de la directive 2003/88/CE doit être interprété en ce sens qu’il « s’oppose à une législation nationale […] qui prive du droit à une indemnité financière pour congé annuel payé non pris le travailleur dont la relation de travail a pris fin suite à sa demande de mise à la retraite et qui n’a pas été en mesure d’épuiser ses droits avant la fin de cette relation de travail ».

Selon cette même jurisprudence, le motif pour lequel la relation de travail a pris fin n’est pas regardé comme pertinent112.

La Cour de cassation en déduit que le départ à la retraite du salarié, qui seul constitue la rupture du contrat de travail dans la mesure où la réintégration avait été initialement demandée, ne prive pas ce salarié, illégalement licencié et dont le licenciement est nul, de l’indemnité financière remplaçant, en cas de fin de relation de travail, la période minimale de congé annuel payé en application de l’article 7, § 2, de la directive 2003/88/CE.

Par la combinaison des deux arrêts précités de la Cour de justice de l’Union européenne des 25 juin 2020 et 20 juillet 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation a donc accueilli le pourvoi du salarié et cassé l’arrêt d’appel ayant rejeté sa demande en paiement des congés payés afférents à l’indemnité pour violation du statut protecteur, en décidant, au visa des articles L. 2411-1 et L. 2411-2 du code du travail ainsi que de l’article 7 de la directive 2003/88/CE tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, que « lorsque le salarié protégé, dont le licenciement est nul en l’absence d’autorisation administrative de licenciement et qui a demandé sa réintégration, a fait valoir, ultérieurement, ses droits à la retraite, rendant ainsi impossible sa réintégration dans l’entreprise, l’indemnité due au titre de la violation du statut protecteur ouvre droit au paiement, au titre des congés payés afférents, à une indemnité compensatrice de congés payés. Dans l’hypothèse où le salarié a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de son départ à la retraite, il ne saurait toutefois prétendre, à l’égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi ».

c. Rupture conventionnelle

Aucun arrêt publié au Rapport en 2022.

 


42. CJUE, gde ch., arrêt du 9 mars 2021, Stadt Offenbach am Main, C-580/19 ; CJUE, gde ch., arrêt du 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija, C-344/19.

43.Soc., 31 mai 2006, pourvoi no 04-41.595, Bull. 2006, V, no 197.

44.CJCE, arrêt du 9 septembre 2003, Jaeger, C-151/02, point 58.

45.Soc., 8 septembre 2016, pourvoi no 14-23.714, Bull. 2016, V, no 157.

46. CJUE, gde ch., arrêt du 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija, C-344/19, points 37 et 38.

47.CJUE, gde ch., arrêt du 9 mars 2021, Stadt Offenbach am Main, C-580/19, point 38.

48.CJUE, arrêt du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras, C-266/14.

49.Soc., 30 mai 2018, pourvoi no 16-20.634, Bull. 2018, V, no 97.

50.CJCE, arrêt du 1er décembre 2005, Dellas e.a., C-14/04.

51. Soc., 26 mars 2008, pourvoi no 06-45.469, Bull. 2008, V, no 72 ; Soc., 29 juin 2011, pourvoi no 10-14.743, Bull. 2011, V, no 184.

52.CJUE, gde ch., arrêt du 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija, C-344/19, point 31 ; CJUE, gde ch., arrêt du 9 mars 2021, Stadt Offenbach am Main, C-580/19, point 32.

53. CJUE, gde ch., arrêt du 14 mai 2019, CCOO, C-55/18.

54. Soc., 18 mars 2020, pourvoi no 18-10.919, publié au Bulletin et au Rapport annuel ; Soc., 27 janvier 2021, pourvoi no 17-31.046, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

55. Soc., 31 octobre 2007, pourvois no 06-43.834 et no 06-43.835, Bull. 2007, V, no 183, publié au Rapport annuel.

56. Soc., 14 décembre 2016, pourvoi no 15-19.723.

57. CJUE, gde ch., arrêt du 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija, C-344/19 ; CJUE, gde ch., arrêt du 9 mars 2021, Stadt Offenbach am Main, C-580/19.

58. Soc., 26 octobre 2022, pourvoi no 21-14.178, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

59. Soc., 7 décembre 2010, pourvoi no 09-42.626, Bull. 2010, V, no 281.

60. Soc., 31 janvier 1996, pourvoi no 92-40.944, Bull. 1996, V, no 34.

61. Soc., 23 septembre 2009, pourvoi no 08-41.377, Bull. 2009, V, no 200, publié au Rapport annuel.

62. Soc., 7 septembre 2017, pourvoi no 16-16.643, Bull. 2017, V, no 126.

63. CJUE, gde ch., arrêt du 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, C-188/15.

64. Soc., 22 novembre 2017, pourvoi no 13-19.855, Bull. 2017, V, no 200, publié au Rapport annuel ; Soc., 8 juillet 2020, pourvoi no 18-23.743, publié au Bulletin et au Rapport annuel ; Soc., 14 avril 2021, pourvoi no 19-24.079, publié au Bulletin.

65. Rapport no 2498 fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance et l’activité devant l’Assemblée nationale, par R. Ferrand, tome I, volume 2.

66. Soc., 19 décembre 2018, pourvoi no 18-23.655, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

67. Soc., 8 juillet 2020, pourvois no 19-11.918 et no 19-60.107, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

68.Soc., 11 octobre 2017, pourvoi no 16-25.934.

69.Soc., 27 mai 2021, pourvois no 20-10.638 et no 20-16.853.

70. Ass. plén., 23 octobre 2015, pourvoi no 13-25.279, Bull. 2015, Ass. plén., no 6, publié au Rapport annuel.

71. Soc., 25 mars 2020, pourvoi no 18-12.467, publié au Bulletin.

72. Soc., 9 juin 2021, pourvoi no 19-23.153, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

73. Soc., 14 décembre 2016, pourvoi no 15-20.812, Bull. 2016, V, no 255 ; Soc., 19 novembre 2014, pourvoi no 13-23.899, Bull. 2014, V, no 271.

74. Soc., 5 mai 1998, pourvoi no 96-13.498, Bull. 1998, V, no 219, publié au Rapport annuel ; Soc., 19 mars 2003, pourvoi no 01-12.094, Bull. 2003, V, no 105, publié au Rapport annuel.

75. Voir également, sur l’influence de cette disposition du droit de l’Union européenne, s’agissant des délais de consultation de l’institution représentative du personnel : Soc., 26 février 2020, pourvoi no 18-22.759, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

76. Soc., 30 septembre 2009, pourvoi no 07-20.525, Bull. 2009, V, no 217, publié au Rapport annuel.

77. CE, 19 mai 2021, no 441031.

78.Soc., 18 mai 2011, pourvoi no 10-60.383, Bull. 2011, V, no 120, publié au Rapport annuel.

79.Soc., 31 mai 2016, pourvoi no 15-21.175, Bull. 2016, V, no 121.

80. Soc., 9 juin 2021, pourvoi no 20-14.171 ; Soc., 29 septembre 2021, pourvoi no 20-15.870 ; Soc., 8 décembre 2021, pourvoi no 20-60.257 ; Soc., 5 janvier 2022, pourvoi no 20-16.725.

81.Soc., 20 octobre 1993, pourvoi no 92-60.366, Bull. 1993, V, no 242.

82.Voir Soc., 2 mars 2022, pourvoi no 20-16.002, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

83.Soc., 24 juin 2008, pourvoi no 07-11.411, Bull. 2008, V, no 140, publié au Rapport annuel.

84.Soc., 11 septembre 2012, pourvoi no 11-22.014, Bull. 2012, V, no 226.

85.Soc., 16 décembre 2014, pourvoi no 13-22.308, Bull. 2014, V, no 293.

86.Soc., 25 septembre 1991, pourvoi no 87-42.396, Bull. 1991, V, no 381.

87. Article L. 1321-3 du code du travail.

88. Soc., 9 mai 2012, pourvoi no 11-13.687, Bull. 2012, V, no 134.

89.Cons. const., 21 mars 2018, décision no 2018-761 DC, Loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi no 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

90.Avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, no 19-70.010, publié au Bulletin et au Rapport annuel ; Avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, no 19-70.011, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

91.Cf. Soc., 29 mars 2006, pourvoi no 04-46.499, Bull. 2006, V, no 131, publié au Rapport annuel ; Soc., 1er juillet 2008, pourvoi no 07-44.124, Bull. 2008, V, no 146, publié au Rapport annuel.

92. Cf. Soc., 14 novembre 2018, pourvoi no 17-18.259, publié au Bulletin et au Rapport annuel, s’agissant des dispositions de l’article 7, § 4, de la Convention no 106 de l’OIT concernant le repos hebdomadaire dans les commerces et les bureaux.

93.P. Laroque, « L’élaboration et l’application de la Charte sociale européenne », Dr. soc. mars 1979, p.100.

94. J.-M. Belorgey, « La Charte sociale du Conseil de l’Europe et son organe de régulation : le Comité européen des droits sociaux », RD sanit. soc. 2007, p. 226.

95.Soc., 29 juin 2011, pourvoi no 09-71.107, Bull. 2011, V, no 181, publié au Rapport annuel ; RJS 2011, no 696.

96. CE, ass., 11 avril 2012, GISTI et FAPIL, no 322326, publié au Recueil Lebon, conclusions G. Dumortier ; RFDA 2012, p. 547, note G. Dumortier.

97.1re Civ., 21 novembre 2019, pourvoi no 19-15.890, publié au Bulletin ; 1re Civ., 12 février 2020, pourvoi no 18-24.264.

98.Réclamation (article 24) – Venezuela – C095, C158 – 1997, no 26.

99.CEDH, arrêt du 9 février 2021, Société anonyme Ahmet Nihat Özsan c. Turquie, no 62318/09, § 60 et s.

100. Soc., 1er juillet 2008, pourvoi no 07-44.124, Bull. 2008, V, no 146, publié au Rapport annuel.

101.Soc., 4 juin 2009, pourvoi no 08-41.359, Bull. 2009, V, no 146, publié au Rapport annuel ; Soc., 7 juillet 2021, pourvoi no 19-22.922, publié au Bulletin.

102.CJUE, arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, C-762/18 et C-37/19.

103.Soc., 6 avril 2016, pourvoi no 14-13.484, Bull. 2016, V, no 67.

104.Soc., 1er décembre 2021, pourvoi no 19-25.715, publié au Bulletin.

105.Soc., 8 juin 1999, pourvoi no 97-41.498, Bull. 1999, V, no 267 ; Soc., 23 mai 2000, pourvoi no 97-42.145, Bull. 2000, V, no 202.

106.Soc., 25 novembre 1997, pourvoi no 94-43.651, Bull. 1997, V, no 405 ; Soc., 23 mai 2000, pourvoi no 97-42.145, Bull. 2000, V, no 202.

107.Soc., 30 juin 2016, pourvoi no 15-12.984 ; Soc., 21 novembre 2018, pourvoi no 17-15.874 ; Soc., 21 novembre 2018, pourvoi no 17-11.653.

108.CJUE, arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, C-762/18 et C-37/19.

109.Soc., 1er décembre 2021, pourvois no 19-24.766, n° 19-25.812 et n° 19-26.269, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

110.Soc., 13 février 2019, pourvoi no 16-25.764, publié au Bulletin.

111.CJUE, arrêt du 20 juillet 2016, Maschek, C-341/15.

112.S’agissant ainsi du décès du salarié : CJUE, arrêt du 12 juin 2014, Bollacke, C-118/13.

C. Droit immobilier, environnement et urbanisme

1. Construction

Aucun arrêt publié au Rapport en 2022.

2. Responsabilité

Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage – Exonération – Clause du contrat d’architecte excluant la solidarité – Effets – Obstacle au prononcé d’une condamnation in solidum entre l’architecte et d’autres constructeurs (non)

3e Civ., 19 janvier 2022, pourvoi no 20-15.376, publié au Bulletin, rapport de M. Zedda et avis de M. Burgaud

La clause prévoyant que l’architecte ne pourra être tenu responsable ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d’autres intervenants à l’opération ne limite pas la responsabilité de l’architecte, tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d’autres constructeurs. Elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d’ouvrage contre l’architecte, quand sa faute a concouru à la réalisation de l’entier dommage.

Viole l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, la cour d’appel qui, pour limiter l’obligation à réparation de l’architecte et de son assureur à une fraction des dommages, retient que la clause d’exclusion de solidarité n’est privée d’effet qu’en cas de faute lourde et que l’architecte n’est tenu qu’à hauteur de la part contributive de sa faute dans la survenance des dommages, alors qu’il résulte de ses constatations que la faute de l’architecte est à l’origine de l’entier dommage.

Une clause stipulant que l’architecte ne peut être tenu responsable, ni solidairement ni in solidum, des fautes commises par d’autres intervenants à l’opération de construction peut-elle conduire à limiter la condamnation de cet architecte, au profit du maître de l’ouvrage, à une fraction des dommages, compte tenu de la part de responsabilité des autres constructeurs?

Dans l’affaire à l’origine de l’arrêt commenté, des particuliers avaient confié à un architecte la maîtrise d’œuvre de la rénovation d’un appartement. Se plaignant de malfaçons et d’imprévisions ayant entraîné, notamment, un dépassement du budget, les maîtres de l’ouvrage avaient assigné l’architecte et son assureur, qui avaient appelé les constructeurs et leurs assureurs en garantie.

La cour d’appel a, pour certains postes de préjudice, distingué les dommages qui pouvaient être imputés à l’architecte de ceux qui pouvaient être imputés au constructeur, chacun étant condamné pour les dommages qu’il avait causés seul. Mais pour d’autres postes de préjudice, elle a attribué à chacun un pourcentage de responsabilité. Dans la mesure où, pour ces postes de préjudice, la cour d’appel a pris soin d’appliquer la clause d’exclusion de solidarité stipulée dans le contrat d’architecte, on peut en déduire qu’en l’absence de cette clause, une condamnation in solidum aurait trouvé à s’appliquer car chacun des intervenants avait contribué, par des fautes distinctes, à la survenance de l’entier dommage.

La clause appliquée, telle que rapportée dans les conclusions d’appel de l’assureur, stipulait:

« L’Architecte n’assumera les responsabilités professionnelles définies par les lois et règlements en vigueur et particulièrement celles édictées par les articles 1792 et 2270 du code civil, que dans la mesure de ses fautes personnelles. Il ne pourra être tenu responsable, ni solidairement, ni “in solidum”, des fautes commises par d’autres intervenants à l’opération objet du présent contrat. »

Validité et portée de la clause d’exclusion de solidarité

La clause litigieuse est classique dans les contrats d’architecte car l’ordre des architectes la propose dans ses conditions générales type113. Elle a connu plusieurs versions, pour tenir compte de la jurisprudence. Le terme « in solidum » a ainsi été ajouté pour éviter que les juges ne cantonnent l’exclusion à la solidarité parfaite. La Cour de cassation a toutefois admis que la clause pouvait viser la solidarité imparfaite « in solidum », même en l’absence de mention expresse de ce terme114.

La clause a ensuite été modifiée pour ne plus exclure la solidarité en matière de responsabilité légale, afin de ne pas contrevenir aux dispositions de l’article 1792-5 du code civil, qui dispose que « toute clause d’un contrat qui a pour objet, soit d’exclure ou de limiter la responsabilité prévue aux articles 1792, 1792-1 et 1792-2, soit d’exclure les garanties prévues aux articles 1792-3 et 1792-6 ou d’en limiter la portée, soit d’écarter ou de limiter la solidarité prévue à l’article 1792-4, est réputée non écrite ».

La clause litigieuse permet-elle d’exclure une condamnation de l’architecte pour une partie du préjudice quand d’autres intervenants ont contribué à sa survenance?

Du point de vue du droit commun des obligations, il a été jugé que la clause était licite car le principe de l’obligation in solidum n’est pas d’ordre public: les parties peuvent, par des conventions particulières, y déroger et ces conventions, qui constituent la loi des parties, doivent être respectées par le juge115.

Du point de vue du droit de la consommation, il a été jugé que la clause ne créait pas de déséquilibre significatif entre les droits du maître de l’ouvrage non-professionnel et ceux de l’architecte professionnel au sens de l’article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation116.

Dans la présente affaire, la cour d’appel a recherché d’office si la clause pouvait être présumée abusive et a conclu que ce n’était pas le cas. Elle qualifie toutefois la clause de « limitative de responsabilité ».

La clause est-elle limitative de responsabilité ?

Il ne s’agit pas d’une erreur de plume puisque la cour d’appel, comme elle y était invitée par les maîtres de l’ouvrage, a recherché si la clause ne devait pas être écartée en présence d’une faute lourde de l’architecte. Si le moyen était opérant, cela signifiait que l’application de la clause, telle que réclamée par l’assureur de l’architecte, aboutissait à une limitation de responsabilité.

L’article 1150 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, permettait d’écarter le jeu des clauses limitatives de responsabilité en cas de dol car il disposait, alors, que la réparation du dommage ne pouvait être limitée à ce qui avait été prévu ou à ce qui pouvait être prévu lors du contrat. La jurisprudence a admis que certaines négligences, sans intention frauduleuse, étaient équivalentes au dol par leur gravité. Ainsi, la faute lourde aura les effets du dol pour apprécier si la clause doit jouer. La réécriture du texte à l’occasion de la réforme de 2016 précitée a consacré la jurisprudence relative à la faute lourde: cette faute est désormais visée aux côtés du dol dans le nouvel article 1231-3 du code civil.

Dans ces conditions, si la clause est limitative de responsabilité, ne doit-elle pas être présumée irréfragablement abusive à l’égard d’un maître de l’ouvrage non-professionnel, par application de l’article R. 132-1, 6o, du code de la consommation117, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret no 2016-884 du 29 juin 2016 (aujourd’hui R. 212-1, 6o)?

Le moyen de cassation tiré de l’application de l’article R. 132-1 du code de la consommation a été soumis aux parties comme susceptible d’être soulevé d’office par la Cour. L’assureur s’est opposé à un tel moyen en faisant valoir que la clause ne limitait en rien la responsabilité de l’architecte. La clause n’aurait pour seul objet que d’appliquer un principe de base du droit de la responsabilité, selon lequel on n’est pas responsable du fait d’autrui.

Pour autant, le même assureur demandait au juge d’exclure, en application de la clause, la condamnation de l’architecte pour la part des dommages qui, dans les rapports entre les constructeurs responsables des dommages, revenait aux autres.

La clause n’exclut pas la condamnation in solidum de l’architecte pour les dommages qu’il a causés.

La Cour de cassation ne retient pas que la clause doit être présumée abusive comme limitant la responsabilité de l’architecte. Elle constate que cette clause stipule seulement que l’architecte ne peut être tenu responsable de la faute des autres.

Or, lorsqu’un constructeur est condamné in solidum avec d’autres à réparer un dommage ne relevant pas des garanties légales, ce n’est pas en raison d’un principe de responsabilité du fait d’autrui, mais parce qu’il est responsable de l’entier dommage. Si un lien de causalité ne peut être établi entre le manquement du constructeur et l’entier dommage, il n’y a pas lieu à condamnation in solidum pour le tout: le constructeur ne peut être tenu que des dommages dont il est prouvé qu’ils sont de son fait.

L’obligation in solidum pour le tout permet au créancier de ne pas diviser son recours et de ne pas supporter l’insolvabilité de certains débiteurs, mais elle ne consiste pas à mettre à la charge d’un constructeur les conséquences de la faute d’autrui.

Dans ces conditions, la cour d’appel ne pouvait, en application de la clause, limiter la condamnation de l’architecte et de son assureur à une fraction des dommages dans le cas où elle retenait qu’ils avaient été causés par la faute de l’architecte. La responsabilité d’un autre constructeur devait seulement aboutir à une obligation in solidum, sans que la clause litigieuse y fasse obstacle.

Reprenant une définition classique en jurisprudence118, la Cour de cassation rappelle que « chacun des coauteurs d’un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l’entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu’il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilités entre les coauteurs, lequel n’affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l’étendue de leur obligation à l’égard de la victime du dommage ».

La décision de la cour d’appel est donc cassée au visa de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 précitée.

Ainsi, les clauses qui excluent la condamnation solidaire ou in solidum du constructeur pour les dommages imputables à d’autres intervenants n’interdisent pas la condamnation de ce constructeur, éventuellement solidairement ou in solidum avec d’autres, pour les dommages dont il doit répondre selon les règles de la responsabilité civile.

Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage – Préjudice – Réparation – Action en garantie – Recours d’un constructeur contre un autre constructeur – Prescription – Point de départ – Détermination

3e Civ., 14 décembre 2022, pourvoi no 21-21.305, publié au Bulletin, rapport de M. Zedda et avis de M. Brun

Le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d’être lui-même assigné aux fins de paiement ou d’exécution de l’obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l’application de la prescription extinctive, avant l’introduction des demandes principales.

Dès lors, l’assignation, si elle n’est pas accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l’action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures.

Mettant fin à une incertitude liée à l’apparente généralité de l’article 1792-4-3 du code civil, issu de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, la Cour de cassation a jugé, le 16 janvier 2020119, que les dispositions de ce texte ne concernaient que l’action du maître ou de l’acquéreur de l’ouvrage et que les recours des constructeurs entre eux étaient régis par le droit commun de la prescription120.

L’action récursoire du constructeur assigné par le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage ne se prescrit donc pas par dix ans à compter de la réception de l’ouvrage mais, lorsqu’elle se fonde sur la responsabilité contractuelle ou délictuelle, par cinq ans à compter du jour où ce constructeur connaît ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir.

L’autre apport essentiel de l’arrêt du 16 janvier 2020 était de fixer le point de départ de la prescription quinquennale du recours au jour de l’assignation en référé délivrée par le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage aux fins d’expertise et non au jour de l’assignation en paiement. Pour parvenir à cette solution, la Cour de cassation retenait que l’assignation aux fins d’expertise mettait en cause la responsabilité du constructeur, qui pouvait, dès lors, agir en retour contre les autres intervenants qu’il jugeait responsables des dommages. Comme l’expliquait le commentaire de l’arrêt au Rapport annuel, la règle, outre qu’elle se conformait à ce qui était déjà jugé dans les rapports entre assuré et assureur sur le fondement de l’article L. 114-1 du code des assurances, tendait « à resserrer le temps du procès et à favoriser au maximum le caractère contradictoire des opérations d’expertise »121.

Une autre préoccupation de la Cour de cassation était de préserver les recours des constructeurs. La prescription de l’article 2224 du code civil avait, de ce point de vue, l’avantage d’un point de départ glissant, distinct de celui de la forclusion décennale applicable au maître de l’ouvrage. Ainsi, lorsque l’action principale était exercée en fin de délai décennal, le constructeur disposait d’un temps suffisant pour exercer ses propres recours.

La fixation du point de départ de la prescription au jour de l’assignation en référé-expertise a été contestée par plusieurs auteurs, qui considéraient, comme le Conseil d’État, qu’une demande en référé-expertise ne pouvait « être regardée comme constituant, à elle seule, une recherche de responsabilité [du] constructeur »122.

La solution retenue par la Cour de cassation et maintenue par la suite123, si elle incitait les constructeurs à agir précocement en évitant de retarder le déroulement des opérations d’expertise, avait l’inconvénient d’obliger les constructeurs à agir en garantie avant même l’introduction des demandes principales, dans le seul but d’interrompre la prescription quinquennale. En effet, même lorsque le constructeur assigné en référé-expertise prenait la précaution de demander l’extension des opérations d’expertise aux autres intervenants et d’interrompre, ainsi, la prescription de ses recours, celle-ci recommençait à courir à l’issue des opérations d’expertise124 et pouvait arriver à expiration avant le délai de dix ans offert au maître de l’ouvrage pour agir, courant à compter de la désignation de l’expert.

Or, par plusieurs décisions récentes, la Cour de cassation a jugé qu’il n’était pas possible d’agir en garantie avant d’avoir été soi-même assigné, qu’il s’agisse du recours contre les fournisseurs fondé sur la garantie des vices cachés125 ou des recours de l’assureur dommages-ouvrage contre les constructeurs126. La solution retenue le 16 janvier 2020, en ce qu’elle obligeait indirectement les constructeurs, pour préserver leurs recours, à agir en garantie avant l’assignation principale, était difficilement conciliable avec ce principe.

Par ailleurs, au contraire de la prescription biennale du droit des assurances, qui peut être interrompue par l’envoi d’une lettre recommandée ou d’un envoi recommandé électronique, avec accusé de réception127, la prescription quinquennale de droit commun ne peut être interrompue que par une demande en justice. Il en résultait une charge de travail accrue pour les juridictions, saisies de demandes qui n’avaient pas encore d’objet et qui n’en auraient peut-être jamais. Certains juges regrettaient ainsi d’être accaparés par la « gestion des risques de prescription » des constructeurs et de leurs assureurs. Les juges de la mise en état, chargés de statuer sur les fins de non-recevoir depuis l’entrée en vigueur du décret no 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, ont vu se multiplier les incidents relatifs à l’intérêt à agir des demandeurs en garantie. Le défaut d’intérêt était, du reste, retenu par certaines juridictions, tandis que d’autres refusaient tout sursis à statuer, plaçant dans les deux cas le demandeur dans une situation peu compatible avec le droit d’accès à un tribunal.

Ces considérations, tant juridiques que pratiques, ont amené la Cour de cassation à réexaminer sa position. Par l’arrêt du 14 décembre 2022 commenté, elle décide désormais que l’assignation en référé aux fins d’expertise, si elle n’est accompagnée d’aucune demande de paiement ou d’exécution en nature, ne fait pas courir la prescription des recours en garantie des constructeurs. La décision s’appuie, notamment, sur l’article 2219 du code civil: « la prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps », de sorte qu’elle ne court que lorsque le créancier est en capacité d’agir. Or, le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d’être lui-même assigné aux fins de paiement ou d’exécution de l’obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l’application de la prescription extinctive, avant l’introduction des demandes principales. C’est l’application du principe actioni non natae non praescribitur: l’action qui n’est pas née ne se prescrit pas.

En l’espèce, l’architecte s’était vu opposer la prescription de son recours contre l’assureur de son sous-traitant, au motif qu’il avait été exercé plus de cinq années après l’assignation délivrée par le maître de l’ouvrage devant le juge des référés aux fins d’expertise. La décision est cassée dès lors que la prescription du recours en garantie n’a pu courir avant la délivrance d’une assignation en paiement, fût-ce par provision.

Par ce revirement de jurisprudence, la Cour de cassation tire les conséquences des inconvénients de la solution précédente, pour parvenir à un meilleur équilibre entre la sécurité juridique et le droit d’accès au juge des différents intervenants à l’opération de construction. La solution nouvelle, qui préserve les recours des constructeurs dont la responsabilité est recherchée en évitant qu’ils se prescrivent avant que leur auteur soit en mesure d’agir, n’a pas pour effet d’étendre outre mesure le temps pendant lequel les intervenants à l’opération de construction pourront voir leur responsabilité engagée. En effet, l’action principale est enfermée dans le délai de forclusion décennale courant à compter de la réception et, pour les opérations de construction postérieures à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 précitée, le délai butoir de vingt ans édicté par l’article 2232 du code civil vient, en tout état de cause, borner le délai des recours.

On observera, également, que par un arrêt du 13 juillet 2022128, la Cour de cassation, censurant une cour d’appel qui avait retenu que le dommage n’était que « latent » jusqu’à la condamnation, a jugé que « le délai de prescription de l’action récursoire du maître de l’ouvrage, condamné à indemniser son voisin pour des troubles anormaux du voisinage, commen[çait] à courir au plus tard lorsque ce maître de l’ouvrage [était] assigné aux fins de paiement ». On voit, dès lors, que si la date de l’assignation en référé-expertise est aujourd’hui écartée, l’objectif de célérité n’est pas perdu de vue.

La règle nouvelle devrait alléger la charge des juridictions en prévenant des actions inutiles, puisqu’il n’est pas nécessaire d’agir en garantie avant l’introduction de l’action principale dans le seul but d’interrompre la prescription.

Comme pour tout revirement de jurisprudence, la Cour de cassation s’est interrogée sur son application à l’instance en cours. Si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en œuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action129. En l’espèce, la Cour de cassation juge que la jurisprudence nouvelle s’applique à l’instance en cours, dès lors que cette application ne porte pas une atteinte disproportionnée à la sécurité juridique de la partie qui opposait la prescription tout en préservant le droit d’accès au juge de son adversaire.

 


113. Article G 6.3.1.

114.3e Civ., 14 février 2019, pourvoi no 17-26.403, publié au Bulletin.

115. 3e Civ., 19 mars 2013, pourvoi no 11-25.266.

116.3e Civ., 7 mars 2019, pourvoi no 18-11.995 ; 3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi no 18-25.585, publié au Bulletin ; 3e Civ., 4 mars 2021, pourvoi no 19-24.176.

117. « Dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions du premier et du troisième alinéas de l’article L. 132-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : [...] 6o Supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le non-professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations. »

118.Cf. Tribunal des conflits, 14 février 2000, no 02929, publié au Recueil Lebon.

119. 3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi no 18-25.915, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

120. Articles 2224 du code civil ou L. 110-4, I, du code de commerce.

121.Rapport annuel de la Cour de cassation, 2020, p. 157.

122.CE, 10 février 2017, no 391722, mentionné aux tables du Recueil Lebon.

123.3e Civ., 1er octobre 2020, pourvoi no 19-13.131.

124. Article 2239 du code civil.

125.3e Civ., 16 février 2022, pourvoi no 20-19.047, publié au Bulletin ; 3e Civ., 25 mai 2022, pourvoi no 21-18.218, publié au Bulletin.

126.3e Civ., 25 mai 2022, pourvoi no 21-18.518, publié au Bulletin.

127. Article L. 114-2 du code des assurances.

128. 3e Civ., 13 juillet 2022, pourvoi no 21-14.426.

129. 1re Civ., 19 mai 2021, pourvoi no 20-12.520, publié au Bulletin.

D. Activités économiques, commerciales et financières

1. Transports maritimes

Transports maritimes – Marchandises – Responsabilité – Action en responsabilité – Action du chargeur contre le transporteur – Recevabilité – Conditions – Existence d’un préjudice (non)

Com., 23 mars 2022, pourvoi no 19-16.466, publié au Bulletin, rapport de Mme Kass-Danno et avis de Mme Henry

Il résulte de l’article 31 du code de procédure civile que l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action. En conséquence, le chargeur, partie au contrat de transport, est recevable à agir en responsabilité contre le transporteur maritime, en invoquant le préjudice qu’il subit du fait d’une avarie de transport, la preuve de l’existence de ce préjudice n’étant que la condition du succès de son action en réparation. En outre, le chargeur tenant son droit d’action en responsabilité contractuelle du contrat de transport et non du document qui le constate, il n’y a pas lieu, pour apprécier l’ouverture de ce droit, de distinguer selon que le transport a donné lieu à l’émission d’un connaissement ou d’une lettre de transport maritime, ni selon que le chargeur est identifié ou non sur ces documents.

Par un arrêt du 23 mars 2022, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser les conditions de recevabilité de l’action en responsabilité exercée par le chargeur contre le transporteur maritime. Les faits étaient les suivants: une société mexicaine a vendu à une société néerlandaise des avocats dont elle a confié le transport maritime à une société qui a émis des lettres de transport maritime mentionnant le vendeur en qualité de chargeur et l’acheteur en qualité de destinataire. La marchandise ayant subi une avarie au cours du transport, le chargeur a exercé une action en responsabilité contre le transporteur maritime en se prévalant d’un préjudice résultant de la privation de la commission prévue par les contrats de vente conclus à la commission. Cette action a été déclarée irrecevable par la cour d’appel qui, après avoir énoncé que le chargeur peut agir en indemnisation contre le transporteur maritime à condition d’avoir subi un préjudice et d’en justifier, a estimé que les éléments de preuve ne permettaient pas d’établir que le chargeur avait supporté, même partiellement, les avaries à la marchandise.

La recevabilité de l’action en responsabilité engagée par une partie contre son cocontractant s’apprécie, notamment, au regard des conditions posées par l’article 31 du code de procédure civile aux termes duquel: « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

Si, en application de ce texte, dans le cas des actions dites « banales », le plaideur doit justifier d’un intérêt à agir, lequel peut être défini comme « l’avantage pécuniaire ou moral [qu’il] souhaite retirer de son action »130, la Cour de cassation juge que « l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action, et que l’existence du préjudice invoqué par le demandeur n’est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès »131.

En se fondant sur le défaut de preuve de l’existence d’un préjudice pour déclarer irrecevable l’action en responsabilité engagée contre le transporteur maritime, l’arrêt de la cour d’appel, qui a subordonné l’intérêt à agir à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action, encourait inévitablement la cassation.

Au-delà du rappel de cette règle essentielle régissant le procès civil, c’est aussi en droit maritime que l’arrêt rapporté présente un intérêt majeur car il consacre l’analyse contractuelle de l’action en responsabilité du chargeur contre le transporteur maritime, en précisant dans un obiter dictum que « le chargeur tenant son droit d’action en responsabilité contractuelle du contrat de transport et non du document qui le constate, il n’y a pas lieu, pour apprécier l’ouverture de ce droit, de distinguer selon que le transport a donné lieu à l’émission d’un connaissement ou d’une lettre de transport maritime, ni selon que le chargeur est identifié ou non sur ces documents ».

Il convient de rappeler qu’à la différence de la lettre de transport maritime, instrumentum choisi par les parties en l’espèce, le connaissement, autre titre de transport maritime que l’on rencontre fréquemment en pratique, a pour fonction de représenter la marchandise, ce dont il résulte qu’il peut être transmis par voie d’endossement et que son titulaire, qui dispose de la possession de la marchandise, est seul en droit d’en exiger la livraison. En raison de la valeur documentaire de ce titre, l’apparentant à un titre cambiaire, la chambre commerciale a, jusqu’à un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 22 décembre 1989132, réservé l’action en responsabilité contre le transporteur maritime au seul titulaire légitime du connaissement. L’assemblée plénière a abandonné cette solution en jugeant que « si l’action en responsabilité, pour pertes ou avaries, contre le transporteur maritime, n’appartient qu’au dernier endossataire du connaissement à ordre, cette action est ouverte au chargeur lorsque celui-ci est seul à avoir supporté le préjudice résultant du transport ». La jurisprudence a continué à évoluer pour ouvrir l’action contre le transporteur au destinataire réel alors même qu’il n’apparaît pas au connaissement133, puis au chargeur réel134 mais à condition qu’ils justifient avoir exclusivement subi le dommage. Puis, par un arrêt du 19 décembre 2000, la Cour de cassation a abandonné l’exigence du caractère exclusif du préjudice subi par le chargeur135. Désormais, la recevabilité de l’action en responsabilité du chargeur contre le transporteur maritime s’apprécie au regard des règles de droit commun.

Transports maritimes – Marchandises – Transport international – Connaissement – Clause attributive de juridiction – Effets à l’égard du destinataire extérieur au connaissement – Conditions – Acceptation spéciale

Com., 14 décembre 2022, pourvoi no 20-17.768, publié au Bulletin, rapport de Mme Guillou et avis de Mme Henry

La recevabilité de l’action en responsabilité contractuelle contre un transporteur maritime s’apprécie indépendamment des mentions du connaissement émis pour constituer, notamment, la preuve du contrat de transport, ces mentions n’ayant pas pour objet d’attribuer de manière exclusive aux seules personnes qu’elles indiquent la qualité de partie à ce contrat, de sorte que l’action contractuelle peut être ouverte au destinataire qui invoque un préjudice du fait du transport.

Pour autant, étant extérieur au connaissement, ce destinataire n’est lié par ce document qu’en ce qu’il définit et précise les conditions du transport lui-même, depuis la prise en charge jusqu’à la livraison. Il ne peut, dès lors, se voir opposer la clause de compétence que le connaissement contiendrait, à moins qu’il ne l’ait spécialement acceptée ou que la compétence internationale qu’elle institue ne s’impose en vertu d’un traité ou du droit de l’Union européenne.

L’acceptation de cette clause attributive de juridiction, qui doit être spéciale, ne peut être déduite de l’existence d’un usage en matière de transport international ni des seules relations commerciales antérieures entre les parties.

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation se prononce par cet arrêt sur l’opposabilité d’une clause de juridiction, en droit international non communautaire, aux destinataires qui intentent une action en responsabilité contractuelle contre le transporteur maritime.

Souvent présenté comme un contrat tripartite mettant en présence le chargeur, le transporteur et le destinataire, le contrat de transport maritime, matérialisé par un connaissement, est en réalité initialement conclu entre les seuls chargeur et transporteur et ce n’est qu’à la réception des marchandises que le destinataire y « adhère » devenant partie au contrat en « accomplissant le connaissement », c’est-à-dire en apposant sa signature au verso du connaissement.

Dès lors se pose la question de l’opposabilité à ce destinataire de clauses qu’il n’a pas négociées, ni acceptées et dont il n’a pas eu nécessairement connaissance. Parmi elles, les clauses attributives de juridiction, plaçant celui qui s’en prévaut dans une situation procédurale très favorable et qui privent celui à qui elles sont opposées de son juge naturel et les juridictions françaises d’un contentieux important.

Par un célèbre arrêt Nagasaki 136 la chambre commerciale a posé le principe selon lequel, « pour être opposable, soit au chargeur soit au destinataire, une [telle clause] doit avoir été acceptée au plus tard, pour le premier, au moment de la conclusion du contrat de transport et, pour le second, au moment où, recevant la livraison de la marchandise, il a adhéré au contrat [de transport] », précisant ensuite dans des arrêts Chang Ping 137 et Sylver Sky 138 que cette acceptation de la part du destinataire doit être spéciale et ne peut résulter du seul accomplissement sans réserves du connaissement.

En droit communautaire, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée par un arrêt Tilly Russ du 19 juin 1984139 puis un arrêt du 9 novembre 2000140 énonçant qu’« une clause attributive de juridiction, qui a été convenue entre un transporteur et un chargeur et qui a été insérée dans un connaissement, produit ses effets à légard du tiers porteur du connaissement pour autant que, en acquérant ce dernier, il ait succédé aux droits et obligations du chargeur en vertu du droit national applicable. Si tel n’est pas le cas, il convient de vérifier son consentement à ladite clause au regard des exigences de l’article 17, premier alinéa, de ladite convention [Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968], modifiée ».

Mettant fin à une divergence, dans des litiges intracommunautaires, par deux arrêts prononcés simultanément le 16 décembre 2008141, la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation ont adopté cette même solution en posant en termes identiques la règle selon laquelle « une clause attributive de juridiction convenue entre un transporteur et un chargeur et insérée dans un connaissement, produit ses effets à l’égard du tiers porteur du connaissement pour autant que, en l’acquérant, il ait succédé aux droits et obligations du chargeur en vertu du droit national applicable ».

La chambre commerciale s’est également prononcée, toujours en droit de l’Union européenne142, sur la qualité de tiers porteur du destinataire réel de la marchandise. Elle a précisé que « le destinataire réel de la marchandise, qui ne figure en aucune qualité sur un connaissement maritime émis à personne dénommée, ne peut être considéré comme un tiers porteur de ce connaissement, de sorte que la clause attributive de juridiction y figurant ne lui est pas opposable »143, solution qui a été transposée à la lettre de transport maritime144.

Mais elle n’avait pas encore eu l’occasion de se prononcer en matière de droit international privé non communautaire, plus important en volume que le contentieux communautaire. C’est l’intérêt du présent arrêt.

Dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris examiné, cette juridiction avait validé le principe d’une telle clause tout en l’écartant en l’espèce au motif qu’elle était illisible, figurant en très petits caractères au dos du connaissement. Le pourvoi formé contre cet arrêt faisait essentiellement grief à la cour d’appel d’avoir fait application du droit français pour l’appréciation des conditions d’opposabilité de la clause et de n’avoir pas recherché si l’acceptation spéciale de la clause attributive de juridiction ne pouvait résulter de la stipulation habituelle de celle-ci au cours des relations d’affaires établies entretenues entre les parties ou d’un usage en matière de transport international de marchandises.

Après avoir approuvé l’utilisation d’une règle de droit matériel pour déterminer si la clause litigieuse remplissait les conditions d’opposabilité découlant des principes généraux concernant la rédaction et la présentation matérielles de telles clauses, la chambre commerciale, financière et économique écarte l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt Coreck et maintient la jurisprudence Nagasaki, pour préciser que le destinataire, extérieur au connaissement, ne peut se voir opposer, une fois celui-ci accompli, que les clauses relatives aux droits et obligations des parties et non les clauses relatives au litige et que l’acceptation de la clause attributive de juridiction ne peut être déduite ni de l’existence d’un usage en transport maritime, ni des seules relations commerciales antérieures entre les parties.

2. Sociétés

Société (règles générales) – Parts sociales – Cession – Prix – Fixation – Fixation par expert – Désignation par le président du tribunal – Refus – Décision susceptible d’appel

Com., 25 mai 2022, pourvoi no 20-14.352, publié au Bulletin, rapport de M. Ponsot et avis de M. Lecaroz

La décision par laquelle le président du tribunal, saisi en application de l’article 1843-4 du code civil, refuse, pour quelque cause que ce soit et, notamment, en raison de l’autorité de chose jugée attachée à une précédente décision de refus, de désigner un expert est susceptible d’appel. En ce cas, au terme d’un réexamen complet des faits et circonstances de la cause, la cour d’appel peut, si elle décide d’infirmer l’ordonnance qui lui est déférée, désigner elle-même un expert, et ce, par une décision sans recours possible, sauf excès de pouvoir.

L’article 1843-4 du code civil constitue un mécanisme original, exorbitant du droit commun, permettant, notamment en cas de retrait, exclusion, décès d’un associé ou refus d’agrément d’un cessionnaire, de faire fixer la valeur des droits sociaux concernés par un expert, dont l’évaluation s’imposera aux parties et au juge.

Cet expert doit être désigné par le président du tribunal (judiciaire ou de commerce, selon les cas), suivant la procédure accélérée au fond (procédure en la forme des référés jusqu’à l’ordonnance no 2019-738 du 17 juillet 2019), et sans recours possible.

Inspirée par le souci d’éviter tout retard dans l’évaluation des droits, l’absence de possibilité de recours a été interprétée de manière large par la Cour de cassation, qui, depuis près de trois décennies, s’oppose à tout recours, que le juge fasse droit145 ou non146 à la demande de désignation: seul a été admis un appel-nullité, recours en annulation d’origine prétorienne nécessitant de démontrer un excès de pouvoir147.

En outre, même lorsque la décision initiale est annulée, la jurisprudence, qui refuse d’une manière générale à tout autre juge qu’au président le pouvoir de désigner un tel expert (notamment au juge des référés148 et au juge de la mise en état149), estime que la cour d’appel ne peut y pourvoir150.

Apportant une importante inflexion aux solutions antérieures, l’arrêt commenté ouvre la possibilité d’un appel-réformation en cas de refus de désignation d’un expert fondé sur une simple erreur de droit ou d’appréciation, et permet à la cour d’appel, si elle infirme l’ordonnance, de désigner elle-même un expert. Auparavant, le recours aurait été déclaré irrecevable, et les parties contraintes de saisir à nouveau le président du tribunal avec le risque de se voir opposer l’autorité de chose jugée attachée à la précédente décision.

Dans la présente affaire, deux époux étaient associés au sein d’une société civile immobilière (SCI) détenant les locaux où une société d’expertise comptable, dans laquelle l’époux était associé et l’épouse salariée, exerçait ses activités. À la suite de malversations, l’époux est exclu de la société d’expertise comptable, et l’épouse licenciée pour faute lourde.

Ceci entraînait leur exclusion de la SCI, et, dans le cadre d’une procédure arbitrale intéressant le seul époux, la valeur des parts de la SCI est fixée à une valeur négative. La SCI propose alors aux époux de racheter leurs parts au franc symbolique. Ceux-ci refusent et engagent un contentieux qui les conduit devant une première cour d’appel où ils s’entendent dire qu’ils ont perdu de plein droit leur qualité d’associé, et sont invités à engager une procédure de désignation d’expert sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil, ce qu’ils feront près de huit ans plus tard.

Ainsi saisi de cette demande de désignation d’un expert, le président du tribunal refuse d’y faire droit au motif que la valeur des parts a déjà été fixée dans le cadre de la procédure arbitrale. Aucun recours n’est exercé contre cette décision.

Cinq ans plus tard, l’époux décède et, cinq ans après ce décès, ses héritiers saisissent à nouveau le président du tribunal sur le fondement de l’article 1843-4; ils se voient alors répondre que leur demande est irrecevable en raison de l’autorité de chose jugée attachée à l’ordonnance rendue dix ans plus tôt.

Plutôt que d’interjeter appel de cette décision, les requérants vont alors former directement un recours devant la Cour de cassation, sur le fondement de l’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Laissant de côté ce fondement manifestement inopérant au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (qui considère en particulier que le requérant qui a négligé d’utiliser les voies de recours internes utiles et pertinentes ne saurait se prévaloir de l’article 13 seul ou en combinaison avec un autre article151), la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation va néanmoins déclarer le recours recevable, et, examinant le pourvoi au fond, le rejeter.

Recourant à une motivation enrichie, la chambre commerciale souligne, tout d’abord, que, littéralement, l’article 1843-4 du code civil n’exclut la possibilité d’un recours que lorsque le président désigne un expert, et note que c’est dans cette seule hypothèse que l’objectif de célérité justifiant l’absence de recours se vérifie.

Elle relève ensuite que la solution jusqu’alors appliquée par la jurisprudence est susceptible de placer les parties devant une situation de blocage: en effet, il leur faudra réintroduire une procédure devant le président du tribunal sur le fondement de l’article 1843-4, avec le risque de se voir opposer l’autorité de chose jugée.

Elle en déduit qu’un recours en réformation doit être possible en cas de refus de désignation d’un expert, quelle qu’en soit la cause.

Poursuivant sa logique, la chambre commerciale, financière et économique considère qu’il faut permettre à la cour d’appel, si elle décide d’infirmer l’ordonnance, de désigner elle-même l’expert. Il s’agit là d’une conséquence de l’effet dévolutif de l’appel; saisie de la totalité de la matière litigieuse, la cour d’appel pourra statuer sur la demande de désignation, évitant ainsi aux parties de devoir saisir à nouveau le président du tribunal à cette fin.

Ultime précision donnée par l’arrêt commenté: la décision de la cour d’appel, si celle-ci fait droit à la demande de désignation, ne sera pas susceptible de recours, sauf excès de pouvoir; il faut en déduire, a contrario, que si la cour d’appel refuse de faire droit à la demande de désignation, un pourvoi en cassation fondé sur les cas d’ouverture habituels sera possible. Cette solution est en quelque sorte transposée de celle applicable à la décision de première instance.

Au cas particulier, cependant, les parties ayant fait le choix de saisir directement la Cour de cassation sans passer par une procédure d’appel, la Cour de cassation aurait dû déclarer le recours irrecevable, en application de l’article 605 du code de procédure civile, comme n’étant pas dirigé contre une décision rendue en dernier ressort. Mais, afin de ne pas exposer les parties au risque que leur appel soit déclaré tardif, la chambre commerciale, financière et économique, considérant que celles-ci n’avaient pas pu anticiper la possibilité qui leur est ainsi reconnue de former un appel-réformation, a néanmoins déclaré le pourvoi recevable. Ce faisant, la chambre commerciale a fait usage de cette prérogative dont fait désormais application la Cour de cassation lorsqu’elle procède à un revirement dont l’application à l’instance concernée aurait pour effet de priver les parties de leur droit à un procès équitable.

Ayant ainsi déclaré le pouvoir recevable, la chambre commerciale, financière et économique l’a néanmoins rejeté. D’une part, en effet, les requérants n’invoquaient aucune circonstance nouvelle susceptible de faire échec à l’autorité de chose jugée attachée à la première ordonnance, contre laquelle ils n’avaient exercé aucun recours: à cet égard, le décès intervenu ne changeait rien au regard de la date d’évaluation des parts, dès lors que le retrait de l’associé était dû à son exclusion et non à son décès152. D’autre part, si la notification de la première ordonnance ne mentionnait aucune possibilité de recours, cette omission ne pouvait, au mieux, avoir de conséquence que sur le point de départ d’un éventuel recours, mais ne faisait pas échec à l’autorité de chose jugée.

L’apport essentiel de l’arrêt commenté est donc d’ouvrir la voie d’un appel, voie de réformation, en cas de refus de désignation d’un expert sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil, et de permettre à la cour d’appel, si elle décide de faire droit à cette demande, de désigner elle-même cet expert.

Même si le présent arrêt a été rendu dans un contexte où n’était pas en cause l’application de la réforme issue de l’ordonnance no 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés, la solution révélera tout son intérêt lorsque le juge aura à se prononcer sur la désignation d’un expert et à trancher à cette occasion certaines nouvelles questions induites par la réforme: on songe, en particulier, au caractère déterminé ou déterminable de la valeur des droits sociaux, lorsque les statuts prévoient des règles à cet égard.

 


130.S. Amrani Mekki et Y. Strickler, Procédure civile, PUF, 2014, no 61.

131.2e Civ., 6 mai 2004, pourvoi no 02-16.314, Bull. 2004, II, no 205 ; 1re Civ., 2 novembre 2005, pourvoi no 02-17.697, Bull. 2005, I, no 394 ; 3e Civ., 23 juin 2016, pourvoi no 15-12.158.

132. Ass. plén., 22 décembre 1989, pourvoi no 88-10.979, Bull. 1989, Ass. plén., no 4.

133.Com., 7 juillet 1992, pourvoi no 90-14.151, Bull. 1992, IV, no 268.

134.Com., 13 décembre 1994, pourvoi no 92-21.976.

135.Com., 19 décembre 2000, pourvoi no 98-12.726, Bull. 2000, IV, no 208, publié au Rapport annuel.

136.Com., 29 novembre 1994, pourvoi no 92-19.987.

137.Com., 16 janvier 1996, pourvoi no 94-12.542.

138.Com., 8 décembre 1998, pourvoi no 96-17.913.

139. CJCE, arrêt du 19 juin 1984, Tilly Russ/Nova, C-71/83.

140.CJCE, arrêt du 9 novembre 2000, Coreck Maritime, C-387/98.

141.Com., 16 décembre 2008, pourvoi no 08-10.460, Bull. 2008, IV, no 215, publié au Rapport annuel et 1re Civ., 16 décembre 2008, pourvoi no 07-18.834, Bull. 2008, I, no 283, publié au Rapport annuel.

142.Com., 16 décembre 2008, pourvoi no 08-10.460, Bull. 2008, IV, no 215, publié au Rapport annuel ; Com., 27 septembre 2017, pourvoi no 15-25.927, Bull. 2017, IV, no 132 ; Com., 20 octobre 2021, pourvoi no 20-14.275, publié au Bulletin.

143. Com., 27 septembre 2017, pourvoi n° 15-25.927, Bull. 2017, IV, no 132.

144.Com., 20 octobre 2021, pourvoi no 20-14.275, publié au Bulletin.

145. 1re Civ., 6 décembre 1994, pourvoi no 92-18.007, Bull. 1994, I, no 364.

146.Com., 11 mars 2008, pourvoi no 07-13.189, Bull. 2008, IV, no 62.

147. Com., 15 mai 2012, pourvoi no 11-12.999, Bull. 2012, IV, no 103.

148.1re Civ., 9 avril 2014, pourvoi n° 12-35.270, Bull. 2014, I, n° 69.

149.Com., 20 décembre 2017, pourvoi no 16-17.587.

150.Com., 10 octobre 2018, pourvois no 16-25.076 et no 16-25.220.

151.CEDH, arrêt du 27 juillet 2004, Slimani c. France, no 57671/00, § 39-42 ; CEDH, arrêt du 17 octobre 2006, Sultan Öner et autres c. Turquie, no 73792/01, § 117.

152. Cf. article 1870-1 du code civil.

E. Responsabilité civile, assurance et sécurité sociale

1. Assurance

Assurance (règles générales) – Garantie – Exclusion – Exclusion formelle et limitée – Définition – Cas – Pertes d’exploitation Covid-19

2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi no 21-15.392, publié au Bulletin, rapport de M. Besson et avis de M. Grignon Dumoulin

2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi no 21-19.341, publié au Bulletin, rapport de M. Besson et avis de M. Grignon Dumoulin

2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi no 21-19.342, publié au Bulletin, rapport de M. Besson et avis de M. Grignon Dumoulin

2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi no 21-19.343, publié au Bulletin, rapport de M. Besson et avis de M. Grignon Dumoulin

Une clause d’exclusion n’est pas formelle au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances lorsqu’elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

S’agissant d’un contrat prévoyant la garantie des pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative consécutive à certaines causes qu’il énumère, dont l’épidémie, est formelle la clause qui exclut ces pertes d’exploitation de la garantie, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.

Une clause d’exclusion n’est pas limitée au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances lorsqu’elle vide la garantie de sa substance en ce qu’après son application elle ne laisse subsister qu’une garantie dérisoire.

N’a pas pour effet de vider la garantie de sa substance la clause qui exclut de la garantie des pertes d’exploitation consécutives à la fermeture administrative de l’établissement assuré, pour plusieurs causes qu’elle énumère, dont l’épidémie, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique à l’une de celles énumérées.

À la suite des périodes récentes de confinement sanitaire, de nombreux litiges, ayant connu un certain écho médiatique, en raison plus particulièrement de leurs incidences économiques, se sont noués entre certains assureurs et, notamment, des professionnels de la restauration.

La Cour de cassation a ainsi été saisie d’un ensemble de pourvois concernant des restaurateurs ayant conclu avec un assureur un contrat d’assurance « multirisque professionnelle » prévoyant la garantie des pertes d’exploitation résultant de la fermeture administrative de leur établissement en raison « d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication ». Ces pourvois émanaient de l’assureur et étaient formés contre des arrêts de la cour d’appel d’Aix-en-Provence l’ayant condamné, par des motifs similaires, à prendre en charge les pertes d’exploitation subies par ces commerçants lors des périodes de confinement instaurées en raison de l’épidémie de Covid-19.

Les assurés qui s’étaient vu opposer par l’assureur une clause excluant de cette garantie « les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique », avaient contesté avec succès la validité de cette exclusion.

Ces pourvois posaient la question de la validité de cette clause au regard des dispositions de l’article L. 113-1 du code des assurances qui prévoient qu’une clause d’exclusion de garantie n’est valable que si elle est « formelle et limitée ».

Il convient tout d’abord de rappeler que pour l’application des dispositions légales en cause, la Cour de cassation, au fil de ses arrêts, a développé une jurisprudence dont on peut retenir:

  • que le caractère formel d’une exclusion de garantie s’apprécie à l’aune de la perception que peut avoir l’assuré de l’étendue de l’assurance. La clause se trouve soumise à cet égard à une exigence de clarté, de précision et de certitude en tant qu’elle doit permettre à l’assuré d’identifier sans hésitation et sans que la clause puisse donner lieu à interprétation les cas dans lesquels il ne sera pas garanti;
  • que le caractère limité de l’exclusion exige que la clause ne puisse aboutir, selon l’expression consacrée, à « vider la garantie de sa substance ».

Répondant aux critiques adressées aux arrêts attaqués, qui contestaient l’appréciation de la cour d’appel selon laquelle la clause en cause n’était ni formelle ni limitée, la Cour de cassation a jugé, par les quatre arrêts commentés:

  • s’agissant du caractère formel de la clause, que celle-ci était claire et dépourvue d’ambiguïté et ne nécessitait pas interprétation, dès lors que « la circonstance particulière de réalisation du risque privant l’assuré du bénéfice de la garantie n’était pas l’épidémie », mais, bien différemment, « la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement [du même département] faisait l’objet d’une mesure de fermeture administrative pour une cause identique ».

Aussi a-t-elle considéré, par voie de conséquence, que la question de savoir si la notion d’épidémie pouvait donner lieu à interprétation était sans incidence sur le caractère clair et précis de la clause puisqu’elle conduisait seulement à comparer les motifs de fermeture administrative figurant dans les décisions administratives de fermeture des établissements concernés.

  • s’agissant du caractère limité de l’exclusion, que la clause ne vidait pas la garantie de sa substance, dès lors qu’après son application, demeuraient dans le champ de la garantie les pertes d’exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à l’une des autres causes de fermeture administrative prévues au contrat ou survenues dans d’autres circonstances que celles stipulées à la clause d’exclusion.

On doit insister sur le fait qu’à l’occasion de ces arrêts, la Cour de cassation a énoncé pour la première fois, du moins sous une formulation aussi nette, la règle selon laquelle une garantie se trouve vidée de sa substance par une clause d’exclusion lorsque, après son application, il ne subsiste qu’une garantie dérisoire.

On indiquera, enfin, quand bien même cette observation relève de l’évidence, que la réponse apportée aux questions posées était tributaire du contenu et du libellé des clauses en cause et ne vaut que dans ces strictes limites.

2. Responsabilité civile

Aucun arrêt publié au Rapport en 2022.

3. Sécurité sociale

Sécurité sociale, assurances sociales – Vieillesse – Pension – Calcul – Agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques – Règles applicables – Détermination

2e Civ., 6 janvier 2022, pourvoi no 19-24.501, publié au Bulletin, rapport de Mme Vigneras et avis de M. Gaillardot

Il résulte des articles 11 ter de l’arrêté du 30 décembre 1970 relatif aux modalités de fonctionnement du régime de retraite complémentaire des assurances sociales institué par le décret du 23 décembre 1970, dans sa rédaction issue de l’arrêté du 13 juillet 1977, et 8 de l’arrêté du 23 septembre 2008 modifiant l’arrêté du 30 décembre 1970, qui régissent le régime d’assurance vieillesse complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques géré par l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (IRCANTEC), que les points de retraite sont acquis au fur et à mesure des périodes de chômage qui en constituent le fait générateur.

Dès lors, l’article 8 de l’arrêté du 23 septembre 2008, en ce qu’il remet en cause l’acquisition, à titre gratuit, par les assurés ayant sollicité la liquidation de leur pension de retraite complémentaire postérieurement au 1er janvier 2009, de points de retraite au titre des périodes de chômage effectuées entre le 1er août 1977 et le 1er janvier 2009, présente un caractère rétroactif et comme tel méconnaît le principe de non-rétroactivité des actes réglementaires.

Viole ces dispositions et ce principe la cour d’appel qui déboute l’assuré de sa demande de prise en compte, pour la liquidation de sa pension de retraite complémentaire, des points de retraite acquis au titre des périodes de chômage antérieures au 1er janvier 2009.

Le pourvoi soumis à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation porte sur les conditions d’application dans le temps de la modification, par voie réglementaire, de l’une des règles du régime d’assurance vieillesse complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques géré par l’IRCANTEC, relative à l’attribution gratuite de points de retraite au titre des périodes de chômage.

Le régime de l’IRCANTEC est un régime de retraite complémentaire, obligatoire, par répartition, à points.

Le requérant, agent non titulaire de l’État, était affilié, au titre de l’assurance vieillesse complémentaire obligatoire, auprès de l’IRCANTEC.

Pour liquider sa pension de retraite complémentaire à effet du 1er janvier 2012, l’IRCANTEC a fait application des dispositions de l’article 8 de l’arrêté du 23 septembre 2008 modifiant l’arrêté du 30 décembre 1970 relatif aux modalités de fonctionnement du régime de retraite complémentaire des assurances sociales institué par le décret no 70-1277 du 23 décembre 1970. Ces dispositions modifient les conditions d’attribution de points de retraite gratuits au titre des périodes de chômage.

Avant cette réforme, l’article 11 ter de l’arrêté précité du 30 décembre 1970 modifié énonçait que, sous un certain nombre de conditions, « les périodes de chômage d’une durée d’un mois au moins donnent lieu à attribution de points gratuits ».

La réforme a modifié les conditions d’attribution de points gratuits au titre des périodes de chômage: elle a, essentiellement, subordonné l’attribution de ces points au versement de cotisations par l’employeur, et à défaut, limité dans le temps l’attribution de points gratuits à une période d’un an.

L’article 8 de l’arrêté du 23 septembre 2008 énonce les conditions d’application dans le temps de la réforme: elle s’applique « aux formulaires de demande de retraite reçus à compter du 1er janvier 2009 et pour les périodes de chômage postérieures au 1er août 1977 ou en cours à cette date ».

La réforme a été défavorable au requérant, qui a bénéficié d’une période de chômage indemnisé du 15 septembre 2005 au 31 décembre 2011: faisant application des dispositions issues de la réforme, et constatant l’absence de cotisations versées par son employeur au cours de la période litigieuse, l’IRCANTEC ne lui a attribué qu’un nombre limité de points de retraite.

Il a saisi un tribunal de grande instance d’une demande de condamnation de l’IRCANTEC à réévaluer le montant de sa pension de retraite complémentaire en tenant compte des points acquis gratuitement pendant l’intégralité de sa période de chômage.

D’une part, la Cour de cassation juge que « les règles qui déterminent les conditions d’ouverture et le calcul de la prestation de retraite sont celles en vigueur au jour de l’entrée en jouissance de celle-ci »153.

D’autre part, s’agissant des conditions d’application dans le temps des modifications des règles d’acquisition des points dans les régimes de retraite à points, la Cour de cassation juge que les institutions de retraite complémentaire ne peuvent pas remettre en cause, même pour assurer l’équilibre financier des régimes qu’elles gèrent, quel que soit leur mode d’acquisition, le nombre des points acquis par les participants dont la retraite a été liquidée avant l’entrée en vigueur de la réforme154.

Elle admet en revanche que soit remise en cause la valeur du point de retraite, même après la liquidation de la pension de retraite155.

Par le présent arrêt, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation statue sur les conditions d’application dans le temps d’une modification, par voie réglementaire, s’agissant des pensions liquidées après l’entrée en vigueur de la réforme, des règles d’acquisition des points au cours des périodes antérieures à celle-ci.

Elle énonce qu’il résulte des textes régissant, pour le régime de retraite complémentaire géré par l’IRCANTEC, l’attribution des points de retraite au titre des périodes de chômage, que ces points de retraite « sont acquis au fur et à mesure des périodes de chômage qui en constituent le fait générateur ».

Elle en déduit que l’article 8 de l’arrêté du 23 septembre 2008 précité « remet en cause l’acquisition, à titre gratuit, par les assurés ayant sollicité la liquidation de leur pension de retraite complémentaire postérieurement au 1er janvier 2009, de points de retraite au titre des périodes de chômage effectuées entre le 1er août 1977 et le 1er janvier 2009 », de sorte qu’il présente un caractère rétroactif.

Il méconnaît donc, comme tel, le principe de non-rétroactivité des actes administratifs.

En revanche, pour la période postérieure à la date d’entrée en vigueur de la réforme, le requérant, qui ne peut se prévaloir d’un droit au maintien d’une réglementation, n’est pas fondé à soutenir que les dispositions litigieuses méconnaîtraient les principes de non-rétroactivité, de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime, de respect des biens et de non-discrimination.

Sécurité sociale, allocation vieillesse pour personnes non salariées – Professions libérales – Cotisations – Paiement – Paiement tardif – Validation – Défaut – Portée

2e Civ., 2 juin 2022, pourvoi no 21-16.072, publié au Bulletin, rapport de Mme Dudit et avis de M. Halem

L’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu’une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

L’article R. 643-10 du code de la sécurité sociale prévoit, s’agissant des professions libérales, que lorsque les cotisations arriérées n’ont pas été acquittées dans le délai de cinq ans suivant la date de leur exigibilité, les périodes correspondantes ne sont pas prises en considération pour le calcul de la pension de retraite de base.

Les points acquis en contrepartie du paiement des cotisations devant être regardés comme l’étant au fur et à mesure de leur versement, le défaut de prise en compte des cotisations payées au-delà du délai de cinq ans suivant leur date d’exigibilité, mais avant la liquidation du droit à pension, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu’il poursuit et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence.

1. Instituée en 1948, l’Organisation autonome d’assurance vieillesse des professions libérales comprend dix caisses de retraite correspondant aux dix sections professionnelles énumérées à l’article R. 641-1 du code de la sécurité sociale et une caisse nationale chargée de les fédérer.

Parmi ces dix caisses, la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse, créée en 1977, gère l’assurance vieillesse et la prévoyance des assurés relevant de « la section professionnelle des architectes, agréés en architecture, ingénieurs, techniciens, géomètres, experts et conseils, artistes auteurs ne relevant pas de l’article L. 382-1, enseignants, professionnels du sport, du tourisme et des relations publiques, et de toute profession libérale non rattachée à une autre section »156.

L’assurance vieillesse comprend un régime de retraite de base et un régime de retraite complémentaire, régimes obligatoires par répartition et contributifs.

Si les régimes de retraite complémentaire sont différents d’une caisse à l’autre, le régime de retraite de base est, en revanche, commun aux dix caisses. C’est ainsi que pour tout professionnel libéral, la durée légale d’assurance est calculée à partir de trimestres et le montant de la pension à partir de points, nés de la conversion des cotisations versées.

L’article L. 643-1 du code de la sécurité sociale prévoit, à cet égard, que le montant de la pension de vieillesse de base est obtenu par le produit du nombre total des points porté au compte de l’assuré par la valeur de service du point, et l’article R. 643-10 du même code précise que « lorsque les cotisations arriérées n’ont pas été acquittées dans le délai de cinq ans suivant la date de leur exigibilité, les périodes correspondantes ne sont pas prises en considération pour le calcul de la pension de retraite ».

2. Affilié à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse, du 1er avril 1978 au 31 décembre 1995, en raison de son activité de conseil en gestion, un assuré a sollicité la liquidation de sa pension de vieillesse. La caisse n’ayant pas intégré, dans le montant de sa pension de retraite de base, les points correspondant aux cotisations acquittées tardivement au titre des années 1982 à 1984, 1987 et 1990 à 1995, l’assuré a contesté la conformité des dispositions de l’article R. 643-10 du code de la sécurité sociale à l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en tant qu’elles excluent toute prise en considération des cotisations acquittées plus de cinq ans après leur date d’exigibilité.

Originellement justifiée par les opérations financières de compensation inter-régimes, supprimées en 2004 par la réforme du régime d’assurance vieillesse de base des professionnels libéraux, cette règle fait figure d’exception en matière d’assurance vieillesse, puisque ni les travailleurs indépendants ni les salariés ne se voient imposer une telle limite. En effet, selon l’article D. 634-1 du code de la sécurité sociale, les travailleurs indépendants peuvent s’acquitter de l’ensemble de leurs cotisations et contributions échues et restant dues au plus tard trois mois civils avant la date d’entrée en jouissance. Pour les salariés, les cotisations afférentes à des périodes antérieures à la date d’effet de la pension sont retenues pour son calcul et ce quelle que soit la date de leur versement, c’est-à-dire y compris lorsque ce versement est postérieur à la date d’effet de la pension (article R. 351-11 du même code).

3. À l’issue d’un contrôle de conventionnalité in abstracto, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation juge, sur le fondement de l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que le défaut de prise en compte des cotisations payées au-delà du délai de cinq ans suivant leur date d’exigibilité, mais avant la liquidation du droit à pension, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu’il poursuit et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence, dès lors que les points acquis en contrepartie du paiement des cotisations doivent être regardés comme l’étant au fur et à mesure de leur versement.

Cette décision s’inscrit dans le sillage tant des arrêts consacrant le droit individuel à pension d’une personne assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, en tant qu’il doit être regardé comme un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d’application de l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales157 que d’un arrêt, plus récent, affirmant, pour le régime de retraite complémentaire géré par l’IRCANTEC, que les points de retraite attribués au titre des périodes de chômage sont acquis au fur et à mesure de ces périodes, qui en constituent le fait générateur158.

 


153. 2e Civ., 26 mai 2016, pourvoi no 15-16.094, Bull. 2016, II, no 146.

154.Soc., 23 novembre 1999, pourvois no 97-18.980, no 97-19.055, no 97-20.248, no 97-21.053 et no 97-21.393, Bull. 1999, V, no 453.

155.2e Civ., 17 avril 2008, pourvoi no 07-12.144.

156. Article R. 641-1, 11o, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret no 2012-634 du 3 mai 2012.

157. 2e Civ., 24 septembre 2020, pourvoi no 19-19.122, publié au Bulletin, relatif au régime de retraite des marins ; 2e Civ., 12 mai 2021, pourvoi no 19-20.938, publié au Bulletin et au Rapport annuel, relatif au régime de retraite de base des avocats ; 2e Civ., 25 novembre 2021, pourvoi no 20-17.234, publié au Bulletin et au Rapport annuel, relatif au régime de retraite complémentaire des médecins.

158. 2e Civ., 6 janvier 2022, pourvoi no 19-24.501, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

F. Procédure civile et organisation des professions

1. Action en justice

Transports maritimes – Marchandises – Responsabilité – Action en responsabilité – Action du chargeur contre le transporteur – Recevabilité – Conditions – Existence d’un préjudice (non)

Com., 23 mars 2022, pourvoi no 19-16.466, publié au Bulletin, rapport de Mme Kass-Danno et avis de Mme Henry

Il résulte de l’article 31 du code de procédure civile que l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action. En conséquence, le chargeur, partie au contrat de transport, est recevable à agir en responsabilité contre le transporteur maritime, en invoquant le préjudice qu’il subit du fait d’une avarie de transport, la preuve de l’existence de ce préjudice n’étant que la condition du succès de son action en réparation. En outre, le chargeur tenant son droit d’action en responsabilité contractuelle du contrat de transport et non du document qui le constate, il n’y a pas lieu, pour apprécier l’ouverture de ce droit, de distinguer selon que le transport a donné lieu à l’émission d’un connaissement ou d’une lettre de transport maritime, ni selon que le chargeur est identifié ou non sur ces documents.

Voir le commentaire sous la partie Transports maritimes, p. 167.

2. Appel civil

Jugements et arrêts – Conclusions – Conclusions d’appel – Domicile – Fausse indication – Recevabilité – Condition

2e Civ., 13 janvier 2022, pourvoi no 20-11.081, publié au Bulletin, rapport de Mme Dumas et avis de M. Aparisi

En application de l’article 961 du code de procédure civile, les conclusions des parties doivent, à peine d’irrecevabilité, indiquer, pour les personnes physiques, leur domicile réel. Cette fin de non-recevoir peut être régularisée jusqu’au jour du prononcé de la clôture, ou, en l’absence de mise en état, jusqu’à l'ouverture des débats.

Il en résulte que, si la charge de la preuve de la fictivité du domicile pèse sur celui qui se prévaut de cette irrégularité, il appartient à celui qui prétend la régulariser de prouver que la nouvelle adresse indiquée constitue son domicile réel.

Saisie immobilière – Commandement – Caducité – Effets – Étendue – Détermination – Portée

Même arrêt

Le prononcé de la caducité ne fait pas perdre son fondement juridique à la disposition d’un jugement, rendu à l’occasion d’une saisie immobilière, qui a statué sur une contestation ou une demande portant sur le fond du droit, disposition revêtue de l’autorité de la chose jugée. Dès lors que l’arrêt attaqué a fixé le montant de la créance du poursuivant, le pourvoi contre celui-ci conserve son objet et est recevable, en tant qu’il attaque ce chef de dispositif et ceux qui lui sont directement liés.

Voir le commentaire sous la partie Procédures civiles d’exécution, p. 190.

Prud’hommes – Procédure – Représentation des parties – Personnes habilitées – Mandataire – Défenseur syndical – Effets – Appel – Accomplissement des actes de la procédure d’appel

2e Civ., 8 décembre 2022, pourvoi no 21-16.186, publié au Bulletin, rapport de Mme Kermina et avis de Mme Trassoudaine-Verger

Le défenseur syndical, que choisit l’appelant pour le représenter, bénéficie d’un statut résultant de dispositions légales et réglementaires qui sont destinées à offrir au justiciable représenté par celui-ci des garanties équivalentes à celles du justiciable représenté par un avocat quant au respect des droits de la défense et de l’équilibre des droits des parties.

Il en résulte que, s’il n’est pas un professionnel du droit, il n’en est pas moins à même d’accomplir les formalités requises par la procédure d’appel avec représentation obligatoire sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif, de nature à porter atteinte au droit d’accès au juge garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par cet arrêt, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur les règles procédurales applicables aux défenseurs syndicaux qui exercent leur activité devant les juridictions d’appel.

Il convient de rappeler, à cet égard, qu’un décret no 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, pris en application de la loi no 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, a réformé la procédure prud’homale en introduisant la représentation obligatoire dans l’instance d’appel.

Pour mettre en œuvre ce principe, le législateur a dérogé, au profit des défenseurs syndicaux, au monopole de représentation des avocats devant les cours d’appel. L’article L. 1453-4 du code du travail énonce que le représentant peut être soit un défenseur syndical, soit un avocat.

Pour autant, si défenseurs syndicaux et avocats exercent les mêmes missions, se trouvent-ils dans des situations différentes liées à leurs statuts respectifs.

La question soumise à la deuxième chambre civile se présentait en ces termes: lorsque la partie est représentée devant la cour d’appel par un défenseur syndical et que la déclaration d’appel ne mentionne pas, conformément à l’article 901 du code de procédure civile, les chefs de dispositif du jugement, la sanction de l’absence d’effet dévolutif de l’appel est-elle disproportionnée?

La deuxième chambre civile y a répondu par la négative. Elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer aux défenseurs syndicaux devant la cour d’appel la jurisprudence dégagée en matière d’appel sans représentation obligatoire.

En effet, s’agissant de la sanction applicable lorsque l’appelant ne mentionne pas dans sa déclaration d’appel les chefs de dispositif du jugement, la deuxième chambre civile distingue selon que la procédure est avec ou sans représentation obligatoire. Elle juge ainsi que si, pour les procédures avec représentation obligatoire, il a été déduit de l’article 562, alinéa 1, du code de procédure civile que « lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas »159 et que de telles règles sont dépourvues d’ambiguïté pour des parties représentées par un professionnel du droit160, « un tel degré d’exigence dans les formalités à accomplir par l’appelant [en matière de procédure sans représentation obligatoire] constituerait une charge procédurale excessive, dès lors que celui-ci n’est pas tenu d’être représenté par un professionnel du droit. La faculté de régularisation de la déclaration d’appel ne serait pas de nature à y remédier »161.

Dans l’affaire dans laquelle est intervenu l’arrêt commenté, le demandeur au pourvoi soutenait que le défenseur syndical n’était pas un professionnel du droit et ne pouvait se voir opposer l’absence d’effet dévolutif de l’appel. La deuxième chambre civile, se fondant notamment sur le statut spécifique du défenseur syndical, résultant d’un certain nombre de dispositions du code du travail, a considéré que « le défenseur syndical, que choisit l’appelant pour le représenter, s’il n’est pas un professionnel du droit, n’en est pas moins à même d’accomplir les formalités requises par la procédure d’appel avec représentation obligatoire sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif de nature à porter atteinte au droit d’accès au juge garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Cette solution se fonde sur la finalité des dispositions du décret no 2016-660 du 20 mai 2016 précité. Ce texte soumet l’exercice de la fonction de défenseur syndical à des obligations, notamment de formation, et l’assortit de garanties propres. Dans une décision du 30 janvier 2019162, le Conseil d’État, s’inscrivant dans le sillage de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, a rappelé que les dispositions de ce texte « ont pour objet tant d’assurer aux justiciables la qualité de leur défense que de concourir à une bonne administration de la justice en imposant le recours à des mandataires professionnels offrant des garanties de compétence ou à des défenseurs syndicaux dont le statut est destiné à assurer au justiciable des garanties équivalentes ».

Dans sa décision no 2017-623 QPC du 7 avril 2017163, le Conseil constitutionnel avait, en effet, déclaré conformes à la Constitution les deux premiers alinéas de l’article L. 1453-8 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi no 2015-990 du 6 août 2015 précitée. Après avoir constaté que les dispositions de la loi soumettent le défenseur syndical à une obligation de secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication, qu’elles lui imposent une obligation de discrétion à l’égard des informations ayant un caractère confidentiel et présentées comme telles par la personne qu’il assiste ou qu’il représente ou par la partie adverse dans le cadre d’une négociation, que tout manquement du défenseur syndical à ses obligations de secret professionnel ou de discrétion peut entraîner sa radiation de la liste des défenseurs syndicaux par l’autorité administrative, le Conseil constitutionnel avait jugé qu’il résulte de ces dispositions que « sont assurées aux parties, qu’elles soient représentées par un avocat ou par un défenseur syndical, des garanties équivalentes quant au respect des droits de la défense et de l’équilibre des droits des parties ».

Ainsi, la solution retenue par la deuxième chambre civile s’inscrit dans la logique du dispositif créé par la loi no 2015-990 du 6 août 2015 qui, s’il a apporté, dans l’instance d’appel des jugements des conseils de prud’hommes, une dérogation au monopole de représentation des avocats au profit des défenseurs syndicaux, a doté ceux-ci d’un statut spécifique destiné à assurer au justiciable des garanties équivalentes à celles des mandataires professionnels que sont les avocats.

3. Arbitrage

Arbitrage – Arbitrage international – Sentence – Recours en annulation – Moyen d’annulation – Compétence du tribunal arbitral – Office du juge – Appréciation de la portée de la convention d’arbitrage – Exclusion – Révision au fond de la sentence

1re Civ., 7 décembre 2022, pourvoi no 21-15.390, publié au Bulletin, rapport de Mme Guihal et avis de M. Poirret

Il résulte de l’article 1520, 1o, du code de procédure civile que, si le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage, ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.

En matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l’État à l’arbitrage procède de l’offre permanente d’arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit.

Il s’ensuit qu’alors que l’offre d’arbitrage stipulée dans un traité ne comporte pas de restriction ratione temporis, le juge de l’annulation doit seulement vérifier, au titre de la compétence ratione temporis, que le litige est né après l’entrée en vigueur du traité.

La société JSC Oschadbank est issue du démantèlement du système bancaire unifié de l’Union soviétique qui a abouti à la liquidation de la Banque d’épargne et du crédit populaire de l’URSS (Sberbank de l’Union soviétique) en 1991. L’activité de la branche ukrainienne de la Sberbank a été transférée à l’État ukrainien par une ordonnance de la Rada suprême de la République socialiste soviétique d’Ukraine du 20 mars 1991, puis à une société de droit public dénommée, à compter du 3 septembre 1991, « Banque d’épargne publique commerciale spécialisée d’Ukraine (Oschadbank d’Ukraine) ».

Le 24 août 1991, l’Ukraine a proclamé son indépendance.

Le 8 décembre 1991, l’accord de Minsk, signé par les dirigeants russe, ukrainien et biélorusse a pris acte de la dissolution de l’URSS.

Le 31 décembre 1991, l’Oschadbank a été immatriculée auprès de la Banque nationale d’Ukraine.

Le 18 mars 2014, la Fédération de Russie a rattaché la Crimée à son territoire et a, par la suite, adopté diverses dispositions qui ont eu pour effet de mettre fin aux activités des banques ukrainiennes en Crimée.

La banque a engagé une procédure d’arbitrage pour obtenir l’indemnisation de ce qu’elle a estimé être une expropriation de ses investissements en Crimée. Cette procédure, fondée sur le Traité bilatéral conclu le 27 novembre 1998 entre la Fédération de Russie et l’Ukraine sur l’encouragement et la protection réciproque des investissements (Traité bilatéral d’investissement ou TBI), a été introduite devant la Cour permanente d’arbitrage. La Fédération de Russie, contestant l’application du traité et la compétence du tribunal arbitral, n’a pas comparu.

Par une sentence du 26 novembre 2018, le tribunal arbitral siégeant à Paris s’est déclaré compétent, a constaté la violation du TBI et condamné la Fédération de Russie à indemniser la banque.

Sur le recours de la Fédération de Russie, la cour d’appel de Paris a annulé la sentence. Elle a estimé que le champ d’application ratione temporis du TBI était une question de compétence du tribunal arbitral; que l’article 12 du TBI concernait à la fois la protection substantielle et la protection procédurale et, par conséquent, la compétence du tribunal arbitral; que ce texte réservait cette protection aux investissements réalisés à compter du 1er janvier 1992; qu’en l’espèce, les actifs en cause étaient ceux de la branche ukrainienne de la Sberbank de l’Union soviétique qui avaient été transférés à l’État ukrainien par une ordonnance de la Rada suprême de la République socialiste soviétique d’Ukraine du 20 mars 1991, puis à la banque publique Oschadbank constituée le 3 septembre 1991 et enregistrée le 31 décembre 1991, de sorte que l’investissement était déjà réalisé le 1er janvier 1992.

Au soutien de son pourvoi, la banque a soutenu, en substance, d’une part, que la cour d’appel avait apprécié la compétence du tribunal arbitral au regard de l’ensemble des conditions d’application du TBI, notamment celles relatives à la protection substantielle offerte par ce traité, alors qu’elle aurait dû le faire uniquement au regard de celles affectant la convention d’arbitrage, d’autre part, qu’elle avait considéré à tort que l’article 12 du TBI s’appliquait à la compétence du tribunal arbitral alors qu’elle ne concernait que la protection substantielle des investissements.

L’enjeu du moyen ne se comprend qu’au regard du régime du recours en annulation des sentences arbitrales.

Le juge étatique du siège de l’arbitrage ne peut procéder à une révision au fond de la sentence. Il ne rejuge pas le litige au principal. Il peut seulement annuler la sentence pour l’une des causes limitativement énumérées par l’article 1520 du code de procédure civile:

« 1o Le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent; ou 2o Le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué; ou 3o Le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée; ou 4o Le principe de la contradiction n’a pas été respecté; ou 5o La reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international. »

Sur ces différentes causes d’annulation, le juge du recours dispose d’une plénitude de juridiction. En particulier, si le tribunal arbitral bénéficie d’une priorité pour statuer sur sa propre compétence164, il s’agit d’une priorité simplement « chronologique ». Au titre du contrôle a posteriori de la régularité de la sentence, le juge n’est aucunement lié par le point de vue exprimé par l’arbitre sur sa compétence.

Le problème posé par le premier moyen était donc de savoir si les stipulations du TBI concernant son application ratione temporis étaient des règles de recevabilité ou de fond, dont l’application n’est pas contrôlée par le juge du recours, ou des règles de compétence soumises à son contrôle.

Dans l’exercice de cette vérification, le juge de l’annulation n’est pas lié par les « dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties »165. Il doit, le cas échéant, restituer à la question litigieuse son exacte qualification. Cette opération de qualification (compétence; recevabilité; fond) s’opère selon les catégories du droit français, de sorte qu’à supposer même que la Cour de cassation n’exerce qu’un contrôle de la dénaturation sur l’interprétation par la cour d’appel des stipulations d’un traité auquel la France n’est pas partie, elle exercerait un plein contrôle sur la qualification. Ainsi que le fait exactement observer le mémoire ampliatif, « il ne peut d’ailleurs en être autrement puisque les voies de recours sont indisponibles dans les limites autorisées par la loi166; elles ne sont pas aménageables au gré de la volonté des parties167 ».

Comme la plupart des traités de ce type, le TBI entre la Russie et l’Ukraine définit le sens que revêtent, pour les besoins de son application, les notions d’investissement et d’investisseur; il énonce des garanties substantielles (non-discrimination, traitement de la nation la plus favorisée, transparence de la législation, liberté de transfert des fonds, interdiction des expropriations et des mesures d’effet équivalent, sauf constatation de l’intérêt public dans le cadre d’une procédure régulière et sous condition de versement d’une indemnité rapide, adéquate et effective); enfin, il prévoit le règlement des litiges par voie d’arbitrage.

L’article 9, intitulé « Règlement des litiges entre une partie contractante et un investisseur de l’autre partie contractante », stipule:

« 1. Tout différend entre une partie contractante et un investisseur de l’autre partie contractante qui surgit en rapport avec les investissements, y compris les différends qui concernent le montant, les modalités ou la procédure de paiement des indemnités, prévus à l’article 5 du présent accord, ou la procédure de transfert des paiements, prévue à l’article 7 du présent accord, fait l’objet d’une notification écrite, accompagnée de commentaires détaillés, que l’investisseur transmet à la partie contractante en cause dans le différend. Les parties au différend s’efforceront de régler ce différend dans la mesure du possible par voie de négociations. »

Si le différend n’est pas résolu de cette manière dans un délai de six mois à compter de la date de la notification écrite, il est soumis à l’arbitrage selon les modalités prévues au point 2.

L’article 12, intitulé « Application de l’accord », stipule que: « Le présent accord s’applique à tous les investissements réalisés par les investisseurs d’une partie contractante sur le territoire de l’autre partie contractante à compter du 1er janvier 1992. »

La question qui se posait à la Cour de cassation était donc la suivante: le TBI entre la Russie et l’Ukraine contient-il une limitation ratione temporis de la compétence du tribunal arbitral ou, en d’autres termes, l’article 12 concerne-t-il seulement la protection substantielle ou également la protection procédurale?

Selon la doctrine, l’application dans le temps des garanties substantielles et des garanties procédurales sont des questions distinctes. En fonction des stipulations de chaque TBI, elle coïncidera ou sera dissociée168.

Les parties à un TBI sont libres de prévoir la rétroactivité de leurs engagements (c’était le cas, en l’espèce, puisque le traité était entré en vigueur le 27 janvier 2000). Elles peuvent décider que les garanties substantielles s’appliqueront aux investissements réalisés à compter d’une certaine date, mais qu’il suffit, pour que s’appliquent les garanties procédurales, que le fait à l’origine du litige soit postérieur à l’entrée en vigueur du traité (un tribunal arbitral pouvant, comme le relève Arnaud de Nanteuil, apprécier l’atteinte à l’investissement sur le fondement de règles coutumières du droit international), ou que la demande ait été introduite après cette entrée en vigueur, peu important la date de l’investissement et du fait litigieux, etc. Tous les cas de figure sont envisageables, en fonction de la volonté des parties.

En l’espèce, la cour d’appel a estimé que l’article 12 définissait, non seulement le champ d’application temporel des garanties substantielles, mais également la compétence ratione temporis du tribunal arbitral.

Il y avait deux façons de raisonner:

  • soit considérer que l’article 9, en ce qu’il vise « tout différend entre une partie contractante et un investisseur de l’autre partie contractante qui surgit en rapport avec les investissements », renvoyait implicitement à l’article 12 et que cet ensemble constituait une règle de compétence ratione temporis du tribunal arbitral;
  • soit juger que l’article 9 était autonome par rapport à l’article 12, de sorte que la cour d’appel avait commis une erreur de qualification en considérant ce texte comme une règle de compétence.

Lorsque l’article 9 vise « les investissements », il faut entendre, « les investissements au sens de la convention ». La définition des investissements (et des investisseurs) figure à l’article 1er « Définitions ». Elle énumère la nature des actifs protégés, mais ne comporte aucune indication de date de réalisation des investissements. Par conséquent, si les définitions de l’article 1er sont nécessairement incorporées à l’article 9 et sont nécessairement des règles relatives au périmètre de la compétence du tribunal arbitral, en revanche, il n’en va pas de même pour l’article 12 intitulé « Application de l’accord ».

Le choix ainsi opéré par l’arrêt est circonscrit par la recherche de la commune intention des parties au regard des termes d’un traité bilatéral particulier. Néanmoins, il a une portée plus générale. Il s’en déduit, en effet, qu’une restriction à la compétence ratione temporis des arbitres doit faire l’objet d’une stipulation spéciale.

Cette décision qui s’inspire de l’idée d’autonomie de la clause d’arbitrage témoigne de la volonté de la Cour de cassation de laisser toute sa place à l’arbitrage.

4. Avocat

Avocat – Barreau – Règlement intérieur – Robe professionnelle – Port de signes manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion – Compétence – Conditions

1re Civ., 2 mars 2022, pourvoi no 20-20.185, publié au Bulletin, rapport de Mme Le Gall et avis de M. Poirret

Le conseil de l’ordre d’un barreau est compétent pour règlementer le port et l’usage de la robe d’avocat, en l’absence de dispositions législatives spécifiques et à défaut de dispositions règlementaires édictées par le Conseil national des barreaux. À ce titre, il peut interdire le port, avec la robe, de tout signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique.

Avocat – Conseil de l’ordre – Délibération ou décision – Décision – Recours devant la cour d’appel – Exercice – Membre du barreau – Conditions – Lésion de ses intérêts professionnels personnels – Exclusion – Élève d’un centre régional de formation professionnelle d’avocats

Même arrêt

Il résulte des articles 31 du code de procédure civile, 19 de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 et 14, 15 et 62 du décret no 91-1197 du 27 novembre 1991 que, d’une part, seul le procureur général ou un avocat s’estimant lésé dans ses intérêts professionnels peut déférer à la cour d’appel les délibérations ou décisions du conseil de l’ordre, d’autre part, l’élève d’un centre régional de formation professionnelle d’avocats dépend juridiquement de ce centre, de sorte que, s’agissant d’une action attitrée, celui-ci n’a pas qualité pour agir en contestation d’une délibération du conseil de l’ordre d’un barreau.

Dans cette affaire, la première chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur la décision, prise par un barreau d’avocats, d’interdire le port, avec la robe, de tout signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique.

Le costume d’audience d’avocat est défini par l’arrêté des consuls du 2 nivôse an XI, comme une « toge de laine, fermée sur le devant, à manches larges; toque noire, cravate pareille à celle des juges ».

Les faits étaient les suivants: une élève-avocate portant le voile islamique, inscrite à un centre régional de formation professionnelle d’avocats, ainsi qu’un avocat inscrit au barreau, avaient formé un recours contre une délibération du conseil de l’ordre qui avait modifié son règlement intérieur en ajoutant, au titre des rapports avec les institutions, l’alinéa suivant: « l’avocat ne peut porter avec la robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique ».

Le recours de l’élève-avocate avait été déclaré irrecevable par la cour d’appel en ce que les contestations des délibérations du conseil de l’ordre étaient des actions attitrées ouvertes aux avocats et non aux élèves-avocats: la première chambre civile, approuvant la cour d’appel, a rejeté le pourvoi de l’élève-avocate.

Le recours de l’avocat ayant été rejeté par la cour d’appel, deux questions étaient posées à la première chambre civile: d’une part, le conseil de l’ordre d’un barreau est-il compétent pour interdire, dans son règlement intérieur, le port, avec la robe, de tout signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique?; d’autre part, une telle interdiction méconnaît-elle la liberté de religion et la liberté d’expression?

La première question portait ainsi sur la répartition des compétences entre le pouvoir législatif, le pouvoir réglementaire et le pouvoir réglementaire ordinal, lui-même partagé entre, d’une part, le Conseil national des barreaux (CNB) qui, selon l’article 21-1 de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, relatif à la profession d’avocat, a pour mission, dans le respect des dispositions législatives et réglementaires, d’unifier les règles et usages de la profession, d’autre part, les barreaux qui, aux termes de l’article 17 de ladite loi, traitent toutes questions intéressant l’exercice de la profession.

La première chambre civile, constatant qu’aucune disposition législative spécifique n’avait précisé les modalités du port de la robe et que le règlement intérieur national du CNB ne prévoyait aucune règle unifiée sur cette question, a retenu qu’« il entre dans les attributions d’un conseil de l’ordre de réglementer le port et l’usage du costume de sa profession », considérant qu’il s’agissait d’une question intéressant l’exercice de la profession au sens de l’article 17 précité.

Les enquêtes menées à l’occasion de ce pourvoi ayant révélé que plusieurs barreaux d’avocats ont adopté une délibération sur les modalités du port de la robe, il est permis de penser que le CNB édictera dans un proche avenir une règle unificatrice.

La seconde question, plus classique, portait sur le point de savoir si l’interdiction prévue par la délibération litigieuse instaurait une discrimination fondée sur la religion et portait atteinte à la liberté d’expression et de religion.

Après s’être référée à plusieurs textes fondamentaux, la première chambre civile a entériné le raisonnement de la cour d’appel, qui avait retenu, d’une part, que la volonté d’un barreau d’imposer à ses membres de revêtir un costume uniforme contribuait à assurer l’indépendance des avocats, ainsi que leur égalité et, à travers celle-ci, l’égalité des justiciables, élément constitutif du droit à un procès équitable, d’autre part, que l’interdiction édictée était suffisamment précise, qu’elle était nécessaire afin de parvenir au but légitime poursuivi, à savoir protéger l’indépendance de l’avocat et assurer le droit à un procès équitable, et qu’elle était, hors toute discrimination, adéquate et proportionnée à l’objectif recherché.

Au terme d’une méthode désormais éprouvée et répondant à des critères bien définis, elle a ainsi, se livrant à un « contrôle du contrôle », validé le contrôle de conventionnalité opéré par la cour d’appel.

5. Procédures civiles d’exécution

Saisie immobilière – Commandement – Caducité – Effets – Étendue – Détermination – Portée

2e Civ., 13 janvier 2022, pourvoi no 20-11.081, publié au Bulletin, rapport de Mme Dumas et avis de M. Aparisi

Le prononcé de la caducité ne fait pas perdre son fondement juridique à la disposition d’un jugement, rendu à l’occasion d’une saisie immobilière, qui a statué sur une contestation ou une demande portant sur le fond du droit, disposition revêtue de l’autorité de la chose jugée. Dès lors que l’arrêt attaqué a fixé le montant de la créance du poursuivant, le pourvoi contre celui-ci conserve son objet et est recevable, en tant qu’il attaque ce chef de dispositif et ceux qui lui sont directement liés.

Jugements et arrêts – Conclusions – Conclusions d’appel – Domicile – Fausse indication – Recevabilité – Condition

Même arrêt

En application de l’article 961 du code de procédure civile, les conclusions des parties doivent, à peine d’irrecevabilité, indiquer, pour les personnes physiques, leur domicile réel. Cette fin de non-recevoir peut être régularisée jusqu’au jour du prononcé de la clôture, ou, en l’absence de mise en état, jusqu’à l’ouverture des débats.

Il en résulte que, si la charge de la preuve de la fictivité du domicile pèse sur celui qui se prévaut de cette irrégularité, il appartient à celui qui prétend la régulariser de prouver que la nouvelle adresse indiquée constitue son domicile réel.

L’arrêt commenté, qui statue, en premier lieu, sur la recevabilité du pourvoi, réaffirme les principes posés par la Cour de cassation en matière d’autorité de la chose jugée de la décision rendue par le juge de l’exécution en matière de saisie immobilière lorsque le commandement valant saisie immobilière a été déclaré caduc (1). Il se prononce, en second lieu, sur les conditions de forme des conclusions des parties en précisant que celles-ci doivent, en application de l’article 961 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité, indiquer, pour les personnes physiques, le domicile réel, cette fin de non-recevoir pouvant être régularisée jusqu’au prononcé de la clôture ou, en l’absence de mise en état, jusqu’à la réouverture des débats (2).

1. En saisie immobilière, la caducité du commandement de payer valant saisie, prononcée, notamment lorsque aucun créancier ne requiert la vente le jour de l’adjudication169, le prive rétroactivement de tous ses effets, notamment interruptif de prescription, et atteint tous les actes de la procédure de saisie qu’il engage170, de sorte que ceux-ci sont sensés n’avoir jamais existé, notamment l’assignation à l’audience d’orientation171.

La jurisprudence, essentiellement rendue sous l’empire des anciens textes relatifs à la saisie immobilière, soit avant 2006, admettait, dès lors, que le jugement ou l’arrêt d’orientation soit privé de fondement juridique ou ait cessé de produire ses effets, dans cette hypothèse, et que le pourvoi l’attaquant soit dépourvu d’objet172.

Par ailleurs, la caducité du commandement, comme les autres événements mettant fin à la procédure de saisie immobilière, privent le juge de l’exécution du pouvoir de statuer sur une question de fond173.

Par un arrêt du 2 juin 2016174, la Cour de cassation a néanmoins jugé que: « la caducité du commandement valant saisie immobilière, qui anéantit la mesure d’exécution, laisse subsister la disposition du jugement statuant sur la demande en revendication, qui n’a pas perdu son fondement juridique ». Cet arrêt avait, néanmoins, donné lieu à des commentaires divergents sur son sens.

Par un arrêt du 26 septembre 2019, la Cour de cassation a réduit encore le périmètre de l’effet de la caducité du commandement valant saisie immobilière175 en jugeant que cette caducité ne remettait pas en cause l’autorité de la chose jugée d’une décision d’orientation ayant prononcé une déchéance du droit aux intérêts. Elle a réaffirmé cette règle en 2021176 à propos d’une décision d’orientation qui s’était prononcée sur la prescription de la créance.

L’arrêt commenté s’inscrit dans ce courant jurisprudentiel qui s’efforce de fixer une ligne d’équilibre et de cohérence entre d’une part, le rôle particulier imparti au juge de l’exécution, qui peut avoir à trancher des questions de fond parfois complexes, et d’autre part, les effets de la caducité du commandement, qui n’atteignent plus que les actes à proprement parler de la saisie immobilière, de même que les chefs de dispositif qui lui sont indissociablement liés, tels que celui ordonnant la vente forcée et arrêtant ses modalités.

Il sera, en effet, rappelé que, par application des dispositions de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution connaît « de la procédure de saisie immobilière, des contestations qui s’élèvent à l’occasion de celle-ci et des demandes nées de cette procédure ou s’y rapportant directement, même si elles portent sur le fond du droit ».

Il est donc juge du fond, concurrent du juge naturellement compétent pour connaître de la question de fond177, et ses décisions sont revêtues de l’autorité de la chose jugée au fond178, y compris lorsqu’il a excédé ses pouvoirs179.

Or, en matière de saisie immobilière, le juge de l’exécution est tenu de fixer, dans le jugement d’orientation, le montant de la créance du poursuivant180. Cette mention est elle-même revêtue de l’autorité de la chose jugée, les débats qui ont lieu devant le juge de l’exécution à ce sujet constituant de véritables débats de fond181.

Il en résulte qu’un pourvoi dirigé contre un arrêt d’orientation, qui a ainsi fixé le montant de la créance du poursuivant, n’est pas privé d’objet par l’effet d’une décision de caducité du commandement intervenue postérieurement à celui-ci.

Le pourvoi était donc recevable.

2. La question de fond posée par ce pourvoi était celle de la charge de la preuve de la régularisation de l’irrégularité affectant les conclusions de l’appelant, lesquelles doivent, en application des articles 960 et 961 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité, indiquer le domicile réel de la partie qu’elles concernent.

Après avoir rappelé cette exigence, à laquelle elle attache une importance particulière, l’absence de la mention en cause dans les conclusions étant susceptible de faire échec à l’exécution de la décision à intervenir dans l’instance concernée, la Cour de cassation précise qu’il appartient à celui qui se prévaut d’une irrégularité, à ce titre, de prouver que le domicile indiqué n’est pas le domicile effectif de l’appelant182.

En application de l’article 961 du code de procédure civile, l’irrégularité affectant les conclusions peut être régularisée sans restriction de délai dans le régime antérieur au décret no 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, applicable à l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt commenté183. Depuis lors, elle peut l’être jusqu’au jour du prononcé de la clôture ou, en l’absence de mise en état, jusqu’à l’ouverture des débats.

Si une fois administrée la preuve que le domicile indiqué par une partie n’est pas réel, celle-ci fournit l’indication d’un autre domicile, incombera-t-il encore à la partie qui en conteste la réalité de rapporter cette preuve négative ou, à l’inverse, reviendra-t-il à la partie qui se prévaut de la régularisation d’établir que le domicile qu’elle indique est bien réel?

C’est en ce dernier sens que se prononce l’arrêt commenté, la bonne foi procédurale imposant une telle solution. Celui qui a commis l’irrégularité doit prouver qu’il la régularise.

Astreinte (loi du 9 juillet 1991) – Liquidation – Montant – Fixation – Critères – Proportionnalité

2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 19-22.435, publié au Bulletin, rapport de M. Pradel et avis de M. Grignon Dumoulin

Se trouve légalement justifié l’arrêt d’une cour d’appel qui, pour liquider l’astreinte à un certain montant, a pris en compte tant le comportement des débiteurs de l’obligation que les difficultés auxquelles ils s’étaient heurtés pour l’exécuter et s’est assurée, sans avoir à se référer aux facultés financières des débiteurs, que le montant de l’astreinte était raisonnablement proportionné à l’enjeu du litige.

Astreinte (loi du 9 juillet 1991) – Liquidation – Montant – Fixation – Critères – Proportionnalité

2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 19-23.721, publié au Bulletin, rapport de M. Pradel et avis de M. Grignon Dumoulin

Selon l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, l’astreinte provisoire est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère. Selon l’article 1er du Protocole no 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.

L’astreinte, en ce qu’elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l’obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci, de sorte qu’elle entre dans le champ d’application de la protection des biens garantie par ce protocole.

Dès lors, si l’astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du Protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l’objectif d’une bonne administration de la justice, à assurer l’exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l’astreinte, en cas d’inexécution totale ou partielle de l’obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l’exécuter et de sa volonté de se conformer à l’injonction, il n’en appartient pas moins au juge saisi d’apprécier encore le caractère proportionné de l’atteinte qu’elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu’elle poursuit.

Encourt la cassation, l’arrêt qui, pour liquider l’astreinte à un montant de 516 000 euros, retient que l’assureur ne démontre pas en quoi il a rencontré la moindre difficulté pour exécuter l’obligation qui lui avait été faite sous astreinte sans répondre aux conclusions de l’assureur qui invoquait une disproportion manifeste entre la liquidation sollicitée et le bénéfice attendu d’une communication des éléments sollicités.

Astreinte (loi du 9 juillet 1991) – Liquidation – Montant – Fixation – Critères – Proportionnalité

2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 20-15.261, publié au Bulletin, rapport de M. Martin et avis de M. Grignon Dumoulin

Selon l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, l’astreinte provisoire est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère.

Selon l’article 1er du Protocole no 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.

L’astreinte, en ce qu’elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l’obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci, de sorte qu’elle entre dans le champ d’application de la protection des biens garantie par ce protocole.

Dès lors, si l’astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du Protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l’objectif d’une bonne administration de la justice, à assurer l’exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l’astreinte, en cas d’inexécution totale ou partielle de l’obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l’exécuter et de sa volonté de se conformer à l’injonction, il n’en appartient pas moins au juge saisi d’apprécier encore le caractère proportionné de l’atteinte qu’elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu’elle poursuit.

Encourt la cassation l’arrêt qui, pour liquider l’astreinte provisoire à une certaine somme, retient que la disproportion flagrante entre la somme réclamée au titre de l’astreinte et l’enjeu du litige ne peut être admise comme cause de minoration, sans examiner de façon concrète s’il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquidait l’astreinte et l’enjeu du litige.

Par ces trois décisions rendues le même jour184, la Cour de cassation fait évoluer sa jurisprudence relative aux conditions de liquidation de l’astreinte provisoire.

Jusqu’à présent, la Cour de cassation jugeait de manière constante, sur le fondement de l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, que l’astreinte provisoire devait être liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction avait été adressée et des difficultés qu’il avait rencontrées pour l’exécuter, seuls critères énoncés à cet article185. Pour fixer la somme à laquelle il liquidait l’astreinte, le juge ne pouvait se référer au caractère excessif du montant de l’astreinte186 ou à une « disproportion flagrante entre la somme réclamée au titre de l’astreinte et l’enjeu du litige »187. Dans cette logique, la deuxième chambre civile avait été conduite à censurer l’arrêt d’une cour d’appel qui s’était référé à une « juste appréciation des circonstances de l’espèce et [à] l’application du principe de proportionnalité »188, ainsi qu’un autre arrêt qui avait fixé le montant de l’astreinte au regard de « l’ensemble des circonstances de la cause »189.

La doctrine s’est interrogée, à de multiples reprises, sur la véritable nature de l’astreinte, cherchant, sans succès, à apporter à cette question, complexe, une réponse univoque, à partir de laquelle il eut sans doute été plus aisé de déterminer avec plus de précision les critères à prendre en compte pour liquider l’astreinte.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation190, saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative aux articles 33 à 37 de la loi no 91-650 du 9 juillet 1991, devenus les articles L. 131-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution (en l’espèce, le requérant invoquait la violation de trois principes: d’une part, ceux de nécessité et de proportionnalité des peines, garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, d’autre part, celui de sécurité juridique), a retenu que « l’astreinte provisoire, qui a pour finalité de contraindre la personne qui s’y refuse à exécuter les obligations qu’une décision juridictionnelle lui a imposées et d’assurer le respect du droit à cette exécution, ne saurait être regardée comme une peine ou une sanction au sens de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

Il convient, en outre, de préciser que la jurisprudence de la Cour de cassation n’a jamais reconnu à l’astreinte le caractère d’une peine privée, mais plutôt attribué à cette dernière le sens d’une « mesure de contrainte à caractère personnel »191.

C’est à la jurisprudence constante ainsi décrite, retenant, pour la liquidation de l’astreinte, les deux seuls critères fixés à l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution – le comportement du débiteur et les difficultés pour exécuter – que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a entendu mettre fin, en y ajoutant, désormais, le caractère proportionné de l’astreinte.

Les deux premiers arrêts ici commentés192 précisent que « l’astreinte, en ce qu’elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l’obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci », de sorte qu’elle entre dans le champ d’application de la protection des biens garantie par l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Puis, interprétant l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution à la lumière de ces dispositions conventionnelles, ils jugent qu’il appartient au juge saisi d’une demande de liquidation d’astreinte, d’abord de tenir compte « du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter », ensuite, d’apprécier « le caractère proportionné de l’atteinte qu’elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu’elle poursuit », en examinant de façon concrète « s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l’astreinte et l’enjeu du litige ».

Tirant les conséquences de ce revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a, dans la troisième décision commentée193, approuvé une cour d’appel de s’être « assurée que le montant de l’astreinte liquidée était raisonnablement proportionné à l’enjeu du litige ». Elle ajoute que la cour d’appel « n’avait pas à prendre en considération les facultés financières des débiteurs » (ce seul point était critiqué par le pourvoi).

On soulignera que le principe de proportionnalité est un mécanisme bien connu en droit interne, dont la jurisprudence de la Cour de cassation fait régulièrement application dans des contentieux où est en cause l’application par le juge de dispositions légales ou réglementaires opérant des restrictions à des droits et libertés fondamentaux. Lorsque ceux-ci entrent dans le champ des garanties de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il opère un contrôle largement inspiré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Sur le fondement de l’article 1er du Protocole additionnel no 1 et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, dans différentes matières, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’écarter l’application de dispositions de droit interne instaurant des mesures constituant des atteintes au droit de propriété (ingérences) qu’elle a regardées comme disproportionnées au regard du but poursuivi. Elle a notamment fait application du principe de proportionnalité en matière de fermage194 ou de peine de confiscation195.

Il est, cependant, à souligner que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas, à ce jour encore, rendu de décision concernant l’astreinte, sans doute parce que ce mécanisme est peu présent dans le droit interne des autres pays membres du Conseil de l’Europe.

L’astreinte conduisant, au stade de sa liquidation, à une condamnation pécuniaire, elle entre dans le champ d’application de l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui, rappelons-le, stipule: « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Dès lors, cette mesure, prévue par la loi, ne peut être considérée comme compatible avec les droits garantis par le Protocole considéré que si elle poursuit un but d’intérêt général et ménage « un juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu196. En effet, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme veille à ce que les atteintes au droit de propriété soient proportionnées au but d’intérêt général poursuivi et il appartient aux juridictions nationales d’interpréter la loi et de l’appliquer dans des conditions qui respectent la protection des biens assurée par la Convention et le Protocole, même dans les litiges entre particuliers197.

S’agissant de l’astreinte, la Cour de cassation a estimé que cette mesure poursuivait un objectif d’intérêt général, pris d’une bonne administration de la justice, en ce qu’elle tend à assurer une exécution effective et dans un délai raisonnable des décisions de justice.

Par ailleurs, la Cour de cassation a considéré que l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, interprété à la lumière des normes européennes, imposait aux juridictions du fond de veiller à ce qu’en liquidant l’astreinte, il ne soit pas porté une atteinte disproportionnée aux biens du débiteur de celle-ci. Tout en tenant compte du comportement de ce dernier et des difficultés qu’il a rencontrées pour exécuter l’obligation, le juge doit donc vérifier, de façon concrète « s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l’astreinte et l’enjeu du litige ».

On accordera une attention particulière à cette notion d’enjeu du litige en mettant en exergue le fait qu’il recouvre, notamment, l’importance qu’il y a, en l’espèce, à exécuter rapidement l’obligation assortie d’astreinte. Aussi bien est-elle de nature à laisser une marge d’appréciation, aussi importante que nécessaire, au juge dans l’application du principe de proportionnalité à laquelle il lui incombe dorénavant de procéder.

Procédures civiles d’exécution – Saisie des droits incorporels – Droits d’associé et valeurs mobilières – Exclusion – Parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) – Conséquences – Saisie entre les mains de la société

2e Civ., 8 décembre 2022, pourvoi no 19-20.143, publié au Bulletin, rapport de M. Cardini et avis de M. Adida-Canac

S’il résulte des dispositions des articles L. 211-14, L. 211-15, L. 211-17 et R. 211-1 du code monétaire et financier que les titres financiers sont négociables, qu’ils se transmettent par virement de compte à compte, que le transfert de leur propriété résulte de leur inscription au compte-titres de l’acquéreur et qu’ils ne sont matérialisés que par cette inscription, il ressort, en revanche, de l’article L. 211-14 du code monétaire et financier que les parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) ne sont pas négociables et de l’article L. 214-93 du même code que le transfert de leur propriété résulte d’une inscription, non au compte-titres de l’acquéreur, mais sur le registre des associés, cette inscription étant réputée constituer l’acte de cession écrit prévu par l’article 1865 du code civil.

Il s’en déduit que les parts de la SCPI ne sont pas des valeurs mobilières, de sorte que les dispositions de l’article R. 232-3, alinéa 2, du code des procédures civiles d’exécution, qui s’appliquent aux seules valeurs mobilières nominatives, ne leur sont pas applicables.

La saisie des parts de SCPI devant, dès lors, être effectuée, conformément aux dispositions de l’article R. 232-1 du code des procédures civiles d’exécution, entre les mains de la société émettrice de ces parts, la signification de l’acte de saisie à un intermédiaire chargé de gérer un compte-titres dans lequel ces parts ont été inscrites est dépourvue d’effet et ne rend pas indisponibles les droits pécuniaires du débiteur.

Aucune obligation légale ou réglementaire n’impose à cet intermédiaire d’aviser la société émettrice de cette saisie ni de représenter les fonds issus d’une vente de ces titres.

L’arrêt commenté, rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, après avis de la chambre commerciale, financière et économique portant sur des points de droit relevant plus spécialement du champ d’attributions de cette dernière, apporte des précisions importantes concernant la saisie des parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI).

Le code des procédures civiles d’exécution comporte plusieurs dispositions identifiant le tiers saisi entre les mains duquel une saisie de droits d’associé et de valeurs mobilières est pratiquée.

L’article R. 232-1 de ce code dispose, de manière générale, que « les droits d’associé et les valeurs mobilières dont le débiteur est titulaire sont saisis auprès de la société ou de la personne morale émettrice ». L’article R. 232-3 du même code prévoit toutefois que « les valeurs mobilières au porteur sont saisies auprès de l’intermédiaire habilité chez qui l’inscription a été prise » et que « si le titulaire de valeurs nominatives a chargé un intermédiaire habilité de gérer son compte, la saisie est opérée auprès de ce dernier ».

Conformément à l’article R. 232-8, alinéa 1, du même code, « l’acte de saisie rend indisponibles les droits pécuniaires du débiteur ».

En l’espèce, une société avait fait pratiquer une saisie de droits d’associé et de valeurs mobilières entre les mains d’une banque qui avait déclaré détenir un portefeuille-titres de parts de SCPI. Des parts ayant été vendues sans que le prix de vente ne lui soit versé, la société a assigné la banque en paiement devant un juge de l’exécution.

En réponse à la question qui lui était posée par la deuxième chambre civile dans sa demande d’avis, la chambre commerciale, financière et économique a répondu que s’il résulte des dispositions des articles L. 211-14, L. 211-15, L. 211-17 et R. 211-1 du code monétaire et financier que les titres financiers sont négociables, qu’ils se transmettent par virement de compte à compte, que le transfert de leur propriété résulte de leur inscription au compte-titres de l’acquéreur et qu’ils ne sont matérialisés que par cette inscription, il ressort en revanche de l’article L. 211-14 du code monétaire et financier que les parts de SCPI ne sont pas négociables, et de l’article L. 214-93 du même code que le transfert de leur propriété résulte d’une inscription, non au compte-titres de l’acquéreur, mais sur le registre des associés, cette inscription étant « réputée constituer l’acte de cession écrit prévu par l’article 1865 du code civil ». La chambre commerciale en a déduit que « les parts de la SCPI ne sont pas des valeurs mobilières, de sorte que les dispositions de l’article R. 232-3, alinéa 2, du code des procédures civiles d’exécution, qui s’appliquent aux seules valeurs mobilières nominatives, ne leur sont pas applicables »198.

Tirant les conséquences de cet avis, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation juge, dans le pourvoi qui lui est soumis, que « la saisie des parts de la SCPI devant, dès lors, être effectuée, conformément aux dispositions de l’article R. 232-1 du code des procédures civiles d’exécution, entre les mains de la société émettrice de ces parts, la signification de l’acte de saisie à un intermédiaire chargé de gérer un compte-titres dans lequel ces parts ont été inscrites est dépourvue d’effet et ne rend pas indisponibles les droits pécuniaires du débiteur ».

Elle précise, conformément à l’avis de la chambre commerciale, financière et économique, qu’« aucune obligation légale ou réglementaire n’impose à cet intermédiaire d’aviser la société émettrice de cette saisie » ni, ajoute-t-elle, « de représenter les fonds issus d’une vente de ces titres ».


159.2e Civ., 30 janvier 2020, pourvoi no 18-22.528, publié au Bulletin.

160. 2e Civ., 2 juillet 2020, pourvoi no 19-16.954, publié au Bulletin.

161.2e Civ., 9 septembre 2021, pourvois no 20-13.662 et suivants, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

162.CE, 30 janvier 2019, no 401681.

163.Cons. const., 7 avril 2017, décision no 2017-623 QPC, Conseil national des barreaux [Secret professionnel et obligation de discrétion du défenseur syndical].

164. Article 1448 du code de procédure civile.

165. 1re Civ., 31 mars 2021, pourvoi no 19-11.551, publié au Bulletin.

166.Ch. Seraglini, Lois de police et justice arbitrale internationale, thèse, Dalloz, 2001, sp. no 375, p. 181.

167.1re Civ., 28 mai 2008, pourvoi no 04-13.999 ; Rev. arb. 2008, p. 691, note D. Bureau.

168.M. Ménard, « Application ratione temporis de la protection des investissements et des investisseurs », in Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, Pedone, 2015, p. 201 et s. ; A. de Nanteuil, Droit international de l’investissement, Pedone, 2014, p. 253.

169. Article R. 322-27 du code des procédures civiles d’exécution.

170.2e Civ., 4 septembre 2014, pourvoi no 13-11.887, Bull. 2014, II, no 179 ; 3e Civ., 31 mars 2016, pourvoi no 14-25.604, Bull. 2016, III, no 46.

171. 2e Civ., 19 février 2015, pourvoi no 13-28.445, Bull. 2015, II, no 47.

172. 2e Civ., 3 juin 1999, pourvoi no 96-21.774 ; 2e Civ., 22 novembre 2001, pourvoi no 00-14.126 ; 2e Civ., 9 septembre 2010, pourvoi no 09-10.841 ; 1re Civ., 5 juillet 2017, pourvoi no 16-15.650 ; 2e Civ., 7 décembre 2017, pourvoi no 15-20.513 ; Com., 6 mars 2019, pourvoi no 17-20.643.

173.2e Civ., 14 janvier 2021, pourvoi no 19-20.517, publié au Bulletin.

174. 2e Civ., 2 juin 2016, pourvoi no 15-12.828, Bull. 2016, II, no 151.

175. 2e Civ., 26 septembre 2019, pourvoi no 18-21.261.

176. 2e Civ., 14 janvier 2021, pourvoi no 19-20.517, publié au Bulletin.

177.2e Civ., 17 mai 2018, pourvoi no 16-25.917, Bull. 2018, II, no 101.

178.Article R. 121-14 du code des procédures civiles d’exécution ; 2e Civ., 24 septembre 2015, pourvoi no 14-20.009, Bull. 2015, II, no 221 ; 1re Civ., 22 juin 2016, pourvoi no 15-12.954 ; 1re Civ., 29 octobre 2014, pourvoi no 12-28.292 ; Com., 13 septembre 2017, pourvoi no 15-28.833, Bull. 2017, IV, no 109.

179. 2e Civ., 12 avril 2018, pourvoi no 16-28.530, Bull. 2018, II, no 86.

180.Article R. 322-18 du code des procédures civiles d’exécution.

181.Com., 13 septembre 2017, pourvoi no 15-28.833, Bull. 2017, IV, no 109, délibéré par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

182. 2e Civ., 10 mars 2005, pourvoi no 03-14.577, Bull. 2005, II, no 62 ; 2e Civ., 1er octobre 2009, pourvoi no 08-12.417, Bull. 2009, II, no 228.

183. 2e Civ., 14 octobre 2004, pourvoi no 02-15.457, Bull. 2004, II, no 459 ; 2e Civ., 21 octobre 2010, pourvoi no 09-68.952.

184.2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 20-15.261 ; 2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 19-23.721 ; 2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 19-22.435, tous publiés au Bulletin et au Rapport annuel.

185.2e Civ., 8 décembre 2005, pourvoi no 04-13.236.

186.2e Civ., 25 juin 2015, pourvoi no 14-20.073.

187. 2e Civ., 26 septembre 2013, pourvoi no 12-23.900.

188. 2e Civ., 19 mars 2015, pourvoi no 14-14.941.

189.2e Civ., 7 juin 2012, pourvoi no 10-24.967.

190.2e Civ., 4 janvier 2012, QPC no 11-40.081, Bull. 2012, II, no 1.

191. 2e Civ., 17 avril 2008, pourvoi no 07-10.065, Bull. 2008, II, no 88 ; 3e Civ., 24 février 1999, pourvoi no 96-21.968, Bull. 1999, III, no 50 ; 1re Civ., 3 avril 2002, pourvoi no 00-10.893, Bull. 2002, I, no 104 ; 2e Civ., 30 avril 2002, pourvoi no 00-13.815, Bull. 2002, II, no 83 ; Com., 21 janvier 2003, pourvois no 01-01.761 et no 01-01.816, Bull. 2003, IV, no 10.

192.2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 20-15.261, publié au Bulletin et au Rapport annuel, et 2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 19-23.721, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

193. 2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 19-22.435, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

194.3e Civ., 10 octobre 2019, pourvoi no 17-28.862, publié au Bulletin.

195. Crim., 12 juin 2019, pourvoi no 18-83.396, Bull. crim. 2019, no 105.

196.CEDH, gde ch., arrêt du 5 janvier 2000, Beyeler c. Italie, no 33202/96, § 108-114 ; CEDH, arrêt du 23 octobre 2018, Musa Tarhan c. Turquie, no 12055/17, § 74 et s.

197.CEDH, arrêt du 25 juillet 2002, Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99.

198.Avis de la Cour de cassation, Com., 30 mars 2022, no 19-20.143, publié au Bulletin.

G. Droit pénal et procédure pénale

1. Droit pénal général

Aucun arrêt publié au Rapport en 2022.

2. Droit pénal spécial

Aucun arrêt publié au Rapport en 2022.

3. Procédure pénale

Union européenne – Principes de primauté et d’effectivité du droit de l’Union européenne – Effet – Inapplication des dispositions nationales contraires

Crim., 12 juillet 2022, pourvoi no 21-83.710, publié au Bulletin, rapport de Mme Ménotti et avis de M. Desportes

Le principe de primauté du droit de l’Union européenne impose d’assurer le plein effet de ses dispositions en laissant, au besoin, inappliquée toute réglementation contraire de la législation nationale.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Méconnaissance – Conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion aux fins de lutte contre la criminalité

Même arrêt

Doivent être écartés, comme contraires au droit de l’Union européenne, lequel s’oppose à une conservation généralisée et indifférenciée, à titre préventif, des données de trafic et de localisation aux fins de lutte contre la criminalité, quel que soit son degré de gravité, l’article L. 34-1, III, du code des postes et communications électroniques, dans sa version issue de la loi no 2013-1168 du 18 décembre 2013, ainsi que l’article R. 10-13 dudit code, en ce qu’ils imposaient aux opérateurs de services de communications électroniques, aux fins de lutte contre la criminalité, la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, à l’exception des données relatives à l’identité civile, aux informations relatives aux comptes et aux paiements, ainsi qu’en matière de criminalité grave, à celles relatives aux adresses IP attribuées à la source d’une connexion.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Conformité – Conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale

Même arrêt

En revanche et dès lors que le droit de l’Union européenne admet la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale, est conforme au droit de l’Union l’obligation faite aux opérateurs de télécommunications électroniques de conserver ces données de manière généralisée et indifférenciée en raison de la menace grave, réelle et actuelle ou prévisible à laquelle la France se trouve exposée depuis décembre 1994, du fait du terrorisme et de l’activité de groupes radicaux et extrémistes.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Injonction tendant à la conservation rapide des données – Conditions – Détermination

Même arrêt

Par ailleurs, le droit de l’Union européenne, qui autorise la délivrance d’une injonction tendant à la conservation rapide des données relatives au trafic et des données de localisation stockées par les opérateurs, soit pour leurs besoins propres, soit au titre d’une obligation de conservation imposée aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale, permet d’accéder auxdites données pour l’élucidation d’une infraction déterminée.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Injonction tendant à la conservation rapide des données – Définition

Même arrêt

À cet égard, les articles 60-1 et 60-2 applicables en enquête de flagrance, 77-1-1 et 77-1-2 relatifs aux enquêtes préliminaires, 99-3 et 99-4 concernant l’ouverture d’une information du code de procédure pénale, doivent être analysés comme valant injonction de conservation rapide.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Injonction tendant à la conservation rapide des données – Conditions – Vérifications – Office du juge

Même arrêt

Il appartient donc à la juridiction, saisie d’une contestation sur le recueil des données de connexion, de vérifier que, d’une part, la conservation rapide respecte les limites du strict nécessaire, d’autre part, les faits relèvent de la criminalité grave, au regard de la nature des agissements en cause, de l’importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Injonction tendant à la conservation rapide des données – Conditions – Contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante – Exclusion – Ministère public

Même arrêt

S’agissant de l’autorisation d’accéder aux données de connexion qui, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), ne peut relever de la compétence du ministère public, ne sont pas conformes au droit de l’Union les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, en ce qu’ils ne prévoient pas, préalablement à l’accès aux données, un contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante. En revanche, le juge d’instruction, qui n’exerce pas l’action publique mais statue de façon impartiale sur le sort de celle-ci, est habilité à contrôler l’accès aux données de connexion.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Méconnaissance – Contestation possible des éléments de preuve résultant de l’exploitation de ces données – Principe d’effectivité du droit de l’Union européenne – Compatibilité

Même arrêt

En cas d’irrégularité affectant la conservation ou l’accès aux données de connexion, le principe d’effectivité posé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est respecté, la législation française, et notamment les articles 156 et suivants du code de procédure pénale, offrant à toute personne mise en examen ou poursuivie la possibilité de contester efficacement la pertinence des éléments de preuve résultant de l’exploitation des données de connexion.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Objet – Protection de la vie privée, du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit à la liberté d’expression – Méconnaissance – Portée

Même arrêt

Par ailleurs, dès lors que les modalités de conservation et d’accès aux données de connexion ont pour objet la protection du droit au respect de la vie privée, du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit à la liberté d’expression, leur méconnaissance n’affecte qu’un intérêt privé, de sorte que le requérant à la nullité n’est recevable que s’il prétend être titulaire ou utilisateur de l’une des lignes identifiées ou s’il établit qu’il a été porté atteinte à sa vie privée.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Injonction tendant à la conservation rapide des données – Conditions – Contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante – Défaut – Existence d’un grief – Conditions – Détermination

Même arrêt

L’existence d’un grief pris de l’absence de contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante n’est établie que lorsque l’accès a porté sur des données irrégulièrement conservées, pour une finalité moins grave que celle ayant justifié la conservation hors hypothèse de la conservation rapide, n’a pas été circonscrit à une procédure visant à la lutte contre la criminalité grave ou a excédé les limites du strict nécessaire.

Le recours aux données de connexion est une méthode d’investigation à laquelle les services de police judiciaire ont, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, de plus en plus fréquemment recours. Ces données permettent, notamment, de déterminer la localisation et les mouvements des personnes soupçonnées au moment des faits objet de l’enquête, d’identifier leurs interlocuteurs, ainsi que la fréquence et la durée des communications.

Dans une procédure ouverte des chefs de meurtre et tentative, destruction de biens, en bande organisée, et association de malfaiteurs, une des personnes mises en examen a saisi la chambre de l’instruction d’une requête en annulation des actes d’investigation fondés sur l’exploitation de ces données de connexion, tant au cours de l’enquête de flagrance qu’après ouverture d’une information judiciaire, en ce que la conservation desdites données et l’accès des enquêteurs à celles-ci seraient contraires au droit de l’Union européenne.

Saisie d’un pourvoi contre l’arrêt rejetant ces requêtes en nullité, la Cour de cassation a, par l’arrêt commenté199, ainsi que par plusieurs autres rendus le même jour200, été amenée à statuer pour la première fois sur cette question.

En matière de données de connexion, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est construite par touches successives. Les décisions principalement invoquées au soutien du pourvoi ont été rendues à partir de l’année 2020201.

Tel qu’interprété par ces arrêts, le droit de l’Union entend limiter strictement la possibilité d’imposer aux opérateurs de télécommunications la conservation des données de connexion, puis les conditions de l’accès à celles-ci, au motif que ces données permettent de disposer d’informations très précises concernant la vie privée des personnes. La CJUE considère donc que cette conservation et cet accès constituent une ingérence grave dans les droits fondamentaux des personnes concernées.

Par l’arrêt commenté, la Cour de cassation a statué d’abord sur les conditions de conservation des données de connexion (I) puis sur la question de l’accès auxdites données (II), enfin sur les conséquences à tirer de la méconnaissance du droit de l’Union (III).

I. La conservation des données de connexion

Le texte national relatif à la conservation des données de connexion, dont le pourvoi affirmait la non-conformité au droit de l’Union, est l’article L. 34-1, III, du code des postes et des communications électroniques, dans sa version applicable du 20 décembre 2013 au 31 juillet 2021. Ce texte imposait aux opérateurs de services de télécommunications électroniques la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion énumérées à l’article R. 10-13 dudit code, « pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales » et pour une durée maximale d’un an.

La CJUE a dit pour droit, dans les arrêts précités, qu’il résulte de l’article 15, § 1, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11, ainsi que de l’article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que le droit de l’Union européenne s’oppose à une conservation généralisée et indifférenciée, à titre préventif, des données de trafic et de localisation aux fins de lutte contre la criminalité, quel que soit son degré de gravité.

En revanche, le droit de l’Union ne s’oppose pas à une telle conservation « dès lors qu’il existe des circonstances suffisamment concrètes permettant de considérer que l’État membre concerné fait face à une menace grave [...] pour la sécurité nationale qui s’avère réelle et actuelle ou prévisible »202.

En d’autres termes, la conservation préventive, généralisée et indifférenciée des données de connexion n’est conforme au droit de l’Union que si elle vise à la sauvegarde de la sécurité nationale. Par sécurité nationale, il faut entendre « la prévention et la répression d’activités de nature à déstabiliser gravement les structures constitutionnelles, politiques, économiques ou sociales fondamentales d’un pays, et en particulier à menacer directement la société, la population ou l’État en tant que tel, telles que notamment des activités de terrorisme »203.

La CJUE précise les autres conditions dans lesquelles la conservation, soit ciblée, soit généralisée et indifférenciée, selon les cas, de tel ou tel type de données qu’elle énumère est admissible.

L’arrêt commenté juge en conséquence « qu’il convient d’écarter les textes précités de droit interne en ce qu’ils imposaient aux opérateurs de services de télécommunications électroniques, aux fins de lutte contre la criminalité, la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, à l’exception des données relatives à l’identité civile et aux informations relatives aux comptes et aux paiements, ainsi que, dans le cadre de la recherche et la répression de la criminalité grave, aux adresses IP ».

Il retient, en revanche, que les dispositions précitées du code des postes et des communications électroniques sont conformes au droit de l’Union en ce qu’elles permettent « notamment la recherche, la constatation et la poursuite des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme ».

La Cour de cassation, qui invite les juges à rechercher l’existence d’une menace grave, réelle et actuelle ou prévisible pour la sécurité nationale, juge, à cet égard, que depuis décembre 1994 et à la date des faits, l’État français se trouve confronté à des menaces graves du fait des attentats terroristes, de sorte que l’obligation faite aux opérateurs de télécommunications électroniques de conserver ces données de manière généralisée et indifférenciée était, pour ce motif, conforme au droit de l’Union.

La CJUE inclut parmi les conditions dans lesquelles elle admet la conservation des données de connexion l’injonction de « conservation rapide » de celles-ci, laquelle trouve son fondement dans l’article 16 de la Convention de Budapest du 23 novembre 2001 sur la cybercriminalité, ratifiée par la France. Ainsi, si les données sont régulièrement conservées à titre préventif pour les besoins de la sécurité nationale, il est possible d’enjoindre aux opérateurs de les conserver également, de manière ciblée et pour les besoins de la répression dans une affaire particulière relevant de la criminalité grave.

Par ailleurs, elle juge que la « conservation rapide » n’est pas limitée aux données de connexion des seules personnes soupçonnées de vouloir commettre ou d’avoir commis une infraction pénale, pourvu que ces données puissent contribuer à l’élucidation de l’infraction, « sur la base d’éléments objectifs et non discriminatoires »204.

L’arrêt commenté, relevant que le rapport explicatif de la Convention de Budapest précitée « précise que l’injonction de conservation rapide peut résulter d’une injonction de produire », juge que les réquisitions prévues par le droit national, sur le fondement, soit des articles 60-1 et 60-2 du code de procédure pénale, lors d’une enquête de flagrance, soit des articles 77-1-1 et 77-1-2 dudit code, lors d’une enquête préliminaire, soit des articles 99-3 et 99-4 de ce code, dans le cours de l’instruction, peuvent donc valoir « injonction de conservation rapide ».

Déclinant les exigences posées par la CJUE, il impose à la juridiction saisie de vérifier que:

  • les faits en cause relèvent de la criminalité grave: il s’agit d’une appréciation au cas par cas, qui doit prendre en compte la nature des agissements en cause, l’importance du dommage, les circonstances de la commission des faits et la durée de la peine encourue;
  • la « conservation rapide » respecte les limites du strict nécessaire.
II. L’accès aux données de connexion

La CJUE conditionne l’accès aux données de connexion205:

  • à la conformité de leur conservation aux exigences du droit européen;
  • à ce qu’il ait lieu pour la finalité ayant justifié la conservation ou une finalité plus grave, sauf conservation rapide;
  •  à ce qu’il soit limité au strict nécessaire;
  • s’agissant des données de trafic et de localisation, à ce qu’il soit circonscrit aux procédures visant à la lutte contre la criminalité grave;
  • enfin, à ce qu’il soit soumis au contrôle préalable d’une juridiction ou d’une entité administrative indépendante.

Cette dernière exigence exclut que ce contrôle soit effectué, soit par le ministère public, « qui dirige la procédure d’enquête et exerce, le cas échéant, l’action publique »206, soit par un fonctionnaire de police, qui ne constitue pas une juridiction et ne présente pas toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité requises207.

L’arrêt commenté juge en conséquence que les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, les deux premiers confiant à un officier de police judiciaire ou un agent de police judiciaire agissant sous son contrôle le soin de décider d’accéder aux données de connexion, les deux derniers exigeant seulement une autorisation du procureur de la République, sont contraires au droit de l’Union, « en ce qu’ils ne prévoient pas, préalablement à l’accès aux données, un contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante ».

En revanche, il juge différemment s’agissant des articles 99-3 et 99-4 du même code, le juge d’instruction n’étant pas « une partie à la procédure mais une juridiction qui statue notamment sur les demandes d’actes d’investigation formées par les parties, lesquelles disposent d’un recours en cas de refus », et n’exerçant pas l’action publique mais statuant « de façon impartiale sur le sort de celle-ci, mise en mouvement par le ministère public ou, le cas échéant, la partie civile ».

III. Les conséquences qui doivent être tirées de la méconnaissance, par les textes internes, du droit de l’Union

La CJUE renvoie, sur ce point, à l’ordre juridique de chaque État membre, à condition que les modalités procédurales nationales permettant d’assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union « ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne » – principe d’équivalence – et « qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union », ce qui suppose notamment que les justiciables soient en mesure de commenter efficacement les éléments de preuve recueillis par un recours aux données de connexion, qui proviennent d’un domaine échappant à la connaissance des juges et qui sont susceptibles d’influencer de manière prépondérante l’appréciation des faits – principe d’effectivité208.

L’arrêt commenté retient d’abord qu’il est possible, en droit français, soit devant la chambre de l’instruction, soit à l’audience, pour les personnes mises en examen ou poursuivies, « de contester efficacement la pertinence des éléments de preuve résultant de l’exploitation des données de connexion ».

Il relève ensuite que les exigences européennes en matière de conservation et d’accès aux données de connexion, y compris celles tenant au contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante, « ont pour objet la protection du droit au respect de la vie privée, du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit à la liberté d’expression […] de sorte que leur méconnaissance n’affecte qu’un intérêt privé ».

Une telle méconnaissance entre donc dans la catégorie des nullités qui ne peuvent être prononcées que si le requérant établit, ainsi que l’exige l’article 802 du code de procédure pénale, d’une part, que les données, dont il affirme qu’elles ont été conservées et qu’il y a été accédé en méconnaissance du droit de l’Union, entrent dans la sphère de sa vie privée, d’autre part, que cette méconnaissance lui a occasionné un préjudice, lequel ne peut résulter de sa seule mise en cause par l’acte critiqué209.

Il en résulte que les violations du droit de l’Union, et notamment l’absence de contrôle indépendant préalable, ne peuvent « faire grief au requérant que s’il établit l’existence d’une ingérence injustifiée dans sa vie privée et dans ses données à caractère personnel, de sorte que cet accès aurait dû être prohibé ».

L’arrêt commenté conclut en conséquence que, si le droit de l’Union a été méconnu, cette irrégularité ne doit conduire à l’annulation que dans les cas suivants:

  • l’accès a porté sur des données irrégulièrement conservées;
  • l’accès n’a pas été limité à une procédure visant à lutter contre la criminalité grave;
  • l’accès a excédé les limites du strict nécessaire, notamment lorsque l’ingérence dans la vie privée du requérant n’était ni nécessaire, ni proportionnée.

C’est ainsi que, dans l’espèce dont elle était saisie, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, dès lors qu’il résultait de l’arrêt attaqué que « l’accès aux informations litigieuses a[vait] porté sur des données régulièrement conservées et qu’il a[vait] eu lieu en vue de la poursuite d’infractions relevant de la criminalité grave, dans des conditions limitant cet accès à ce qui était strictement justifié par les nécessités de l’enquête ».

Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – Article 6, § 1 – Délai raisonnable – Dépassement – Effets – Détermination

Crim., 9 novembre 2022, pourvoi no 21-85.655, publié au Bulletin, rapport de Mme Planchon et avis de Mme Bellone

En application des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 802 du code de procédure pénale, la méconnaissance du délai raisonnable et ses éventuelles conséquences sur les droits de la défense sont sans incidence sur la validité des procédures et, sous réserve des lois relatives à la prescription, ne constitue pas une cause d’extinction de l’action publique.

Cette méconnaissance ne constitue pas plus ni la violation d’une règle d’ordre public ou d’une règle de forme prescrite par la loi, ni l’inobservation d’une formalité substantielle au sens de l’article 802 du code de procédure pénale dès lors qu’elle ne compromet pas en elle-même les droits de la défense. Ses éventuelles conséquences sur l’exercice de ces droits doivent en revanche être prises en compte au stade du jugement au fond selon les modalités suivantes.

Tout d’abord, il appartient au juge, en application de l’article 427 du code de procédure pénale, d’apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui lui sont soumis et sont débattus contradictoirement devant lui, le dépérissement des preuves pouvant, le cas échéant, conduire à une décision de relaxe.

Ensuite, en présence de parties civiles, le juge peut faire application du dernier alinéa de l’article 10 du code de procédure pénale, et décider, après avoir ordonné une expertise constatant que l’état mental ou physique du prévenu rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d’exercer sa défense, qu’il sera tenu une audience pour statuer uniquement sur l’action civile, après avoir constaté la suspension de l’action publique et sursis à statuer sur celle-ci.

Enfin, dans le cadre de l’application des critères de l’article 132-1 du code pénal, le juge peut déterminer la nature, le quantum et le régime des peines qu’il prononce en prenant en compte les éventuelles conséquences du dépassement du délai raisonnable et, le cas échéant, prononcer une dispense de peine s’il constate que les conditions de l’article 132-59 du code pénal sont remplies.

Encourt la cassation l’arrêt de la cour d’appel qui, après avoir constaté que le dépassement du délai raisonnable de la procédure a entraîné une atteinte définitive au droit à un procès équitable et aux droits de la défense qui fait obstacle à la poursuite du procès pénal, prononce l’annulation des poursuites ayant conduit au renvoi des prévenus devant le tribunal correctionnel.

Du moment où les investigations sont diligentées pour caractériser une infraction pénale et en identifier les auteurs jusqu’au jugement de ceux-ci, le principe du droit d’être jugé dans un délai raisonnable rythme toutes les phases du procès pénal et nombre de dispositions du code de procédure pénale recommandent au juge d’en assurer le respect.

Si ce principe est consacré tant par le droit européen que notre droit interne, force est de constater que l’un des principaux reproches fait à la justice réside dans sa lenteur. Remédier à cet état de fait a d’ailleurs constitué l’un des axes de réflexion des États généraux de la justice.

Plusieurs juridictions se sont fait l’écho de cette préoccupation de plus en plus prégnante en contredisant la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui jusqu’à maintenant a toujours considéré que la seule sanction du dépassement du délai raisonnable ne peut consister qu’en une mise en cause de la responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice.

C’est un arrêt de la cour d’appel de Versailles rendu dans le cadre du dossier dit « de la chaufferie de La Défense » qui a conduit la Cour de cassation à réexaminer cette question.

Cette affaire, dans laquelle la procédure a duré plus de dix-sept ans et a été suivie par sept juges d’instruction successifs, est représentative des conséquences que peut avoir sur la procédure une durée excessive puisque le principal prévenu est décédé après son renvoi devant la juridiction répressive et avant son jugement, tandis que deux autres souffrent de pathologies graves. La cour d’appel, constatant que ces derniers n’étaient plus en mesure de se défendre, et que certains de leurs coprévenus ne pouvaient plus bénéficier de débats contradictoires, relève que « la procédure qui lui est soumise relative aux faits en relation avec le volet corruption viole la norme d’un délai raisonnable et porte atteinte de façon irrémédiable à l’ensemble des principes de fonctionnement de la justice pénale, notamment le respect des droits de la défense et des règles d’administration de la preuve, qu’elle ne peut participer elle-même à cette violation en laissant se poursuivre le procès dépourvu de tout caractère équitable » et prononce, en conséquence, l’annulation des poursuites.

Si l’arrêt du 9 novembre 2022210 confirme la position de la Cour de cassation interdisant toute sanction autre que pécuniaire au non-respect du droit à être jugé dans un délai raisonnable (1), il est également l’occasion, par le recours à une motivation enrichie, d’expliquer les raisons juridiques de ce choix qui est conforme au droit conventionnel en la matière (2) et de fournir au juge des pistes lui permettant de tenir compte de cette situation au stade du jugement (3).

1. Les textes et la jurisprudence en cause

L’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacre, pour chaque justiciable, le droit de voir sa cause jugée par un tribunal dans un délai raisonnable, une fois le processus judiciaire entamé, et ce afin que ledit justiciable ne demeure pas trop longtemps dans l’incertitude de la solution réservée à l’accusation qui sera prononcée contre lui211.

L’article 47, alinéa 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne énonce que: « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. »

En droit français, plusieurs dispositions du code de procédure pénale tendent à la mise en œuvre effective du principe posé par l’article préliminaire de ce code selon lequel « il doit être définitivement statué sur l’accusation dont [une] personne fait l’objet dans un délai raisonnable ».

Enfin, l’article L. 111-3 du code de l’organisation judiciaire énonce que: « Les décisions de justice sont rendues dans un délai raisonnable. »

La Cour de cassation juge de manière constante que le dépassement du délai raisonnable défini à l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est sans incidence sur la validité de la procédure et que, sous réserve des lois relatives à la prescription, il ne constitue pas une cause d’extinction de l’action publique212.

En revanche, elle reconnaît à la partie concernée la possibilité, « en cas de durée excessive de la procédure, [d’]engager la responsabilité de l’État à raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice » en application de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire213.

Cette solution, qui est critiquée par une partie de la doctrine214, est partagée tant par le Conseil d’État que par le Conseil constitutionnel, lequel n’a pas reconnu ce droit comme exigence constitutionnelle, tout en mettant à la charge du juge l’obligation de statuer dans un délai raisonnable215. En outre, il se déduit de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que la mise en cause des droits de la défense ne peut intervenir que dans le cadre de la procédure elle-même et ne saurait seulement résulter du temps écoulé depuis les faits reprochés216.

Au niveau européen, aucune disposition ne prévoit de sanction au non-respect du principe du droit à être jugé dans un délai raisonnable et la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais constaté que le non-respect de ce droit a emporté pour un requérant une atteinte à ses droits de la défense, comme celui de participer à une audience publique ou encore de se défendre en personne et d’assister aux débats, qui sont ceux dont la violation a été retenue par la cour d’appel de Versailles.

La Cour européenne des droits de l’homme, qui considère que la durée de la procédure est une question de fait, apprécie in concreto le caractère raisonnable ou non du délai de la procédure en fonction des circonstances particulières de la cause tenant au degré de complexité de l’affaire, au comportement du requérant, à la nature de l’affaire et au comportement des autorités nationales.

Par ailleurs, il apparaît important de souligner que, même si l’Allemagne ou la Belgique ont pu l’envisager il y a plusieurs années, aujourd’hui, il n’apparaît pas qu’un pays européen prévoit l’annulation de la procédure aux fins de sanctionner le dépassement du délai raisonnable.

2. Le choix de la Cour de cassation et les raisons de ce choix

La décision de la Cour de cassation sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d’appel de Versailles contre la décision de cette même cour, annulant une procédure après avoir constaté une atteinte aux droits de la défense découlant du non-respect du délai raisonnable, était attendue.

En effet, à la suite du jugement qui a donné lieu à l’arrêt attaqué, plusieurs autres juridictions ont rendu des décisions allant dans le même sens.

La Cour de cassation a maintenu la jurisprudence rappelée ci-dessus, en recourant à une motivation enrichie incluant une analyse du régime procédural national, non seulement pour expliquer les raisons pour lesquelles elle a considéré qu’il n’était pas possible d’approuver l’annulation obtenue par les avocats des prévenus, mais également pour rappeler les dispositions permettant aux parties et aux magistrats de prévenir le dépassement du délai raisonnable.

2.1. Une annulation impossible en droit interne

La méconnaissance d’une règle d’ordre public, la violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou l’inobservation d’une formalité substantielle, au sens des articles 171 et 802 du code de procédure pénale, peuvent seules entraîner le prononcé d’une nullité de procédure.

Or, tout d’abord, le droit au respect à être jugé dans un délai raisonnable protège les seuls intérêts des personnes concernées par la procédure en cours. Ensuite, aucune disposition du code de procédure pénale ne prévoit de sanction du seul fait de l’inobservation d’un délai raisonnable. Enfin, la méconnaissance de ce droit ne compromet pas, en elle-même les droits de la défense.

Par ailleurs, en cas d’information préparatoire, l’article 385 du code de procédure pénale prévoit que les parties sont irrecevables à invoquer devant la juridiction de jugement des exceptions de nullité de la procédure antérieure à l’ordonnance de renvoi dès lors que celle-ci purge les vices de la procédure en application de l’article 179, alinéa 6, du même code217.

En vertu du même texte, les juridictions de jugement, lorsqu’elles constatent une irrégularité de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, n’ont pas qualité pour l’annuler mais peuvent seulement renvoyer l’affaire au ministère public pour saisine du juge d’instruction aux fins de régularisation de cet acte218.

Enfin, la durée excessive d’une procédure ne peut aboutir à son invalidation complète, alors que chacun des actes qui la constituent est intrinsèquement régulier.

2.2. Une nullité qui n’est pas exigée par les principes conventionnels

La Cour européenne des droits de l’homme juge que « les recours dont un justiciable dispose au plan interne pour se plaindre de la durée d’une procédure sont “effectifs”, au sens de l’article 13 de la Convention [de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales], dès lors qu’ils permettent soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés »219.

La Cour de cassation énumère à cet égard l’ensemble des dispositions permettant de prévenir le dépassement du délai raisonnable et de le sanctionner.

Le président de la chambre de l’instruction, aux termes de l’article 220 du code de procédure pénale, « s’assure du bon fonctionnement des cabinets d’instruction du ressort de la cour d’appel […] et s’emploie à ce que les procédures ne subissent aucun retard injustifié ». Ce magistrat, comme les parties, reçoivent des articles 221-1 à 221-3 du même code la faculté de saisir la chambre de l’instruction, qui, après évocation, peut poursuivre elle-même l’information, ou la clôturer ou la confier à un autre juge d’instruction.

L’article 175-1 du même code permet, par ailleurs, à une partie de demander au juge d’instruction la clôture de l’information.

Enfin, l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire prévoit la possibilité, pour la partie concernée, d’engager la responsabilité de l’État à raison du « fonctionnement défectueux du service public de la justice », en particulier en cas de dépassement du délai raisonnable220.

C’est en considération de ces éléments que la Cour de cassation confirme le maintien de sa jurisprudence dans les termes rappelés ci-dessus.

3. Les préconisations de la Cour de cassation au juge pour prendre en compte les conséquences du caractère excessif de la durée de la procédure

Pour autant, par l’arrêt commenté, la Cour de cassation rappelle comment le juge peut tenir compte des conséquences sur la procédure du caractère excessif de la durée de celle-ci.

Ainsi, il appartient à la juridiction de jugement, en application de l’article 427 du code de procédure pénale, d’apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui lui sont soumis et qui sont débattus contradictoirement devant elle et en conséquence de tenir compte de l’éventuel dépérissement des preuves imputable au temps écoulé depuis la date des faits, et de l’impossibilité qui pourrait en résulter, pour les parties, d’en discuter la valeur et la portée, ce qui peut conduire, le cas échéant, à une décision de relaxe.

Ensuite, l’article 10, alinéa 4, du code de procédure pénale dispose qu’en présence de parties civiles, le juge pénal peut, d’office ou à la demande des parties, lorsqu’il constate que l’état mental ou physique du prévenu rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d’exercer sa défense, décider, après avoir ordonné une expertise permettant de constater cette impossibilité, qu’il sera tenu une audience pour statuer uniquement sur l’action civile, après avoir constaté la suspension de l’action publique et sursis à statuer sur celle-ci.

Enfin, dans son office de motivation des peines, qui résulte de la jurisprudence221 et, en dernier lieu de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le juge peut, pour l’application des critères de l’article 132-1 du code pénal, déterminer la nature, le quantum et le régime des peines qu’il prononce en prenant en compte les éventuelles conséquences du dépassement du délai raisonnable et, le cas échéant, prononcer une dispense de peine s’il constate que les conditions de l’article 132-59 du même code sont remplies.

Sur ce point, il peut être souligné que plusieurs pays européens disposent d’une législation leur permettant, en cas de constat du dépassement du délai raisonnable, de prononcer une peine inférieure au minimum légal comme en Belgique, ou encore de réduire la peine à exécuter, comme en Allemagne.

Par ailleurs, si, en République tchèque, la durée d’une procédure pénale peut avoir une influence sur le type et l’étendue de la sanction prononcée et peut entraîner une atténuation de celle-ci, en Finlande, la loi permet au juge de ne pas prononcer de peine si celle-ci est considérée comme particulièrement disproportionnée ou inappropriée, compte tenu du temps considérable qui s’est écoulé depuis la commission de l’infraction.

Ces exemples de droit comparé pourraient constituer une source d’inspiration pour le législateur afin que, tant que subsisteront des dépassements du délai raisonnable, les acteurs judiciaires soient tenus d’en tenir compte dans des termes et des conditions qu’il appartiendra à ce dernier de définir.

 


199.Crim., 12 juillet 2022, pourvoi no 21-83.710, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

200.Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 20-86.652 ; pourvoi n° 21-83.805 ; pourvoi n° 21-83.820 et pourvoi n° 21-84.096, tous publiés au Bulletin.

201.CJUE, gde ch., arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C-511/18, C-512/18 et C-520/18 ; CJUE, gde ch., arrêt du 2 mars 2021, Prokuratuur, C-746/18 ; CJUE, gde ch., arrêt du 5 avril 2022, Commissioner of An Garda Síochána, C-140/20.

202.CJUE, gde ch., arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., précité, § 137.

203.Même arrêt, § 135.

204. CJUE, gde ch., arrêt du 5 avril 2022, Commissioner of An Garda Síochána, précité, § 88.

205.CJUE, gde ch., arrêt du 2 mars 2021, Prokuratuur, précité.

206.Même arrêt.

207.CJUE, gde ch., arrêt du 5 avril 2022, Commissioner of An Garda Síochána, précité.

208.CJUE, gde ch., arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., précité, § 223.

209.Crim., 7 septembre 2021, pourvoi no 21-80.642, publié au Bulletin.

210.Crim., 9 novembre 2022, pourvoi no 21-85.655, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

211.CEDH, gde ch., arrêt du 3 décembre 2009, Kart c. Turquie, no 8917/05, § 68.

212. Crim., 3 février 1993, pourvoi no 92-83.443, Bull. crim. 1993, no 57 ; Ass. plén., 4 juin 2021, pourvoi no 21-81.656, publié au Bulletin et au Rapport annuel.

213.Crim., 3 décembre 2013, QPC no 13-90.027.

214.Dossier : « Délai raisonnable et nullité de la procédure », AJ Pénal 2022, p. 343.

215.Cons. const., 18 novembre 2016, décision no 2016-596 QPC, Mme Sihame B. [Absence de délai pour statuer sur l’appel interjeté contre une ordonnance de refus de restitution d’un bien saisi].

216.Cons. const., 11 octobre 2018, décision no 2018-738 QPC, M. Pascal D. [Absence de prescription des poursuites disciplinaires contre les avocats].

217.Crim., 26 mai 2010, pourvoi no 10-81.839, Bull. crim. 2010, no 95.

218. Crim., 13 juin 2019, pourvoi no 19-82.326, Bull. crim. 2019, no 112.

219.CEDH, arrêt du 24 janvier 2017, Hiernaux c. Belgique, no 28022/15, § 45.

220.1re Civ., 4 novembre 2010, pourvoi no 09-69.955, Bull. 2010, I, no 219.

221. Crim., 1er février 2017, pourvoi no 15-85.199, Bull. crim. 2017, no 28, publié au Rapport annuel ; Crim., 1er février 2017, pourvoi no 15-84.511, Bull. crim. 2017, no 30, publié au Rapport annuel ; Crim., 20 juin 2017, pourvoi no 16-80.982, Bull. crim. 2017, no 169 ; Crim., 28 juin 2017, pourvoi no 16-87.469, Bull. crim. 2017, no 188 ; Crim., 27 juin 2018, pourvoi no 16-87.009, Bull. crim. 2018, no 128.

H. Application du droit de l’Union européenne, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du droit international

1. Droit de l’Union européenne

Union européenne – Principes de primauté et d’effectivité du droit de l’Union européenne – Effet – Inapplication des dispositions nationales contraires

Crim., 12 juillet 2022, pourvoi no 21-83.710, publié au Bulletin, rapport de Mme Ménotti et avis de M. Desportes

Le principe de primauté du droit de l’Union européenne impose d’assurer le plein effet de ses dispositions en laissant, au besoin, inappliquée toute réglementation contraire de la législation nationale.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Méconnaissance – Conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion aux fins de lutte contre la criminalité

Même arrêt

Doivent être écartés, comme contraires au droit de l’Union européenne, lequel s’oppose à une conservation généralisée et indifférenciée, à titre préventif, des données de trafic et de localisation aux fins de lutte contre la criminalité, quel que soit son degré de gravité, l’article L. 34-1, III, du code des postes et communications électroniques, dans sa version issue de la loi no 2013-1168 du 18 décembre 2013, ainsi que l’article R. 10-13 dudit code, en ce qu’ils imposaient aux opérateurs de services de communications électroniques, aux fins de lutte contre la criminalité, la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, à l’exception des données relatives à l’identité civile, aux informations relatives aux comptes et aux paiements, ainsi qu’en matière de criminalité grave, à celles relatives aux adresses IP attribuées à la source d’une connexion.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Conformité – Conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale

Même arrêt

En revanche et dès lors que le droit de l’Union européenne admet la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale, est conforme au droit de l’Union l’obligation faite aux opérateurs de télécommunications électroniques de conserver ces données de manière généralisée et indifférenciée en raison de la menace grave, réelle et actuelle ou prévisible à laquelle la France se trouve exposée depuis décembre 1994, du fait du terrorisme et de l’activité de groupes radicaux et extrémistes.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Injonction tendant à la conservation rapide des données – Conditions – Détermination

Même arrêt

Par ailleurs, le droit de l’Union européenne, qui autorise la délivrance d’une injonction tendant à la conservation rapide des données relatives au trafic et des données de localisation stockées par les opérateurs, soit pour leurs besoins propres, soit au titre d’une obligation de conservation imposée aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale, permet d’accéder auxdites données pour l’élucidation d’une infraction déterminée.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Injonction tendant à la conservation rapide des données – Définition

Même arrêt

À cet égard, les articles 60-1 et 60-2 applicables en enquête de flagrance, 77-1-1 et 77-1-2 relatifs aux enquêtes préliminaires, 99-3 et 99-4 concernant l’ouverture d’une information du code de procédure pénale, doivent être analysés comme valant injonction de conservation rapide.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Injonction tendant à la conservation rapide des données – Conditions – Vérifications – Office du juge

Même arrêt

Il appartient donc à la juridiction, saisie d’une contestation sur le recueil des données de connexion, de vérifier que, d’une part, la conservation rapide respecte les limites du strict nécessaire, d’autre part, les faits relèvent de la criminalité grave, au regard de la nature des agissements en cause, de l’importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Injonction tendant à la conservation rapide des données – Conditions – Contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante – Exclusion – Ministère public

Même arrêt

S’agissant de l’autorisation d’accéder aux données de connexion qui, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), ne peut relever de la compétence du ministère public, ne sont pas conformes au droit de l’Union les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, en ce qu’ils ne prévoient pas, préalablement à l’accès aux données, un contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante. En revanche, le juge d’instruction, qui n’exerce pas l’action publique mais statue de façon impartiale sur le sort de celle-ci, est habilité à contrôler l’accès aux données de connexion.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Méconnaissance – Contestation possible des éléments de preuve résultant de l’exploitation de ces données – Principe d’effectivité du droit de l’Union européenne – Compatibilité

Même arrêt

En cas d’irrégularité affectant la conservation ou l’accès aux données de connexion, le principe d’effectivité posé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est respecté, la législation française, et notamment les articles 156 et suivants du code de procédure pénale, offrant à toute personne mise en examen ou poursuivie la possibilité de contester efficacement la pertinence des éléments de preuve résultant de l’exploitation des données de connexion.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Objet – Protection de la vie privée, du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit à la liberté d’expression – Méconnaissance – Portée

Même arrêt

Par ailleurs, dès lors que les modalités de conservation et d’accès aux données de connexion ont pour objet la protection du droit au respect de la vie privée, du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit à la liberté d’expression, leur méconnaissance n’affecte qu’un intérêt privé, de sorte que le requérant à la nullité n’est recevable que s’il prétend être titulaire ou utilisateur de l’une des lignes identifiées ou s’il établit qu’il a été porté atteinte à sa vie privée.

Union européenne – Données de connexion – Règles de conservation et d’accès aux données – Injonction tendant à la conservation rapide des données – Conditions – Contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante – Défaut – Existence d’un grief – Conditions – Détermination

Même arrêt

L’existence d’un grief pris de l’absence de contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante n’est établie que lorsque l’accès a porté sur des données irrégulièrement conservées, pour une finalité moins grave que celle ayant justifié la conservation hors hypothèse de la conservation rapide, n’a pas été circonscrit à une procédure visant à la lutte contre la criminalité grave ou a excédé les limites du strict nécessaire.

Voir le commentaire sous la partie Procédure pénale, p. 199.

Contrat de travail, exécution – Employeur – Pouvoir de direction – Étendue – Différence de traitement en raison du sexe – Conditions – Exigence professionnelle véritable et déterminante – Caractérisation – Défaut – Cas – Différence de traitement relative à la coiffure entre hommes et femmes – Portée

Soc., 23 novembre 2022, pourvoi no 21-14.060, publié au Bulletin, rapport de M. Barincou et de Mme Sommé et avis de Mme Laulom

En application des articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction antérieure à la loi no 2012-954 du 6 août 2012, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en œuvre en droit interne les articles 2, § 1, et 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, gde ch., arrêt du 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, C-188/15) que, par analogie avec la notion d’« exigence professionnelle essentielle et déterminante » prévue à l’article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, la notion d’« exigence professionnelle véritable et déterminante », au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Il résulte en effet de la version en langue anglaise des deux directives précitées que les dispositions en cause sont rédigées de façon identique: « such a characteristic constitutes a genuine and determining occupational requirement ».

Doit en conséquence être censuré l’arrêt qui, pour débouter un salarié engagé en qualité de steward de ses demandes fondées notamment sur la discrimination, après avoir constaté que l’employeur lui avait interdit de se présenter à l’embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon et que, pour pouvoir exercer ses fonctions, l’intéressé avait dû porter une perruque masquant sa coiffure au motif que celle-ci n’était pas conforme au référentiel relatif au personnel navigant commercial masculin, ce dont il résultait que l’interdiction faite à l’intéressé de porter une coiffure, pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe, d’une part se prononce par des motifs, relatifs au port de l’uniforme, inopérants pour justifier que les restrictions imposées au personnel masculin relatives à la coiffure étaient nécessaires pour permettre l’identification du personnel de la compagnie aérienne et préserver l’image de celle-ci, d’autre part se fonde sur la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin, laquelle ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes, au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006.

Voir le commentaire sous la partie Discrimination, p. 130.

2. Droit de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Astreinte (loi du 9 juillet 1991) – Liquidation – Montant – Fixation – Critères – Proportionnalité

2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 19-22.435, publié au Bulletin, rapport de M. Pradel et avis de M. Grignon Dumoulin

Se trouve légalement justifié l’arrêt d’une cour d’appel qui, pour liquider l’astreinte à un certain montant, a pris en compte tant le comportement des débiteurs de l’obligation que les difficultés auxquelles ils s’étaient heurtés pour l’exécuter et s’est assurée, sans avoir à se référer aux facultés financières des débiteurs, que le montant de l’astreinte était raisonnablement proportionné à l’enjeu du litige.

Astreinte (loi du 9 juillet 1991) – Liquidation – Montant – Fixation – Critères – Proportionnalité

2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 19-23.721, publié au Bulletin, rapport de M. Pradel et avis de M. Grignon Dumoulin

Selon l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, l’astreinte provisoire est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère. Selon l’article 1er du Protocole no 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.

L’astreinte, en ce qu’elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l’obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci, de sorte qu’elle entre dans le champ d’application de la protection des biens garantie par ce protocole.

Dès lors, si l’astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du Protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l’objectif d’une bonne administration de la justice, à assurer l’exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l’astreinte, en cas d’inexécution totale ou partielle de l’obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l’exécuter et de sa volonté de se conformer à l’injonction, il n’en appartient pas moins au juge saisi d’apprécier encore le caractère proportionné de l’atteinte qu’elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu’elle poursuit.

Encourt la cassation, l’arrêt qui, pour liquider l’astreinte à un montant de 516 000 euros, retient que l’assureur ne démontre pas en quoi il a rencontré la moindre difficulté pour exécuter l’obligation qui lui avait été faite sous astreinte sans répondre aux conclusions de l’assureur qui invoquait une disproportion manifeste entre la liquidation sollicitée et le bénéfice attendu d’une communication des éléments sollicités.

Astreinte (loi du 9 juillet 1991) – Liquidation – Montant – Fixation – Critères – Proportionnalité

2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi no 20-15.261, publié au Bulletin, rapport de M. Martin et avis de M. Grignon Dumoulin

Selon l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, l’astreinte provisoire est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère.

Selon l’article 1er du Protocole no 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.

L’astreinte, en ce qu’elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l’obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci, de sorte qu’elle entre dans le champ d’application de la protection des biens garantie par ce protocole.

Dès lors, si l’astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du Protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l’objectif d’une bonne administration de la justice, à assurer l’exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l’astreinte, en cas d’inexécution totale ou partielle de l’obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l’exécuter et de sa volonté de se conformer à l’injonction, il n’en appartient pas moins au juge saisi d’apprécier encore le caractère proportionné de l’atteinte qu’elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu’elle poursuit.

Encourt la cassation l’arrêt qui, pour liquider l’astreinte provisoire à une certaine somme, retient que la disproportion flagrante entre la somme réclamée au titre de l’astreinte et l’enjeu du litige ne peut être admise comme cause de minoration, sans examiner de façon concrète s’il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquidait l’astreinte et l’enjeu du litige.

Voir le commentaire sous la partie Procédures civiles d’exécution, p. 193.

Sécurité sociale, allocation vieillesse pour personnes non salariées – Professions libérales – Cotisations – Paiement – Paiement tardif – Validation – Défaut – Portée

2e Civ., 2 juin 2022, pourvoi no 21-16.072, publié au Bulletin, rapport de Mme Dudit et avis de M. Halem

L’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu’une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

L’article R. 643-10 du code de la sécurité sociale prévoit, s’agissant des professions libérales, que lorsque les cotisations arriérées n’ont pas été acquittées dans le délai de cinq ans suivant la date de leur exigibilité, les périodes correspondantes ne sont pas prises en considération pour le calcul de la pension de retraite de base.

Les points acquis en contrepartie du paiement des cotisations devant être regardés comme l’étant au fur et à mesure de leur versement, le défaut de prise en compte des cotisations payées au-delà du délai de cinq ans suivant leur date d’exigibilité, mais avant la liquidation du droit à pension, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu’il poursuit et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence.

Voir le commentaire sous la partie Sécurité sociale, p. 178.

Prud’hommes – Procédure – Représentation des parties – Personnes habilitées – Mandataire – Défenseur syndical – Effets – Appel – Accomplissement des actes de la procédure d’appel

2e Civ., 8 décembre 2022, pourvoi no 21-16.186, publié au Bulletin, rapport de Mme Kermina et avis de Mme Trassoudaine-Verger

Le défenseur syndical, que choisit l’appelant pour le représenter, bénéficie d’un statut résultant de dispositions légales et réglementaires qui sont destinées à offrir au justiciable représenté par celui-ci des garanties équivalentes à celles du justiciable représenté par un avocat quant au respect des droits de la défense et de l’équilibre des droits des parties.

Il en résulte que, s’il n’est pas un professionnel du droit, il n’en est pas moins à même d’accomplir les formalités requises par la procédure d’appel avec représentation obligatoire sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif, de nature à porter atteinte au droit d’accès au juge garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Voir le commentaire sous la partie Appel civil, p. 182.

3. Droit international

Conventions internationales – Accords et conventions divers – Convention internationale du travail no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) – Article 10 – Applicabilité directe – Portée

Soc., 11 mai 2022, pourvoi no 21-14.490, publié au Bulletin, rapport de M. Barincou et Mme Prache et avis de Mme Berriat

Les stipulations de l’article 10 de la Convention no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l’encontre d’autres particuliers et qui, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale de la Convention, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire, sont d’effet direct en droit interne.

Contrat de travail, rupture – Licenciement – Indemnités – Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse – Compatibilité avec les stipulations de l’article 10 de la Convention internationale du travail no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) – Effets – Montant – Détermination – Office du juge – Portée

Même arrêt

Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance no 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur, sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.

Doit en conséquence être cassé l’arrêt qui, pour condamner l’employeur au paiement d’une somme supérieure au montant maximal prévu par l’article L. 1235-3 précité, retient que ce montant ne permet pas, compte tenu de la situation concrète et particulière du salarié, une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi compatible avec les exigences de l’article 10 de la Convention no 158 de l’Organisation internationale du travail, alors qu’il lui appartenait seulement d’apprécier la situation concrète de la salariée pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L. 1235-3 du code du travail.

Conventions internationales – Accords et conventions divers – Traité international – Dispositions – Applicabilité directe – Conditions – Détermination – Portée

Soc., 11 mai 2022, pourvoi no 21-15.247, publié au Bulletin, rapport de M. Barincou et Mme Prache et avis de Mme Berriat

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, les stipulations d’un traité international, régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution, sont d’effet direct dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elles n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers.

Conventions internationales – Accords et conventions divers – Charte sociale européenne révisée – Article 24 – Applicabilité directe – Défaut – Portée

Même arrêt

Les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les États contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en œuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L’invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance no 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Voir le commentaire sous la partie Licenciement, p. 150.

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