Rapport annuel 2022 (II/ PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE PÉNALE POUR LA CHAMBRE CRIMINELLE)

Rapport annuel

Ouvrage de référence dans les milieux judiciaire et universitaire, le Rapport de la Cour de cassation est aussi un précieux instrument de travail pour les praticiens du droit. Le Rapport 2022 comporte des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, ainsi que l’analyse des principaux arrêts et avis ayant été rendus, tout au long de l’année, dans les différentes branches du droit privé. Le Rapport présente également, de manière détaillée, l’activité juridictionnelle et extra-juridictionnelle de la Cour de cassation, ainsi que celle des juridictions et commissions instituées auprès d’elle.

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Rapport annuel 2022 (II/ PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE PÉNALE POUR LA CHAMBRE CRIMINELLE)

II/ PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE PÉNALE POUR LA CHAMBRE CRIMINELLE

A. Suivi des suggestions de réforme

Procédure pénale

Comparution du condamné

La chambre criminelle propose de revoir les dispositions de l’article 712-13 du code de procédure pénale qui excluent formellement la comparution du condamné devant la chambre de l’application des peines.

L’article 712-13 du code de procédure pénale exclut formellement la comparution du condamné en ces termes :

« L’appel des jugements mentionnés aux articles 712-6 et 712-7 est porté devant la chambre de l’application des peines de la cour d’appel, qui statue par arrêt motivé après un débat contradictoire au cours duquel sont entendues les réquisitions du ministère public et les observations de l’avocat du condamné. Le condamné n’est pas entendu par la chambre, sauf si celle-ci en décide autrement. Son audition est alors effectuée, en présence de son avocat ou celui-ci régulièrement convoqué, soit selon les modalités prévues par l’article 706-71, soit, par un membre de la juridiction, dans l’établissement pénitentiaire où il se trouve détenu. »

Les dispositions de cet article, issues de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 et jamais modifiées depuis lors, ont été instaurées alors que le processus de juridictionnalisation du droit de l’application des peines venait de débuter et font l’objet aujourd’hui de vives critiques, de la part tant de la doctrine que des professionnels90, en tant qu’elles excluent par principe la comparution du condamné.

Elles paraissent d’autant plus dépassées aujourd’hui que la comparution des condamnés qui en feraient la demande peut aisément être organisée par visioconférence.

La jurisprudence de la Cour a déjà atténué la portée de cette exclusion, au visa de l’article préliminaire du code de procédure pénale et de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en imposant la comparution si le condamné en fait la demande en cas de révocation de libération conditionnelle91 ou, dans une affaire où le ministère public avait fait un recours suspensif contre une décision du juge de l’application des peines accordant une libération conditionnelle, et où l’avocat n’était pas présent, en jugeant qu’il appartenait à la chambre de l’application des peines, « pour fonder sa décision sur des éléments de fait et des pièces qui n’avaient pas été contradictoirement discutés devant le premier juge, de recueillir les observations du condamné non représenté, en procédant à son audition, au besoin après réouverture des débats »92.

De plus, la commission présidée par M. le président Bruno Cotte93 avait préconisé une évolution de ces dispositions en ces termes :

« La comparution devant la chambre de l’application des peines.

Cette comparution n’est étonnamment prévue par aucun texte, que le condamné soit appelant ou qu’il ne le soit pas. À moins que la chambre de l’application des peines estime utile d’ordonner son audition, l’intéressé est seulement avisé de la date d’audience. Il peut toutefois formuler des observations écrites et/ou se faire représenter par un avocat. L’audition par la chambre n’est obligatoire que si la personne n’a pas comparu en première instance et si le débat porte sur un retrait de mesure.

Or les personnes condamnées se trouvent souvent dans des situations précaires qui sont susceptibles d’évoluer rapidement. Leur absence lors de la phase d’appel ne permet donc pas aux juges de prendre suffisamment en compte la réalité de leur situation au moment où il est statué.

Au surplus, l’absence de tout échange verbal, direct et personnel, ne permet pas non plus à la chambre de se faire une idée précise de la personne concernée ainsi que du contexte dans lequel elle évolue et s’inscrivent ses éventuels manquements, de la viabilité de son projet.

La commission n’a pas estimé pouvoir retenir le principe d’une comparution systématique de l’intéressé devant la chambre de l’application des peines. En revanche, elle propose d’instituer un droit à la comparution lorsque le condamné en fait la demande dans sa déclaration d’appel ou lorsque, non appelant, il en fait la demande après réception de l’avis d’appel. Afin toutefois d’éviter la comparution réitérée d’une personne dont la présence ne s’avérerait d’aucune utilité pour les débats, il est proposé, à l’instar du pouvoir reconnu au président de la chambre de l’instruction, de donner au président de la chambre de l’application des peines la possibilité de refuser une demande de comparution par ordonnance motivée. La chambre disposerait enfin, en tout état de cause, de la possibilité de procéder, en audience, à l’audition de l’intéressé par un système de visio-conférence. Cette procédure remplacerait le dispositif actuellement en usage qui ne prévoit le recours à une telle modalité qu’avant l’audience, l’audition étant effectuée par l’un seulement des magistrats de la chambre. »

Il pourrait ainsi être ajouté à l’article 712-13 selon lequel « le condamné n’est pas entendu par la chambre, sauf si celle-ci en décide autrement », que le condamné est aussi entendu s’il en fait la demande. Par ailleurs, si un tel droit était reconnu aux condamnés, il conviendrait en tout état de cause de permettre au président de la chambre de l’application des peines de refuser par décision motivée la comparution du condamné.

Cette suggestion proposée aux Rapports annuels 2020 et 2021 n’ayant pas été suivie d’effet, il convient de la maintenir.

La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) estime que, si un tel droit était reconnu aux condamnés, il conviendrait en tout état de cause de permettre au président de la chambre de l’application des peines de refuser par décision motivée la comparution du condamné, comme l’envisage le rapport Cotte et comme envisagé par la proposition, et non pas simplement de compléter les textes actuels pour préciser que le condamné aussi est entendu s’il en fait la demande.

Cette modification doit être discutée à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

Création d’un répertoire unique et centralisé des personnes majeures protégées

Par l’arrêt Vaudelle, du 30 janvier 2001, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour avoir fourni une protection insuffisante à un prévenu en curatelle. Elle affirmait que des garanties de procédure devaient être imposées « pour protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte »94.

La loi no 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs a pris en compte cette exigence. Désormais, chaque fois qu’il est établi qu’un majeur bénéficie d’une protection, le curateur ou le tuteur doit être informé, par le procureur de la République ou le juge d’instruction, des poursuites engagées à son encontre ainsi que de l’ensemble des décisions à intervenir95. Le tuteur ou le curateur doit également être avisé de la date d’audience. Il peut faire désigner un avocat à la personne protégée, qui doit être assistée d’un conseil, et prendre connaissance de la procédure dans les mêmes conditions que celui-ci. De plus, une expertise médicale aux fins d’évaluer le degré de responsabilité de la personne protégée est impérative conformément aux dispositions de l’article 706-115 du code de procédure pénale et sous réserve cependant des dispositions des articles D. 47-22 et D. 47-23 du code de procédure pénale, qui la rendent facultative.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi censuré les procédures dans lesquelles une personne protégée avait été condamnée alors que le tuteur ou le curateur n’avait pas été avisé des poursuites, lorsque la mesure de protection était connue en procédure96, mais également, dans une volonté protectrice de la personne, alors même que la mesure de protection n’était pas connue de la juridiction97.

La chambre criminelle de la Cour de cassation s’assure, par ailleurs, que, dans la phase antérieure au jugement, les autorités de poursuite ont pris les mesures nécessaires en cas de doute pour vérifier l’existence de la mesure de protection. Ainsi a-t-elle pu censurer des procédures dans lesquelles le tuteur ou le curateur d’une personne protégée n’avait pas été avisé alors même que n’avait pas été caractérisée « une circonstance insurmontable faisant obstacle à cette vérification »98 ou, au contraire, valider une procédure dans laquelle cette vérification s’était effectivement avérée impossible99.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par la chambre criminelle de la Cour de cassation concernant l’article 706-113 du code de procédure pénale, a déclaré le premier alinéa de cet article inconstitutionnel – avec effet différé au 1er octobre 2019 – au motif qu’en « ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d’une personne font apparaître qu’elle fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que l’officier de police judiciaire ou l’autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule la garde à vue soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assistée dans l’exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense »100.

Le champ des situations dans lesquelles le tuteur ou le curateur d’une personne majeure protégée devra être tenu informé s’en trouve ainsi étendu.

Ainsi, les décisions de la Cour de cassation ci-dessus évoquées ont mis en exergue la difficulté, dans la pratique, de mettre effectivement en œuvre les exigences posées par les articles 706-113 et D. 47-14 du code de procédure pénale et pourtant indispensables pour assurer la défense de la personne majeure protégée qui n’est pas toujours en état de le faire en raison précisément de l’altération de ses facultés personnelles.

En effet, la connaissance d’une mesure de protection n’est pas aisée dans la mesure où il n’existe pas de répertoire dématérialisé centralisé de ces mesures.

Certes le procureur de la République du domicile de la personne protégée est avisé de la mesure par la consultation du répertoire civil du lieu de naissance, mais il est illusoire de penser qu’à l’occasion de chaque enquête, il pourrait être sollicité un extrait intégral d’acte de naissance.

Il est, par ailleurs, intéressant de noter que, dans un arrêt du 11 décembre 2018101, la chambre criminelle de la Cour de cassation semble avoir souligné l’intérêt que pourrait avoir l’existence d’un tel fichier. En effet, au soutien de sa décision de rejet, elle a notamment indiqué dans sa motivation que « […] d’autre part, à l’heure de cette décision, prise suite aux informations qui lui ont été transmises par le service enquêteur, le vendredi à 18 h 50, le procureur de la République, non plus que le juge d’instruction, faute de fichier national des mesures de protection juridique consultable par l’autorité judiciaire dans les mêmes conditions que le fichier central du casier judiciaire, ne pouvaient ni vérifier l’existence d’une mesure de protection ni prendre connaissance de l’identité du curateur, le juge des tutelles détenant seul cette information ».

Au vu de l’ensemble de ces éléments, et à l’instar de ce qui a été suggéré dans le Rapport de mission interministérielle sur l’évolution de la protection juridique des personnes (proposition no 40), il est proposé la création d’un répertoire unique des personnes majeures protégées, national, dématérialisé et centralisé, dont l’intérêt serait évident dans les procédures pénales, à la fois pour les autorités judiciaires, pour les personnes protégées suspectées, mais aussi, plus largement, pour les victimes qui ont également besoin d’être accompagnées.

Malgré l’avis favorable émis par la direction des affaires criminelles et des grâces au Rapport annuel depuis 2018, ce répertoire unique n’a pas été créé. Il convient de maintenir la présente suggestion.

La DACG souligne qu’à la suite de la QPC sur la garde à vue des personnes majeures protégées, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (LPJ) a inséré dans le code de procédure pénale, à compter du 1er juin 2019, un article prévoyant l’information du tuteur ou du curateur lors de la garde à vue102. Anticipant une éventuelle prochaine QPC, la LPJ prévoit une même information en cas d’audition libre103.

Par ailleurs, à la suite de la décision n° 2020-873 QPC du 15 janvier 2021104, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a créé l’article 706-112-3 du code de procédure pénale qui prévoit désormais l’obligation d’aviser le curateur ou le tuteur pour procéder au recueil du consentement en vue d’une perquisition au cours d’une enquête préliminaire et, à défaut, la nécessité d’une autorisation du juge des libertés et de la détention pour procéder à la perquisition.

Un répertoire des personnes protégées pourrait faciliter la mise en œuvre de ces dispositions. Toutefois, la question politique de la création d’un tel fichier à très forte sensibilité demeure importante selon la DACG.

La création d’un tel répertoire ne dépend toutefois pas de la DACG mais de celle de la DACS d’une part, du secrétariat général d’autre part.

La DACS a fait savoir à la Cour qu’elle était favorable à la création d’un tel registre. Elle souligne que cette création permettrait :

  • d’une part de mettre en œuvre les exigences du code de procédure pénale sur l’information du tuteur et du curateur, puisqu’il sera possible de vérifier facilement si la personne concernée bénéfice d’une mesure de protection ;
  • d’autre part de renforcer l’application du principe de subsidiarité par le juge des tutelles, puisque celui-ci pourra vérifier si un mandat de protection future a été conclu ou mis en œuvre, le juge ne disposant aujourd’hui d’aucun moyen de procéder à cette vérification ;
  • enfin, de limiter les risques de litispendance, puisque le juge ou le parquet saisi d’une demande de protection pourra vérifier si une mesure n’est pas déjà en cours dans un autre tribunal, ce que ne permet pas le logiciel TUTI actuellement.

Elle indique que ce projet de création fait l’objet de réflexions nourries depuis plusieurs années au sein du ministère de la justice, sans toutefois parvenir à un arbitrage définitif.

Elle précise que dans la perspective de l’examen en première lecture de la proposition de loi n° 643 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France, le garde des sceaux s’est déclaré favorable à la création d’un registre général des mesures de protection et qu’un amendement en ce sens a été adopté lors de l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale en avril 2023.

Délai pour statuer sur une demande de mise en liberté

Il est proposé d’aligner l’article 148-2 du code de procédure pénale sur l’article 194 du même code, en prévoyant la possibilité pour la juridiction de proroger le délai imparti pour statuer sur la demande de mise en liberté lorsque des vérifications concernant la demande ont été ordonnées ou si des circonstances imprévisibles et insurmontables mettent obstacle au jugement de l’affaire dans le délai prévu, à l’instar de ce qui est prévu devant la chambre de l’instruction.

L’article 194, relatif à l’appel des ordonnances rendues en matière de détention, et l’article 148 du code de procédure pénale, qui concerne les demandes de mise en liberté autres que celles présentées par une personne renvoyée devant une juridiction de jugement, prévoient des délais dans lesquels il doit être statué, faute de quoi la personne est mise d’office en liberté. Ces deux textes précisent que ce délai peut être dépassé « si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ». L’article 194 y ajoute l’hypothèse des « circonstances imprévisibles et insurmontables [qui] mettent obstacle au jugement de l’affaire dans le délai prévu » par ce texte.

L’article 148-2 du code de procédure pénale, relatif aux demandes de mise en liberté présentées par une personne renvoyée devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises ne vise, pour sa part, ni les circonstances imprévisibles et insurmontables, ni l’hypothèse où des vérifications ont été ordonnées.

La jurisprudence de la Cour de cassation a partiellement atténué la portée d’une telle distinction, en jugeant que « lorsqu’une juridiction est appelée à statuer sur une demande de mise en liberté, elle doit se prononcer à compter de la réception de celle-ci, dans le délai que fixe le deuxième alinéa de l’article 148-2 […], faute de quoi le demandeur est remis d’office en liberté, sauf si des circonstances imprévisibles et insurmontables, extérieures au service de la justice, mettent obstacle au jugement de l’affaire dans le délai prévu »105.

Si la chambre criminelle a également admis, au visa des articles 3 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 148-2 du code de procédure pénale, que le délai prévu par ce dernier texte puisse être prolongé dans le cas très particulier où la juridiction saisie entend faire procéder aux vérifications sur les conditions de détention dès lors que leur caractère indigne, susceptible de caractériser un traitement inhumain ou dégradant, est allégué, ce n’est que pour satisfaire à l’effectivité du droit au recours accordé à toute personne détenue par sa jurisprudence et avant que le législateur n’ait mis en place un tel recours106.

En revanche, la chambre criminelle rappelle régulièrement que l’article 148-2 du code de procédure pénale, qui concerne les demandes de mise en liberté adressées à la juridiction appelée à statuer en application de l’article 148-1 dudit code, ne prévoit aucune faculté de prolonger les délais qu’il fixe et dans lesquels la juridiction saisie doit se prononcer sur la demande107.

Aussi, dans le prolongement de l’arrêt de la chambre criminelle du 13 avril 2021 précité, une modification de l’article 148-2 du code de procédure pénale serait souhaitable pour mettre fin à une distinction, source de confusions, qu’aucun élément objectif ne semble pouvoir justifier.

La DACG est favorable à cette réforme qui consiste à prévoir que le délai prévu à l’article 148-2 du code de procédure pénale puisse être prolongé lorsque des vérifications concernant la demande ont été ordonnées ou si des circonstances imprévisibles et insurmontables mettent obstacle au jugement de l’affaire dans le délai prévu, à l’instar de ce qui est prévu à l’article 194 dudit code devant la chambre de l’instruction.

Extension de l’appel en matière de contravention de police

Il a été suggéré, depuis 2009, de réformer les dispositions de l’article 546 du code de procédure pénale, en étendant le droit d’appel à toute la matière contraventionnelle.

Outre qu’il est paradoxal que les justiciables puissent saisir directement la Cour de cassation de pourvois contre les décisions les moins importantes prises par les juridictions pénales, ces pourvois débouchent parfois sur des cassations, résultant d’erreurs procédurales commises par certains tribunaux de police en matière de procédure pénale. Et force est de constater que ces erreurs pourraient sans difficulté aboutir à des arrêts de réformation rendus par un juge unique d’appel, sans qu’il soit besoin de mobiliser la chambre criminelle à travers la procédure complexe de cassation applicable à l’ensemble des pourvois.

En ce domaine, pour répondre à la crainte parfois exprimée d’un trop grand nombre d’appels, il pourrait en outre être envisagé, afin de limiter le nombre des recours dilatoires, de modifier l’article L. 223-6 du code de la route. Ce texte prévoit que les points du permis de conduire perdus à la suite du paiement d’une amende forfaitaire ou d’une amende forfaitaire majorée, ou à la suite d’une condamnation devenue définitive, sont récupérés dès lors qu’aucune nouvelle infraction ayant donné lieu à retrait de points n’a été commise dans le délai prévu. Cette disposition incite les usagers à multiplier les recours afin que la perte de points n’intervienne pas au cours de ce délai. La loi pourrait utilement prévoir que c’est la date de l’infraction qui est prise en compte pour mettre obstacle à une récupération des points, et non la date de la perte effective des points à la suite d’une nouvelle infraction.

L’avis réservé de la direction des affaires criminelles et des grâces était notamment motivé, en 2017, par un risque d’engorgement des cours d’appel, ce qui ne semble pas pouvoir justifier le maintien d’une voie de recours inadaptée au contentieux traité.

En l’absence de modification envisagée, la Cour de cassation persiste à solliciter une évolution sur ce point.

La DACG indique que sa position jusqu’alors réservée pourrait être révisée, sous réserve d’une réflexion plus approfondie. En effet, depuis le 1er juin 2019, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (LPJ) a étendu la compétence de la formation en juge unique en appel en matière correctionnelle. Les gains résultant de cette réforme pourraient désormais permettre la généralisation de l’appel contraventionnel.

À ce titre, en 2022, sur 13 500 décisions prononcées par le tribunal correctionnel statuant à juge unique, une demande d’audience collégiale a été formulée au moment de l’appel dans 268 cas (soit 2 %).

Toutefois, seuls les cas dans lesquels la demande a été formulée en même temps que l’appel sont ici pris en compte. Or, il est également possible de formuler cette demande dans le mois suivant l’appel, par déclaration séparée mais, dans ce cas, l’information ne figure pas de manière complète dans les données disponibles actuellement, dès lors que les cours d’appel chargées de renseigner cet événement ne sont pas encore toutes équipées de Cassiopée. Seuls six cas sont actuellement identifiables dans Cassiopée.

La DACG examine actuellement les incidences précises, y compris en termes de projections statistiques d’une éventuelle réforme de ce type.

Extension de la représentation obligatoire devant la chambre criminelle

La procédure de cassation en matière pénale présente la particularité que les demandeurs peuvent soutenir leurs pourvois en déposant un mémoire personnel alors que, devant toutes les autres chambres de la Cour, la représentation par un avocat aux Conseils est obligatoire. Cette différence n’est pas justifiée dans la mesure où l’aide juridictionnelle est ouverte aussi pour les procédures de cassation en matière pénale.

Il convient d’examiner l’intérêt, pour les justiciables concernés, de ces pourvois en cassation formés sans l’appui d’un professionnel de la procédure de cassation. L’examen des statistiques publiées à l’occasion de chacun des Rapports annuels montre qu’une cassation est prononcée deux fois plus souvent lorsque le pourvoi est soutenu par un avocat aux Conseils que lorsqu’il l’est par un mémoire personnel. On peut aussi relever que les avocats aux Conseils dissuadent fréquemment les justiciables de former ou maintenir un pourvoi voué à l’échec en l’absence de tout moyen ayant un caractère sérieux.

Cette situation a abouti à des initiatives d’ordre législatif, rappelées au Rapport annuel 2016 (p. 96-97) mais qui ont été écartées par les députés exprimant la crainte que l’intervention obligatoire d’un avocat aux Conseils limite l’accès à la Cour de cassation et le souci que tout citoyen menacé d’une privation de liberté puisse adresser son mémoire personnel à la Cour de cassation.

Les arguments ainsi avancés au soutien d’une absence de représentation obligatoire devant la chambre criminelle ne tiennent pas compte du nombre de pourvois terminés par leur déchéance, en l'absence de dépôt de mémoires. Par ailleurs, ils ne permettent pas au justiciable de bénéficier systématiquement de l'intervention de professionnels du droit devant la chambre criminelle, dans des conditions correspondant à la nature véritable du pourvoi en cassation.

L’évolution des discussions parlementaires engagées à l’occasion du vote de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a montré une meilleure prise de conscience de ces considérations essentielles. 

Cette proposition de réforme régulièrement formulée depuis 2000 n’ayant pas été suivie d’effet doit encore être renouvelée aujourd’hui. En effet, elle revêt la plus haute importance dans le cadre de l’objectif général d’instaurer pleinement la Cour de cassation dans son rôle de Cour suprême judiciaire, tout en assurant les justiciables d’une voie de recours garantissant la bonne application de la loi.

La DACG indique être d'avis que la solution de compromis envisagée en 2016 dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la justice du XXIe siècle108  peut constituer une solution satisfaisante, même s’il n’est pas certain qu’elle soit de nature à être adoptée par le Parlement.

Il est donc possible d’envisager :

  • soit une représentation obligatoire dans les hypothèses qui avaient été envisagées en 2016, à savoir uniquement pour les pourvois en cassation portant sur des condamnations ayant prononcé une peine autre qu’une peine privative de liberté sans sursis109;
  • soit uniquement en matière contraventionnelle.

 


90. Voir notamment M. Giacopelli, « La pénétration des règles du procès pénal devant les juridictions de l’application des peines : état des lieux », RSC 2015, p. 799 ; P. Faucher, JCl. Procédure pénale, LexisNexis, articles 712-1 à 712-23, fasc. 40 « Juridictions de l’application des peines – Débat contradictoire, commission de l’application des peines, modification des mesures en cours », novembre 2010, mise à jour mai 2021 ; et M. Herzog-Evans, « Sanction dans les aménagements de peine : l’article 6 s’applique et… ne s’applique pas ! », AJ pénal 2015, p. 562.

91. Crim., 15 avril 2015, pourvoi no 14-82.622, Bull. crim. 2015, no 92.

92.Crim., 17 juin 2020, pourvoi no 20-80.240, publié au Bulletin.

93. Rapport au garde des sceaux de la commission présidée par Monsieur le président honoraire de la chambre criminelle de la Cour de cassation Bruno Cotte, Pour une refonte du droit des peines, décembre 2015.

94.CEDH, arrêt du 30 janvier 2001, Vaudelle c. France, no 35683/97.

95. Article 706-113 du code de procédure pénale.

96.Crim., 12 juillet 2016, pourvoi no 16-82.714, Bull. crim. 2016, no 212, pour l’avis de l’audience de la chambre d’instruction où sera évoqué l’appel d’une prolongation de détention, ou encore Crim., 19 décembre 2017, pourvoi no 17-85.841, pour l’avis de l’audience d’appel de refus d’actes et le renvoi devant la cour d’assises.

97.Crim., 14 octobre 2014, pourvoi no 13-82.584 ; Crim., 10 janvier 2017, pourvoi no 15-84.469, Bull. crim. 2017, no 10 ; Crim., 9 janvier 2019, pourvoi no 17-86.922.

98. Crim., 19 septembre 2017, pourvoi no 17-81.919, Bull. crim. 2017, no 222.

99.Crim., 11 décembre 2018, pourvoi no 18-80.872, Bull. crim. 2018, no 210.

100.Cons. const., 14 septembre 2018, décision no 2018-730 QPC, Mehdi K. [Absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé de son placement en garde à vue].

101.Crim., 11 décembre 2018, pourvoi no 18-80.872, Bull. crim. 2018, no 210.

102. Article 706-112-1 du code de procédure pénale.

103. Article 706-112-2, ibid.

104.Cons. const., 15 janvier 2021, décision n° 2020-873 QPC, Mickaël M. [Absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé d’une perquisition menée à son domicile dans le cadre d’une enquête préliminaire]. 

105.Crim., 11 décembre 2013, pourvoi no 13-86.649 ; Crim., 13 octobre 2020, pourvoi no 20-82.016, publié au Bulletin.

106.Crim., 13 avril 2021, pourvoi no 21-80.728, publié au Bulletin.

107.Crim., 28 février 1984, pourvoi no 84-90.018, Bull. crim. 1984, no 78 ; Crim., 8 juin 2011, pourvoi no 11-82.402, Bull. crim. 2011, no 125 ; et encore récemment Crim., 8 juillet 2020, pourvoi no 20-82.472, publié au Bulletin.

108.Cf. Rapport annuel de la Cour de cassation, 2016, p. 97 : « Un compromis avait été trouvé devant la commission des lois de l’Assemblée nationale lors de l’examen de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, en ce que le principe de la représentation obligatoire en matière pénale avait été posé, sauf en cas de pourvoi formé contre une condamnation à une peine privative de liberté sans sursis, ce qui semblait de nature à effacer la crainte d’une entrave à l’accès au juge. Les débats à l’Assemblée nationale ont cependant montré les fortes réserves suscitées par cette réforme, considérée comme limitant sans motif légitime l’accès au juge en matière pénale. »

109. Amendement n° CL161 adopté en commission à l’Assemblée nationale en première lecture puis supprimé en séance par la même assemblée en première lecture – amendement n° 238 rect. – aux motifs que cela ne facilite pas l’accès à la justice et crée une situation de monopole au profit des seuls avocats à la Cour de cassation.

B. Suggestions nouvelles

Procédure pénale

Articles 145, 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale : avis à la personne mise en examen de la date des débats contradictoires en vue de la prolongation de sa détention provisoire

Les articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale prévoient que les décisions de prolongation de la détention provisoire sont prises « après un débat contradictoire organisé conformément aux dispositions du sixième alinéa de l’article 145, l’avocat ayant été convoqué selon les dispositions du deuxième alinéa de l’article 114 ».

Le sixième alinéa de l’article 145 du code de procédure pénale, auquel il est ainsi renvoyé, règle le déroulement dudit débat, lorsqu’est envisagé le placement en détention provisoire.

À ce stade initial, ce débat a lieu sur saisine du juge d’instruction, immédiatement après que ce magistrat a procédé à l’interrogatoire de première comparution de la personne mise en examen. Celle-ci est donc déjà au palais de justice et, dans le cadre de cet interrogatoire, généralement déjà assistée d’un avocat. C’est pourquoi ni cet alinéa ni aucune autre disposition de cet article ne prévoient que la personne concernée soit avisée de ce que ce débat va avoir lieu. Le premier alinéa de l’article 145 se contente à cet égard d’indiquer que le juge des libertés et de la détention « fait comparaître » l’intéressé devant lui. Il ne prévoit pas davantage de modalités de convocation d’un avocat que, par définition, la personne mise en examen n’a pu désigner qu’à l’occasion de l’interrogatoire de première comparution qui vient de se dérouler. À défaut, le texte prévoit le recours à un avocat commis d’office. Il est seulement mentionné qu’avocat choisi ou commis d’office sont avisés « par tout moyen et sans délai ».

La situation du débat de prolongation prévu par les articles 145-1 et 145-2 précités est pourtant différente, dès lors que ce débat doit être organisé avant l’échéance de la période de détention en cours. Ces deux textes en tirent les conséquences s’agissant de l’avocat, lequel doit être convoqué dans les formes et délais prévus pour un interrogatoire de son client par le juge d’instruction.

Ils ne prévoient en revanche pas que la personne mise en examen elle-même soit informée de la tenue du débat.

Dans certaines juridictions, les juges de la liberté et de la détention prennent l’initiative, au moment où ils convoquent l’avocat en vue du débat et organisent l’extraction de la personne détenue, de faire aviser celle-ci de la date prévue pour le débat. Mais cette pratique n’est pas systématique.

Par ailleurs, lorsque le recours à la visioconférence est envisagé, l’application des articles 706-71 et 706-71-1 du code de procédure pénale, qui permettent en pareil cas à la personne détenue de refuser ce mode de comparution, suppose que celle-ci en soit informée afin qu’elle puisse faire connaître sa position sur ce point, ce qui a pour conséquence qu’on peut considérer qu’elle est, au moins indirectement, avisée de la date de l’audition envisagée.

Mais, à tout le moins lorsque l’extraction de la personne détenue est envisagée, il n’existe aucune obligation ni directe ni indirecte de l’informer de la date du débat. Alors même que, devant la chambre de l’instruction, l’article 197 du code de procédure pénale impose au procureur général de notifier « à chacune des parties et à son avocat la date à laquelle l’affaire sera appelée à l’audience ».

Cette lacune est susceptible de préjudicier aux droits de l’intéressé, qui, s’il était avisé de la date du débat, pourrait se munir des pièces (en termes de garanties de représentation, notamment) propres à convaincre le juge de ne pas ordonner la prolongation de sa détention provisoire.

Il doit être rappelé, à cet égard, que la Cour européenne des droits de l’homme juge « qu’aux termes de l’article 5, § 4 [de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales], les personnes arrêtées ou détenues ont droit à un examen du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la “légalité”, au sens de l’article 5, § 1, de leur privation de liberté », et que « le droit à une procédure contradictoire implique nécessairement le droit pour le détenu et son avocat d’être informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience, sans quoi il serait vidé de sa substance »110.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a été saisie en un an de plusieurs pourvois soulevant cette difficulté.

Si la personne mise en examen est assistée d’un avocat, elle a jugé qu’il appartenait à cet avocat d’informer son client111.

Dans le cas où, en revanche, la personne détenue n’est pas assistée d’un avocat, la Cour de cassation a jugé que, si l’intéressé fait valoir au juge des libertés et de la détention qu’il n’a pas été avisé du débat et n’a pas pu préparer utilement sa défense, le juge qui ordonne le renvoi doit lui accorder un délai suffisant qui, par parallélisme avec le délai de l’article 114 du code de procédure pénale concernant la convocation des avocats, a été fixé à cinq jours, et que, s’il a été avisé moins de cinq jours avant le débat de prolongation, ou si le renvoi a été ordonné à moins de cinq jours, il est recevable à soutenir que ce délai est insuffisant, le juge devant alors apprécier la réalité du grief invoqué112.

La Cour de cassation a toutefois considéré qu'il appartient à la personne mise en examen qui a décidé de se défendre seule de prendre l'initiative de solliciter le report du débat contradictoire relatif à la prolongation de sa détention provisoire dès son ouverture, si elle estime ne pas avoir pu bénéficier du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense113.

Cette difficulté est maintenant clairement identifiée et suscite un certain contentieux, étant rappelé que, saisie en appel d’une décision rendue dans des conditions irrégulières par le premier juge, la chambre de l’instruction n’est pas autorisée par l’article 207 du code de procédure pénale à évoquer et à substituer sa décision à celle du juge des libertés et de la détention.

Pour résoudre cette difficulté et éviter tout renvoi inutile, il conviendrait, dans l’esprit de ce que l’article 197 du même code exige devant la chambre de l’instruction, que les articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale, outre l’obligation de convoquer l’avocat, imposent celle d’aviser la personne détenue dans un délai qui pourrait être le même que celui du délai de convocation de l’avocat.

La DACG est favorable à une modification des articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale afin d’aviser la personne détenue de la date du débat contradictoire en vue de la prolongation de la détention provisoire. Que la personne mise en examen soit assistée ou non d’un conseil, il convient de prévoir l’information de cette dernière dans un délai raisonnable avant la tenue du débat, délai qui pourrait être identique à celui fixé par l’article 114, alinéa 2, dudit code : au plus tard cinq jours ouvrables avant le débat contradictoire.

Cette modification est discutée à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.


110.CEDH, arrêt du 22 octobre 2019, Venet c. Belgique, n° 27703/16, §§ 31 et 45. 

111.Crim., 23 novembre 2021, pourvoi n° 21-85.211, publié au Bulletin. 

112.Crim., 14 juin 2022, pourvoi n° 22-81.942, publié au Bulletin. 

113.Crim., 24 janvier 2023, pourvoi n° 22-86.401, publié au Bulletin. 

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