Rapport annuel 2022 (I. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE)

Rapport annuel

Ouvrage de référence dans les milieux judiciaire et universitaire, le Rapport de la Cour de cassation est aussi un précieux instrument de travail pour les praticiens du droit. Le Rapport 2022 comporte des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, ainsi que l’analyse des principaux arrêts et avis ayant été rendus, tout au long de l’année, dans les différentes branches du droit privé. Le Rapport présente également, de manière détaillée, l’activité juridictionnelle et extra-juridictionnelle de la Cour de cassation, ainsi que celle des juridictions et commissions instituées auprès d’elle.

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Rapport annuel 2022 (I. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE)

I/ PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE

I. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

A. Suivi des suggestions de réforme

Proposition de réforme de la procédure de saisine pour avis de la Cour de cassation dans les dossiers à délais contraints

Selon l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, « avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation ».

La saisine pour avis de la Cour de cassation, réformée par la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, a pour objectifs de clarifier les règles de droit en évitant les divergences d’interprétation et d’assurer une plus grande sécurité juridique.

Lorsque « le juge envisage de solliciter l’avis de la Cour de cassation en application de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, il en avise les parties et le ministère public, à peine d’irrecevabilité. Il recueille leurs observations écrites éventuelles dans le délai qu’il fixe, à moins qu’ils n’aient déjà conclu sur ce point.

Dès réception des observations ou à l’expiration du délai, le juge peut, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation en formulant la question de droit qu’il lui soumet. Il sursoit à statuer jusqu’à la réception de l’avis ou jusqu’à l’expiration du délai mentionné à l’article 1031-3.

La saisine pour avis ne fait pas obstacle à ce que le juge ordonne des mesures d’urgence ou conservatoires nécessaires. »1 

La question de droit doit pouvoir être examinée par la Cour de cassation dans le délai imparti à la juridiction pour statuer.2

Ces dispositions limitent voire privent les juges des libertés et de la détention, toujours contraints de statuer dans des délais très courts (12 jours en matière d’hospitalisation sans consentement, 48 heures en matière d’étrangers) de la faculté de saisir la Cour de cassation pour avis, dans des contentieux posant pourtant régulièrement des questions de droit nouvelles, dans de nombreux litiges.

À titre tout à fait exceptionnel, dans ce type d’hypothèse, il serait souhaitable que les juges des libertés et de la détention puissent saisir la Cour de cassation sans surseoir à statuer.

À cet égard, en matière de question prioritaire de constitutionnalité, en vertu de l’article 23-3, alinéa 2, de l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958, « il n’est sursis à statuer ni lorsqu’une personne est privée de liberté à raison de l’instance ni lorsque l’instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté » mais en vertu de l’article 23-3, alinéa 3, de l’ordonnance précitée, la juridiction peut « statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’elle statue dans un délai déterminé ou en urgence ».

Il conviendrait par conséquent de calquer la procédure applicable aux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC)3, en ajoutant à l’article 1031-1, alinéa 2, du code de procédure civile, la possibilité pour le juge de statuer sans attendre la décision pour avis de la Cour de cassation, si la loi ou le règlement prévoit qu’il statue dans un délai déterminé ou en urgence.

Cette réforme permettrait ainsi à la Cour de cassation d’être saisie plus rapidement de questions nouvelles se posant dans de nombreux litiges et qui divisent les juges du fond. 

Même si la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a émis un avis réservé sur cette réforme lors des rapports remis depuis 2019, estimant d’une part que l’usage de la procédure prévue à l’article 1009 du code de procédure civile pouvait permettre d’atteindre l’objectif visé par cette proposition ; d’autre part, que d’autres contentieux pourraient nécessiter de la même façon l’usage de la procédure d’avis, la première chambre civile estime utile de maintenir cette proposition. En effet, d’une part, la procédure d’urgence fondée sur l’article 1009 du code de procédure civile s’avère de peu d’utilité s’agissant du contentieux des étrangers, la mesure se retrouvant la plupart du temps exécutée à la date à laquelle la Cour de cassation est saisie du pourvoi, rendant dès lors l’usage de cette procédure sans intérêt pour l’intéressé ; d’autre part, le contentieux des étrangers fait l’objet de réformes législatives fréquentes, ce qui conduit à une multiplication des questions juridiques nouvelles sur ce contentieux pour lesquelles il importe que les juges du fond soient fixés rapidement. Ainsi, la chambre considère qu'au regard de la spécificité de ce contentieux, un encouragement au recours à la procédure d’avis serait souhaitable.

Cette année la DACS émet un avis favorable à cette proposition mais précise qu’elle appelle une expertise approfondie pour assurer sa cohérence avec les autres procédures de saisine pour avis.

Régimes matrimoniaux

Révocation, en cas de divorce, de la clause d’exclusion des biens professionnels des époux du calcul de la créance de participation qui constitue un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime matrimonial

Par une décision du 18 décembre 20194, la première chambre civile a considéré, au visa de l’article 265 du code civil, que les profits que l’un ou l’autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation constituent des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial et, partant, révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce.

Il en résulte :

  1. que la notion d’avantage matrimonial n’est pas cantonnée, quant à son domaine, aux communautés conventionnelles, visées par l’article 1527 du code civil, mais susceptible de s’appliquer, notamment, en présence d’un régime de participation aux acquêts ;
  2. que, conformément à la jurisprudence antérieure de la chambre5, l’avantage matrimonial est constitué par le profit que l’un ou l’autre des époux peut retirer du fonctionnement du régime matrimonial ;
  3. qu’en présence d’un régime de participation aux acquêts, le profit résultant d’une clause aménageant les modalités de liquidation de la créance de participation s’apprécie par référence au régime de participation aux acquêts ordinaire, tel qu’il est organisé par le code civil ;
  4. qu’une telle clause prenant nécessairement effet à la dissolution du régime matrimonial, l’avantage qu’elle procure est révoqué de plein droit par le divorce des époux, en application de l’article 265, alinéa 2, du code civil, sauf volonté contraire de l’époux qui l’a consenti ;
  5. que cette volonté contraire ne peut être exprimée qu’au moment du divorce.

Ces principes sont ensuite appliqués à la clause excluant du calcul de la créance de participation les biens professionnels des époux en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès. Une telle clause conduit mécaniquement à avantager, au moment du divorce, celui des époux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint. Elle constitue, dès lors, un avantage matrimonial révoqué de plein droit par le divorce.

Cette solution est inévitable, compte tenu de la lettre de l’article 265, alinéa 2, du code civil, si l’on considère objectivement les effets de la clause, lesquels s’apprécient lorsqu’ils se produisent, soit au moment du divorce. Ce résultat aboutit mécaniquement à priver de tout intérêt les clauses dites d’« exclusion des biens professionnels » stipulées, comme en l’espèce, pour régir la liquidation du régime de participation aux acquêts en cas de dissolution par le divorce des époux.

Or, compte tenu de ce que l’intérêt principal généralement recherché par de telles clauses – qui consistent, quelles qu’en soient les variantes, à permettre à l’époux bénéficiaire de conserver son outil de travail sans courir le risque de devoir le céder pour payer à son conjoint (ou à sa succession) une créance de participation intégrant la moitié de la valeur du bien professionnel – n’apparaît pas illégitime, le législateur pourrait envisager d’en consacrer expressément la validité au sein de l’article 265 du code civil, comme il l’a fait en 2006 au troisième alinéa de ce texte s’agissant de la clause, dite « alsacienne », de reprise des apports en régime de communauté.

Malgré l’avis favorable de la DACS publié aux Rapports annuels 2019, 2020 et 2021, cette disposition est restée inchangée. Il convient donc de réitérer cette suggestion pour l’année 2022. Il peut être observé que la solution résultant de l’arrêt du 18 décembre 20196 a été réitérée par deux fois en 20217.

La DACS est favorable à cette proposition de réforme pour répondre aux trois objectifs suivants :

  • sécuriser les conventions matrimoniales ;
  • améliorer la prévisibilité et la sécurité juridique ;
  • rendre plus attractif le régime de participation aux acquêts.

Pour mémoire, en vertu de l’article 1581 du code civil, les époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peuvent aménager ce régime, sous réserve que les clauses contractualisées soient conformes aux bonnes mœurs et au régime primaire.

Les époux peuvent ainsi notamment convenir d’une clause de partage inégal en stipulant dans le contrat de mariage que les biens professionnels d’un époux ne seront pas pris en compte pour le calcul de la créance de participation lors de la dissolution du régime matrimonial pour cause de divorce.

Comme l’illustre la jurisprudence de la Cour de cassation8, cette clause constitue un avantage matrimonial qui prend effet à la dissolution du régime de participation aux acquêts. Elle est donc soumise au respect de l’article 265 du code civil lequel dispose en son alinéa 2 que « le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux […] ».

Or, au regard des arrêts précités, l’application de l’article 265 du code civil prive la clause d’exclusion des biens professionnels des époux du calcul de la créance de participation de toute efficacité en cas de divorce.

Les arrêts de la Cour de cassation sont tout à fait respectueux de la lettre de l’article 265, alinéa 2, du code civil, qui ne correspond pourtant pas du tout à l’esprit de la clause : la loi déjoue l’intention initiale des époux au moment où celle-ci doit produire ses effets. Or, la clause d’exclusion des biens professionnels n’a de sens que si elle peut s’appliquer à la dissolution du régime matrimonial, y compris en cas de divorce. On peut voir dans l’article 265, alinéa 2, du code civil une atteinte au principe de liberté des conventions matrimoniales.

La Cour de cassation appelle le législateur à modifier l’article 265 du code civil, de façon à consacrer la validité d’une telle clause, comme cela a pu être fait en 2006 à propos de la clause dite « alsacienne » de reprise des apports en régime de communauté.

Bien avant ces arrêts, la doctrine avait déjà alerté à plusieurs reprises sur le risque d’inefficacité de telles clauses en l’état du droit positif et appelait à une réécriture de l’article 265 du code civil9.

Le 106e Congrès des notaires10 avait lui aussi mis en évidence ce risque et avait appelé à une modification de l’article 265 du code civil, afin de prendre en compte l’existence de telles clauses.

La DACS considère qu’une nouvelle précision relative au régime de participation aux acquêts pourrait donc apparaître cohérente au regard de l’évolution intervenue en 2006.

En effet, il existe un risque de faire perdre son attractivité au régime de participation aux acquêts par exemple pour un chef d’entreprise si la clause protégeant son conjoint, tout en mettant à l’abri son outil professionnel, est privée d’effet au moment où elle serait utile.  


1. Article 1031-1 du code de procédure civile.  

2. Avis de la Cour de cassation, 20 novembre 2000, no 02-00.016, Bull. 2000, Avis, no 10.

3. Article 23-3, alinéa 3, de l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958.

4. 1re Civ., 18 décembre 2019, pourvoi n° 18-26.337, publié au Bulletin.   

5.1re Civ., 31 janvier 2006, pourvoi no 02-21.121, Bull. 2006, I, no 48 ; 1re Civ., 3 décembre 2008, pourvoi no 07-19.348, Bull. 2008, I, no 281.

6.1re Civ., 18 décembre 2019, pourvoi no 18-26.337, publié au Bulletin.   

7.1re Civ., 31 mars 2021, pourvoi no 19-25.903 et 1re Civ., 15 décembre 2021, pourvoi no 20-15.623.

8.1re Civ., 18 décembre 2019, pourvoi no 18-26.337, publié au Bulletin ; 1re Civ., 31 mars 2021, pourvoi no 19-25.903 et 1re Civ., 15 décembre 2021, pourvoi no 20-15.623.

9. C. Farge, J.-F. Desbuquois et E. Naudin, « Pour une réécriture de l’article 265, alinéa 2, du code civil », JCP N 2018, 1289 ; G. Morin, « Brèves remarques sur deux études relatives au contrat de mariage du chef d’entreprise et au rôle de la société holding durant la transmission de l’entreprise », Defrénois 1987, art. 34054, p. 1153, n° 7 ; J.-P. Storck, « Avantages matrimoniaux et régime de participation aux acquêts : détermination de la nature juridique des stipulations permises par l’article 1581, alinéa 2, du code civil », JCP N 1981, I, 355.  

10. 106e Congrès des notaires de France, Couples, patrimoine, les défis de la vie à 2, 2010, p. 276-277.

B. Suggestions nouvelles

Mesures de droit interne d’adaptation au règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I bis)

L’article 36, § 1, du règlement Bruxelles I bis prévoit que : « Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. »

Pour qu’une décision soit exécutée dans un État membre, le demandeur à l’exécution doit satisfaire aux formalités énoncées à l’article 42 du règlement. En particulier, il doit communiquer à l’autorité compétente chargée de l’exécution une copie de la décision et un certificat délivré conformément à l’article 53. Lorsque la décision à exécuter ordonne une mesure provisoire ou conservatoire, le certificat contient une description de la mesure et atteste, notamment, que la juridiction est compétente pour connaître du fond du litige.

Cet article 53 du règlement dispose que : « À la demande de toute partie intéressée, la juridiction d’origine délivre le certificat qu’elle établit en utilisant le formulaire figurant à l’annexe I. »

Dans ses arrêts des 28 février11 et 4 septembre 201912, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a énoncé que « la procédure tendant à la délivrance d’un certificat au titre de l’article 53 du règlement n° 1215/2012 revêt une nature juridictionnelle, de telle sorte qu’une juridiction nationale saisie dans le cadre d’une telle procédure est habilitée à saisir la Cour d’une question préjudicielle »13. Elle a également précisé que « dans la logique du règlement n° 1215/2012, la délivrance du certificat est confiée à la juridiction qui connaît le mieux le litige et qui, quant au fond, est la plus à même de confirmer que la décision est exécutoire »14.

Il résulte de cette jurisprudence qu’à l’occasion d’une demande de délivrance d’un certificat en application de l’article 53 précité, il appartient à la juridiction à l’origine de la décision dont l’exécution est demandée d’exercer un contrôle juridictionnel portant, en particulier, sur sa compétence au fond, lorsqu’elle a ordonné des mesures provisoires ou conservatoires, ou sur l’applicabilité du règlement au litige.

En droit interne, l’article 509-1, I, du code de procédure civile prévoit que sont présentées au directeur de greffe de la juridiction qui a rendu la décision les requêtes en certification des titres exécutoires français en vue de leur reconnaissance et de leur exécution à l’étranger prévues notamment par le règlement Bruxelles I bis.

L’article 509-7 du même code instaure un recours gracieux de la décision de refus de délivrance prise par le directeur de greffe. Ce recours est confié au président du tribunal judiciaire statuant sur requête en dernier ressort.

Ces dispositions ne paraissent pas compatibles avec le dispositif instauré par le règlement Bruxelles I bis dès lors, d’une part, que le président du tribunal judiciaire n’est pas le juge à l’origine de la décision dont l’exécution est demandée, d’autre part, que les modalités du recours devant ce juge ne garantissent pas la possibilité d’un débat contradictoire sur les contestations pouvant s’élever à l’occasion d’une demande de délivrance d’un certificat, enfin, qu’aucun recours n’est prévu lorsqu’un certificat a été indûment délivré par le directeur de greffe.

En conséquence, il conviendrait de supprimer le 6e alinéa du I de l’article 509-1 du code de procédure civile et d’ajouter un nouvel alinéa au II, 1°, du même article, afin de prévoir que sont présentées au juge qui a rendu la décision les requêtes aux fins de certification des titres exécutoires français en vue de leur reconnaissance et de leur exécution à l’étranger en application du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012.

La DACS indique qu'elle avait bien identifié les deux arrêts de la CJUE précités et les éventuelles difficultés qu’ils soulevaient au regard du droit français. Lors de la dernière réunion du Réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale portant sur le règlement Bruxelles I bis, la DACS a ainsi interrogé les autres États membres pour savoir si leur droit national respectif prévoyait des recours contre la délivrance ou le refus de délivrance d’un certificat, compte tenu de la nature juridictionnelle de la certification15.

Des réflexions sont en cours en interne pour savoir quelles modifications apporter aux articles 509-1 et suivants du code de procédure civile afin de rendre le dispositif de certification conforme à la jurisprudence de la CJUE. L’une des pistes envisagées est précisément celle proposée par la Cour de cassation.

Légalisation des actes établis par une autorité étrangère

Pour mémoire, l’article 47 du code civil confère une force probante aux actes de l’état civil étrangers régulièrement établis, mais cette présomption simple est susceptible d’être renversée par la preuve contraire. La jurisprudence exige cependant que ces actes, s’ils ont été établis à l’étranger, et sauf convention internationale contraire, aient été au préalable légalisés par une autorité compétente à défaut de quoi ils sont dénués de « valeur probante »16  et/ou ne peuvent « produire effet »17.

Cette exigence de légalisation des actes établis par une autorité étrangère a, dans un premier temps, été fondée par la jurisprudence sur l’ordonnance de la marine d’août 1681, dont l’article 23 du titre IX du livre premier disposait que « tous actes expédiés dans les pays étrangers où il y aura des consuls ne feront aucune foi [en France], s’ils ne sont pas par eux légalisés »18.

Cependant, cette ordonnance royale d’août 1681 a été abrogée par l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, ratifiée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures.

C’est pourquoi en 2009, la Cour de cassation s’est appuyée sur la coutume internationale pour maintenir l’exigence de légalisation des actes de l’état civil et a énoncé que « malgré l’abrogation de l’ordonnance de la marine d’août 1681, la formalité de la légalisation des actes de l’état civil établis par une autorité étrangère et destinés à être produits en France demeure, selon la coutume internationale et sauf convention contraire, obligatoire »19.

Estimant que la coutume était « par nature évolutive, car tributaire de pratiques consulaires entre États qui peuvent elles-mêmes changer », et qu’elle « peut varier dans le temps comme dans l’espace », la Cour de cassation, au terme de son Rapport annuel de 2009, indiquait que : « L’exigence de légalisation risque de devenir ainsi plus incertaine alors que notre droit de la nationalité et de l’état civil requiert stabilité et sécurité juridique. »20  Elle a donc suggéré au pouvoir législatif et réglementaire de consacrer en droit positif un principe d’obligation de légalisation des actes de l’état civil étrangers. Cette proposition a été réitérée dans chacun des Rapports annuels de la Cour de cassation jusqu’en 2016.

L’obligation de légalisation a finalement été rétablie par le paragraphe II de l’article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Cet article 16 disposait que : « Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet.

La légalisation est la formalité par laquelle sont attestées la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu.

Un décret en Conseil d’État précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation. »

Tel a été l’objet du décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère qui est venu préciser les modalités de légalisation des actes publics étrangers devant satisfaire à cette formalité.

Cependant, ce décret a fait l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État. À cette occasion une question prioritaire de constitutionnalité a été posée, visant l’article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 précité.

Par une décision n° 2021-972 QPC du 18 février 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les premier et troisième alinéas du paragraphe II de l’article 16 de la loi du 23 mars 2019 (en revanche, l’alinéa 2, sur la définition de la légalisation, n’est pas atteint). Le recours reprochait notamment à ces dispositions législatives d’imposer à une personne la légalisation d’un acte public étranger dont elle entend se prévaloir en France, sans prévoir de recours en cas de refus de légalisation par l’autorité compétente. Il était soutenu qu’il en résultait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, des droits de la défense et d’un « droit à la preuve » qui découlerait de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le Conseil constitutionnel a énoncé que : « 10 – [...] il résulte de la jurisprudence du Conseil d’État […] que le juge administratif ne se reconnaît pas compétent pour apprécier la légalité d’une décision de refus de légalisation d’un acte de l’état civil. D’autre part, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne permettent aux personnes intéressées de contester une telle décision devant le juge judiciaire. 11 – Au regard des conséquences qu’est susceptible d’entraîner cette décision, il appartenait au législateur d’instaurer une voie de recours. 12 – Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées sont entachées d’incompétence négative dans des conditions qui portent atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif. »

Le dispositif de cette décision énonce que la déclaration d’inconstitutionnalité prend effet le 31 décembre 2022, car « l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives ».

Tirant les conséquences de cette décision, le Conseil d’État a, par une décision du 7 avril 202221, annulé le décret d’application précité du 10 novembre 2020 « pour les mêmes motifs que ceux relevés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 février 202222, tirés de l’absence de voie de recours contre une décision de refus de légalisation d’un acte de l’état civil ». Le régime de légalisation institué par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et le décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 pris pour son application a été jugé comme portant « une atteinte excessive au droit à un recours juridictionnel effectif et au droit à un procès équitable garantis par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Compte tenu des « effets excessifs d’une annulation immédiate au regard de l’intérêt général qui s’attache à l’existence d’une procédure de légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère et des risques que comporterait celle-ci pour la stabilité des situations qui ont pu se constituer lorsque le décret était en vigueur », le Conseil d’État a décidé de différer l’effet de l’annulation jusqu’au 31 décembre 2022.

Par conséquent, la légalisation des actes publics émanant des autorités étrangères n’a plus de fondement légal depuis le 1er janvier 2023. Pour les raisons exposées par la Cour de cassation dans ses Rapports annuels entre 2009 et 2016, il serait opportun d’y remédier en consacrant de nouveau, en droit positif, un principe d’obligation de légalisation des actes de l’état civil étrangers.

La DACS a estimé, à la suite de la censure du paragraphe II de l’article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 par le Conseil constitutionnel  et l’annulation par le Conseil d’État23 du décret en découlant, qu’il était nécessaire de redonner rapidement une base textuelle au principe de légalisation des actes publics étrangers.

Aussi, la DACS a introduit dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 une disposition en ce sens.

L’article 18 du projet de loi prévoit de compléter, par trois alinéas, le paragraphe II de l’article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019.

Le principe de légalisation des actes publics étrangers est réintroduit au premier alinéa de cet article, en indiquant que « sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet ».

Pour tenir compte de la censure du Conseil constitutionnel, il est également précisé le recours en cas de refus de légalisation par l’autorité compétente.

La légalisation étant une simple formalité administrative destinée à authentifier une signature et une qualité, le recours contre un refus de légalisation opposé par une autorité française pourra être porté devant le juge administratif selon les voies de droit commun, quelle que soit la nature de l’acte public concerné.

Un dernier alinéa précise que les actes publics concernés et les modalités de la légalisation sont renvoyés à un décret pris en Conseil d’État.

Cette disposition a été validée par le Conseil d’État, lors de l’examen du projet de loi, et sera discutée au Parlement en juin et juillet 2023.

Fixation des modalités de saisine du juge sur le fondement de l’article L. 314-20 du code de la consommation

L’article L. 314-20 du code de la consommation prévoit que : « L’exécution des obligations du débiteur peut être, notamment en cas de licenciement, suspendue par ordonnance du juge des contentieux de la protection dans les conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil. »

Les textes d’origine, prévus aux articles 8 de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit et 14 de la loi n° 79-596 du 13 juillet 1979 relative à l’information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier, prévoyaient que cette suspension devait être demandée en référé. Les références au référé ont été supprimées par les articles 13 et 14 de la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles. L’auteur de l’amendement à l’origine de cette suppression le justifiait ainsi :

« La saisine en référé suppose une assignation par huissier, ce qui est lourd et décourageant pour le débiteur. La suppression de cette référence permettrait l’application du droit commun et notamment celle des articles 847-1 et 847-2 du nouveau code de procédure civile. Ces articles ne sont toutefois applicables que lorsque le taux de la demande n’excède pas celui de la compétence du tribunal en dernier ressort. Un décret pourrait opportunément étendre cette procédure à tous les cas de surendettement. »24 

Cette réforme réglementaire, qui aurait permis au consommateur de saisir le juge par déclaration au greffe, n’a jamais vu le jour.

Il en résulte que la saisine du juge aux fins de suspension des échéances n’est pas réglée par les textes.

On sait seulement que le vœu du législateur, tel qu’il résulte des travaux préparatoires, est que la procédure soit simplifiée pour le consommateur, en lui évitant le recours à une assignation et donc à un huissier de justice pour introduire sa demande. Il ne s’agissait pas de rendre non contradictoire ladite procédure.

Afin de combler le vide créé par la suppression du référé mais le maintien de la notion d’ordonnance dans la loi, la Cour de cassation, dans les réponses aux questions posées par les cours d’appel, au BICC du 1er novembre 199225, a estimé qu’en application du droit commun de l’article 851 du code de procédure civile, le juge d’instance pourrait statuer par voie d’ordonnance sur requête.

Mais cette procédure non contradictoire n’est pas satisfaisante et les juges du fond sont partagés sur cette question.

Dès lors, pour lever toute ambiguïté, il serait souhaitable de supprimer à l’article L. 314-20 du code de la consommation la référence à une ordonnance et de prévoir en partie réglementaire de ce code la possibilité de saisir le juge des contentieux de la protection par simple requête, conformément aux articles 746 et suivants, 761 et 818 du code de procédure civile, étant précisé que, d’une part, la procédure devrait être contradictoire et que, d’autre part, le droit commun devrait demeurer applicable, y compris les dispositions relatives à la procédure de référé.

La DACS est favorable à cette modification. Elle permettrait de clarifier les modalités de saisine du juge des contentieux de la protection sur le fondement de l’article L. 314-20 du code de la consommation, en excluant la saisine par voie d’ordonnance sur requête, le contradictoire différé n’étant pas justifié par cette demande. Elle préserverait l’esprit de la réforme inaboutie de 1989 visant à faire bénéficier le consommateur d’une saisine simple et peu coûteuse.  


11.CJUE, arrêt du 28 février 2019, Gradbeništvo Korana, C-579/17. 

12.CJUE, arrêt du 4 septembre 2019, Salvoni, C-347/18.

13.CJUE, arrêt du 4 septembre 2019, C-347/18, précité, § 31 ; voir aussi CJUE, arrêt du 28 février 2019, C-579/17, précité, § 41.

14.CJUE, arrêt du 28 février 2019, C-579/17, précité, § 40 ; voir aussi § 38. 

15. Certains États membres (Belgique et Lettonie) ont répondu que leur droit ne prévoyait pas de tels recours. D’autres États membres ont indiqué soit qu’ils avaient prévu des dispositions spécifiques (Pologne et Allemagne), soit qu’ils appliquaient les dispositions générales applicables aux actes juridictionnels (Espagne).

16.1re Civ., 14 février 2006, pourvoi n° 05-10.960. 

17.1re Civ., 13 avril 2016, pourvoi n° 15-50.018, Bull. 2016, I, n° 84. 

18.1re Civ., 14 novembre 2007, pourvoi n° 07-10.935, Bull. 2007, I, n° 356. 

19.1re Civ., 4 juin 2009, pourvoi n° 08-10.962, Bull. 2009, I, n° 115 et 1re Civ., 4 juin 2009, pourvoi n° 08-13.541, Bull. 2009, I, n° 116.

20.Rapport annuel de la Cour de cassation, 2009, p. 20. 

21.CE, 7 avril 2022, n° 448296. 

22.Cons. const., 18 février 2022, décision n° 2021-972 QPC, Association Avocats pour la défense des droits des étrangers [Légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère]. 

23.CE, 7 avril 2022, n° 448296. 

24. 2e séance du 7 décembre 1989, JOAN CR 8 décembre 1989, p. 6146.

25. BICC n° 355, p. 29.

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