Rapport annuel 2022 (3. La Commission nationale de réparation des détentions )

Rapport annuel

Ouvrage de référence dans les milieux judiciaire et universitaire, le Rapport de la Cour de cassation est aussi un précieux instrument de travail pour les praticiens du droit. Le Rapport 2022 comporte des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, ainsi que l’analyse des principaux arrêts et avis ayant été rendus, tout au long de l’année, dans les différentes branches du droit privé. Le Rapport présente également, de manière détaillée, l’activité juridictionnelle et extra-juridictionnelle de la Cour de cassation, ainsi que celle des juridictions et commissions instituées auprès d’elle.

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Rapport annuel

Rapport annuel 2022 (3. La Commission nationale de réparation des détentions )

3. La Commission nationale de réparation des détentions

a. Étude statistique des recours et des décisions

La Commission nationale de réparation des détentions (CNRD) a enregistré 32 recours en 2022, soit un nombre de recours en significative diminution par rapport à l’année précédente, au cours de laquelle 59 recours avaient été enregistrés, mais sensiblement comparable aux années 2019 et 2020.

Les recours reçus ont concerné des décisions rendues dans seize cours d’appel. Les cours de Paris et d’Aix-en-Provence sont celles ayant transmis le plus de recours, respectivement sept et quatre recours.

Treize recours ont été formés par l’agent judiciaire de l’État, dont cinq concomitamment à un recours formé par le demandeur. Ils représentent ainsi 41 % des recours (29 % en 2021).

La CNRD a rendu 46 décisions en 2022, dont notamment 16 décisions de rejet, 22 décisions de réformation partielle et 5 décisions de réformation totale.

Le délai moyen de jugement par affaire a été de onze mois en 2022. Il était également de onze mois l’année précédente et de quinze mois en 2020.

L’âge moyen des demandeurs, à la date de leur incarcération, était de 27,75 ans. Cet âge moyen est plus élevé qu’en 2021 (25,72) mais moins élevé que celui des années antérieures (36,6 en 2020, 30,98 en 2019, 31,20 en 2018 et 33,62 en 2017). Les âges extrêmes ont été de 17 et 69 ans.

La durée moyenne des détentions indemnisées a été de 294,18 jours. Elle est supérieure à la durée moyenne de l’année précédente, qui était de 254,72 jours, mais inférieure à celle des années précédentes (379,05 en 2020, 356,19 en 2019, 405,08 en 2018, 288,06 en 2017, 372,61 en 2016, 376 en 2015 et 367 en 2014). Il n’apparaît pas envisageable de tirer un enseignement de ces données chiffrées, dans la mesure où elles ne dévoilent aucune tendance qui se dessinerait de façon pérenne depuis l’année 2016.

14 détentions indemnisées ont été supérieures à un an, dont 8 supérieures à deux ans, la plus longue ayant été de 2 886 jours, soit près de huit années.

Évolution de l’activité de la Commission nationale de réparation des détentions
Évolution de l’activité de la Commission nationale de réparation des détentions
Répartition des décisions de la Commission nationale de réparation des détentions par catégories – année 2022         
Répartition des décisions de la Commission nationale de réparation des détentions par catégories – année 2022

En ce qui concerne la répartition par infractions poursuivies, il convient de noter la part toujours importante (36 %) des infractions contre les personnes (homicides volontaires, viols et violences).

Répartition des requêtes devant la Commission nationale de réparation des détentions par infractions poursuivies – année 2022
Répartition des requêtes devant la Commission nationale de réparation des détentions par infractions poursuivies – année 2022

b. Analyse de la jurisprudence

1. Procédure

Le code de procédure pénale organise les échanges de conclusions devant la Commission nationale de réparation des détentions de la manière suivante :

  • l’auteur du recours, qu’il s’agisse du demandeur à l’indemnisation ou de l’agent judiciaire de l’État, doit déposer ses conclusions dans le délai d’un mois à compter de la lettre recommandée avec avis de réception qui lui a été adressée par le greffe de la commission nationale (article R. 40-8 du code de procédure pénale) ;
  • s’ouvre alors un délai de deux mois à compter de la réception des conclusions de l’auteur du recours, pour que l’autre partie transmette ses propres conclusions (article R. 40-9 du code de procédure pénale) ;
  • puis débute un délai de deux mois pour le dépôt des conclusions du procureur général près la Cour de cassation (article R. 40-10 du code de procédure pénale) ;
  • et enfin court un dernier délai d’un mois à compter de la notification des conclusions du défendeur et du procureur général pour permettre à l’auteur du recours d’y répondre.

Ces dispositions ont pour objectif de rythmer la procédure en assurant à chacune des parties la possibilité de répliquer aux arguments soulevés sans retarder l’issue de l’instance.

Dans une décision du 12 avril 202219, la CNRD a précisé que ces délais s’appliquent, non pas seulement aux conclusions, mais également à la production des pièces par les parties, et ce à peine d’irrecevabilité.

2. Droit à réparation

L’article 149 du code de procédure pénale n’envisage le droit à la réparation que pour la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive.

La CNRD a déjà eu l’occasion de préciser que le législateur a voulu, sauf dans les cas limitatifs qu’il a énumérés, que toute personne non déclarée coupable définitivement ait le droit d’obtenir réparation du préjudice que lui a causé la détention, quelle que soit la cause de la non-déclaration de culpabilité20.

Appliquant cette règle, elle a décidé le 8 février 202221 que le jugement par lequel un tribunal correctionnel se déclare incompétent au regard de la nature criminelle des faits reprochés à un prévenu qui a été placé en détention provisoire, renvoie le ministère public à mieux se pourvoir, et ordonne la remise en liberté de la personne détenue, ne peut être considéré comme ayant mis fin à la procédure, qui est toujours en cours.

La commission en a déduit que la détention provisoire du requérant, sur la culpabilité duquel il n’a pas été statué, et dont la comparution devant une cour d’assises ne saurait être exclue, ne peut être considérée, en l’état, comme dépourvue de fondement juridique. Il appartiendra en conséquence au requérant, si cette procédure se termine à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, de former ultérieurement une nouvelle demande d’indemnisation.

3. Étendue du droit à réparation

3.1. Preuve des préjudices subis

La CNRD juge de longue date que la surpopulation carcérale ainsi que les conditions indignes de détention sont des facteurs d’aggravation du préjudice moral subi22.

En application des règles classiques du droit de la preuve, la charge de la preuve de l’indignité des conditions de détention pèse sur le demandeur à l’indemnisation. Néanmoins, la commission considère que l’intéressé n’a pas à apporter la preuve qu’il a personnellement subi des conditions indignes de détention, dès lors qu’il a démontré l’existence de telles conditions au sein de l’établissement pénitentiaire dans lequel il a été incarcéré.

Plus récemment, la CNRD a précisé que le document émanant d’une autorité telle que le contrôleur général des lieux de privation de liberté, faisant état d’une surpopulation carcérale ou de conditions indignes de détention, ne saurait être écarté au seul motif qu’il décrit une situation antérieure à l’incarcération du requérant, dès lors qu’il n’est pas démontré que la situation décrite aurait évolué avant que ce dernier soit incarcéré dans l’établissement concerné23.

Il en résulte que l’intéressé n’est pas tenu de produire un rapport ou document exactement contemporain de la détention. La CNRD considère en effet qu’un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté antérieur à l’incarcération constitue un élément de preuve des conditions de détention au sein de l’établissement, qu’il appartient à la partie adverse de combattre en démontrant une évolution favorable, telle que l’intéressé n’a pas eu à subir les conditions de surpopulation ou d’indignité précédemment décrites dans le rapport.

En outre, la CNRD a jugé, dans une décision du 8 février 202224, que constituent des éléments de preuve recevables les rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté produits pour la première fois devant elle et qui, sans soutenir une demande nouvelle, viennent étayer l’argumentation soumise au premier juge par le requérant. Ainsi, sous réserve que la demande ait été présentée à ce dernier, le requérant, ayant omis de produire un tel document en première instance, pourra le faire à hauteur d’appel devant la commission nationale.

3.2. Indemnisation du préjudice moral

La souffrance morale résulte du choc carcéral ressenti par une personne privée de sa liberté et peut notamment être aggravée par la situation familiale ou les conditions de détention.

La CNRD a rappelé, dans deux décisions du 8 février 202225 et du 13 septembre 202226, que la circonstance tirée d’une primo-incarcération ne peut être considérée comme un facteur d’aggravation de ce préjudice.

En revanche, l’existence d’un passé carcéral est susceptible de constituer un facteur de minoration du préjudice subi.

3.3. Indemnisation du préjudice corporel

Au titre des préjudices personnels dont le requérant peut demander réparation, se trouve le préjudice corporel, dont la définition donnée par la CNRD s’inscrit dans le sillage du droit commun de la responsabilité.

Dans une décision du 14 juin 202227, la CNRD, le distinguant du préjudice moral, définit le préjudice corporel comme celui consistant « en des séquelles psychiques ou physiques persistantes générant une incapacité permanente ».

L’indemnisation de ce poste de préjudice, souligne-t-elle, est subordonnée à la preuve que les séquelles ont pour origine certaine la détention subie.

Il convient néanmoins de préciser que l’apparition ou l’aggravation d’une pathologie trouvant son origine, non dans la détention elle-même, mais dans un dysfonctionnement du service public pénitentiaire ou médical échappe à la compétence de la commission, qui n’est le juge que de la réparation de la détention.

3.4. Indemnisation du préjudice lié à la perte de revenus

Au titre des préjudices matériels subis en raison de la détention injustifiée, le requérant peut solliciter la réparation du préjudice lié à la perte de revenus ou, lorsqu’il ne travaillait pas au moment de l’incarcération, la réparation du préjudice lié à la perte de chance d’occuper un emploi, et donc, in fine, de percevoir un salaire.

S’inscrivant dans la continuité de nombreux précédents, la CNRD a rappelé, dans une décision du 15 novembre 202228, que le demandeur ayant perdu son emploi en raison de l’incarcération peut solliciter la réparation du préjudice subi du fait de la privation de sa rémunération ainsi que, le cas échéant, celui résultant, à sa libération, de la période jugée nécessaire pour lui permettre de retrouver un emploi.

Dans une décision rendue le même jour29, la CNRD a également rappelé que la perte de chance de trouver un emploi s’apprécie, notamment, à partir d’éléments tirés de la qualification et du passé professionnel du requérant ainsi que du fait qu’il retrouve un emploi dès sa remise en liberté, et a retenu, conformément aux règles de droit commun, que la réparation de la perte de chance d’occuper un emploi durant le temps de la détention doit être mesurée à la chance perdue, et ne peut être égale à l’avantage qu’elle aurait procuré si elle s’était réalisée.

3.5. Indemnisation des frais d’avocat

La CNRD juge, de manière constante, que les honoraires ou frais d’avocat, ne peuvent être remboursés que s’ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures destinées à y mettre fin.

Ainsi décide-t-elle qu’il appartient au requérant d’en justifier par la production de factures ou du compte établi par son défenseur avant tout paiement définitif d’honoraires, en application de l’article 12 du décret no 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat, détaillant les démarches liées à la détention, en particulier les visites à l’établissement pénitentiaire et les diligences effectuées pour la faire cesser dans le cadre des demandes de mise en liberté30.

Il s’ensuit que seules peuvent, en principe, être prises en considération les factures d’honoraires permettant de détailler et d’individualiser les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la liberté, dès lors qu’il n’appartient pas au juge de l’indemnisation de la détention de procéder lui-même à cette individualisation.

La CNRD a toutefois pu assouplir sa jurisprudence en certaines circonstances lui permettant de s’assurer que les prestations d’avocat, quoique non détaillées ou individualisées, présentaient bien un tel lien exclusif. Ainsi, utilisant la technique du faisceau d’indices pour relier une facture, rédigée en des termes imprécis, au contentieux de la détention, a-t-elle jugé, dans une décision du 8 février 202231 :

-   « S’agissant en revanche de la somme de [...] dont l’allocation a été refusée par le premier président, et si même l’intitulé de la facture correspondante produite ne vise pas expressément la détention, il doit être relevé que Mme X a été remise en liberté le 2 décembre 2008, soit deux jours après la date mentionnée sur cette facture, par un arrêt du même jour dont la lecture montre qu’elle a interjeté appel de l’ordonnance la plaçant en détention et que son conseil a déposé un mémoire devant la chambre de l’instruction le 27 novembre 2008 pour l’audience fixée le lendemain, au cours de laquelle il a présenté des observations orales.

Il se déduit de ce faisceau d’indices convergents que la facture de [...] concerne le contentieux de la détention. »

La CNRD a de la même façon admis, dans la décision précitée du 12 avril 202232, que même en l’absence d’une facture détaillée, elle pouvait être en mesure de déterminer le montant des frais d’avocat dédiés spécifiquement au contentieux de la détention au vu des pièces versées, dès lors que celles-ci établissaient l’existence de recours devant la chambre de l’instruction contre les décisions de rejet de demandes de mise en liberté, et de visites de l’avocat à l’établissement pénitentiaire.


19. Com. nat. de réparation des détentions, 12 avril 2022, no 21CRD033.

20. Com. nat. de réparation des détentions, 21 janvier 2008, no 07CRD068, Bull. crim. 2008.

21. Com. nat. de réparation des détentions, 8 février 2022, no 21CRD024.

22. Com. nat. de réparation des détentions, 20 février 2006, no 05CRD055, Bull. crim. 2006, CNRD, no 4 ; Com. nat. de réparation des détentions, 29 mai 2006, no 05CRD077.

23. Com. nat. de réparation des détentions, 13 septembre 2022, no 21CRD046.

24. Com. nat. de réparation des détentions, 8 février 2022, no 21CRD022.

25. Com. nat. de réparation des détentions, 8 février 2022, no 21CRD024.

26. Com. nat. de réparation des détentions, 13 septembre 2022, no 21CRD043.

27. Com. nat. de réparation des détentions, 14 juin 2022, no 21CRD036.

28. Com. nat. de réparation des détentions, 15 novembre 2022, no 21CRD059.

29. Com. nat. de réparation des détentions, 15 novembre 2022, no 22CRD007.

30. Com. nat. de réparation des détentions, 12 avril 2022, no 21CRD026.

31. Com. nat. de réparation des détentions, 8 février 2022, no 21CRD027.

32. Com. nat. de réparation des détentions, 12 avril 2022, no 21CRD026.

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