Rapport annuel 2022 (Discours du premier président)

Rapport annuel

Ouvrage de référence dans les milieux judiciaire et universitaire, le Rapport de la Cour de cassation est aussi un précieux instrument de travail pour les praticiens du droit. Le Rapport 2022 comporte des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, ainsi que l’analyse des principaux arrêts et avis ayant été rendus, tout au long de l’année, dans les différentes branches du droit privé. Le Rapport présente également, de manière détaillée, l’activité juridictionnelle et extra-juridictionnelle de la Cour de cassation, ainsi que celle des juridictions et commissions instituées auprès d’elle.

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Rapport annuel

Rapport annuel 2022 (Discours du premier président)

DISCOURS PRONONCÉ lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire, le 9 janvier 2023, par

Monsieur Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation

Madame la présidente de l’Assemblée nationale,

Votre présence exprime l’attention que l’Assemblée nationale porte traditionnellement à nos activités et à leur place dans le fonctionnement de l’État. Je connais, en outre, votre intérêt personnel très fort pour l’institution judiciaire, et je ne peux que vous en remercier. La Cour est très honorée que vous ayez bien voulu répondre à son invitation.

Monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice,

Soyez également remercié pour votre présence, qui témoigne de l’intérêt que vous portez aux conditions dans lesquelles magistrats et fonctionnaires de justice accomplissent leur mission, ainsi que de votre intérêt pour la réflexion que mène la Cour de cassation. Au seuil d’une année porteuse de projets structurants pour notre institution, votre présence revêt une importance particulière.

Madame la présidente de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation est très heureuse de vous accueillir en qualité d’invitée d’honneur de la présente audience.

Alors que la guerre a fait son retour sur notre continent, il est important de garder à l’esprit que c’est pour que les atrocités des deux guerres mondiales ne se reproduisent plus que les États européens ont fait le choix de construire une paix durable par le droit, en créant et développant notamment un véritable système international de protection des droits de l’homme – qui reste, de nos jours, unique par son ampleur et sa portée.

Dans un contexte européen marqué par les remises en cause croissantes des fondements démocratiques de nos sociétés et de l’État de droit, dont le juge est l’indispensable garant, soyez assurée, Madame la présidente, que la Cour de cassation continuera à défendre les valeurs et principes fondamentaux qui constituent notre socle commun, aussi précieux que fragile.

Mesdames et Messieurs les premiers présidents, présidents et procureurs généraux des Cours suprêmes,

Madame la ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes, les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances,

Madame la secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargée de l’enfance,

Monsieur le président du Conseil constitutionnel,

Monsieur le vice-président du Conseil d’État,

Madame la Défenseure des droits,

Monsieur le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale,

Monsieur le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale,

Madame la sénatrice représentant le président de la commission des lois du Sénat,

Monsieur le premier président de la Cour des comptes,

Monsieur le procureur général près cette cour,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de la magistrature,

Mesdames et Messieurs les hautes personnalités représentant les autorités civiles, militaires et religieuses,

Monsieur le président de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation,

Mesdames et Messieurs les représentants des professions judiciaires,

Mesdames et Messieurs,

Je ne peux saluer individuellement, en leurs qualités respectives, les nombreuses personnalités françaises et étrangères qui ont tenu à marquer cette audience de leur présence au nom des institutions qu’elles représentent : veuillez m’en pardonner, en recevant l’assurance que la Cour de cassation est très honorée de votre présence.

Mes chers collègues,

Une audience de rentrée est le moment où une juridiction rend compte de son activité de l’année écoulée et fait état des perspectives.

Le compte rendu de l’année écoulée figure dans le document qui vous a été remis. Je le compléterai dans un instant en disant quelques mots de la jurisprudence.

Quant à l’année qui vient, elle sera marquée par le départ, à la fin du mois de juin, de notre procureur général. Je voudrais exprimer ici tout le plaisir que j’ai à travailler avec vous, cher François, tant à la Cour de cassation qu’au Conseil supérieur de la magistrature et à l’École nationale de la magistrature. Pour beaucoup de nos concitoyens, vous restez le procureur de Paris qui a su, lors des attentats terroristes, donner à voir avec calme et détermination la réponse de l’institution judiciaire. Dans les fonctions qui sont aujourd’hui les vôtres, vous faites montre chaque jour de votre attachement à l’indépendance de la justice, de votre sens de l’intérêt général, de votre souci de ce que, par la qualité de leurs travaux, les avocats généraux apportent une contribution importante aux décisions rendues et, j’ose le dire car pour moi c’est aussi une qualité essentielle d’un magistrat, de votre simplicité. Je suis heureux d’avoir ici l’occasion de vous remercier.

L’année 2023 sera encore marquée, pour l’autorité judiciaire tout entière, par le renouvellement du Conseil supérieur de la magistrature. Qu’il me soit permis d’exprimer aux membres du Conseil la gratitude de l’institution pour l’ampleur de la tâche accomplie.

Qu’on songe qu’il a statué en quatre ans sur plus de 10 000 nominations de magistrats et qu’en parallèle son activité disciplinaire a été marquée par une hausse importante du nombre de saisines. Par ailleurs, au cours de sa mandature et malgré la crise sanitaire, le Conseil a visité, outre la Cour de cassation et l’École nationale de la magistrature, l’ensemble des 36 cours d’appel, 164 tribunaux judiciaires et tribunaux de première instance, et a réalisé près de 600 entretiens individuels auxquels il convient d’ajouter de nombreuses rencontres plus informelles, au gré des visites.

Il a pu ainsi recueillir des informations précieuses sur l’exercice quotidien des missions du magistrat dans les juridictions.

Cette mandature a aussi été le moment de fortes innovations. Des innovations pour développer une gestion des ressources humaines plus dynamique et au plus proche des attentes des magistrats. Des innovations aussi dans les méthodes de travail et la communication, le Conseil s’étant prononcé à de nombreuses reprises sur différents événements d’actualité en lien avec l’institution judiciaire.

La densité de cette activité du Conseil supérieur de la magistrature s’est aussi traduite par une réflexion thématique, à travers notamment une contribution importante aux États généraux de la justice et deux avis majeurs, rendus à la demande du Président de la République. Le premier porte sur le parquet national financier et plus généralement l’indépendance du parquet, l’autre, sur la protection fonctionnelle et la responsabilité des magistrats.

Permettez-moi de m’attarder un instant sur ce second avis. Il contient trente propositions, dont vingt-trois, c’est-à-dire plus des trois quarts, portent sur le volet responsabilité. Certaines de ces propositions visent à renforcer la place de la déontologie dans l’activité des magistrats, d’autres à renforcer la détection des manquements disciplinaires, d’autres enfin à rendre plus efficace le traitement de ces manquements.

Ces propositions sont des propositions concrètes, notamment celles qui concernent le traitement des plaintes des justiciables. On sait que, depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, tout justiciable qui estime qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant, le comportement adopté par un magistrat du siège ou du parquet dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Ces plaintes passent par le filtre d’une commission d’admission des requêtes, dont je souligne en passant qu’elle comprend autant de personnalités extérieures à la magistrature que de magistrats.

La plupart de ces plaintes sont déclarées irrecevables ou mal fondées, soit parce qu’elles ne respectent pas les conditions posées par la loi elle-même, notamment la condition de délai, soit parce qu’elles n’articulent aucun grief, soit encore parce que le justiciable a confondu plainte disciplinaire et voie de recours.

Néanmoins, certains pensent pouvoir tirer de ce faible taux de réussite des plaintes la conclusion que la magistrature se protège. Cette assertion repose sur le postulat très discutable et en tout cas non démontré selon lequel la plupart de ces plaintes seraient nécessairement fondées. Je ne doute pas qu’une grande partie de la défiance et de l’inquiétude qui s’expriment ainsi sera levée si le législateur met en œuvre les propositions du CSM visant à faciliter la tâche des justiciables et à permettre aux commissions d’admission des requêtes de mener des investigations propres à pallier la carence des justiciables dans l’administration de la preuve.

Le CSM, lui, a fait ce qu’il pouvait dans les limites actuelles de la loi pour leur faciliter la tâche.

La dénonciation d’une magistrature qui s’autoprotègerait s’inscrit dans un discours plus général sur l’entre-soi de l’institution judiciaire.

Le CSM doit être ouvert à la société puisque c’est au profit de l’ensemble des justiciables qu’il agit. Je m’emploierai à ce qu’il poursuive dans la voie d’une plus grande transparence de son action.

Cette politique d’ouverture est également celle que poursuit l’École nationale de la magistrature, dont il faut rappeler qu’une grande partie des enseignements est d’ores et déjà dispensée par des intervenants qui ne sont pas des magistrats, que ce soit dans le cadre de la formation initiale ou dans celui de la formation continue. Aucune institution ne doit rester figée et l’École nationale de la magistrature évoluera encore, comme elle a toujours su le faire.

Toutefois on ne saurait oublier qu’il s’agit d’une école d’application professionnelle (c’est ainsi que l’a qualifiée le rapport des États généraux de la justice), qui apprend notamment à rédiger un jugement ou un réquisitoire, à mener un entretien ou un interrogatoire, à présider une audience. Les compétences des enseignants doivent être en rapport avec cette vocation.

Cette politique d’ouverture est encore celle que poursuivra la Cour de cassation dans les années qui viennent.

Et d’abord dans l’exercice de son cœur de métier, qui est de rédiger des arrêts. L’évolution qui l’a conduite, depuis quelques années, à considérer que, au moins dans les affaires les plus importantes, elle doit énoncer les raisons qui l’amènent à retenir telle ou telle interprétation d’un texte ou à énoncer tel ou tel principe, ne saurait être considérée comme achevée. Ce type de motivation, que nous appelons « motivation enrichie », comprend en effet des degrés divers. On peut se borner à énoncer les raisons immédiates mais on peut aussi énoncer les raisons des raisons, expliquer pourquoi on n’a pas retenu une autre interprétation ou une autre méthode d’interprétation. La liste des justifications risque d’être sans fin et c’est pourquoi la réflexion doit aussi porter sur les limites que l’on entend assigner à la motivation enrichie.

Cette réflexion est menée en interne et elle fera également l’objet d’une rencontre avec des universitaires au cours de l’année qui commence. L’éventuelle introduction de l’opinion séparée intégrée entre dans le périmètre de cette réflexion.

La motivation enrichie permet aux universitaires de participer à un débat doctrinal plus riche et, qui plus est, fructueux pour les juges eux-mêmes. En faisant apparaître les faiblesses ou les contradictions susceptibles d’affecter certains textes, elle donne aussi une information utile au législateur et au gouvernement.

Parmi les ingrédients qui nourrissent les délibérés de la Cour de cassation figurent la jurisprudence des autres juridictions judiciaires et celles des juridictions administratives. Il ne s’agit pas pour la Cour de cassation de s’aligner automatiquement sur la position majoritaire des juges du fond ou sur la jurisprudence du Conseil d’État. Mais lorsqu’elle constate que sa jurisprudence rencontre de fortes résistances, qu’elle est contraire à celle du Conseil d’État ou qu’elle est largement critiquée par la doctrine, elle doit à tout le moins s’interroger sur sa pertinence et la reconsidérer à nouveaux frais.

À vrai dire ceci n’est pas nouveau mais il y a de la nouveauté à le faire apparaître explicitement dans un arrêt. En le faisant, la Cour de cassation montre qu’elle s’inscrit dans une démarche d’ouverture.

Et en actant ainsi qu’elle est attentive à ce que les autres jugent, la Cour de cassation s’oblige à s’en informer. Tel est l’un des enjeux du renforcement des liens entre la Cour de cassation et les cours d’appel : comprendre pourquoi certaines d’entre elles rendent de manière récurrente des décisions qui ne pourront qu’être censurées par la Cour de cassation.

Les causes peuvent être de deux sortes : une volonté de ne pas suivre la jurisprudence de la Cour de cassation ; une méconnaissance de cette jurisprudence. Ces deux types de cause appellent des réponses différentes.

Le premier phénomène, on l’a dit, doit conduire la Cour de cassation à s’interroger sur sa jurisprudence. Le second doit la conduire à mettre en place des outils d’information pédagogiques. De tels outils existent déjà, ils sont généralement de grande qualité et je remercie les magistrats et anciens magistrats de la Cour de cassation et des juridictions du fond qui les élaborent avec une grande diligence. Mais ces outils sont épars et ils ne font pas l’objet d’un recensement ni d’une mise à jour systématique. C’est pourquoi j’ai confié à la présidente Sandrine Zientara, directrice du service de documentation, des études et du rapport, la mission de mieux structurer cet ensemble et surtout le processus de fabrication de ces outils.

C’est dans le même esprit que devra être construit l’Observatoire des litiges judiciaires, qui aura pour fonction d’identifier les contentieux émergents afin de les traiter plus rationnellement, et de poursuivre la mise en œuvre de l’open data, c’est-à-dire la mise à disposition du public de l’ensemble des décisions rendues publiquement en France. L’open data n’est pas une simple mesure technique. Il faut l’envisager aussi sous l’angle des libertés publiques puisqu’il permet de disposer de très nombreuses données personnelles. Ce n’est donc pas un hasard si le législateur a placé l’open data des décisions judiciaires sous la responsabilité de la Cour de cassation.

L’Observatoire des litiges judiciaires et l’open data constitueront deux chantiers importants de l’année 2023.

L’ouverture de la Cour de cassation conduira également à réfléchir à l’évolution des lettres des chambres, qui sont devenues, pour nos collègues des cours et tribunaux, une source importante d’information sur la jurisprudence de la Cour de cassation et qui, au-delà du cercle des juristes, participent à la vie démocratique. Aussi faudra-t-il réfléchir à la publication d’une lettre de la Cour et au développement de podcasts, sur le modèle de celui que la chambre sociale produit déjà.

L’Observatoire des litiges judiciaires, l’open data, les lettres de chambre, la future lettre de la Cour et les podcasts nous font quitter les rivages de l’ouverture interne à l’institution judiciaire pour aborder ceux de l’ouverture vers la société tout entière.

On pourrait penser que l’évolution qui conduit la Cour de cassation à développer la motivation de ses arrêts rend moins nécessaire une politique de communication. C’est l’inverse qui est vrai. D’abord parce qu’il est plus aisé de communiquer à partir d’arrêts qui disent beaucoup de choses que sur des arrêts sibyllins, étant entendu qu’un communiqué de presse ou une lettre de chambre ne peuvent pas se substituer aux motifs d’un arrêt ; ensuite parce que la motivation enrichie et la communication répondent à une même logique de transparence et de renforcement de la légitimité de la Cour. Elles s’accompagnent et se renforcent donc l’une l’autre.

Mais qu’est-ce au juste que communiquer pour une juridiction telle que la Cour de cassation ? J’y vois trois aspects : dire ce qu’elle a jugé ; dire comment elle juge ; dire ce qu’elle va avoir à juger.

Le premier aspect est le plus classique. Il est couvert par le Rapport annuel, les notices explicatives, les communiqués de presse, les rencontres avec les journalistes, les lettres des chambres, les podcasts, tous instruments qui devront être développés et améliorés.

Le deuxième aspect est plus nouveau. D’une certaine manière la motivation enrichie peut être considérée sous cet angle puisque l’arrêt donne alors à voir comment une interprétation a été choisie. Mais il faut aussi montrer comment la Cour travaille concrètement. Tel est déjà l’objet des courtes vidéos sur les métiers de la Cour, dont les plus récentes ont été mises en ligne il y a un mois environ. Tel sera l’objet également de la captation audiovisuelle de certaines audiences, à commencer par celles des assemblées plénières, qui interviendra dès 2023. Toutefois la diffusion des audiences filmées devra faire l’objet d’un accompagnement pédagogique faisant apparaître que l’audience n’est que la partie émergée d’une réflexion qui s’ancre dans des travaux préparatoires d’envergure et se cristallise dans un délibéré approfondi.

Reste la communication sur les affaires à venir. La presse et le public seront d’autant plus attentifs aux décisions de la Cour de cassation que leur attention aura été attirée à l’avance par une communication qui en dévoile les enjeux, rappelant que le juge est appelé à se prononcer, par les justiciables qui le saisissent, sur les principales questions économiques, sociales et culturelles auxquelles la société est confrontée.

Il est fort à parier que tous nos concitoyens ne se rendent pas compte de ce que la Cour de cassation, dans la suite de l’ensemble des cours et tribunaux, statue chaque semaine sur des questions qui concernent leur vie quotidienne.

Tel est pourtant le cas lorsque la Cour traite de la situation des personnes âgées ou dépendantes et se prononce sur ce que peut ou ne peut pas faire le représentant habilité d’un majeur protégé dans le cadre des nouvelles mesures de protection familiale instituées par l’ordonnance du 15 octobre 2015.

Tel est aussi le cas lorsqu’elle décide si une prestation sociale, comme l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, peut ou non être partagée entre des parents séparés bénéficiant d’un droit de résidence alternée sur leur enfant.

Au-delà du cercle familial, c’est encore la vie quotidienne de chacun qui est concernée lorsque la Cour définit les cas dans lesquels un véhicule à l’arrêt est impliqué ou non dans un accident de la circulation ou lorsqu’elle rappelle les obligations qui sont celles des banques tant envers la personne débitée qu’envers le bénéficiaire en cas de virement bancaire sur internet non autorisé ou aussi lorsqu’elle dit, en cas de travaux dans une copropriété, que l’ensemble des devis sollicités doivent être soumis à la délibération de l’assemblée générale et pas seulement le devis retenu par le maître d’œuvre.

Certaines situations sur lesquelles la Cour de cassation doit se prononcer sont moins courantes mais l’obligent à rechercher, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, des solutions concrètes à des modèles familiaux qui existent en fait mais n’ont pas de reconnaissance légale. Tel est le cas de la filiation d’un enfant né d’un engendrement charnel entre une femme et son mari lorsque ce dernier a obtenu, avant la naissance, la modification de son sexe à l’état civil. Chacun a en tête également la question du lien de filiation avec le parent d’intention des enfants nés à l’étranger à la suite d’une gestation pour autrui.

Sont également susceptibles d’intéresser nombre de personnes les affaires qui mettent en jeu la liberté d’expression dans ses rapports notamment avec d’autres principes tels que le respect de la vie privée ou la présomption d’innocence. Plusieurs d’entre elles se rattachent au mouvement Me Too. La liberté religieuse est également d’une actualité brûlante, notamment lorsqu’elle est invoquée par un salarié contre son employeur ou par un avocat qui entend porter un signe d’appartenance sur sa robe. La Cour de cassation est également amenée à se prononcer sur la mise en œuvre du statut de lanceur d’alerte ainsi que sur la discrimination qui peut résulter de contraintes vestimentaires différentes pour les hommes et pour les femmes sur le lieu de travail.

C’est aussi de l’application du droit dans les événements exceptionnels que traversent nos sociétés que traite la Cour de cassation.

À cet égard, je rappellerai ici que presque toutes les chambres de la Cour de cassation ont rendu cette année des arrêts importants sur les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire : sur la façon dont les employeurs ont pu imposer à leurs salariés de poser leurs jours de congés pendant le confinement ou dont ils devaient protéger les salariés se déplaçant au domicile des clients, sur le contenu des clauses des contrats d’assurance permettant ou non aux commerçants d’être indemnisés de leurs pertes d’exploitation dues aux fermetures administratives ou encore sur leur obligation de payer leur loyer sur ces périodes.

C’est aussi des conséquences de la crise climatique mondiale que le juge est saisi. Ainsi l’assèchement des sols, qui entraîne des conséquences dommageables pour les propriétés bâties, donne lieu à de nombreux litiges qui soulèvent notamment la question de savoir si un phénomène récurrent peut encore constituer un cas de force majeure, ainsi que celle du périmètre du devoir d’information du vendeur. Les contraintes imposées par la réglementation environnementale ont conduit à l’apparition ou au développement de nouvelles professions, tels les diagnostiqueurs et autres qualificateurs, dont les règles de responsabilité doivent être définies.

Quant au principe de proportionnalité, qui commande concrètement le régime de la réparation en cas de violation des règles d’urbanisme, notamment lorsque cette réparation prend la forme de la démolition, il doit être apprécié à l’aune de considérations environnementales toujours plus prégnantes. Enfin les infrastructures de production d’énergie, telles que les éoliennes, se voient reprocher de causer des dommages sanitaires qui donnent lieu à du contentieux.

Le contentieux qui vient d’être évoqué est généralement de nature civile mais la protection de l’environnement est également un thème sur lequel la chambre criminelle se penche régulièrement, qu’il s’agisse du respect des règles d’urbanisme, de la protection de certaines espèces, du déversement de produits dangereux dans la mer ou, sur le plan procédural, de la faculté pour les associations de protection de l’environnement de se constituer partie civile.

Je pourrais allonger la liste mais, rassurez-vous, je m’en tiendrai à ces quelques exemples. Je veux seulement dire qu’en communiquant sur toutes ces affaires, ordinaires ou non, la Cour de cassation rend visible la place que le droit occupe dans les relations entre individus, étant entendu qu’il faut aujourd’hui inclure, parmi ces individus, ceux des générations futures.

Au risque d’énoncer des truismes, je dirai que l’identité de chacun d’entre nous passe en grande partie par la reconnaissance que nous manifestent nos contemporains et que cette reconnaissance prend corps, bien souvent, grâce à l’octroi d’un statut juridique. C’est le droit, notamment, qui oblige chacun à reconnaître les autres et à ne pas porter atteinte à leur dignité. En organisant les rapports entre proches, les relations de travail ou la vie des personnes dans l’espace public, le droit contribue à réduire la part de la violence inhérente à tout groupement humain. Il protège les plus faibles et également ceux qui appartiennent à une minorité. C’est pourquoi il peut cantonner les pouvoirs de la majorité, au nom d’une conception de la démocratie qui ne se réduit pas à l’expression d’un vote.

Mais ce grand stabilisateur des relations humaines qu’est le droit est lui-même en perpétuelle évolution car il doit suivre, parfois à distance et avec retard, l’évolution des techniques et des mœurs. Le droit encadre les relations humaines et il ne peut pas résister indéfiniment à des évolutions sociétales fondamentales, sauf à ce que ces dernières empruntent des chemins de traverse en sortant du cadre légal.

Le juge est l’un des acteurs qui contribuent à cette évolution du droit. C’est un rôle difficile qui doit être exercé avec une éthique de responsabilité.

Comme je l’ai dit, la Cour de cassation exercera ce rôle dans une position d’écoute, d’attention et d’ouverture constante. Il s’agit d’une ouverture dans les deux sens, entrant et sortant : pour faire évoluer le droit, la Cour de cassation doit être en mesure de percevoir les grandes évolutions de la société dans son ensemble ; pour asseoir sa légitimité elle doit montrer à voir ce qu’elle fait.

Les juridictions de France partagent cette même éthique lorsqu’elles tranchent les litiges dont elles sont saisies. Mais elles ne pourront assumer leur tâche que si les conditions de leur bon fonctionnement sont restaurées. Faut-il rappeler qu’il y a chaque année largement plus d’un million de nouvelles affaires civiles et largement plus d’un million de procédures pénales avec un auteur identifié ?

S’agissant des réformes de l’organisation et du fonctionnement des juridictions, si tout ne fait pas consensus, des grandes lignes ont été identifiées par le travail des États généraux de la justice. Reste au gouvernement et au Parlement, dont c’est le rôle légitime, à déterminer les mesures qu’ils entendent mettre en œuvre. C’est ce que vous venez de faire, Monsieur le ministre, garde des sceaux, en présentant votre plan d’action. Nul doute qu’il était attendu et qu’il suscite de l’espoir.

Pour ma part j’entends exprimer, au seuil de l’année 2023, au-delà du sentiment d’urgence que ressent l’institution judiciaire, sa volonté d’assurer la plénitude de ses missions de manière apaisée et ouverte.

 

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