Rapport annuel 2021 (IV. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE)

Rapport annuel

Ouvrage de référence dans les milieux judiciaire et universitaire, le Rapport de la Cour de cassation est aussi un précieux instrument de travail pour les praticiens du droit. Le Rapport 2021 comporte des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, ainsi que l’analyse des principaux arrêts et avis ayant été rendus, tout au long de l’année, dans les différentes branches du droit privé. Le Rapport présente également, de manière détaillée, l’activité juridictionnelle et extra-juridictionnelle de la Cour de cassation, ainsi que celle des juridictions et commissions instituées auprès d’elle.

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Rapport annuel 2021 (IV. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE)

IV. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE

A. Suivi des suggestions de réforme

Cautionnement

Reprise des poursuites par la caution

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation réitère la proposition figurant aux Rapports depuis 2016 tendant à la modification de l’article L. 643-11, II, du code de commerce qui permet, en l’état, aux cautions professionnelles d’échapper à l’absence de reprise des poursuites contre le débiteur.

Pour rappel, aux termes de ces dispositions, par exception posée à la règle selon laquelle le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, « les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent poursuivre le débiteur s’ils ont payé à la place de celui-ci ».

La règle ne pose pas de difficulté en son principe, mais dès lors que, en pratique, ce sont essentiellement les cautions qui poursuivent le débiteur après la clôture pour insuffisance d’actif, et que le texte ne distingue pas entre les cautions personnes morales et les cautions personnes physiques, il a été constaté que la règle s’appliquait, en particulier, à la caution qui est la filiale de l’établissement de crédit qui a consenti un prêt au débiteur principal.

Il en résulte que l’établissement de crédit, au mépris de l’esprit du texte, peut, de fait, recouvrer sa créance par filiale interposée et, ainsi, en réalité, faire obstacle à la libération du débiteur dans un cas où cela ne se justifie pas. Tel était le cas soumis à la chambre commerciale dans un arrêt du 28 juin 2016 (Com., 28 juin 2016, pourvoi no 14-21.810, Bull2016, IV, no 98), mais, en l’état du texte, la Cour de cassation n’a pu que constater que « l’article L. 643-11, II, du code de commerce, qui autorise la caution qui a payé à la place du débiteur principal à le poursuivre, malgré la clôture de la liquidation judiciaire de celui-ci pour insuffisance d’actif, ne distingue pas selon que ce paiement est antérieur ou postérieur à l’ouverture de la procédure collective, ni suivant la nature, subrogatoire ou personnelle, du recours exercé par la caution ».

Il est donc proposé comme les années précédentes de modifier l’article L. 643-11, II, du code de commerce précité pour réserver le bénéfice de l’exception instituée par ce texte aux cautions personnes physiques et en exclure les personnes morales.

La DACS indique avoir mené des consultations sur ce projet et sur l’articulation entre le droit des sûretés et le droit des procédures collectives. Le questionnaire soumis à consultation publique comprenait ainsi une question (no 5.15) relative au recours de la caution après clôture de la liquidation judiciaire, laquelle a suscité des réactions contrastées de la part des parties prenantes.

L’avant-projet de réforme du droit des sûretés dans son volet relatif à l’articulation avec le livre VI du code de commerce, soumis à consultation publique au début de l’année 2021, ne comprenait pas de disposition sur la reprise des poursuites de la caution. Il ressort en effet d’échanges antérieurs avec plusieurs répondants à la première consultation publique effectuée en 2019 que la suppression de la reprise des poursuites de la caution personne morale en cas de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, pourrait induire des effets de bord, lorsque cette personne morale n’est pas un établissement spécialisé dans ce type de garanties, outre le risque d’un renchérissement du coût du crédit lié à l’interdiction de la reprise des poursuites ici envisagée.

Pour ces raisons, la proposition de réforme n’a pas été retenue dans le cadre de cette réforme par l’ordonnance no 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce. Elle pourra toutefois continuer à être expertisée, en fonction des retours d’expériences et difficultés soulevées en pratique.

Sanction du défaut d’information annuelle de la caution

Dans l’hypothèse d’un cautionnement donné par une personne physique à un établissement de crédit ou une société de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, le créancier encourait la déchéance des pénalités ou intérêts de retard, selon les dispositions du code de la consommation (articles L. 333-2 et L. 343-6), et la déchéance des intérêts, selon les dispositions du code monétaire et financier (article L. 313-22).

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation suggérait aux Rapports depuis 2017 l’harmonisation de ces deux sanctions en prévoyant dans l’article L. 313-22 du code monétaire et financier que le créancier encourt la déchéance des « intérêts contractuels et pénalités de retard ».

Cette suggestion a été suivie d’effet. Les articles L. 333-2 et L. 343-6 du code de la consommation ainsi que l’article L. 313-22 du code monétaire et financier ont été abrogés par l’ordonnance no 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés. Ces textes ont été supprimés au profit d’une obligation d’information unique, inscrite dans le code civil à l’article 2302 selon lequel le créancier qui manquerait à son obligation d’information encourt la « déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus depuis la date de la précédente information et jusqu’à celle de la communication de la nouvelle information ».

Crédit-bail mobilier

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En application des articles L. 624-10 et R. 624-15 du code de commerce, le propriétaire d’un bien détenu par un débiteur en procédure collective est dispensé de faire reconnaître son droit de propriété pour en demander la restitution lorsque le contrat portant sur ce bien a été publié avant le jugement d’ouverture.

En matière de crédit-bail mobilier, il résulte des articles R. 313-3 à R. 313-5 du code monétaire et financier que cette publication est effectuée par l’inscription dans le registre ouvert à cet effet au greffe du tribunal de commerce dans le ressort duquel est immatriculé le crédit-preneur ou, si ce dernier n’est pas immatriculé, dans le ressort duquel est situé son établissement.

Deux affaires récentes soumises à la chambre commerciale, financière et économique (Com., 4 mai 2017, pourvoi no 15-16.524 ; Com., 24 mai 2018, pourvoi no 16-28.083) illustrent les difficultés résultant de la multiplicité des registres d’inscription, notamment lorsque le bien fait l’objet d’une sous-location ou, compte tenu des délais assignés par l’arrêté du 4 juillet 1972 relatif à la publicité des opérations de crédit-bail en matière mobilière aux greffes des tribunaux concernés, lorsque le crédit-preneur transfère son siège du ressort d’un tribunal de commerce à un autre peu de temps avant le jugement d’ouverture.

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation réitère comme l’année passée sa suggestion de modifier l’article R. 313-4 du code monétaire et financier pour prévoir que « l’entreprise de crédit-bail demande la publication au registre national ouvert à cet effet, ainsi que l’insertion d’un avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales », l’article R. 313-5 et le second alinéa de l’article R. 313-6 du même code étant abrogés et les articles R. 313-9 et R. 313-11 modifiés en conséquence.

À défaut, il conviendrait de préciser les modalités du report de la publication par le crédit-bailleur en complétant l’article R. 313-6 du code monétaire et financier pour préciser que, dans le cas où la modification affectant les renseignements mentionnés à l’article R. 313-3 implique un changement du tribunal territorialement compétent, l’entreprise de crédit-bail doit faire reporter l’inscription modifiée sur le registre du greffe du nouveau tribunal « dans le délai d’un mois à compter de la notification qui est faite par le crédit-preneur de la modification » et que l’inscription sur le registre initial demeure valable tant que le greffe auquel la demande a été adressée dans ce délai n’a pas procédé à la modification.

Cette suggestion a été suivie d’effet. En effet, le gouvernement a entendu la proposition de réforme de la publicité du crédit-bail, notamment par la centralisation de celle-ci, telle que proposée par la Cour de cassation. La DACS indique que cette centralisation correspond à la volonté du gouvernement de simplifier les démarches des entreprises et de faciliter l’accès aux informations les concernant.

Cette réforme de la publicité du crédit-bail mobilier s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus large sur l’harmonisation des registres de publicité tenus par les greffiers des tribunaux de commerce.

Dans cet objectif, l’ordonnance no 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, prise en application de l’article 60 de la loi PACTE, a harmonisé et simplifié les règles de publicité des sûretés mobilières.

Le décret no 2021-1887 du 29 décembre 2021 relatif au registre des sûretés mobilières et autres opérations connexes (ci-après « décret RSM »), pris en application de cette ordonnance, prévoit ainsi l’inscription des sûretés mobilières et autres opérations connexes dans un seul registre tenu localement par un greffier de tribunal de commerce (« le registre des sûretés mobilières » – RSM) et unifie les règles d’inscription de ces sûretés aux articles R. 521-1 et suivants du code de commerce. Il organise en outre la dématérialisation de ce registre.

Ce registre assure notamment la publicité des opérations de crédit-bail en matière mobilière (nouvel article R. 521-2, 16o, du code de commerce). En conséquence, les articles R. 313-4 et suivants du code monétaire et financier ont été modifiés ou supprimés.

Le critère de compétence territoriale du greffier du tribunal de commerce est en effet désormais défini au nouvel article R. 521-5 du code de commerce, qui précise que le greffier compétent est celui du tribunal de commerce dans le ressort duquel le débiteur, ou le propriétaire du bien grevé s’il n’est pas le débiteur, est immatriculé à titre principal au registre du commerce et des sociétés (RCS). Si celui-ci n’est pas soumis à l’obligation d’immatriculation au RCS, l’inscription est portée sur le registre dans le ressort duquel est situé son siège ou à défaut son établissement principal ou, s’il n’existe ni siège, ni établissement principal, son lieu d’exercice de l’activité ou l’adresse de l’entreprise fixée au local d’habitation. S’il s’agit d’une personne physique dont la dette garantie a été contractée à titre non professionnel, l’inscription est portée sur le registre dans le ressort duquel est situé son domicile personnel. À défaut d’immatriculation au RCS, de siège, d’établissement principal, de lieu d’exercice de l’activité ou de domicile personnel sur le territoire français, le greffier compétent est celui du tribunal de commerce de Paris.

Le nouvel article R. 521-16 du code de commerce régit par ailleurs le sort des formalités modificatives. Contrairement aux autres catégories d’inscriptions, les informations modificatives ne viendront remplacer les informations précédemment inscrites que lorsqu’elles portent sur le crédit-preneur. Elles ne seront pas portées en marge mais viendront remplacer les anciennes informations.

S’agissant du transfert des inscriptions, il n’en sera plus question dans la mesure où les inscriptions modificatives seront faites auprès du même greffe de tribunal de commerce que celui où a eu lieu l’inscription initiale et que la consultation sera nationale (toutes les inscriptions réalisées dans les registres locaux seront visibles par la même consultation à partir d’un site internet).

Le décret RSM entre en vigueur au 1er janvier 2023, à l’exception des dispositions relatives aux inscriptions portant sur les hypothèques maritimes et les saisies de navires, qui sont entrées en vigueur au 1er janvier 2022.

Ainsi, les difficultés identifiées par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation devraient être résolues à partir du 1er janvier 2023.

Procédures collectives

Cession « Dailly » consentie à titre de garantie pendant la période suspecte

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a jugé que la cession de créances professionnelles par bordereau Dailly effectuée à titre de garantie n’est pas une constitution d’un droit de nantissement sur un bien du débiteur (Com., 28 mai 1996, pourvoi no 94-10.361, Bull. 1996, IV, no 151) et ne constitue pas un paiement (Com., 22 mars 2017, pourvoi no 15-15.361, Bull. 2017, IV, no 43), de sorte qu’une telle garantie consentie pendant la période suspecte échappe à la nullité prévue par les dispositions précitées.

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation suggérait depuis le Rapport 2017 de remplacer la liste des garanties énoncée par l’article L. 632-1, 6o, du code de commerce par les termes : « toute garantie constituée sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées ».

Cette suggestion a été suivie d’effet. L’article L. 632-1, 6o, du code de commerce a été modifié par l’ordonnance no 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce. Deux alinéas précisent ainsi que « toute sûreté réelle conventionnelle ou droit de rétention conventionnel constitués sur les biens ou droits du débiteur pour dettes antérieurement contractées, à moins qu’ils ne remplacent une sûreté antérieure d’une nature et d’une assiette au moins équivalente et à l’exception de la cession de créance prévue à l’article L. 313-23 du code monétaire et financier, intervenue en exécution d’un contrat-cadre conclu antérieurement à la date de cessation des paiements » (6o) sont nuls de même que « toute hypothèque légale attachée aux jugements de condamnation constituée sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées » (7o).

Déclaration d’insaisissabilité

L’article L. 526-1 du code de commerce prévoit deux modalités de protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel : la première contre la saisie de sa résidence principale (disposition introduite par la loi no 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques) et la seconde contre celle de tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’il n’a pas affecté à son usage professionnel.

Lors des débats parlementaires de la loi no 2015-990 du 6 août 2015 précitée, il était envisagé de supprimer la déclaration notariée d’insaisissabilité introduite par la loi no 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique dont le domaine d’application a été élargi de la résidence principale du débiteur à tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à son usage professionnel par la loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.

Le législateur, ni en 2003, ni en 2008, ni en 2015, n’a prévu l’articulation de ces dispositions protectrices d’une partie du patrimoine du débiteur, personne physique, avec le droit des procédures collectives. Par conséquent, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a dû élaborer, au gré des pourvois, un régime juridique propre au sort de la déclaration notariée d’insaisissabilité confrontée à l’ouverture d’une procédure collective.

Deux aspects sont, particulièrement, mis en exergue.

Le premier concerne le pouvoir pour les organes de la procédure de contester la déclaration d’insaisissabilité au nom de l’intérêt commun des créanciers, qui comprend la nécessaire reconstitution du gage des créanciers concernés par la procédure collective. Les difficultés sont telles que la Cour de cassation a dû revenir sur sa jurisprudence. Ainsi par un arrêt du 15 novembre 2016 (Com., 15 novembre 2016, pourvoi no 14-26.287, Bull. 2016, IV, no 142) elle a dû préciser l’étendue des pouvoirs du liquidateur confronté à une déclaration d’insaisissabilité dont la régularité de la publicité pose difficulté. Cassant la décision de la cour d’appel, elle précise que la solution résultant de l’arrêt du 13 mars 2012 (Com., 13 mars 2012, pourvoi no 11-15.438, Bull. 2012, IV, no 53) a eu pour effet de priver les organes de la procédure de la possibilité de contester l’opposabilité de la déclaration d’insaisissabilité à la procédure tandis que, dans un autre arrêt du 2 juin 2015 (Com., 2 juin 2015, pourvoi no 13-24.714, Bull. 2015, IV, no 94, publié au Rapport annuel), elle a jugé que les organes de la procédure collective avaient qualité pour agir pour la protection et la reconstitution du gage commun des créanciers. Elle a donc modifié la solution résultant de l’arrêt du 13 mars 2012 précité et a retenu que, désormais, la déclaration d’insaisissabilité n’étant opposable à la liquidation judiciaire que si elle a fait l’objet d’une publicité régulière, le liquidateur, qui a qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, est recevable à en contester la régularité à l’appui d’une demande tendant à reconstituer le gage commun des créanciers.

Le second vise à circonscrire les pouvoirs du ou des créanciers à qui la déclaration notariée d’insaisissabilité n’est pas opposable lorsqu’il(s) entend(ent) agir sur le ou les biens sous déclaration d’insaisissabilité échappant à l’emprise de la procédure collective. Inévitablement la jurisprudence de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a dû tirer les conséquences de l’effet réel de la procédure collective. Le(s) bien(s) sous déclaration d’insaisissabilité opposable à la procédure échappant à la saisie collective, les créanciers peuvent agir librement en marge de la procédure (par exemple, pour la cession forcée, Com., 4 mai 2017, pourvoi no 15-18.348 ; Com., 4 mai 2017, pourvoi no 15-18.489 ; Com., 22 mars 2016, pourvoi no 14-21.267, Bull. 2016, IV, no 46 ; Com., 28 juin 2011, pourvoi no 10-15.482, Bull. 2011, IV, no 109, publié au Rapport annuel).

Si la jurisprudence tente de pallier les silences du législateur, elle ne peut résoudre un paradoxe que lui seul peut dépasser : les procédures collectives ont un effet réel et un effet personnel. Ce dernier est mis à mal par la déclaration d’insaisissabilité, car elle conduit à nier la dimension personnelle de la procédure collective dans les relations du débiteur avec ses créanciers. En outre, inévitablement, une inégalité entre les créanciers du débiteur se dessine. Les créanciers à qui la déclaration d’insaisissabilité est inopposable peuvent agir en marge de la procédure collective et saisir le bien sous déclaration tout en agissant dans le cadre de la procédure en déclarant leur créance. Les autres créanciers sont contraints par l’obligation de déclarer leur créance dans les délais et sont soumis à la discipline collective (interdiction des paiements, des poursuites individuelles, d’inscription des hypothèques) et ne peuvent pas agir sur le bien sous déclaration d’insaisissabilité.

Une autre difficulté se profile : en cas de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, en principe, les créanciers à qui la déclaration d’insaisissabilité n’est pas opposable pourront poursuivre le débiteur sur le bien sous déclaration d’insaisissabilité tandis que les autres créanciers verront toutes leurs poursuites bloquées par les effets de la clôture pour insuffisance d’actif.

Autant de questions qui portent atteinte à la sécurité juridique et qui justifient, comme le législateur l’avait prévu en 2015, de supprimer l’alinéa 2 de l’article L. 526-1 du code de commerce visant la déclaration notariée d’insaisissabilité pour ne maintenir que l’insaisissabilité légale.

Cette suggestion, qui figure aux Rapports depuis 2017, reste d’actualité et doit être maintenue.

La direction des affaires civiles et du sceau souligne que la question de la suppression de la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) est débattue depuis plusieurs années, particulièrement depuis la loi no 2010-658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), dont la principale innovation est la création d’un patrimoine affecté à l’activité professionnelle.

Lors des discussions parlementaires ayant précédé la création de ce statut, le gouvernement, suivi en cela par l’Assemblée nationale, avait envisagé initialement de supprimer la DNI, pour assurer un développement plus rapide de l’EIRL. Le Sénat avait toutefois maintenu cette mesure, considérant qu’elle constituait pour l’entrepreneur individuel une protection efficace et peu coûteuse, et en tout cas plus simple que le régime de l’EIRL de séparation des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur.

Lors des débats ayant précédé la loi no 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, la question de la suppression de la DNI s’est posée. Ce débat s’est poursuivi lors de l’adoption de la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle. Le Sénat avait supprimé la déclaration notariale d’insaisissabilité des droits portant sur des biens fonciers non affectés à l’usage professionnel. Cette mesure a toutefois été rétablie afin de protéger le patrimoine personnel du débiteur et de promouvoir la création des entreprises individuelles.

Deux régimes coexistaient jusqu’à aujourd’hui pour la personne physique souhaitant exercer son activité professionnelle en dehors de toute structure sociétaire : en son nom personnel d’une part et sous forme d’EIRL d’autre part. Les deux statuts permettaient une « sanctuarisation » de la résidence principale, le premier à travers l’insaisissabilité légale, le second par le biais de la constitution du patrimoine d’affectation dédié à l’activité professionnelle.

La loi no 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante instaure un nouveau statut pour l’entrepreneur individuel qui permet de protéger l’ensemble de son patrimoine personnel. Ce patrimoine sera en principe insaisissable par ses créanciers professionnels, sauf si l’entrepreneur y renonce. Ce nouveau statut concernera toutes les créations d’entreprises après l’entrée en vigueur de la loi, soit le 15 mai 2022. Pour les entreprises déjà créées avant la réforme, la protection ne s’appliquera qu’aux créances nées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. Parallèlement, le statut d’EIRL est voué à l’extinction.

La direction des affaires civiles et du sceau estime que la question du maintien ou non de la déclaration notariée d’insaisissabilité doit s’apprécier dans le cadre d’une réflexion sur les équilibres issus de la réforme du droit des sûretés et des récentes réformes relatives au statut de l’entrepreneur individuel, impliquant tant une certaine protection de son patrimoine immobilier qu’une possibilité pour les créanciers, notamment prêteurs, d’obtenir des garanties efficaces. La question du maintien ou non de la déclaration notariale d’insaisissabilité pourra être appréciée à l’occasion du premier bilan d’application du nouveau statut d’entrepreneur individuel issu de la réforme par la loi no 2022-172 du 14 février 2022.

Pourvoi du ministère public contre une décision statuant sur la durée de la période d’observation

En matière de sauvegarde, il résulte de l’article L. 621-3 du code de commerce (applicable au redressement judiciaire en vertu de l’article L. 631-7 du même code) que « le jugement ouvre une période d’observation d’une durée maximale de six mois qui peut être renouvelée une fois, pour une durée maximale de six mois, par décision spécialement motivée à la demande de l’administrateur, du débiteur ou du ministère public » et il était ajouté qu’« elle peut en outre être exceptionnellement prolongée à la demande du procureur de la République par décision motivée du tribunal pour une durée maximale de six mois ».

Il ressort des éléments parvenus à la connaissance de la Cour de cassation de manière informelle que dans d’assez nombreux tribunaux de commerce des prolongations exceptionnelles au-delà de un an interviennent sans demande du procureur de la République, voire contre son avis exprès. Le plus souvent, le tribunal est saisi par l’administrateur, mais se saisit parfois d’office. Cette pratique peut trouver une justification dans un arrêt de la chambre commerciale, financière et économique du 10 juin 2008 (Com., 10 juin 2008, pourvoi no 07-17.043, Bull. 2008, IV, no 115) qui a jugé que ni la loi, ni son décret d’application ne sanctionnent le dépassement des délais de la période d’observation, non plus que sa prolongation exceptionnelle en l’absence de demande du procureur de la République.

Cette pratique des tribunaux de commerce prend à revers plusieurs évolutions majeures de la législation des procédures collectives : célérité de la procédure, rôle régulateur du ministère public et interdiction de la saisine d’office.

S’il ne paraît pas nécessaire que le législateur l’ait prévue pour qu’une violation de la loi encoure la censure de la Cour de cassation, cette pratique est néanmoins difficile à faire sanctionner par la Cour, car il résulte du jeu combiné des articles L. 661-6 et L. 661-7 du code de commerce qu’il n’est pas possible (même pour le ministère public) de se pourvoir contre les décisions statuant sur la durée de la période d’observation (la question de la recevabilité du pourvoi n’avait pas été posée dans le dossier qui a abouti à la décision du 10 juin 2008, pourvoi no 07-17.043, précitée).

Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, le pourvoi reste possible en cas d’excès de pouvoir. Mais la chambre commerciale, financière et économique de la Cour considère que le tribunal qui prolonge exceptionnellement, pour une durée n’excédant pas six mois, la période d’observation en l’absence de demande du ministère public ou en dépit de l’opposition de celui-ci, ne commet pas d’excès de pouvoir. Elle a donc déclaré irrecevable le pourvoi formé par le ministère public à l’encontre d’un arrêt de cour d’appel ayant refusé d’annuler un jugement statuant en ce sens (Com., 13 décembre 2017, pourvoi no 16-50.051, Bull. 2017, IV, no 166).

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation réitère donc comme depuis 2018 sa suggestion de dire dans l’article L. 661-7 du code de commerce (alinéa 2) que « le pourvoi en cassation n’est ouvert qu’au ministère public à l’encontre des arrêts rendus en application du I-2o de l’article L. 661-6 », le reste inchangé.

La DACS souligne que la réforme par ordonnance no 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce a supprimé la possibilité pour le procureur de la République de demander en procédure de sauvegarde la prolongation exceptionnelle de la durée de la période d’observation pour une durée supplémentaire maximale de six mois (soit dix-huit mois en tout avant la réforme). Désormais, cette possibilité ne demeure plus qu’en procédure de redressement judiciaire conformément aux articles L. 621-3 et L. 631-7 du code de commerce, respectivement modifiés par les articles 13 et 41 de l’ordonnance précitée. La durée de la période d’observation en procédure de sauvegarde est strictement limitée à douze mois, sans prolongation possible.

Il s’agissait notamment de prendre en compte dans le cadre de cette réforme la volonté de célérité des procédures préventives comme la sauvegarde qui est un des objectifs de la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 dite « restructuration et insolvabilité ».

La loi confère au procureur de la République, garant de l’ordre public économique, dont le rôle et les facultés de recours ont été systématiquement renforcés au cours des dernières réformes, le pouvoir exclusif de solliciter la prorogation exceptionnelle de la période d’observation, possibilité désormais limitée à la seule procédure de redressement judiciaire. Il s’agit d’une disposition légale impérative. Tout autre mode de saisine (par l’administrateur ou d’office du tribunal) doit être considéré comme irrégulier.

La violation de la loi dans les décisions des cours d’appel qui auraient passé outre l’absence de demande du ministère public (ou auraient approuvé la juridiction de première instance qui aurait fait de même) doit pouvoir être sanctionnée.

La chancellerie demeure donc favorable à la proposition tendant à ouvrir au ministère public le pourvoi en cassation contre les décisions rendues par les cours d’appel statuant sur la durée de la période d’observation.

Procédures collectives – Distinction de l’irrecevabilité de la déclaration de créance et du rejet de la créance

Depuis les Rapports annuels 2019 et 2020, la chambre commerciale, financière et économique proposait de modifier l’article L. 624-2 du code de commerce afin de préciser explicitement que, parmi les pouvoirs du juge-commissaire statuant en matière de vérification du passif, se trouve le pouvoir de dire irrecevable une déclaration de créance irrégulière et que, dans ce cas, cette irrecevabilité n’équivaut pas à un rejet de la créance emportant, pour le créancier, la perte des sûretés qui pouvaient garantir sa créance.

Cette suggestion a été suivie d’effet. L’article L. 624-2 du code de commerce a été modifié par l’ordonnance no 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce afin de préciser que « le juge-commissaire, si la demande d’admission est recevable, décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence ».

Procédures collectives – Responsabilité pour insuffisance d’actif – Négligence

L’article L. 651-2, alinéa 1, du code de commerce définit les conditions de mise en œuvre de la responsabilité pour insuffisance d’actif, laquelle est conditionnée à la constatation d’une « faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif ». Cependant, afin d’éviter la condamnation d’un dirigeant en cas de faute de « simple négligence », la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique y a ajouté cette précision : « Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. »

La portée de cette modification législative suscite une difficulté d’interprétation en ce que l’on pourrait se demander si l’intention du législateur est que seul le dirigeant d’une société puisse bénéficier de ces nouvelles dispositions, de sorte que la faute de simple négligence du dirigeant d’une personne morale autre qu’une société (telle une association) pourrait, au contraire, être retenue. Si, au contraire, l’intention du législateur est que cette modification législative profite à tous les dirigeants, quelle que soit la personne morale concernée, il conviendrait de modifier la fin de l’article L. 651-2, alinéa 1, en évoquant la simple négligence « dans la gestion de la personne morale ».

Cette suggestion, présente au Rapport depuis 2019, a été suivie d’effet. L’article L. 651-2 du code de commerce a ainsi été modifié par la loi no 2021-874 du 1er juillet 2021 en faveur de l’engagement associatif qui remplace la simple négligence du dirigeant de droit ou de fait « dans la gestion de la société » par ladite négligence « dans la gestion de la personne morale ».

Elle ajoute par ailleurs que « Lorsque la liquidation judiciaire concerne une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, le cas échéant, par le code civil applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et non assujettie à l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues au 1 bis de l’article 206 du code général des impôts, le tribunal apprécie l’existence d’une faute de gestion au regard de la qualité de bénévole du dirigeant. »

B. Suggestions nouvelles

Autorités administratives indépendantes

Recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence

L’article L. 464-8 du code de commerce, qui prévoit l’ensemble de la procédure de recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence devant la cour d’appel de Paris énonce, en son alinéa 3, que « Le pourvoi en cassation, formé le cas échéant, contre l’arrêt de la cour, est exercé dans un délai d’un mois suivant sa notification. »

L’alinéa 4 énonce ensuite : « Le président de l’Autorité de la concurrence peut former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris ayant annulé ou réformé une décision de l’Autorité. »

En se référant ainsi à « l’arrêt de la cour » le texte signifie littéralement que seuls les arrêts de la cour d’appel peuvent faire l’objet d’un recours.

Cependant, d’autres décisions peuvent être rendues par le délégué du premier président de cette cour d’appel dans le cadre de recours formés contre des décisions de l’Autorité de la concurrence, notamment, en suspension d’exécution de la décision (article L. 464-8, alinéa 2, du code de commerce) et ces décisions peuvent avoir un certain impact sur les droits et intérêts des entreprises en cause ou plaignantes.

Par deux arrêts (Com., 20 mars 2012, pourvoi no 11-16.128, Bull. 2012, IV, no 58 et Com., 22 octobre 2013, pourvoi no 12-23.486, Bull. 2013, IV, no 155), la chambre commerciale, financière et économique a jugé que « Le président de l’Autorité de la concurrence qui peut former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris ayant annulé ou réformé une décision de l’Autorité, peut aussi former un pourvoi contre une décision statuant sur une demande de sursis à exécution formée contre une décision de l’Autorité rendue sur le fondement des dispositions des articles 81 ou 82 CE (devenus 101 et 102 du TFUE). »

Par un arrêt du 1er décembre 2021 (Com., 1er décembre 2021, pourvoi no 20-19.738, publié au Bulletin), la chambre commerciale, financière et économique afin de maintenir un équilibre entre les droits des parties (entreprise mise en cause, entreprise saisissante et Autorité de la concurrence) et en vertu du principe selon lequel le pourvoi en cassation est ouvert si aucun texte ne l’exclut expressément (en ce sens, 2e Civ., 6 avril 1987, pourvoi no 85-18.508, Bull. 1987, II, no 84) a étendu cette possibilité de recours à la personne qui a saisi l’Autorité de la concurrence.

Elle a ainsi jugé qu’« Une entreprise qui a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles, à laquelle la décision est notifiée et qui est partie au recours formé contre la décision rendue par cette Autorité devant la cour d’appel de Paris, doit pouvoir former un pourvoi en cassation tant contre l’arrêt de la cour d’appel statuant sur ce recours que contre l’ordonnance du premier président qui statue sur une demande de sursis à l’exécution de la décision. Le pourvoi formé contre l’ordonnance doit être introduit dans le même délai que celui prévu pour former un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel. »

Afin d’entériner ces jurisprudences de la chambre commerciale, l’alinéa 3 de l’article L. 464-8 du code de commerce pourrait être réécrit de la façon suivante : « Le pourvoi en cassation, formé le cas échéant, contre l’arrêt de la cour ou contre la décision de son premier président relative à une demande de sursis à exécution d’une décision de l’Autorité de la concurrence, est exercé dans un délai d’un mois suivant sa notification. »

La DACS considère que si cette extension était consacrée, la procédure applicable aux ordonnances du premier président de la cour d’appel de Paris statuant sur une demande de sursis à l’exécution d’une décision de l’ADLC dérogerait à la procédure de droit commun applicable aux ordonnances du premier président statuant sur une demande d’arrêt de l’exécution provisoire d’une décision judiciaire frappée d’appel, au motif que l’article 514-6 du code de procédure civile dispose que « Lorsqu’il est saisi en application des articles 514-3 et 514-4, le premier président statue en référé, par une décision non susceptible de pourvoi. »

La DACS souligne que ce particularisme procédural pourrait être justifié par :

- la spécificité du droit de la concurrence, constituant un corpus juridique autonome largement influencé par le droit européen et son interprétation par la CJUE ;

- des conditions différentes :

  •  le premier président saisi d’une demande d’arrêt de l’exécution provisoire – de droit – d’un jugement de première instance se prononce sur l’existence (i) d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et (ii) d’un risque que l’exécution entraîne des conséquences manifestement excessives – devant, lorsque la partie requérant cet arrêt n’a pas fait valoir d’observations en première instance, se révéler postérieurement à la première décision ;
  •  le premier président de la cour d’appel de Paris, saisi d’une demande de sursis à exécution d’une décision de l’ADLC, ne porte aucune appréciation sur le sérieux du moyen d’annulation ou de réformation, mais se prononce uniquement au regard des conséquences de la décision de l’ADLC ou d’éventuels faits nouveaux d’une exceptionnelle gravité.

La DACS n’identifie cependant pas d’obstacle à consacrer, à l’article L. 464-8, alinéa 3, du code de commerce, l’extension du pourvoi en cassation aux décisions du premier président de la cour d’appel de Paris statuant sur une demande de sursis à exécution d’une décision de l’ADLC. La DACS relève simplement que l’ouverture de ce pourvoi à la procédure spécifique au droit de la concurrence serait dérogatoire à la procédure de droit commun.

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