Rapport annuel 2021 (III. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA TROISIÈME CHAMBRE CIVILE )

Rapport annuel

Ouvrage de référence dans les milieux judiciaire et universitaire, le Rapport de la Cour de cassation est aussi un précieux instrument de travail pour les praticiens du droit. Le Rapport 2021 comporte des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, ainsi que l’analyse des principaux arrêts et avis ayant été rendus, tout au long de l’année, dans les différentes branches du droit privé. Le Rapport présente également, de manière détaillée, l’activité juridictionnelle et extra-juridictionnelle de la Cour de cassation, ainsi que celle des juridictions et commissions instituées auprès d’elle.

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Rapport annuel 2021 (III. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA TROISIÈME CHAMBRE CIVILE )

III. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA TROISIÈME CHAMBRE CIVILE

A. Suivi des suggestions de réforme

Bail commercial

Restitution du dépôt de garantie

En matière commerciale, en cas de vente des locaux loués, la restitution du dépôt de garantie incombe au bailleur originaire et ne se transmet pas à son ayant cause particulier (voir, notamment, 3e Civ., 30 janvier 1979, pourvoi no 77-12.349, Bull. 1979, III, no 27 ; 3e Civ., 16 mai 2000, pourvoi no 98-20.458 ; 3e Civ., 25 février 2004, pourvoi no 02-16.589, Bull. 2004, III, no 37).

Or, c’est la règle inverse qui s’applique en matière de baux d’habitation : aux termes de l’alinéa 8 de l’article 22 de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, introduit par la loi no 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, c’est le propriétaire au jour du terme du bail qui est débiteur de la restitution. La restitution du dépôt de garantie incombe donc au nouveau bailleur, peu important que l’ancien bailleur l’ait ou non transféré à son successeur ou que le locataire en ait été ou non avisé.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi jugé récemment que, « en cas de vente de locaux donnés à bail commercial, la restitution du dépôt de garantie incombe au bailleur originaire et ne se transmet pas à son ayant cause à titre particulier » (3e Civ., 28 juin 2018, pourvoi no 17-18.100).

La solution applicable en matière de bail commercial est discutable sur le plan pratique dès lors que les baux sont généralement anciens et que les biens font fréquemment l’objet de cession, de sorte que le locataire qui quitte les lieux peut être confronté à des difficultés pour obtenir la restitution de son dépôt de garantie.

Il est donc suggéré, comme depuis le Rapport 2018, d’aligner le régime de restitution du dépôt de garantie en matière de bail commercial sur celui qui existe en matière de bail d’habitation.

La DACS indique être toujours favorable à cette proposition. Elle souligne qu’elle nécessite toutefois de recueillir l’avis de la direction générale des entreprises du ministère de l’économie pour pouvoir être mise en œuvre.

Expropriation

Conclusions complémentaires déposées, devant la cour d’appel, après un rapport d’expertise judiciaire

L’article R. 13-49 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique – abrogé par le décret no 2014-1635 du 26 décembre 2014 – était ainsi rédigé :

« L’appelant doit, à peine de déchéance, déposer ou adresser son mémoire et les documents qu’il entend produire au greffe de la chambre dans un délai de deux mois à dater de l’appel.

À peine d’irrecevabilité, l’intimé doit déposer ou adresser son mémoire en réponse et les documents qu’il entend produire au greffe de la chambre dans le mois de la notification du mémoire de l’appelant.

Le commissaire du gouvernement doit dans les mêmes conditions et à peine d’irrecevabilité déposer ses conclusions et l’ensemble des pièces sur lesquelles il fonde son évaluation dans les mêmes délais.

Les mémoires et les documents doivent être produits en autant d’exemplaires qu’il y a de parties plus un.

Le greffe notifie à chaque intéressé et au commissaire du gouvernement, dès leur réception, une copie des pièces transmises au greffe.

Appel incident peut être formé par les parties ou le commissaire du gouvernement dans leur mémoire en réponse ou par déclaration faite au greffe de la chambre. »

L’article R. 311-26, alinéas 1 et 2, du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, dans sa version issue du décret no 2017-891 du 6 mai 2017, dispose :

« À peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel.

À peine d’irrecevabilité, relevée d’office, l’intimé dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant. Le cas échéant, il forme appel incident dans le même délai, et sous la même sanction. »

L’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique continue donc à exiger que les conclusions et documents produits par les parties soient déposés ou adressés au greffe dans des délais déterminés, même si ces délais ont été allongés et même si la caducité a été substituée à la déchéance pour sanctionner l’inobservation du délai par l’appelant.

Sous l’empire de l’article R. 13-49 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, la Cour de cassation a décidé qu’une cour d’appel ne peut pas statuer au visa d’un second mémoire de l’intimé déposé hors du délai de l’article R. 13-49, alinéa 2, même si son premier mémoire a été déposé dans le délai (3e Civ., 24 octobre 2012, pourvoi no 11-22.458, Bull. 2012, III, no 151).

Sont ainsi seuls admis les mémoires complémentaires qui, sans contenir de demandes nouvelles, contiennent uniquement des éléments complémentaires en réplique au mémoire de l’autre partie ou aux conclusions du commissaire du gouvernement (3e Civ., 9 juin 1999, pourvoi no 98-70.112, Bull. 1999, III, no 137 ; 3e Civ., 5 mai 2015, pourvoi no 14-12.568 ; 3e Civ., 12 novembre 2015, pourvoi no 14-23.907 ; 3e Civ., 2 février 2017, pourvoi no 15-26.478).

La solution a été maintenue sous l’empire de l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique : est légalement justifié l’arrêt qui statue au visa des conclusions déposées par l’intimé au-delà du délai de deux mois prévu à l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, dès lors qu’il résulte des productions devant la Cour de cassation que ces conclusions ne comportaient que des éléments complémentaires en réplique au mémoire complémentaire et au mémoire de production déposés par l’appelant (3e Civ., 25 janvier 2018, pourvoi no 16-25.138, Bull. 2018, III, n° 10).

Mais qu’en est-il lorsque la cour d’appel ordonne une mesure d’expertise ? L’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique fait-il obstacle à la recevabilité de conclusions complémentaires, nécessairement déposées hors délai et contenant des demandes nouvelles fondées sur les conclusions du rapport d’expertise ?

Cette question inédite a été posée à la troisième chambre civile de la Cour de cassation par un moyen, tiré d’une violation de l’article R. 13-49 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, qui soutenait qu’« est irrecevable le mémoire complémentaire déposé postérieurement à l’expiration du délai réglementaire, qui comporte des demandes ou pièces nouvelles ». Après dépôt du rapport d’expertise, les expropriés avaient, en effet, au vu de ce rapport, déposé un mémoire complémentaire dans lequel ils sollicitaient une indemnisation supérieure à celle réclamée dans leur mémoire initial.

Dans son arrêt du 6 décembre 2018 (3e Civ., 6 décembre 2018, pourvoi no 17-24.312, publié au Bulletin), la troisième chambre civile écarte le moyen : ses constatations ayant fait ressortir que les mémoires récapitulatifs déposés par les expropriés comportaient des éléments complémentaires faisant suite au dépôt du rapport d’expertise et en réplique au mémoire de l’autorité expropriante, la cour d’appel, qui a ainsi tenu compte de l’évolution du litige, n’avait pas à rechercher si les mémoires des expropriés contenaient des demandes nouvelles.

Il est donc proposé comme l’année passée, de s’inspirer de cette solution jurisprudentielle pour compléter l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique aux fins d’admettre la recevabilité de conclusions complémentaires, contenant des demandes nouvelles, après le dépôt d’un rapport consécutif à une mesure d’instruction ordonnée en appel.

En tout état de cause, il est permis de s’interroger sur un texte qui n’est pas en phase avec la procédure de droit commun (alors qu’il est pourtant récent) et qui donne lieu fréquemment à contentieux devant la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

Sur cette proposition, la DACS a indiqué au Rapport 2019 que cette modification pourra être faite dans les décrets à venir.

Cependant, à ce jour, l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique n’a pas été modifié. La troisième chambre civile estime devoir maintenir de nouveau cette proposition.

La DACS est d’avis qu’il faut effectivement permettre un échange complémentaire de conclusions, par exemple dans l’hypothèse d’un rapport d’expertise qui serait déposé après les premiers échanges.

La DACS ajoute qu’il lui semble que l’article 910-4 du code de procédure civile est applicable, le code de l’expropriation ne venant que fixer des règles dérogatoires (par exemple, le délai pour conclure), le code de procédure civile s’appliquant pour le reste. Toutefois, afin de résoudre cette difficulté, il est nécessaire de préciser dans l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d'utilité publique que les échanges de conclusions complémentaires sont possibles.

Elle indique que cette modification pourra être faite dans les décrets à venir, le cas échéant dans le cadre d’une réforme plus étendue de la procédure devant le juge de l’expropriation.

Condition de ressources en cas de pluralité de locataires

Article 15, III, de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi no 86-1290 du 23 décembre 1986

Ce texte est ainsi rédigé :

« Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au paragraphe I ci-dessus à l’égard de tout locataire âgé de plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement, sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi no 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée. Le présent alinéa est également applicable lorsque le locataire a à sa charge une personne de plus de soixante-cinq ans vivant habituellement dans le logement et remplissant la condition de ressources précitée et que le montant cumulé des ressources annuelles de l’ensemble des personnes vivant au foyer est inférieur au plafond de ressources déterminé par l’arrêté précité. »

La condition du cumul des ressources de la « personne à charge » et du locataire est expressément prévue par le texte à la suite d’une décision d’inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel (Cons. const., 20 mars 2014, décision no 2014-691 DC, Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) a en effet considéré qu’en instituant une telle protection, sans prendre en compte l’addition des ressources du locataire et de la personne à sa charge, ces dispositions permettent que le propriétaire soit, dans certains cas, appelé à supporter une charge telle que l’égalité devant les charges publiques se trouverait méconnue.

Elle ne l’est pas en revanche pour les cotitulaires du bail, l’article 15, III, de la loi du 6 juillet 1989 précitée disposant toujours que la protection s’applique à l’égard de « tout locataire âgé de plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources ».

Une telle rédaction invite donc à la prise en compte des revenus du seul locataire âgé de plus de soixante-cinq ans, ce que décidait la jurisprudence.

La troisième chambre civile a été saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité ainsi posée (3e Civ., 20 juin 2019, QPC no 19-40.009, publié au Bulletin) :

« L’article 15 III de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 et la jurisprudence du juge judiciaire faisant corps avec cette disposition qui précise qu’il convient de prendre en compte les revenus de chacun des époux séparément pour calculer les ressources du locataire âgé bénéficiant de la protection instituée par cet article sont-ils conformes à la Constitution, en particulier à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui garantit le principe d’égalité devant les charges publiques ? »

La troisième chambre civile a répondu que la jurisprudence évoquée n’avait pas été rendue sur le fondement de l’article 15, III, dans sa rédaction issue de la loi no 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, qui a modifié les conditions de ressources du locataire.

En effet, la loi du 24 mars 2014 précitée a modifié le plafond de ressources, qui est désormais fixé par référence au « plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement ». Ce plafond est défini par catégories de ménages et implique la prise en considération des revenus cumulés du ménage.

La question de l’articulation entre la lettre de l’article 15, III, de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 qui invite à une prise en considération individuelle des ressources de chacun des locataires et la détermination du nouveau plafond de ressources par référence aux revenus cumulés du ménage, risque de poser une difficulté, dont on ignore à ce jour comment elle sera résolue par la jurisprudence.

Il pourrait paraître opportun de modifier l’article 15, III, de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 afin de préciser comment doit être appréciée la condition de ressources en cas de pluralité de locataires, ce qui restituerait sa cohérence à ce texte qui, d’un côté, invite à prendre en considération la situation de « tout locataire […] dont les ressources… », ce qui implique la prise en considération individualisée de sa situation, et de l’autre côté, renvoie à un plafond qui implique de prendre en considération les revenus du ménage, donc de tous les cotitulaires du bail.

Cette suggestion proposée au Rapport annuel 2019, et réitérée en 2020, n’ayant pas été suivie d’effet, il convient de la maintenir.

La DACS maintient être favorable à cette proposition.

La DHUP, compétente sur cette question, partage l’analyse de la DACS quant à l’opportunité de modifier le III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989. Elle a indiqué qu’une telle modification pourrait être intégrée dans un projet de texte législatif approprié (avec toutes les réserves habituelles de prudence quant au calendrier précis de ce futur texte).

B. Suggestions nouvelles

Droit de la construction

Harmonisation des causes d’interruption et de suspension des délais de forclusion et de prescription

Sauf cause étrangère, tout constructeur d’un ouvrage est présumé responsable, pendant dix ans après la réception (article 1792-4-1 du code civil) envers le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages :

  • même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination (article 1792 du code civil) ;
  • qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert (article 1792-2 du code civil).

Les autres éléments d’équipement de l’ouvrage font l’objet d’une garantie de bon fonctionnement d’une durée minimale de deux ans à compter de sa réception (article 1792-3 du code civil). 

Le fabricant d’un EPERS (élément pouvant entraîner la responsabilité solidaire) est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d’ouvrage lorsque les conditions d’application de l’article 1792-4 du code civil sont réunies.

L’entrepreneur est tenu de la garantie de parfait achèvement pendant un délai d’un an à compter de la réception (article 1792-6 du code civil).

Par ailleurs, subsiste la responsabilité de droit commun des constructeurs, pendant dix ans à compter de la réception de l’ouvrage, pour les dommages ne relevant d’aucune garantie légale (article 1792-4-3 du code civil).

Enfin, le maître d’un ouvrage réceptionné ou son acquéreur disposent d’une action en responsabilité pendant dix ans à compter de la réception contre le sous-traitant (article 1792-4-2 du code civil) en raison des dommages mentionnés aux articles 1792 et 1792-2 du code civil et pendant deux ans pour les éléments d’équipement de l’article 1792-3.

Parce qu’il revêt un caractère de mise à l’épreuve de l’ouvrage, la Cour de cassation a jugé qu’après réception, le délai dont dispose le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur de l’ouvrage pour agir en responsabilité ou garantie est un délai de forclusion et non un délai de prescription. Cette règle a, notamment, été énoncée par les arrêts suivants :

Cette construction jurisprudentielle d’harmonisation des règles régissant les délais pour agir a été élaborée depuis des décennies dans un objectif de simplification et de sécurité juridique.

Cependant, depuis l’entrée en vigueur de la réforme de 2008 sur la prescription, la qualification de délai de forclusion a des incidences majeures concernant les causes de suspension et d’interruption.

En effet, l’article 2220 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008, prévoit que les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le titre du code consacré à la prescription extinctive.

Or, l’article 2239 du même code, qui dispose que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès et l’article 2240, qui prévoit que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription, ne visent que les délais de prescription et ignorent les délais de forclusion.

Raison pour laquelle la Cour de cassation refuse d’appliquer au délai de forclusion de l’action en garantie décennale l’effet suspensif du référé-expertise prévu par l’article 2239 du code civil (3e Civ., 19 septembre 2019, pourvoi no 18-15.833).

La Cour de cassation a, de même, par application des textes issus de la loi du 17 juin 2008 précitée, jugé qu’une reconnaissance de responsabilité n’interrompait pas le délai décennal de l’action du maître de l’ouvrage en responsabilité contractuelle de droit commun pour des dommages intermédiaires (3e Civ., 10 juin 2021, pourvoi no 20-16.837, publié au Bulletin et au Rapport annuel).

Il est regrettable que le cours du délai de forclusion ne puisse être suspendu ou interrompu par les causes prévues par les articles 2239 et 2240 du code civil.

En effet, s’agissant du premier de ces textes, le contentieux du droit de la construction est un des domaines privilégiés du référé-expertise. Dans nombre de procès, la complexité technique des opérations d’expertise est amplifiée par la multiplication des intervenants, ce qui explique que, fréquemment, les rapports d’expertise sont déposés des années après la désignation de l’expert.

Le temps de l’expertise doit être une parenthèse procédurale. Admettre l’application de l’effet suspensif de l’article 2239 du code civil aux actions engagées, après réception, par les maîtres de l’ouvrage ou les acquéreurs, permettrait, notamment pour les brefs délais, d’éviter des actions au fond prématurées voire inadaptées faute de connaissance des conclusions du rapport d’expertise.

De même, s’agissant de l’article 2240 du code civil, le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur doit pouvoir bénéficier de l’effet interruptif d’une reconnaissance de responsabilité d’un constructeur après réception. Il n’est pas rare, en effet, qu’en fin de délai d’épreuve, le constructeur s’engage à réparer des désordres dont il se reconnaît responsable. Il est logique, dans un tel contexte, que le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur reporte l’éventualité d’un procès. D’ailleurs, avant l’entrée en vigueur de la loi susvisée, la distinction des effets respectifs de la prescription et de la forclusion étant moins catégorique, la Cour de cassation décidait qu’une reconnaissance non équivoque de responsabilité était interruptive du délai pour agir en responsabilité décennale (par exemple, 3e Civ., 18 mars 1980, pourvoi no 78-15.749, Bull. 1980, III, no 62).

En conclusion, il est proposé d’insérer, après l’article 1792-7 du code civil, un article 1792-8 ainsi rédigé :

« Article 1792-8. – Les causes de suspension et d’interruption de la prescription respectivement prévues aux articles 2239 et 2240 s’appliquent aux délais de forclusion prévus aux articles 1792-3, 1792-4-1 à 1792-4-3 et 1792-6. »

La DACS indique être, en première analyse, favorable à cette proposition.

D’une part, s’agissant de l’application de l’article 2239 du code civil au délai de forclusion, les mesures d’instruction, et en particulier, les référés-expertise, sont habituelles en droit de la construction. La durée de ces mesures conjuguée à l’absence actuelle d’effet suspensif conduisent, en pratique, certains auxiliaires de justice à délivrer des assignations préventives au fond afin d’interrompre le délai de forclusion. Or il résulte de cette pratique au moins deux écueils : d’une part, des actions inadaptées car diligentées faute de connaissance du rapport d’expertise et, d’autre part, un encombrement des tribunaux, particulièrement des audiences de mise en état. La solution préconisée par la Cour de cassation permettrait d’y remédier.

D’autre part, faire application de la cause d’interruption, prévue à l’article 2240 du code civil, et liée à la reconnaissance de responsabilité d’un constructeur après réception au délai de forclusion permettrait de rationaliser les actions tout en préservant les droits du maître de l’ouvrage.

Elle souligne que cette proposition requiert toutefois une expertise plus approfondie sur ses éventuelles incidences qui pourrait être menée dans le cadre du projet de réforme des contrats spéciaux engagé par la DACS.

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