Rapport annuel 2021 (III. ARRÊTS RENDUS PAR LES CHAMBRES)

Rapport annuel

Ouvrage de référence dans les milieux judiciaire et universitaire, le Rapport de la Cour de cassation est aussi un précieux instrument de travail pour les praticiens du droit. Le Rapport 2021 comporte des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, ainsi que l’analyse des principaux arrêts et avis ayant été rendus, tout au long de l’année, dans les différentes branches du droit privé. Le Rapport présente également, de manière détaillée, l’activité juridictionnelle et extra-juridictionnelle de la Cour de cassation, ainsi que celle des juridictions et commissions instituées auprès d’elle.

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Rapport annuel 2021 (III. ARRÊTS RENDUS PAR LES CHAMBRES)

III. ARRÊTS RENDUS PAR LES CHAMBRES

A. Droit des personnes et de la famille

1. Assistance éducative

Mineur – Assistance éducative – Intervention du juge des enfants – Compétence – Limites – Divorce, séparation de corps – Décision sur la garde – Modification par mesure d’assistance éducative – Conditions – Fait nouveau

1re Civ., 20 octobre 2021, pourvoi no 19-26.152, publié au Bulletin, rapport de Mme Azar et avis de Mme Caron-Déglise

Il résulte de la combinaison des articles 375-3 et 375-7, alinéa 4, du code civil que, lorsqu’un juge aux affaires familiales a statué sur la résidence de l’enfant et fixé le droit de visite et d’hébergement de l’autre parent, le juge des enfants, saisi postérieurement à cette décision, ne peut modifier les modalités du droit de visite et d’hébergement décidé par le juge aux affaires familiales que s’il existe une décision de placement de l’enfant au sens de l’article 375-3, laquelle ne peut conduire le juge des enfants à placer l’enfant chez le parent qui dispose déjà d’une décision du juge aux affaires familiales fixant la résidence de l’enfant à son domicile, et si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s’est révélé postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales.

L’affaire soumise à la Cour de cassation interrogeait à travers la mise en œuvre de l’article 375-3 du code civil, la répartition des compétences entre le juge aux affaires familiales et le juge des enfants.

Selon ces dispositions, si le juge des enfants est saisi postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales, il ne peut la modifier, sauf si, depuis celle-ci, un élément nouveau a créé une situation de danger pour l’enfant.

Au cas d’espèce, un juge aux affaires familiales, prononçant le divorce des époux, avait fixé la résidence habituelle de l’enfant au domicile de son père et accordé à sa mère un droit de visite et d’hébergement. Après avoir constaté, au domicile de la mère, une situation de danger née d’éléments postérieurs à la décision du juge aux affaires familiales, un juge des enfants avait ordonné une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert au bénéfice de l’enfant, le confiant à son père et accordant à sa mère un droit de visite médiatisé jusqu’à la prochaine décision du juge aux affaires familiales.

Sa décision a été annulée par la cour d’appel qui a considéré que le juge des enfants avait excédé ses pouvoirs.

Le père avait alors formé un pourvoi, en reprochant à la cour d’appel d’avoir annulé le jugement alors que, selon lui, l’article 375-3 du code civil conférait compétence au juge des enfants pour prendre toutes mesures d’assistance éducative aboutissant à des modalités différentes de l’exercice de l’autorité parentale, dès lors qu’un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s’est révélé postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales.

La position du demandeur au pourvoi pouvait s’appuyer sur deux arrêts précédents de la Cour de cassation, ayant admis que le juge des enfants, saisi postérieurement au juge aux affaires familiales, pouvait modifier le droit de visite et d’hébergement fixé par ce juge, en présence d’un élément nouveau caractérisant une situation de danger, même en l’absence de placement décidé par le juge des enfants (1re Civ., 26 janvier 1994, pourvoi no 91-05.083, Bull. 1994, I, no 32 et 1re Civ., 10 juillet 1996, pourvoi no 95-05.027, Bull. 1996, I, no 313).

Toutefois, ce n’est pas cette position qui a prévalu lors de l’examen du pourvoi.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en jugeant, conformément à ce qui a été retenu par la cour d’appel :

  • qu’un juge des enfants ne peut pas décider d’un placement chez le parent qui a déjà la résidence habituelle, puisqu’il résulte clairement de l’article 375-3, 1o, du code civil, qu’il ne peut décider de confier l’enfant qu’à « l’autre parent » ;
  • que, même s’il constate une situation de danger chez le parent qui n’a pas la résidence habituelle, il ne peut pas prendre des mesures qui aboutissent à imposer des modalités différentes, quant à l’exercice de l’autorité parentale, de celles prévues par le juge aux affaires familiales, lorsqu’aucune mesure de placement n’a été prise.

Si le premier point tranché n’est qu’une application stricte de l’article 375-3, 1o, du code civil, le second constitue un revirement de jurisprudence par rapport aux arrêts précités.

La première chambre civile de la Cour de cassation s’en explique au terme d’une motivation développée.

D’une part, l’ancienne solution ne respectait pas la lettre des textes, l’article 375-7 du code civil conditionnant la fixation, par le juge des enfants, du droit de visite et d’hébergement à une mesure de placement.

D’autre part, elle dénaturait la mission du juge des enfants, qui n’a pas à intervenir lorsqu’une situation de danger peut être évitée par une mesure autre que celles relevant de l’assistance éducative. Or, dans un contexte d’urgence, le juge aux affaires familiales peut être saisi en qualité de juge des référés, par les parents ou le ministère public, sur le fondement de l’article 373-2-8 du code civil, en vue d’une modification des modalités d’exercice de l’autorité parentale.

Enfin, en permettant une concurrence de compétences entre le juge des enfants et le juge aux affaires familiales, elle favorisait les risques d’instrumentalisation du juge des enfants par les parties.

Au demeurant, ces éléments avaient conduit nombre de juges du fond à ne pas appliquer cette jurisprudence.

2. Protection des consommateurs

Protection des consommateurs – Paiement – Action – Prescription – Délai biennal prévu en matière de biens et services fournis aux consommateurs – Acquisition – Extinction de la créance – Hypothèque – Effet

3e Civ., 12 mai 2021, pourvoi no 19-16.514, publié au Bulletin, rapport de M. Jacques et avis de M. Burgaud

L’acquisition de la prescription biennale de l’action du professionnel contre le consommateur entraîne, par voie de conséquence, l’extinction de l’hypothèque qui constitue l’accessoire de la créance.

Par son arrêt du 12 mai 2021, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question du maintien de l’hypothèque en cas de prescription de l’action en paiement de la créance qu’elle garantit.

Dans l’affaire soumise à son examen, un établissement bancaire, qui avait consenti un prêt garanti par une hypothèque, avait signifié à ses débiteurs défaillants un commandement de payer valant saisie immobilière. L’action en paiement de la banque ayant été jugée prescrite par application de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, qui dispose que « L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans », les débiteurs avaient formé une demande de radiation de l’hypothèque.

Consacrant la thèse processualiste, selon laquelle la prescription emporte seulement l’extinction de l’action en justice en laissant subsister l’obligation, la cour d’appel avait rejeté la demande de radiation en retenant que la prescription de l’action du professionnel contre le consommateur concernait uniquement l’action et n’éteignait pas le droit du créancier et qu’il résultait de l’article 2488 du code civil que, lorsque les biens étaient dans les mains du débiteur, la prescription n’entraînait l’extinction de l’hypothèque par voie accessoire que lorsque la créance garantie par l’hypothèque était elle-même éteinte par la prescription.

L’arrêt d’appel a été censuré par la troisième chambre civile de la Cour de cassation qui s’est fondée sur le principe du caractère accessoire de l’hypothèque, en se faisant l’interprète de la volonté des rédacteurs du code civil, telle qu’exprimée dans l’article 2180, devenu 2488, du code civil.

Selon cet article, la prescription peut être une cause d’extinction de l’hypothèque ou du privilège soit par voie de conséquence, quand elle s’accomplit relativement à la créance et qu’elle éteint, par contrecoup, la sûreté accessoire qui la garantit, soit par voie principale, lorsqu’elle affecte directement le droit réel.

Tant que l’immeuble grevé est aux mains du débiteur, le privilège ou l’hypothèque ne peut se prescrire que par voie de conséquence de la prescription de la créance garantie. C’est seulement lorsque le bien est passé aux mains d’un tiers détenteur qu’il peut se prescrire aussi par voie principale.

Le 1o de l’article 2488 du code civil prévoit ainsi que les privilèges et hypothèques s’éteignent par l’extinction de l’obligation principale, sous réserve du cas prévu par l’article 2422 du code civil, et le 4o ajoute que la prescription est acquise au débiteur, quant aux biens qui sont dans ses mains, par le temps fixé pour la prescription des actions qui donnent l’hypothèque ou le privilège.

Faisant sienne l’analyse de la doctrine classique, qui s’est interrogée sur la rédaction de cette disposition, dont le 4o paraît faire double emploi avec le 1o, s’agissant de l’hypothèse où le bien grevé est demeuré aux mains du débiteur, la Cour de cassation relève qu’en précisant que la prescription est acquise au débiteur resté détenteur de l’immeuble hypothéqué par le temps fixé pour la prescription de l’action qui naît de l’obligation principale dont l’hypothèque ou le privilège est l’accessoire, les rédacteurs du code civil ont souhaité proscrire la loi cum notissimi de l’ancien droit, selon laquelle l’action hypothécaire survivait à la prescription de l’action personnelle en devenant l’accessoire d’une obligation naturelle, et faire, au contraire, coïncider la prescription de la créance et l’extinction de l’hypothèque.

Elle ajoute qu’admettre que l’hypothèque ou le privilège puisse survivre à la prescription de l’action en exécution de l’obligation principale remettrait en cause cet objectif, en permettant l’exercice de l’action hypothécaire après prescription de l’action personnelle.

Elle en déduit que la prescription, qu’elle concerne l’obligation principale ou l’action en paiement, emporte, par voie de conséquence, l’extinction de l’hypothèque ou du privilège.

La Cour de cassation énonce une conclusion générale qui a vocation à s’appliquer non seulement tant que le bien grevé demeure entre les mains du débiteur mais aussi lorsqu’il est transféré à un tiers, car l’extinction de l’hypothèque par voie accessoire joue dans les deux cas.

Ainsi, l’action personnelle en paiement contre le débiteur et l’action réelle hypothécaire partagent-elles une vie commune, de sorte que l’immeuble ne continue pas à devoir au créancier ce que le débiteur ne doit plus.

B. Droit du travail

1. Accords collectifs et conflits collectifs de travail

a. Conflits du travail

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

b. Conventions et accords collectifs
Statut collectif du travail – Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Action en justice – Action en nullité – Décision d’annulation par le juge – Modulation dans le temps des effets de la décision d’annulation – Possibilité – Conditions – Détermination – Cas – Portée

Soc., 13 janvier 2021, pourvoi no 19-13.977, publié au Bulletin, rapport de Mme Pécaut-Rivolier et avis de Mme Grivel

Il résulte de l’article L. 2262-15 du code du travail, issu de l’ordonnance no 2017-1385 du 22 septembre 2017, que, en cas d’annulation par le juge de tout ou partie d’un accord ou d’une convention collective, celui-ci peut décider, s’il lui apparaît que l’effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, que l’annulation ne produira ses effets que pour l’avenir ou de moduler les effets de sa décision dans le temps, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement.

En l’absence de dispositions transitoires spécifiques, l’article L. 2262-15 est d’application immédiate, quelle que soit la date à laquelle l’accord collectif a été conclu.

Une cour d’appel, qui a retenu que l’annulation d’une clause d’une convention collective nationale conduisait à la remise en cause des sommes perçues par les salariés depuis une dizaine d’années, supposant un travail considérable, compliqué par l’ancienneté des situations établies avec une collecte de données de grande ampleur pour un résultat incertain en vue d’une reconstitution des droits de chacun, et qui a également relevé que le maintien de la clause pour le passé n’était pas de nature à priver les salariés de contrepartie, a caractérisé l’existence d’un intérêt général l’autorisant à reporter les effets de l’annulation de la clause et à fixer la prise d’effet de sa décision à une date tenant compte de la nécessité de laisser un délai pour la renégociation de la clause de rémunération.

Statut collectif du travail – Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Action en justice – Action en nullité – Décision d’annulation par le juge – Modulation dans le temps des effets de la décision d’annulation – Possibilité – Limites – Action contentieuse déjà engagée sur le même fondement à la date de la décision d’annulation – Cas – Portée

Même arrêt

Aux termes de l’article L. 2262-15 du code du travail, en cas d’annulation par le juge de tout ou partie d’un accord ou d’une convention collective, celui-ci peut décider, s’il lui apparaît que l’effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, que l’annulation ne produira ses effets que pour l’avenir ou de moduler les effets de sa décision dans le temps, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement.

Il en résulte qu’une cour d’appel ne peut rejeter les demandes de dommages et intérêts au titre de l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession formées par des organisations syndicales, à l’origine de l’action ayant conduit à l’annulation de la clause d’un accord collectif, au motif que les effets de l’annulation ont été reportés, dès lors que les actions contentieuses étaient déjà engagées à la date de sa décision d’annulation de la clause.

La chambre sociale de la Cour de cassation a statué, pour la première fois, sur la mise en œuvre des dispositions, issues de l’ordonnance no 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, prévoyant la possibilité pour le juge de moduler les effets dans le temps de sa décision en cas d’annulation d’une clause d’un accord collectif.

L’article L. 2262-15 du code du travail prévoit en effet désormais que « En cas d’annulation par le juge de tout ou partie d’un accord ou d’une convention collective, celui-ci peut décider, s’il lui apparait que l’effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, que l’annulation ne produira ses effets que pour l’avenir ou de moduler les effets de sa décision dans le temps, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement. »

Dans l’affaire dont la Cour de cassation était saisie, une cour d’appel avait annulé la clause d’une convention collective fixant la rémunération de certains artistes interprètes. Plusieurs pourvois avaient été formés contre cette décision. Le dossier a été d’abord examiné par la première chambre civile de la Cour de cassation qui a rejeté la partie des pourvois contestant l’annulation de la clause. Puis le dossier a été transmis à la chambre sociale sur la question de la modulation de la décision d’annulation que la cour d’appel avait décidé de mettre en œuvre.

En effet, la cour d’appel a, sur le fondement de l’article L. 2262-15 du code du travail, décidé de reporter les effets de l’annulation de la clause à neuf mois, au motif d’une part que l’annulation conduisait à la remise en cause des sommes perçues par les salariés depuis une dizaine d’années, supposant un travail considérable, compliqué par l’ancienneté des situations établies avec une collecte de données de grande ampleur pour un résultat incertain en vue d’une reconstitution des droits de chacun, d’autre part que le maintien de la clause pour le passé n’était pas de nature à priver les salariés de contrepartie et enfin qu’il convenait de laisser un délai raisonnable aux partenaires sociaux pour convenir d’une nouvelle clause de rémunération licite.

Trois questions étaient posées à la chambre sociale par les pourvois :

1. L’article L. 2262-15 du code du travail est-il applicable aux accords conclus avant l’entrée en vigueur de la loi ?

La réponse était à l’évidence positive. D’abord parce que, s’agissant d’une disposition procédurale, et en l’absence de dispositions transitoires spécifiques dans la loi, le texte était d’application immédiate. Ensuite parce qu’en toute hypothèse, la possibilité d’une modulation des effets dans le temps d’une décision d’annulation n’a pas été créée par l’ordonnance de 2017 précitée, qui a une vocation plutôt incitative. La chambre sociale de la Cour de cassation l’avait déjà mise en œuvre, par exemple pour les accords en matière de représentation du personnel (voir ainsi, Soc., 6 juin 2018, pourvoi no 17-21.068, Bull. 2018, V, no 107, publié au Rapport annuel).

2. À quelles conditions est soumise précisément cette modulation et qu’autorise-t-elle le juge à faire ?

S’agissant des conditions de la modulation, l’article L. 2262-15 du code du travail reprend les termes d’une décision de principe du Conseil d’État, qui, tout en rappelant le principe de la non-rétroactivité des décisions de justice, admet des exceptions à certaines conditions : le juge qui doit rechercher, « d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation ; qu'il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine » (CE, 11 mai 2004, AC!, no 255886, publié au Recueil Lebon).

La chambre sociale de la Cour de cassation n’a pas estimé utile de détailler de manière plus circonstanciée les critères légaux consacrant la jurisprudence AC !, ces critères paraissant à la fois suffisamment explicites et souples pour pouvoir être appliqués par les juridictions du fond. En l’espèce, la cour d’appel avait caractérisé les conditions de mise en œuvre du texte, en soulignant l’importance des conséquences de l’annulation au regard du nombre de salariés concernés et du temps écoulé, la complexité d’une application rétroactive, et en relevant par ailleurs que la non-rétroactivité ne privait pas les salariés d’une contrepartie compte tenu de la clause restant applicable. Par le détail de ses vérifications et les formules employées, la Cour de cassation indique ainsi qu’elle opère un contrôle lourd sur les conditions d’application du dispositif.

S’agissant des modalités de la modulation, la Cour de cassation opère en revanche un contrôle léger, estimant que, pour une large part, ces modalités relèvent de conditions de fait. Elle précise cependant que la cour d’appel pouvait, comme elle a décidé de le faire, non seulement dire que la décision ne prendrait effet que pour l’avenir, mais en outre donner un délai raisonnable aux parties pour négocier un nouvel accord.

3. Incidence sur les actions contentieuses déjà engagées

L’article L. 2262-15 du code du travail comporte une réserve bien connue des juristes de droit européen : « sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement ».

La Cour de justice de l’Union européenne exige en effet de manière traditionnelle et réitérée que toute décision judiciaire modulant ses effets dans le temps réserve la situation des justiciables ayant déjà engagé une action contentieuse à la date de l’annulation (voir notamment CJCE, arrêt du 26 avril 1994, Roquette frères/Hauptzollamt Geldern, C-228/92). Cette réserve s’applique particulièrement aux parties à l’origine de l’action ayant conduit à l’annulation.

En l’espèce, ce n’était pas des personnes physiques mais des organisations syndicales qui avaient agi en nullité. Et elles sollicitaient des dommages et intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession.

La cour d’appel les en a déboutées au motif que la non-rétroactivité les empêchait de se prévaloir de l’irrégularité passée de la clause au titre de leur préjudice.

Par un moyen relevé d’office, la Cour de cassation censure ce raisonnement contraire aux termes de l’article L. 2262-15 du code du travail et au droit au juge. La modulation des effets de la décision de l’annulation ne peut être opposée à l’encontre des demandes contentieuses formées par les parties avant la décision, que ces parties soient des personnes physiques ou des personnes morales. La demande au titre de l’atteinte que l’illicéité de la clause pouvait avoir porté à l’intérêt collectif de la profession devait donc être examinée.

Statut collectif du travail – Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Action en justice – Action en nullité – Décision d’annulation par le juge – Modulation dans le temps des effets de la décision d’annulation – Possibilité – Modalités – Réserve des actions contentieuses en cours – Définition – Détermination – Portée

Soc., 29 septembre 2021, pourvois no 20-16.494 et suivants, publié au Bulletin, rapport de Mme Pécaut-Rivolier et avis de Mme Berriat

Aux termes de l’article 11 de l’accord collectif du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires « le présent accord, qui constitue un tout indivisible, entrera en vigueur à compter de sa date d’extension et de l’adoption des dispositions législatives et réglementaires qui seraient nécessaires à son application. À défaut, les dispositions du présent accord ne seront pas applicables. »

Il résulte des termes mêmes de cette clause que, si l’accord collectif subordonnait son entrée en vigueur à l’adoption d’un arrêté d’extension, il ne la conditionnait pas nécessairement à l’adoption de dispositions législatives ou réglementaires.

Par arrêt du 28 novembre 2018, le Conseil d’État (CE, 28 novembre 2018, no 379677), après avoir annulé l’arrêté d’extension du 22 février 2014 ayant procédé à l’extension de l’accord collectif du 10 juillet 2013, a décidé que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur ce fondement, les effets produits antérieurement à cette annulation par l’arrêté attaqué en tant qu’il étend les stipulations de l’article 5 de l’accord du 10 juillet 2013, relatif à la mise en place d’un fonds professionnel pour l’emploi dans le travail temporaire, doivent être réputés définitifs.

La réserve des actions contentieuses engagées contre les mesures prises sur le fondement d’un accord collectif ou d’un arrêté ultérieurement annulés vise les seules procédures juridictionnelles par lesquelles le justiciable, que ce soit en demande ou par voie de défense au fond, a invoqué, antérieurement à la décision prononçant l’annulation de l’acte en cause, le grief d’invalidité sur le fondement duquel l’annulation a été prononcée.

Ce dossier, qui se situe dans le prolongement du contentieux né de la signature, le 10 juillet 2013, d’un accord de la branche du travail temporaire créant le « CDI intérimaire », pose la question de l’effet d’une décision d’annulation d’un accord collectif ou d’un arrêté d’extension, notamment lorsque cette décision prévoit expressément de maintenir les effets passés de l’acte annulé.

Il convient de rappeler que l’accord du 10 juillet 2013 avait fait l’objet d’un arrêté d’extension le 22 février 2014, publié au Journal officiel le 6 mars 2014. Saisi d’une demande d’annulation de cet arrêté au motif de l’illégalité d’un accord collectif créant une nouvelle catégorie de contrat de travail, le Conseil d’État a transmis au juge judiciaire une question préjudicielle (CE, 27 juillet 2015, no 379677).

Le 17 août 2015, la loi no 2015-994 relative au dialogue social et à l’emploi a reconnu la possibilité de créer, par voie d’accords collectifs, des CDI intérimaires.

Par arrêt du 12 juillet 2018 (Soc., 12 juillet 2018, pourvoi no 16-26.844, Bull. 2018, V, no 145, publié au Rapport annuel), la chambre sociale de la Cour de cassation a constaté que « l’accord collectif du 10 juillet 2013, en instaurant le contrat à durée indéterminée intérimaire permettant aux entreprises de travail temporaire d’engager, pour une durée indéterminée, certains travailleurs intérimaires, crée une catégorie nouvelle de contrat de travail, dérogeant aux règles d’ordre public absolu qui régissent, d’une part, le contrat de travail à durée indéterminée, d’autre part le contrat de mission, et fixe, en conséquence, des règles qui relèvent de la loi, le tribunal de grande instance a violé [l’article 34 de la Constitution] ».

Le Conseil d’État en a tiré pour conséquence, dans une décision du 28 novembre 2018 (CE, 28 novembre 2018, no 379677) la nullité de l’arrêté d’extension du 22 février 2014.

L’effet de ces annulations a cependant été doublement limité.

Le législateur est intervenu, dès que la décision de la Cour de cassation du 12 juillet 2018 a été rendue, pour valider rétroactivement les CDI intérimaires conclus sur le fondement de l’accord du 10 juillet 2013 entre le 6 mars 2014, date d’entrée en vigueur de l’arrêté d’extension, et le 19 août 2015, date d’entrée en vigueur de la loi instaurant les CDI intérimaires, en prévoyant, à l’article 116, II, de la loi no 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, que « Les contrats de travail à durée indéterminée intérimaires conclus entre le 6 mars 2014 et le 19 août 2015 sur le fondement du chapitre Ier de l’accord du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires sont présumés conformes à l’article 56 de la loi no 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, sans préjudice des contrats ayant fait l’objet de décisions de justice passées en force de chose jugée. »

Le Conseil d’État, dans sa décision du 28 novembre 2018, a quant à lui validé rétroactivement les actions mises en œuvre au titre du fonds de sécurisation des parcours intérimaires (FSPI) que l’accord du 10 juillet 2013 avait créé pour financer des actions de formation au profit des salariés intérimaires, par le biais d’un appel à cotisation auprès des entreprises de travail temporaires. Aux termes de sa décision « il ressort des pièces du dossier que la disparition rétroactive des dispositions de l’arrêté du 22 février 2014 en tant qu’il porte extension des stipulations de l’article 5 de l’accord du 10 juillet 2013, relatif au fonds de sécurisation des parcours des intérimaires, essentiellement destiné à financer des actions de formation au profit des salariés intérimaires et alimenté par des cotisations assises sur les salaires versés à ces salariés, susceptibles de contestation dans le délai de prescription, aurait des conséquences manifestement excessives de nature à justifier une limitation dans le temps des effets de leur annulation. Dans ces conditions, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur ce fondement, les effets produits antérieurement à cette annulation par l’arrêté attaqué en tant qu’il étend les stipulations de l’article 5 de l’accord du 10 juillet 2013 doivent être réputés définitifs ».

Entre-temps, le FSPI avait engagé plusieurs procédures, devant le tribunal de commerce, pour obtenir le paiement par les entreprises de travail temporaire des cotisations dues en application de l’accord collectif pour la période allant du 6 mars 2014 au 17 août 2015.

Ces actions en paiement, auxquelles la cour d’appel avait fait droit par arrêts du 24 février 2020, étaient contestées devant la chambre sociale de la Cour de cassation essentiellement pour deux motifs.

Le premier motif était celui qui avait été soutenu en défense par les sociétés d’intérim dès l’origine de la procédure judiciaire : l’accord collectif du 10 juillet 2013 ne pouvait pas, selon elles, entrer en vigueur avant le 17 août 2015 en raison de la rédaction de l’article 11 de ce même accord concernant la date de prise d’effet de l’accord et qui prévoyait que « Le présent accord, qui constitue un tout indivisible, entrera en vigueur à compter de sa date d’extension et de l’adoption des dispositions législatives et réglementaires qui seraient nécessaires à son application. À défaut, les dispositions du présent accord ne seront pas applicables. »

Les sociétés faisaient valoir que, de par la volonté même de ses signataires, l’accord ne pouvait pas prendre effet avant qu’une loi ne vienne permettre son application. Elles en déduisaient que la validation rétroactive des actions menées par le FSPI en application de l’accord avant l’annulation de l’arrêté d’extension par la décision du Conseil d’État du 28 novembre 2018 n’avait pas pu concerner la période antérieure à l’entrée en vigueur de la loi no 2015-994 du 17 août 2015 précitée, puisqu’avant cette date l’accord collectif n’était pas entré en vigueur.

La Cour de cassation constate que, si aux termes de l’article 11 de l’accord, les partenaires sociaux ont entendu subordonner l’entrée en vigueur de l’accord à la publication d’un arrêté d’extension, la référence à l’adoption de dispositions législatives et réglementaires « qui seraient nécessaires » est formulée de manière purement éventuelle. L’accord collectif ne faisait donc pas dépendre sa date d’entrée en vigueur de l’existence de telles dispositions. Dès lors, la décision du Conseil d’État qui valide les actions menées en application de cet accord s’agissant du FSPI antérieurement à l’annulation de l’accord, concerne les actes pris à compter du 6 mars 2014, date de publication de l’arrêté d’extension.

Le second motif de contestation est celui qui justifie la publication de l’arrêt au Rapport annuel. Il s’agit en effet de savoir ce que signifie la réserve des « actions contentieuses en cours » qui figure dans la décision du Conseil d’État du 28 novembre 2018 comme limite à la validation rétroactive des actes intervenus avant l’annulation de l’arrêté.

Cette réserve des actions contentieuses en cours est une notion juridique issue de la jurisprudence européenne. Depuis 1994, la Cour de justice exige en effet qu’il soit intégré, dans toute décision de modulation des effets dans le temps d’une décision de justice, la réserve des actions contentieuses en cours (CJCE, arrêt du 26 avril 1994, Roquette Frères/Hauptzollamt Geldern, C-228/92) :

« 25. II convient de rappeler à cet égard qu’il appartient à la Cour, quand elle fait usage de la possibilité de limiter l’effet dans le passé d’une déclaration préjudicielle d’invalidité d’un règlement communautaire, de déterminer si une exception à cette limitation de l’effet dans le temps, conférée à son arrêt, peut être prévue en faveur de la partie au principal qui a introduit devant la juridiction nationale le recours contre l’acte national d’exécution du règlement, ou si, à l’inverse, même à l’égard de cette partie, une déclaration d’invalidité du règlement ayant effet seulement pour l’avenir constitue un remède adéquat (voir arrêt Produits de maïs, précité, point 18).

26. Dans le cas de la partie qui, comme la demanderesse au principal, a attaqué devant le juge national un avis de perception de MCM adopté sur le fondement d’un règlement communautaire invalide, une telle limitation des effets dans le passé d’une déclaration préjudicielle d’invalidité aurait pour conséquence le rejet par ce juge national du recours dirigé contre l’avis de perception litigieux, alors même que le règlement, sur le fondement duquel cet avis a été adopté, a été déclaré invalide par la Cour dans le cadre de la même instance.

27. Un opérateur économique comme la demanderesse au principal se verrait alors privé du droit à une protection juridictionnelle effective en cas de violation par les institutions de la légalité communautaire et l’effet utile de l’article 177 du traité en serait compromis.

28. En conséquence, un opérateur tel que la demanderesse au principal qui, avant la date du présent arrêt, a introduit devant une juridiction nationale un recours dirigé contre un avis de perception de MCM adopté sur le fondement du règlement communautaire déclaré invalide en vertu du présent arrêt, est en droit de se prévaloir de cette invalidité dans le cadre du litige au principal. »

Le Conseil d’État a donc intégré cette réserve lorsqu’il a, pour la première fois, instauré le principe d’une possible modulation des effets dans le temps d’une décision d’annulation d’un arrêté d’extension. Dans la fameuse décision AC ! du 11 mai 2004 (CE, 11 mai 2004, no 255886, publié au Recueil Lebon), le Conseil d’État précise qu’il appartient au juge d’apprécier au vu de certains éléments « s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine ».

La Cour de cassation en a fait de même dans sa décision Spedidam du 13 janvier 2021 (Soc., 13 janvier 2021, pourvoi no 19-13.977, publié au Bulletin et au Rapport annuel). Après avoir approuvé la cour d’appel d’avoir dit que l’annulation de l’accord collectif n’aurait d’effet que pour l’avenir, elle l’a censurée d’avoir de ce fait rejeté la demande en dommages et intérêts formée par le syndicat requérant, alors que, s’agissant d’une « action contentieuse déjà engagée » à la date de la décision d’annulation, la modulation des effets de l’annulation ne pouvait être opposée.

La réserve des actions contentieuses en cours est ainsi un concept juridique général, mais auquel il n’a jamais été donné de définition précise.

C’est ce que le présent litige a rendu nécessaire.

En effet, il s’agissait de savoir si le fait pour le FSPI d’avoir, en 2016, engagé une action contre plusieurs entreprises refusant de régler les cotisations prévues par l’accord collectif dont l’extension a été ultérieurement annulée, permettait à ces sociétés de faire valoir la réserve des actions contentieuses en cours pour qu’il ne puisse leur être opposé la validité des mesures prises sur le fondement de l’accord avant l’annulation de l’arrêté d’extension.

Autrement dit, par actions contentieuses en cours, ou actions déjà engagées, faut-il entendre toute action en cours, portant sur l’application de l’accord, avant la décision d’annulation de l’accord ou de son arrêté d’extension, ou bien seulement celles qui ont spécifiquement invoqué, avant la décision d’annulation, le grief d’invalidité ayant conduit à la décision d’annulation ?

La Cour de cassation affirme clairement la seconde solution : la réserve des actions contentieuses engagées contre les mesures prises sur le fondement d’un accord collectif ou d’un arrêté ultérieurement annulés vise les seules procédures juridictionnelles par lesquelles le justiciable a invoqué, antérieurement à la décision prononçant l’annulation de l’acte en cause, le grief d’invalidité sur le fondement duquel l’annulation a été prononcée.

En effet, il s’agit d’une réserve qui vise à préserver le droit au recours effectif des justiciables, c’est-à-dire de ne pas opposer à une partie, qui a devant une juridiction fait état d’une irrégularité d’un accord collectif ou d’un arrêté, les conséquences de la modulation dans le temps des effets de l’annulation pour ne pas faire droit à des demandes qui étaient pourtant légitimes lorsqu’elles ont été formées devant le juge. La réserve vise donc toutes les actions dans lesquelles le justiciable aurait invoqué, en demande ou en défense, antérieurement à la décision d’annulation, le grief d’invalidité qui a conduit à l’annulation de l’acte.

En l’espèce, les entreprises à qui le FSPI avait demandé judiciairement paiement des cotisations dues sur le fondement de l’accord de 2013 contestaient devoir ces sommes, mais n’avaient pas soulevé l’illégalité de l’accord et de son arrêté d’extension avant la décision du Conseil d’État prononçant la nullité de ce dernier. Dès lors, le Conseil d’État ayant admis la validité des effets produits par l’arrêté d’extension avant la décision d’annulation, ces entreprises ne pouvaient se prévaloir de la réserve des actions contentieuses en cours pour s’opposer au paiement des cotisations dues en application de l’accord de 2013 étendu pour la période courant entre la date de prise d’effet de l’accord et la décision d’annulation.

Statut collectif du travail – Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Application – Application dans le temps – Rétroactivité – Accord instituant un avantage – Égalité de traitement – Atteinte au principe – Justification – Éléments objectifs justifiant la différence de traitement – Défaut – Applications diverses – Rupture du contrat de travail d’un salarié antérieure à la date de signature de l’accord collectif – Portée

Soc., 13 janvier 2021, pourvoi no 19-20.736, publié au Bulletin, rapport de Mme Marguerite et avis de Mme Grivel

Dès lors qu’il résulte, d’une part, de l’article L. 2261-1 du code du travail qu’une convention ou un accord collectif peut prévoir l’octroi d’avantages salariaux pour une période antérieure à son entrée en vigueur et, d’autre part, de l’article 2 du code civil qu’une convention ou un accord collectif, même dérogatoire, ne peut priver un salarié des droits qu’il tient du principe d’égalité de traitement pour une période antérieure à l’entrée en vigueur de l’accord, la seule circonstance que le contrat de travail d’un salarié ait été rompu avant la date de signature de l’accord collectif ne saurait justifier que ce salarié ne bénéficie pas des avantages salariaux institués par celui-ci, de façon rétroactive, pour la période antérieure à la cessation du contrat de travail.

L’article L. 2261-1 du code du travail (anciennement article L. 132-10) pose un principe d’application immédiate des conventions et accords collectifs le lendemain du jour de leur dépôt auprès de l’administration. Toutefois cet article prévoit une possibilité de stipulations contraires dans l’accord.

La chambre sociale de la Cour de cassation a jugé qu’une convention ou un accord collectif ne peut contenir des stipulations à caractère rétroactif que si celles-ci sont favorables au salarié car l’accord collectif ne peut priver un salarié de droits acquis pour la période antérieure à la signature de l’accord (Soc., 11 juillet 2000, pourvoi no 98-40.696, Bull. 2000, V, no 274).

Se fondant tant sur l’article L. 132-10 du code du travail que sur l’article 2 du code civil relatif à la non-rétroactivité des lois, la chambre sociale a confirmé cette jurisprudence en jugeant que des stipulations conventionnelles dérogatoires aux dispositions légales et moins favorables que ces dernières ne pouvaient s’appliquer pour une période antérieure à leur date d’application, le lendemain de la date de dépôt de l’accord  (Soc., 24 janvier 2007, pourvoi n° 04-45.585, Bull. 2007, V, n° 14).

En outre, au visa de l’article 2 du code civil, la chambre sociale a récemment jugé qu’une convention ou un accord collectif, même dérogatoire, ne peut priver un salarié des droits qu’il tient du principe d’égalité de traitement pour la période antérieure à l’entrée en vigueur de l’accord (Soc., 28 novembre 2018, pourvois no 17-20.007 et no 17-20.008, publié au Bulletin). Les accords collectifs ne peuvent ainsi remettre en cause des droits nés avant l’entrée en vigueur de l’accord et fondés sur le principe d’égalité de traitement.

Saisie en l’espèce de l’application d’un accord collectif prévoyant des stipulations rétroactives favorables aux salariés mais dont l’employeur soutenait qu’elles ne devaient s’appliquer qu’aux contrats de travail en cours au jour de la date d’entrée en vigueur de l’accord, la chambre sociale de la Cour de cassation juge que si, conformément à l’article L. 2261-1 du code du travail, une convention ou un accord collectif peut prévoir des avantages salariaux de manière rétroactive, c’est-à-dire pour une période antérieure à sa date d’entrée en vigueur, il résulte de l’article 2 du code civil que cette application rétroactive ne peut priver les salariés de droits qu’ils tiennent du principe d’égalité de traitement.

Dès lors, la seule circonstance que le contrat de travail du salarié ait été rompu avant la date d’entrée en vigueur de l’accord, soit le lendemain du jour du dépôt à l’autorité compétente, ne peut justifier que le salarié ne bénéficie pas, à la différence des salariés placés dans une situation identique ou similaire et dont le contrat de travail n’était pas rompu à la date de signature de l’accord, des avantages salariaux institués par l’accord, de façon rétroactive, pour la période antérieure à la cessation de son contrat de travail, soit jusqu’à l’expiration de son préavis.

S’agissant ici d’une augmentation du salaire de base et d’une prime pour les samedis travaillés, la chambre sociale de la Cour de cassation exclut qu’une différence de traitement puisse être faite entre des salariés occupant le même emploi selon que leur contrat de travail était ou non rompu à la date de signature de l’accord. Il en résulte que le salarié licencié avant la date de conclusion de l’accord avait droit à ces avantages salariaux rétroactifs pour la période pendant laquelle il était encore salarié de l’entreprise.

Statut collectif du travail – Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Négociation – Validité – Conditions – Accord collectif de branche – Arrêté de représentativité applicable – Défaut – Recherche des syndicats reconnus représentatifs – Procédure préalable à la négociation – Modalités – Détermination

Soc., 10 février 2021, pourvoi no 19-13.383, publié au Bulletin, rapport de Mme Pécaut-Rivolier et avis de Mme Laulom

Il résulte des dispositions combinées des articles L. 2121-1, L. 2121-2 et L. 2122-11 que, sans préjudice de l’application des règles d’appréciation de la représentativité des organisations syndicales propres aux accords interbranches ou aux accords de fusion de branches, le ministre chargé du travail est compétent pour, s’il y a lieu, arrêter, sous le contrôle du juge administratif, la liste des organisations syndicales représentatives et leurs audiences respectives dans un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir, y compris lorsque celui-ci ne correspond pas à une « branche professionnelle » au sens de l’article L. 2122-11 du code du travail.

Dès lors, les partenaires sociaux qui souhaitent négocier dans un champ professionnel qui n’a pas donné lieu à l’établissement d’une liste des syndicats représentatifs par arrêté du ministère du travail en application de l’article L. 2122-11 du code du travail ou à l’issue d’une enquête de représentativité en application de l’article L. 2121-2 du même code doivent, avant d’engager la négociation collective, demander, dans les conditions précitées, à ce qu’il soit procédé à la détermination des organisations représentatives dans le champ de négociation pour s’assurer que toutes les organisations syndicales représentatives dans ce périmètre sont invitées à la négociation.

Peut-il y avoir un accord collectif « de branche » sur un périmètre qui n’a pas fait l’objet d’un arrêté de représentativité ? Si oui, comment déterminer la représentativité des organisations négociatrices et signataires, et à quel moment ?

Telles étaient les questions qui, interrogeant fondamentalement le concept même de branche professionnelle, étaient, dans un temps quasiment simultané, posées au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Les contentieux concernaient le secteur des entreprises du bâtiment qui est divisé en quatre branches relevant de conventions collectives nationales : celle des ouvriers dans les entreprises employant plus de 10 salariés, celle des ouvriers dans les entreprises de moins de 10 salariés, celle des cadres du bâtiment et celle des ETAM du bâtiment.

Or, en 1994, un accord de branche étendu par la suite avait été signé par la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), d’une part, et la CFDT, la CGT, la CGT-FO, la CFE-CGC et la CFTC d’autre part, « relatif à la protection des salariés d’entreprises du bâtiment occupant jusqu’à 10 salariés, appelés à participer aux réunions paritaires et aux réunions des organismes paritaires chargés de gérer des institutions bâtiment », et en 1995, a été signé entre les mêmes partenaires un avenant à cette convention ayant pour objet le financement du dialogue social et du droit de la négociation collective et portant notamment la création de commissions paritaires et d’une Association paritaire nationale pour le développement de la négociation collective dans l’artisanat du bâtiment (APNAB).

En 2018, souhaitant réactualiser cet avenant pour tenir compte des nouvelles règles de représentativité syndicale, la CAPEC invitait aux négociations les syndicats signataires de l’avenant de 1995, à l’exception de la CFE-CGC. Un nouvel accord était signé le 25 juin 2018.

Contestant le fait de n’avoir pas été invité à la négociation, le syndicat CFE-CGC a saisi le juge judiciaire en référé en invoquant un trouble manifestement illicite.

Parallèlement, le ministère du travail avait décidé de publier deux arrêtés de représentativité complémentaires aux quatre arrêtés de représentativité des branches du secteur bâtiment, l’un relatif à la représentativité générale des organisations patronales, l’autre relatif à la représentativité des organisations syndicales de salariés, sur tout le périmètre du secteur du bâtiment. Ces arrêtés ont été soumis à la censure du juge administratif au motif qu’ils aboutissaient à modifier le champ des branches par le seul effet de l’intervention de l’autorité administrative.

Par deux décisions du 4 novembre 2020 (CE, 4 novembre 2020, no 434518, mentionné aux tables du Recueil Lebon; CE, 4 novembre 2020, no 434519, mentionné aux tables du Recueil Lebon), le Conseil d’État a considéré que, hors les cas des accords interbranches ou des accords de fusion de branches, relevant de régimes particuliers, le ministère du travail a compétence pour arrêter, s’il y a lieu, sous le contrôle du juge administratif, la liste des organisations patronales et syndicales représentatives dans un champ ne correspondant pas jusqu’alors à une « branche professionnelle » répertoriée, mais pouvant constituer un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir.

Dans le prolongement de ces décisions, la Cour de cassation, s’appuyant directement sur le considérant de principe du Conseil d’État, en déduit dans l’arrêt du 10 février 2021 ici commenté que, lorsque les partenaires sociaux décident de négocier dans un périmètre qui n’est pas celui d’une branche professionnelle déjà connue, il leur appartient au préalable, pour assurer la validité de leur négociation, de s’assurer de la représentativité des négociateurs en demandant au ministère du travail de fixer la liste de ces organisations représentatives par une enquête ou par un arrêté de représentativité.

Cette vérification préalable est la condition pour que les partenaires sociaux, qui choisissent de négocier sur un périmètre recouvrant, partiellement, plusieurs branches, respectent le principe de concordance qui exige que toutes les organisations représentatives dans le champ d’application de la négociation soient invitées à la négociation (Soc., 8 mars 2017, pourvoi no 15-18.080, Bull. 2017, V, no 46).

Il résulte ainsi de ces décisions complémentaires du Conseil d’État et de la Cour de cassation qu’en l’état du droit positif, la notion de branche, à laquelle le législateur n’a jamais souhaité donner de définition ou de contour précis jusqu’à présent, n’est pas figée par les contours dessinés par les conventions collectives nationales signées au fil du temps sur certains périmètres par les partenaires sociaux. Il peut y avoir négociation collective utile sur un champ qui couvre, totalement, ou partiellement, plusieurs périmètres. Mais il faut alors que puisse être établie par le ministère du travail la liste des organisations patronales et syndicales représentatives et leur audience respective sur ce champ jusqu’alors non identifié.

Cette obligation préalable qui pèse sur les organisations professionnelles et syndicales qui sont à l’initiative de cette négociation participe tant du respect du principe de concordance que du principe de loyauté de la négociation collective.

2. Contrat de travail, organisation et exécution du travail

a. Contrats et statuts particuliers

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

b. Droits et obligations des parties au contrat de travail

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

c. Emploi et formation

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

d. Modification dans la situation juridique de l’employeur

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

3. Durée du travail et rémunération

a. Durée du travail, repos et congés
Travail réglementation, durée du travail – Heures supplémentaires – Accomplissement – Preuve – Charge – Portée

Soc., 27 janvier 2021, pourvoi no 17-31.046, publié au Bulletin, rapport de M. Flores et avis de Mme Courcol-Bouchard

En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Fait peser sur le seul salarié et viole l’article L. 3171-4 du code du travail, la cour d’appel qui, pour rejeter la demande au titre des heures supplémentaires, retient que le décompte produit est insuffisamment précis en ce qu’il ne précise pas la prise éventuelle d’une pause méridienne, alors qu’il résultait de ses constatations, d’une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, d’autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail.

Travail réglementation, rémunération – Salaire – Fixation – Salaire variable – Calcul – Assiette – Clause contractuelle prévoyant la déduction des cotisations patronales – Possibilité (non)

Même arrêt

La détermination de l’assiette de la rémunération variable ne relève pas de la prohibition de l’article L. 241-8 du code de la sécurité sociale qui ne concerne que le paiement des cotisations sociales.

Avec cette décision, la chambre sociale de la Cour de cassation poursuit la clarification des conditions d’examen par les juges du fond des demandes relatives à la preuve des heures travaillées, lesquelles génèrent un contentieux abondant.

Dans un précédent arrêt du 18 mars 2020, la chambre sociale a pris en compte la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui considère que les États membres doivent imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur, avec toutefois une marge d’appréciation dans la mise en œuvre concrète de cette obligation pour tenir compte des particularités propres à chaque secteur d’activité concerné et des spécificités de certaines entreprises (CJUE, arrêt du 14 mai 2019, CCOO, C-55/18, points 60 à 63). Modifiant la formule précédemment utilisée (Soc., 24 novembre 2010, pourvoi no 09-40.928, Bull. 2010, V, no 266, publié au Rapport annuel), la chambre sociale a jugé qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments (Soc., 18 mars 2020, pourvoi no 18-10.919, publié au Bulletin et au Rapport annuel).

En l’espèce, la cour d’appel avait rejeté la demande au titre des heures supplémentaires en relevant que, si le décompte produit par le salarié indiquait, jour après jour, les heures de prise et de fin de service, ainsi que de ses rendez-vous professionnels avec la mention du magasin visité, le nombre d’heures de travail quotidien et le total hebdomadaire, sa précision était insuffisante faute de mentionner la prise éventuelle d’une pause méridienne. De son côté, l’employeur, qui critiquait ce décompte, ne produisait aucun élément quant au contrôle de la durée de travail effectuée par le salarié.

Reprenant la solution dégagée le 18 mars 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation explicite avec le présent arrêt le contrôle qu’elle exerce sur la notion « d’éléments suffisamment précis » quant aux heures de travail que le salarié prétend avoir accomplies. S’agissant d’une obligation découlant de l’article 6 du code de procédure civile, relatif à l’obligation d’alléguer les faits nécessaires au succès des prétentions, et non de l’article L. 3171-4 du code du travail, relatif à la preuve des heures travaillées, la précision des éléments produits doit être examinée au regard de cet objectif d’organisation du débat judiciaire. Cette précision n’est ni de la même nature, ni de la même intensité que celle qui pèse par ailleurs sur l’employeur dans le cadre de son obligation de contrôle de la durée du travail. Elle ne peut avoir pour effet de faire peser la charge de la preuve des heures accomplies sur le seul salarié, ni de contraindre ce dernier à indiquer les éventuelles pauses méridiennes qui auraient interrompu le temps de travail. En effet, comme tous les seuils et plafonds, prévus tant par le droit de l’Union européenne que par le droit interne (Soc., 20 février 2013, pourvoi no 11-28.811, Bull. 2013, V, no 52), la charge de la preuve de la prise des temps de pause incombe à l’employeur (Soc., 20 février 2013, pourvois no 11-21.848 et no 11-21.599, Bull. 2013, V, no 51).

Dès lors qu’il résultait de ses propres constatations que les éléments produits par le salarié étaient suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, ce que la Cour de cassation relève expressément, le régime de la preuve partagée devenait applicable. Il appartenait donc à la cour d’appel d’examiner les pièces produites par l’une et l’autre des parties, étant précisé que l’employeur ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, et d’apprécier la portée des critiques formulées contre ces pièces, avant de décider, dans le cadre de son pouvoir souverain, si le salarié avait effectivement accompli des heures supplémentaires et, dans l’affirmative, de fixer la créance correspondante (Soc., 4 décembre 2013, pourvoi no 12-22.344, Bull. 2013, V, no 299, publié au Rapport annuel ; Soc., 18 mars 2020, pourvoi no 18-10.919, précité).

Cet arrêt est également l’occasion d’une évolution de jurisprudence sur la question de la détermination de la rémunération variable au regard de l’article L. 241-8 du code de la sécurité sociale selon lequel la contribution de l’employeur au titre des cotisations sociales reste exclusivement à sa charge. La Cour de cassation en déduit qu’une clause du contrat de travail mettant à la charge du salarié des cotisations patronales est nulle de plein droit (Soc., 23 avril 2013, pourvoi no 12-12.411, Bull. 2013, V, no 106). S’agissant de la détermination de la rémunération revenant au salarié, la chambre sociale a, dans un premier temps, considéré qu’il n’était pas illicite de convenir d’une rémunération proportionnelle au chiffre d’affaires, déduction faite de différentes charges d’exploitation de l’employeur, y compris les charges sociales (Soc., 10 novembre 1993, pourvoi no 89-44.063, Bull. 1993, V, no 263). Puis, adoptant une interprétation plus large de l’article L. 241-8 du code de la sécurité sociale, elle a jugé que la clause contractuelle, selon laquelle les commissions revenant au salarié étaient diminuées du montant des cotisations sociales patronales, était nulle (Soc., 17 octobre 2000, pourvoi no 98-45.669, Bull. 2000, V, no 329). La chambre sociale a alors décidé de proscrire les clauses contractuelles qui excluaient les cotisations sociales patronales de l’assiette de calcul d’une rémunération variable (Soc., 15 décembre 2009, pourvoi no 08-41.385 ; Soc., 5 juillet 2017, pourvoi no 16-13.042).

En l’espèce, la cour d’appel avait validé une clause allouant au salarié une commission de 20 % de la marge nette, laquelle correspondait à la marge brute perçue pour chaque produit vendu après déduction de tous les frais de voiture, téléphone, restaurant, péage exposés par le salarié et d’un forfait au titre des charges sociales. Rompant avec sa précédente jurisprudence, la Cour de cassation a considéré que la prohibition de l’article L. 241-8 du code de la sécurité sociale ne portait que sur les modalités de paiement de la rémunération et pas sur sa détermination. Même si elle avait rejeté une question prioritaire de constitutionnalité critiquant l’interprétation donnée à l’article L. 241-8 du code de la sécurité sociale (Soc., 21 novembre 2018, QPC no 18-15.844, publié au Bulletin), la chambre sociale de la Cour de cassation choisit, avec le présent arrêt, d’élargir l’exercice par les parties de leur liberté contractuelle dans la fixation des conditions de rémunération du salarié. En effet, les parties peuvent, pour des raisons qui leur appartiennent au regard de l’objet qu’elles fixent à la rémunération variable, exclure les cotisations sociales patronales de l’assiette de calcul, sans que cela remette en cause le paiement par l’employeur des cotisations patronales dues sur le montant de la rémunération revenant effectivement au salarié. En outre, l’assiette de calcul doit être reliée aux autres éléments de détermination de la rémunération variable comme le taux éventuellement appliqué. Or, ce dernier peut corriger les effets d’assiette dans les conditions que les parties estiment pertinentes. En toute hypothèse, l’employeur reste tenu de payer les cotisations sociales sur le montant résultant de l’application des stipulations contractuelles.

Travail réglementation, durée du travail – Repos et congés – Congés payés – Caisse de congés payés – Régimes particuliers – Bâtiments et travaux publics – Affiliation – Employeur – Obligations – Portée

Soc., 22 septembre 2021, pourvoi no 19-17.046, publié au Bulletin, rapport de M. Flores et avis de Mme Roques

Il appartient à l’employeur relevant d’une caisse de congés payés de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de bénéficier effectivement de son droit à congé auprès de la caisse de congés payés et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement. Seule l’exécution de cette obligation entraîne la substitution de l’employeur par la caisse pour le paiement de l’indemnité de congés payés.

En application de l’article L. 3141-30 du code du travail, lorsque l’employeur a satisfait intégralement à ses obligations à l’égard de la caisse de congés payés auprès de laquelle il est affilié, cette dernière doit assurer le service des droits à congés des travailleurs concernés. La Cour de cassation en déduisait que la caisse de congés payés, qui se substitue à l’employeur, était la seule débitrice des congés payés (1re Civ., 6 mai 1997, pourvoi no 95-12.001, Bull. 1997, I, no 151). En conséquence, la demande en paiement de l’indemnité de congés payés devait être dirigée à l’encontre la caisse et, en cas de défaillance de l’employeur dans ses obligations, le salarié ne pouvait prétendre qu’à des dommages-intérêts (Soc., 24 novembre 1993, pourvoi no 89-43.437 ; Soc., 28 mars 2018, pourvoi no 16-25.429).

Avec le présent arrêt, la Cour de cassation tire les conséquences de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, selon laquelle l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, font obligation à l’employeur, d’une part, de veiller concrètement à ce que le salarié soit en mesure de prendre ses congés annuels payés, d’autre part, de l’informer de manière précise et en temps utile afin de lui permettre d’exercer ses droits (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C-684/16). En outre, l’exigence d’effectivité du droit au repos conduit à écarter la possibilité de remplacer le droit à congé payé par une indemnité financière, sauf en cas de fin de la relation de travail (CJCE, arrêt du 26 juin 2001, BECTU, C-173/99 ; CJCE, arrêt du 18 mars 2004, Merino Gómez, C-342/01 ; CJCE, arrêt du 16 mars 2006, Robinson-Steele e. a., C-131/04 et C-257/04). La charge de la preuve pesant sur l’employeur (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, C-684/16, précité), il appartient à celui-ci de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement (Soc., 13 juin 2012, pourvoi no 11-10.929, Bull. 2012, V, no 187, publié au Rapport annuel ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi no 16-18.898, Bull. 2017, V, no 159).

Sans modifier le régime applicable en cas d’affiliation de l’employeur à une caisse de congés payés, la Cour de cassation harmonise le régime de preuve avec celui déjà en vigueur dans le cadre du droit commun des congés payés. Ainsi, il appartient à l’employeur relevant d’une caisse de congés payés en application des articles L. 3141-12, L. 3141-14 et L. 3141-30 du code du travail, de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de bénéficier effectivement de son droit à congé auprès de la caisse de congés payés, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli les diligences qui lui incombent légalement. Ce n’est qu’à cette condition que s’opérera la substitution de l’employeur par la caisse pour le paiement de l’indemnité de congés payés. À défaut le salarié pourra contraindre l’employeur défaillant à exécuter son obligation.

b. Rémunération

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

4. Égalité de traitement, discrimination, harcèlement

a. Discrimination

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

b. Égalité de traitement
Statut collectif du travail – Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Application – Application dans le temps – Rétroactivité – Accord instituant un avantage – Égalité de traitement – Atteinte au principe – Justification – Éléments objectifs justifiant la différence de traitement – Défaut – Applications diverses – Rupture du contrat de travail d’un salarié antérieure à la date de signature de l’accord collectif – Portée

Soc., 13 janvier 2021, pourvoi no 19-20.736, publié au Bulletin, rapport de Mme Marguerite et avis de Mme Grivel

Dès lors qu’il résulte, d’une part, de l’article L. 2261-1 du code du travail qu’une convention ou un accord collectif peut prévoir l’octroi d’avantages salariaux pour une période antérieure à son entrée en vigueur et, d’autre part, de l’article 2 du code civil qu’une convention ou un accord collectif, même dérogatoire, ne peut priver un salarié des droits qu’il tient du principe d’égalité de traitement pour une période antérieure à l’entrée en vigueur de l’accord, la seule circonstance que le contrat de travail d’un salarié ait été rompu avant la date de signature de l’accord collectif ne saurait justifier que ce salarié ne bénéficie pas des avantages salariaux institués par celui-ci, de façon rétroactive, pour la période antérieure à la cessation du contrat de travail.

Voir le commentaire sous la partie Conventions et accords collectifs, p. 110.

c. Harcèlement

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

5. Représentation du personnel et élections professionnelles

a. Élections, représentativité, représentants syndicaux : mise en œuvre de la loi du 20 août 2008

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

b. Élections, syndicats hors application de la loi du 20 août 2008
Tribunal d’instance – Compétence – Compétence matérielle – Élections professionnelles – Conditions d’organisation et de déroulement – Recours au vote électronique – Contestation – Nature – Appréciation – Portée

Soc., 13 janvier 2021, pourvoi no 19-23.533, publié au Bulletin, rapport de Mme Pécaut-Rivolier et avis de Mme Grivel

Il résulte du premier alinéa de l’article L. 2314-32 du code du travail que les contestations relatives à l’électorat, à la composition des listes de candidats en application de l’article L. 2314-30, à la régularité des opérations électorales et à la désignation des représentants syndicaux sont de la compétence du juge judiciaire, et de l’article R. 2314-23 que les contestations prévues à l’article L. 2314-32 sont jugées en dernier ressort.

Le recours au vote électronique, qu’il soit prévu par accord collectif ou par décision unilatérale de l’employeur, constitue une modalité d’organisation des élections et relève en conséquence du contentieux de la régularité des opérations électorales.

Élections professionnelles – Comité social et économique – Opérations électorales – Modalités d’organisation et de déroulement – Régularité – Recours au vote électronique – Décision unilatérale de l’employeur – Négociation dérogatoire préalable – Nécessité (non) – Conditions – Détermination

Même arrêt

Il résulte des articles L. 2314-26 et R. 2314-5 du code du travail que la possibilité de recourir au vote électronique pour les élections professionnelles peut être ouverte par un accord d’entreprise ou par un accord de groupe, et, à défaut d’accord, par une décision unilatérale de l’employeur.

Il ressort de ces dispositions que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut prévoir par décision unilatérale la possibilité et les modalités d’un vote électronique.

Dès lors que le législateur a expressément prévu qu’à défaut d’accord collectif, le recours au vote électronique pouvait résulter d’une décision unilatérale de l’employeur, cette décision unilatérale peut, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise ou dans le groupe, être prise par l’employeur sans qu’il soit tenu de tenter préalablement une négociation selon les modalités dérogatoires prévues aux articles L. 2232-23 à L. 2232-26 du code du travail.

À l’occasion d’un pourvoi relatif au recours au vote électronique pour les élections professionnelles en entreprise, la chambre sociale de la Cour de cassation était saisie de trois questions nouvelles :

1. La contestation de la décision de recours au vote électronique relève-t-elle de la procédure applicable au contentieux des accords collectifs, ou à celle applicable au contentieux du processus électoral ?

L’article L. 2314-26 du code du travail prévoit la possibilité de décider de recourir au vote électronique « si un accord d’entreprise ou, à défaut, l’employeur le décide ».

La chambre sociale a jugé que l’accord collectif décidant du principe du recours au vote électronique était un accord de droit commun, distinct du protocole préélectoral qui peut ensuite le mettre en œuvre au moment des élections, et soumis aux conditions de validité de droit commun (Soc., 28 septembre 2011, pourvoi no 10-27.370, Bull. 2011, V, no 202).

Dès lors, on pouvait soutenir que la contestation de l’accord collectif visé par l’article L. 2314-26, ou à défaut la décision unilatérale de l’employeur, était soumise aux conditions de contestation de l’accord collectif de droit commun, c’est-à-dire au tribunal judiciaire statuant en premier ressort.

Cependant l’objet de cet accord collectif est exclusivement en lien avec l’organisation des élections professionnelles. Or, depuis plusieurs années, le législateur et la jurisprudence s’efforcent de créer un bloc de compétence en ce domaine, d’abord au profit du tribunal d’instance, puis du tribunal judiciaire statuant en dernier ressort, pour que tout le contentieux afférent au processus préélectoral et électoral soit soumis à un même juge. C’est ainsi que le législateur a notamment donné compétence au tribunal judiciaire pour statuer sur les décisions prises par l’autorité administrative en matière de détermination du périmètre des établissements distincts ou de répartition des électeurs dans les collèges (articles L. 2313-5 et 2314-13 du code du travail).

C’est également la raison pour laquelle, en 2012, la chambre sociale a considéré que l’accord de reconnaissance d’une unité économique et sociale, dont l’objet est de déterminer le périmètre d’exercice des missions de représentation collective, est soumis à un contentieux en premier ressort (Soc., 31 janvier 2012, pourvois no 11-20.232 et no 11-20.233, Bull. 2012, V, no 37, publié au Rapport annuel).

Dans cette même logique, la chambre sociale de la Cour de cassation décide ici que le contentieux portant sur l’accord collectif – ou à défaut la décision unilatérale de l’employeur – décidant du recours au vote électronique, relève du tribunal judiciaire statuant en dernier ressort.

2. Que signifie la formule « à défaut d’accord » permettant à l’employeur de décider unilatéralement du recours au vote électronique ?

L’article L. 2314-26 du code du travail prévoit ainsi la possibilité d’un recours au vote électronique décidé par accord collectif, ou, « à défaut », unilatéralement par l’employeur. Les mots « à défaut » doivent-ils s’analyser comme une alternative simple ou comme une subsidiarité ?

La chambre sociale a déjà été amenée à affirmer que les termes « à défaut » recélaient intrinsèquement une subsidiarité. C’est le cas de la disposition relative à l’établissement de la représentativité syndicale, le texte de l’article L. 2122-5 du code du travail se référant au premier tour des dernières élections « des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel, ou, à défaut, des délégués du personnel » (Soc., 13 juillet 2010, pourvoi no 10-60.148, Bull. 2010, V, no 176).

Plus récemment, la chambre sociale de la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la signification à donner aux termes « en l’absence de » figurant dans les textes issus des ordonnances du 22 septembre 2017 s’agissant de la détermination du périmètre des établissements distincts, permettant à l’employeur de déterminer seul le périmètre des établissements distincts en l’absence d’accord (article L. 2313-4 du code du travail).

La chambre sociale a affirmé qu’il résultait de ces dispositions « que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut fixer par décision unilatérale le nombre et le périmètre des établissements distincts » (Soc., 17 avril 2019, pourvoi no 18-22.948, publié au Bulletin et au Rapport annuel).

C’est cette même formule qu’elle reprend s’agissant de la possibilité d’une décision unilatérale de recours au vote électronique à défaut d’accord collectif.

La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle ainsi que la prévalence accordée par le législateur à la négociation collective pour la détermination du processus électoral conduit à privilégier l’accord collectif à la décision unilatérale lorsque la loi autorise la décision unilatérale à défaut ou en l’absence d’accord.

3. La prévalence de la négociation collective sur la décision unilatérale de l’employeur oblige-t-elle, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, à tenter de recourir à la négociation dérogatoire ?

Lorsqu’il n’y a pas, ou plus, dans l’entreprise, de délégué syndical, l’employeur est-il tenu, avant de recourir à la décision unilatérale, de tenter de négocier selon les modalités dérogatoires prévues par les articles L. 2232-24 et suivants du code du travail, c’est-à-dire, s’agissant des entreprises d’au moins cinquante salariés, soit avec des salariés mandatés, soit avec les élus ?

La chambre sociale de la Cour de cassation répond à cette question par la négative.

En effet, les dispositions sur la négociation dérogatoire sont des dispositions subsidiaires, en cas d’absence de délégué syndical, afin de permettre à l’employeur, notamment dans le cadre de la négociation obligatoire, de parvenir malgré tout à élaborer un accord. Or, dans le cas du vote électronique, la loi prévoit justement un autre type de disposition subsidiaire, en autorisant la décision unilatérale de l’employeur.

En outre, l’objectif du législateur, au fur et à mesure des réformes successives, a été de favoriser la possibilité du recours au vote électronique. Cet objectif ne serait pas rempli si, pour mettre en place un tel vote, l’employeur devait, dans le temps contraint de la préparation des élections professionnelles, franchir toutes les étapes que suppose le recours à la négociation dérogatoire, notamment par des informations préalables nécessitant des délais particuliers et le recours à la consultation des salariés eux-mêmes.

Dès lors, l’absence de délégué syndical dans l’entreprise est une des situations dans lesquelles, à défaut d’accord collectif possible, l’employeur peut décider du recours au vote électronique par décision unilatérale.

c. Fonctionnement des institutions représentatives du personnel
Représentation des salariés – Comité social et économique – Mise en place – Mise en place au niveau de l’entreprise – Détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts – Modalités – Accord collectif – Défaut – Décision de l’employeur – Critères – Autonomie de gestion du responsable de l’établissement – Définition – Détermination – Portée

Soc., 9 juin 2021, pourvoi no 19-23.153, publié au Bulletin, rapport de M. Joly et avis de Mme Grivel

Selon l’article L. 2313-4 du code du travail, en l’absence d’accord conclu dans les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 et L. 2313-3 du même code, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques est fixé compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel.

Il en résulte que caractérise au sens de ce texte un établissement distinct l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service.

Lorsqu’ils sont saisis d’un recours dirigé contre la décision unilatérale de l’employeur, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (le DIRECCTE), par une décision motivée, et le tribunal judiciaire se fondent, pour apprécier l’existence d’établissements distincts au regard du critère d’autonomie de gestion ainsi défini, sur les documents relatifs à l’organisation interne de l’entreprise que fournit l’employeur, et sur les documents remis par les organisations syndicales à l’appui de leur contestation de la décision unilatérale prise par ce dernier.

La centralisation de fonctions support ou l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l’autonomie de gestion des responsables d’établissement.

Il appartient en conséquence au tribunal judiciaire de rechercher, au regard des éléments produits tant par l’employeur que par les organisations syndicales, si les directeurs des établissements concernés ont effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service, et si la reconnaissance à ce niveau d’établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques est de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel.

Prive dès lors sa décision de base légale le tribunal qui, pour rejeter la demande d’annulation de la décision du DIRECCTE, se contente de retenir que cette décision vise les textes applicables dans leur dernier état, les décisions rendues, les écritures communiquées et la procédure suivie, qu’elle a été rendue après une étude sérieuse des éléments fournis par les parties, qu’elle est en outre motivée en droit, en ce qu’elle rappelle les critères essentiels pour les appliquer à la situation de fait et qu’en particulier l’autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service a été bien prise en compte dans l’analyse de la situation de l’entreprise.

Représentation des salariés – Comité social et économique – Mise en place – Mise en place au niveau de l’entreprise – Détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts – Modalités – Accord collectif – Défaut – Décision de l’employeur – Critères – Autonomie de gestion du responsable de l’établissement – Définition – Détermination – Portée

Soc., 9 juin 2021, pourvoi no 19-23.745, publié au Bulletin, rapport de Mme Chamley-Coulet et avis de Mme Grivel

Selon l’article L. 2313-4 du code du travail, en l’absence d’accord conclu dans les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 et L. 2313-3 du même code, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques est fixé compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel.

Il en résulte que caractérise au sens de ce texte un établissement distinct l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service.

Lorsqu’ils sont saisis d’un recours dirigé contre la décision unilatérale de l’employeur, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (le DIRECCTE), par une décision motivée, et le tribunal judiciaire se fondent, pour apprécier l’existence d’établissements distincts au regard du critère d’autonomie de gestion ainsi défini, sur les documents relatifs à l’organisation interne de l’entreprise que fournit l’employeur, et sur les documents remis par les organisations syndicales à l’appui de leur contestation de la décision unilatérale prise par ce dernier.

La centralisation de fonctions support ou l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l’autonomie de gestion des responsables d’établissement.

Il appartient dès lors au tribunal judiciaire de rechercher, au regard des éléments produits tant par l’employeur que par les organisations syndicales, si les directeurs des établissements concernés ont effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service, et si la reconnaissance à ce niveau d’établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques est de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel.

Dans les deux arrêts ici commentés, la chambre sociale de la Cour de cassation apporte des précisions relatives aux éléments permettant de retenir l’existence d’établissements distincts pour la mise en place d’un comité social et économique au regard de la notion d’autonomie de gestion.

Dans la première affaire dont était saisie la chambre sociale, en l’absence d’accord entre l’employeur et les organisations syndicales concernant le nombre et le périmètre des établissements distincts, l’employeur avait décidé unilatéralement la mise en place d’un comité social et économique (CSE) unique.

Sur recours des organisations syndicales, le 22 mars 2019, le directeur régional des entreprises, de l’économie, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) avait fixé à trois le nombre des établissements distincts.

Saisi d’une contestation de cette décision par l’employeur, le tribunal d’instance avait, par un jugement du 16 octobre 2019, débouté la société de sa demande aux motifs que la décision motivée de l’autorité administrative avait été adoptée après une étude sérieuse des éléments fournis par les parties, que les critères légaux avaient été pris en compte dans l’analyse de la situation de l’entreprise et qu’ainsi il n’y avait pas lieu de l’annuler ou de la modifier.

Dans la seconde affaire, à l’inverse, le DIRECCTE, saisi du recours de l’ensemble des organisations syndicales contre la décision unilatérale de l’employeur fixant à sept le nombre d’établissements distincts, avait décidé, par décision motivée du 20 septembre 2019, que l’entreprise (une association comptant environ deux-cent-cinquante salariés et onze établissements) n’était constituée que d’un seul et unique établissement car, en substance, en dépit de larges délégations de pouvoirs, les directeurs d’établissement ne disposaient pas d’une véritable autonomie de décision et que du fait des effectifs des établissements (certains comptant moins de vingt salariés), la charge des élus aux comités sociaux et économiques ne reposerait que sur un seul titulaire dans deux des sept établissements et sur deux personnes uniquement dans les quatre autres, cette situation pouvant être considérée comme ne permettant pas l’exercice effectif et complet des prérogatives de l’institution représentative du personnel.

Le tribunal d’instance a annulé la décision du DIRECCTE et validé la décision de l’employeur, considérant que les directeurs des sept établissements avaient une autonomie de gestion suffisante.

Censurant ces décisions, la chambre sociale de la Cour de cassation a d’abord rappelé, conformément à sa jurisprudence, qu’en application de l’article L. 2313-4 du code du travail, caractérise un établissement distinct l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service (Soc., 19 décembre 2018, pourvoi no 18-23.655, publié au Bulletin et au Rapport annuel), ensuite, que la centralisation de fonctions support et/ou l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l’autonomie de gestion des responsables d’établissement (Soc., 11 décembre 2019, pourvoi no 19-17.298, publié au Bulletin ; Soc., 22 janvier 2020, pourvoi no 19-12.011, publié au Bulletin).

Elle a également rappelé qu’en application de l’article L. 2313-5 du code du travail, relèvent de la compétence du tribunal d’instance, en dernier ressort, à l’exclusion de tout autre recours, les contestations élevées contre la décision de l’autorité administrative fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts et qu’il appartient en conséquence au tribunal d’examiner l’ensemble des contestations, qu’elles portent sur la légalité externe ou sur la légalité interne de la décision du DIRECCTE et, s’il les dit mal fondées, de confirmer la décision, s’il les accueille partiellement ou totalement, de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative, sur les questions demeurant en litige (Soc., 19 décembre 2018, pourvoi no 18-23.655, publié au Bulletin et au Rapport annuel).

Mais la chambre sociale a surtout, en s’inscrivant dans la continuité de sa propre jurisprudence en matière d’institutions représentatives du personnel, tant plus ancienne (Soc., 18 février 1982, pourvoi no 81-60.856, Bull1982, V, no 118) que récente (Soc., 25 novembre 2020, pourvoi no 19-18.681, publié au Bulletin, concernant le comité d’entreprise), précisé les contours de la notion d’établissement distinct. Elle a en effet affirmé que le niveau auquel devait se situer la reconnaissance d’établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques devait être de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel. Elle a d’ailleurs, ce faisant, statué en adoptant une position similaire à celle du Conseil d’État lorsqu’il avait à connaître du contentieux relatif au découpage électoral (CE, 1er juin 1979, no 10777, publié au Recueil Lebon).

Elle a également, à l’occasion de ces affaires, précisé que la décision par laquelle l’autorité administrative fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts et qui fait l’objet d’un recours devant le juge judiciaire, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux, doit être motivée.

d. Protection des représentants du personnel

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

e. Syndicat professionnel
Syndicat professionnel – Représentativité – Détermination – Critères – Indépendance du syndicat – Indépendance financière – Conditions – Détermination – Applications diverses

Soc., 27 janvier 2021, pourvoi no 18-10.672, publié au Bulletin, rapport de M. Le Masne de Chermont et avis de Mme Berriat

Un accord collectif peut instituer des mesures de nature à favoriser l’activité syndicale dans l’entreprise, et dans ce cadre, en vue d’encourager l’adhésion des salariés de l’entreprise aux organisations syndicales, prévoir la prise en charge par l’employeur d’une partie du montant des cotisations syndicales annuelles, dès lors que le dispositif conventionnel ne porte aucune atteinte à la liberté du salarié d’adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de son choix, ne permet pas à l’employeur de connaître l’identité des salariés adhérant aux organisations syndicales et bénéficie tant aux syndicats représentatifs qu’aux syndicats non représentatifs dans l’entreprise.

Toutefois, le montant de la participation de l’employeur ne doit pas représenter la totalité du montant de la cotisation due par le salarié, le cas échéant après déductions fiscales, au regard du critère d’indépendance visé à l’article L. 2121-1 du code du travail.

Par cet arrêt (Soc., 27 janvier 2021, pourvoi no 18-10.672, publié au Bulletin et au Rapport annuel), la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce sur la validité de la clause d’un accord d’entreprise prévoyant le remboursement, par l’employeur et par l’intermédiaire des syndicats et d’un organisme tiers indépendant, aux salariés syndiqués, du reste à charge des cotisations syndicales individuelles versées aux syndicats représentatifs, après soustraction de la partie fiscalement déductible de l’impôt sur le revenu.

La cour d’appel statuant en référé avait ordonné la suspension de l’accord collectif litigieux, en considération des principes de liberté syndicale des salariés et de libre organisation des syndicats, aux motifs que le dispositif considéré comportait des risques de connaissance par l’employeur de l’influence des organisations syndicales et de communication de données à caractère personnel des adhérents.

La chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi par substitution de motifs. Elle a considéré que, en l’absence de disposition législative contraire, un accord collectif peut instituer des mesures de nature à favoriser l’activité syndicale dans l’entreprise, et dans ce cadre, en vue d’encourager l’adhésion des salariés de l’entreprise aux organisations syndicales, prévoir la prise en charge par l’employeur d’une partie du montant des cotisations syndicales annuelles, dès lors que le dispositif conventionnel ne porte aucune atteinte à la liberté du salarié d’adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de son choix, ne permet pas à l’employeur de connaître l’identité des salariés adhérant aux organisations syndicales et bénéficie tant aux syndicats représentatifs qu’aux syndicats non représentatifs dans l’entreprise.

Toutefois, le montant de la participation de l’employeur ne doit pas représenter la totalité du montant de la cotisation due par le salarié, le cas échéant après déductions fiscales, au regard du critère d’indépendance visé à l’article L. 2121-1 du code du travail.

Cette solution a été retenue après une consultation par la chambre sociale des différentes organisations syndicales, tant de salariés que d’employeurs, représentatives au niveau national.

Par la possibilité qu’elle reconnaît d’instituer, par voie d’accord collectif, un dispositif de contribution de l’employeur au financement de la cotisation syndicale, elle prend en considération l’obstacle que le coût de la cotisation est susceptible de constituer pour les salariés désireux de rejoindre un syndicat.

Cependant, elle encadre le recours à un tel dispositif en spécifiant que celui-ci doit être conforme au critère d’indépendance syndicale, en laissant à la charge du salarié une part de la cotisation, et au principe d’égalité de traitement, en bénéficiant à l’ensemble des syndicats présents dans l’entreprise, représentatifs ou non, et doit enfin garantir, à l’égard de l’employeur, l’anonymat des adhérents.

6. Rupture du contrat de travail

a. Contrat de travail à durée déterminée

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

b. Indemnités de rupture

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

c. Licenciement
Contrat de travail, rupture – Licenciement – Indemnités – Indemnité légale de licenciement – Objet – Contrepartie du droit de l’employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail – Portée

Soc., 27 janvier 2021, pourvoi no 18-23.535, publié au Bulletin, rapport de M. Le Corre et avis de Mme Laulom

Il résulte de l’article L. 1234-9 du code du travail que l’indemnité de licenciement, dont les modalités de calcul sont forfaitaires, est la contrepartie du droit de l’employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail.

Il résulte par ailleurs de l’article L. 1235-3 du même code que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l’emploi.

Dès lors, une cour d’appel qui constate que les salariés licenciés pour motif économique dont l’action en responsabilité était dirigée contre la banque ayant accordé des crédits ruineux à leur employeur, avaient bénéficié d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi et du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement, en déduit justement que les préjudices allégués par les salariés résultant de la perte de leur emploi et de la perte d’une chance d’un retour à l’emploi optimisé en l’absence de moyens adéquats alloués au plan de sauvegarde de l’emploi avaient déjà été indemnisés.

La chambre sociale de la Cour de cassation donne depuis plusieurs années une définition restrictive de la notion de coemploi (Soc., 2 juillet 2014, pourvois no 13-15.208 et suivants, Bull. 2014, V, no 159 ; Soc., 25 novembre 2020, pourvoi no 18-13.769, publié au Bulletin et au Rapport annuel). Parallèlement, l’action en responsabilité extracontractuelle connaît, en droit du travail, un intérêt croissant de la part de salariés ayant perdu leur emploi et qui reprochent à un tiers au contrat de travail, généralement la société mère, un comportement fautif ayant concouru à la déconfiture de leur employeur.

Ainsi, dans son arrêt Sofarec (Soc., 8 juillet 2014, pourvoi no 13-15.573, Bull. 2014, V, no 180), la chambre sociale a jugé qu’une cour d’appel qui, ayant constaté que l’actionnaire, directement ou par l’intermédiaire d’une autre société, avait pris des décisions profitables à lui-même, mais dommageables pour l’entreprise et qui avaient aggravé la situation économique difficile de cette dernière, avait pu en déduire, pour allouer des dommages-intérêts aux salariés, que ces sociétés avaient, par leur faute et légèreté blâmable, concouru à la déconfiture de l’employeur et à la disparition des emplois qui en était résultée.

Dans l’arrêt Lee Cooper (Soc., 24 mai 2018, pourvois no 16-22.881 à no 16-22.908, Bull. 2018, V, no 88), la chambre sociale a approuvé une cour d’appel d’avoir condamné l’actionnaire principal de l’employeur à payer aux salariés de celui-ci des dommages-intérêts au titre de la perte de leur emploi dès lors qu’il résultait de ses constatations que cet actionnaire avait pris, par l’intermédiaire des sociétés du groupe, des décisions préjudiciables dans son seul intérêt d’actionnaire et qui avaient entraîné la liquidation partielle de la société employeur, de sorte que la cour d’appel avait pu en déduire que l’actionnaire avait par sa faute concouru à la déconfiture de l’employeur et à la disparition des emplois qui en était résultée.

Dans la décision ici commentée, des salariés licenciés pour motif économique en application d’un plan de sauvegarde de l’emploi avaient engagé une action prud’homale au terme de laquelle leur licenciement avait été déclaré sans cause réelle et sérieuse, aux motifs que ce plan était insuffisant au regard des moyens financiers de l’actionnaire et que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation de reclassement, et ces salariés s’étaient vu allouer une créance d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui avait été fixée au passif de la procédure collective ouverte à l’égard de leur employeur. Ultérieurement, certains de ces salariés étaient intervenus volontairement à la procédure engagée contre une banque, devant le tribunal de commerce, par les commissaires à l’exécution du plan de cession partielle de l’employeur qui invoquaient, pour obtenir réparation de l’insuffisance d’actif de celui-ci, le caractère ruineux des crédits qui lui avaient été accordés par cette banque.

Cette intervention volontaire devant le tribunal de commerce était la voie procédurale pertinente puisque, lorsqu’il n’est pas soutenu l’existence d’un coemploi, le conseil de prud’hommes n’est pas compétent pour connaître l’action de salariés en responsabilité extracontractuelle, cette action relevant du tribunal de grande instance sauf quand la contestation opposant les salariés et la société tierce est née de la procédure collective de l’employeur ou est soumise à son influence juridique, auquel cas c’est le tribunal de commerce qui est compétent (Soc., 13 juin 2018, pourvois no 16-25.873 à n° 16-25.883, Bull. 2018, V, no 117).

L’existence d’une faute de la banque n’était pas discutée devant la chambre sociale de la Cour de cassation puisque, précédemment, la chambre commerciale, financière et économique de cette même Cour n’avait cassé l’arrêt de la cour d’appel, qui avait retenu la responsabilité de la banque pour avoir accordé des crédits ruineux à l’employeur, qu’en ce qu’il avait déclaré irrecevable l’intervention volontaire des salariés (Com., 2 juin 2015, pourvoi no 13-24.714, Bull. 2015, IV, no 94, publié au Rapport annuel).

En revanche, la question posée à la chambre sociale était inédite en ce que les salariés demandaient la condamnation de la banque à leur payer des dommages-intérêts en réparation de leurs préjudices consécutifs à la perte de leur emploi et à la perte de chance d’un retour à l’emploi optimisé, alors qu’ils avaient déjà bénéficié dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi du versement d’une indemnité de licenciement puis, dans le cadre de la procédure prud’homale, d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet, dans l’arrêt Lee Cooper précité, les salariés qui avaient obtenu la condamnation de l’actionnaire principal de l’employeur à leur payer des dommages-intérêts, au titre de la perte de leur emploi, n’avaient formé contre leur employeur une demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu’à titre subsidiaire, de sorte qu’il n’y avait pas eu de cumul d’indemnisation de la perte d’emploi sur le fondement des responsabilités contractuelle et extracontractuelle.

Or, le principe de la réparation intégrale oblige certes à réparer tout le préjudice subi (Soc., 23 novembre 2005, pourvoi no 03-40.826, Bull. 2005, V, no 332), mais interdit d’accorder une réparation supérieure au dommage, la chambre sociale censurant ainsi les décisions qui aboutissent à réparer deux fois le même préjudice (Soc., 30 juin 2010, pourvoi no 09-40.347, Bull. 2010, V, no 154, publié au Rapport annuel ; Soc., 25 septembre 2013, pourvoi no 12-20.256, Bull. 2013, V, no 200). Dès lors, la question se posait en l’espèce de savoir si les salariés démontraient que les préjudices dont ils demandaient réparation à la banque, par la mise en jeu de la responsabilité extracontractuelle, étaient distincts de ceux déjà indemnisés par l’indemnité de licenciement et par l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui nécessitait de déterminer les préjudices qui sont réparés par ces deux indemnités.

On sait que l’indemnité de licenciement, qui trouve sa source non dans l’exécution du contrat de travail mais dans sa rupture, n’est pas la contrepartie d’un travail fourni et ne constitue donc pas un salaire (Soc., 22 mai 1986, pourvoi no 83-42.341, Bull. 1986, V, no 245 ; Soc., 20 octobre 1988, pourvoi no 85-45.511, Bull. 1988, V, no 536). Elle a la nature de dommages-intérêts (Soc., 14 mars 1991, pourvoi no 89-10.366). La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que l’indemnité de licenciement est la contrepartie du droit de résiliation unilatérale de l’employeur (2e Civ., 11 octobre 2007, pourvoi no 06-14.611, Bull. 2007, II, no 228). En l’espèce, la chambre sociale a repris cette formulation pour dire, en donnant pour la première fois une définition de l’indemnité de licenciement, que celle-ci est la contrepartie du droit de l’employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail.

En outre, il a déjà été jugé qu’il résultait de l’article L. 1235-5 du code du travail que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue (Soc., 13 septembre 2017, pourvoi no 16-13.578, Bull. 2017, V, no 136, publié au Rapport annuel). Dans la lignée de cet arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation considère en l’espèce que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l’emploi.

Par ailleurs, il avait déjà été écarté, dès lors que la réparation d’un dommage ne peut excéder le montant du préjudice, la possibilité pour un salarié de se voir indemnisé par une indemnité spécifique de la perte de chance de préserver son emploi et d’être reclassé alors qu’il lui a déjà été alloué, pour réparer les conséquences de la survenance de la perte injustifiée d’emploi, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc., 24 mai 2018, pourvois no 16-18.307 et suivants). Il en résulte que la perte de chance de conserver un emploi ne caractérise pas un préjudice distinct de celui indemnisé au titre de l’article L. 1235-5 du code du travail.

Dans sa décision du 27 janvier 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que les préjudices au titre de la perte de l’emploi et de la perte de chance d’un retour à l’emploi qui étaient invoqués par les salariés avaient déjà été indemnisés par application de la responsabilité contractuelle de l’employeur. Les mêmes préjudices ne pouvaient par conséquent donner lieu à une réparation par le régime de la responsabilité extracontractuelle.

d. Rupture conventionnelle

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

7. Santé et sécurité au travail

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

C. Droit immobilier, environnement et urbanisme

1. Bail

Urbanisme – Logements – Changement d’affectation – Article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation – Domaine d’application – Location réitérée d’un local meublé pour une courte durée à une clientèle de passage qui n’y élit pas sa résidence principale – Définition – Portée

3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n17-26.156, publié au Bulletin, rapport de Mme Collomp et avis de Mme Vassallo

Hormis les cas d’une location consentie à un étudiant pour une durée d’au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, d’un bail mobilité d’une durée de un à dix mois et de la location, pour une durée maximale de quatre mois, du local à usage d’habitation constituant la résidence principale du loueur, le fait de louer, à plus d’une reprise au cours d’une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale au sens de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 constitue un changement d’usage d’un local destiné à l’habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable.

Les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation sont conformes à la directive 2006/123 du 12 décembre 2006.

La location d’un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage qui est soumis à autorisation administrative préalable.

1o Les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation sont conformes à la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

2o Hormis les cas d’une location consentie à un étudiant pour une durée d’au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, d’un bail mobilité d’une durée de un à dix mois et de la location du local à usage d’habitation constituant la résidence principale du loueur pour une durée maximale de quatre mois, le fait de louer, à plus d’une reprise au cours d’une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale au sens de l’article 2 de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, constitue un changement d’usage d’un local destiné à l’habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable.

Une société, propriétaire d’un studio meublé situé à Paris, a été assignée par le procureur de la République (c’est le maire de la commune qui est désormais compétent) devant le président du tribunal de grande instance statuant en référé (c’est le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond qui est désormais compétent) en paiement d’une amende pour avoir consenti des locations « de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile », sans avoir sollicité l’autorisation de changement d’usage autre que celui d’habitation prévue par l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation.

Condamnée par le juge des référés, puis par la cour d’appel, au paiement d’une amende, elle a, à l’occasion de son pourvoi en cassation, soulevé la non-conformité des articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation aux articles 9 et 10 de la directive 2006/123/CE précitée (dite « directive services »).

Par un arrêt du 15 novembre 2018 (3e Civ., 15 novembre 2018, pourvoi no 17-26.156, publié au Bulletin), la Cour de cassation a posé des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et sursis à statuer dans l’attente de la décision de cette juridiction.

Par un arrêt du 22 septembre 2020 (CJUE, arrêt du 22 septembre 2020, Cali Apartments, C-724/18 et C-727/18), la CJUE s’est prononcée sur les questions posées.

Les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation sont-ils conformes aux articles 9 et 10 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ?

La Cour de cassation a jugé que les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation sont conformes à la directive 2006/123/CE précitée.

Sur la conformité à l’article 9 de la directive, l’interprétation de la directive par la CJUE s’imposant à elle, la Cour de cassation, reprenant les motifs de la juridiction européenne, a jugé que l’article L. 631-7, alinéa 6, qui soumet à autorisation préalable le fait, dans certaines communes, de « louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile », est justifié par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et est proportionné à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante (telle que, par exemple, la limitation des nuitées disponibles à la location ou bien encore la mise en place d’une imposition spécifique destinée à rendre moins attrayante économiquement ce type de contrats), notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

Sur la conformité à l’article 10 de la directive, alors que, sur ce point, la CJUE a laissé à la Cour de cassation le soin de se prononcer après lui avoir toutefois donné quelques « indications […] de nature à [lui] permettre […] de statuer », celle-ci a jugé :

  • d’une part, que l’article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l’habitation répond aux exigences d’objectivité et de non-ambiguïté prévues par l’article 10 précité, dès lors que, hormis les cas d’une location consentie à un étudiant pour une durée d’au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2018-1021 du 23 novembre 2018 précitée, d’un bail mobilité d’une durée de un à dix mois et de la location du local à usage d’habitation constituant la résidence principale du loueur pour une durée maximale de quatre mois, « le fait de louer, à plus d’une reprise au cours d’une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale, au sens de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 constitue un changement d’usage d’un local destiné à l’habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable ».

À cet égard, la question centrale portait sur la notion de « courtes durées », figurant dans l’article L. 631-7, alinéa 6, et considérée comme trop imprécise par la société demanderesse au pourvoi : se référant à la réglementation nationale et en particulier à l’article L. 632-1 du code de la construction et de l’habitation auquel l’article L. 631-7 renvoie, la Cour de cassation a estimé qu’une location de courte durée devait s’entendre de toute location « inférieure à un an ». Elle en a déduit que ce texte est suffisamment précis, en ce qu’il concerne la location à plus d’une reprise au cours d’une même année d’un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale au sens de l’article 2 de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 précitée.

  • d’autre part, que l’article L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation (qui confie au maire de la commune de situation de l’immeuble la faculté de délivrer l’autorisation préalable de changement d’usage et attribue au conseil municipal le soin de fixer les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées des compensations éventuelles[1], au regard des objectifs de mixité sociale en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements) prévoit des critères qui sont justifiés par une raison d’intérêt général, qui satisfont aux exigences de clarté, de non-ambiguïté, d’objectivité, de publicité, de transparence et d’accessibilité de la directive et qui, tels que mis en œuvre par la ville de Paris dont le règlement municipal prévoit une obligation de compensation, sont conformes au principe de proportionnalité.

2. Construction

Construction immobilière – Immeuble à construire – Vente en l’état futur d’achèvement – Vendeur – Obligations – Fondement de l’action – Défaut de conformité ou vice de construction – Garantie décennale – Garantie des vices apparents – Concours – Effets – Action en garantie de l’acquéreur – Caractère apparent des désordres – Appréciation – Modalités – Détermination – Portée

3e Civ., 14 janvier 2021, pourvoi no 19-21.130, publié au Bulletin, rapport de M. Boyer et avis de M. Brun

L’acquéreur d’un immeuble à construire bénéficie du concours de l’action en garantie décennale et de celle en réparation des vices apparents.

Lorsque celui-ci agit en réparation contre le vendeur en l’état futur d’achèvement sur le fondement des articles 1646-1 et 1792 et suivants du code civil, le caractère apparent ou caché du désordre s’appréciant en la personne du maître de l’ouvrage et à la date de la réception, il importe peu que le vice de construction ait été apparent à la date de la prise de possession par l’acquéreur.

Le vendeur d’un immeuble en l’état futur d’achèvement est tenu à deux garanties principales :

  • celle des non-conformités et vices apparents, par application de l’article 1642-1 du code civil,
  • celle des vices cachés, par application de l’article 1646-1 du même code.

Selon la première, qui trouve son fondement dans le droit de la vente, le vendeur d’un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l’expiration d’un délai d’un mois après la prise de possession par l’acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents et, aux termes de l’article 1648, alinéa 2, du code civil, l’action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l’année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents.

Selon la seconde, qui procède des obligations légales des constructeurs, le vendeur d’immeuble à construire est tenu, à compter de la réception des travaux, des obligations dont les architectes, entrepreneurs et autres personnes liées au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage sont eux-mêmes tenus en application des articles 1792, 1792-1, 1792-2 et 1792-3 du même code.

En l’espèce, un syndicat des copropriétaires, qui avait pris livraison des parties communes d’un immeuble dont les lots avaient été vendus en l’état futur d’achèvement, avait fait dresser par huissier le constat de plusieurs désordres ou malfaçons, lesquels étaient, par conséquent, nécessairement apparents à la prise de possession.

Agissant en réparation à l’encontre du constructeur-vendeur sur le fondement de l’article 1646-1 du code civil en invoquant notamment des désordres relevant des garanties décennale ou biennale, le syndicat des copropriétaires a vu la plupart de ses demandes déclarées irrecevables par un arrêt de cour d’appel au motif que, s’agissant de vices apparents à la prise de possession, il devait agir dans le délai de l’article 1648, alinéa 2, du même code, soit dans le délai d’un an et un mois à compter de celle-ci.

La question qui se trouvait posée, et qui n’avait jusqu’alors jamais été explicitement tranchée par la Cour de cassation, consistait à savoir si l’acquéreur en l’état futur d’achèvement ayant réservé un vice de construction de nature décennale ou biennale apparent lors de la prise de possession se trouve contraint d’agir sur le seul fondement de l’article 1642-1 du code civil, propre aux non-conformités ou vices apparents, et dans le délai prévu par l’article 1648, alinéa 2, du même code ou si, au contraire, il dispose d’une option ouverte par le cumul de cette action avec celle dont il dispose au titre des dommages engageant la responsabilité légale des constructeurs (décennale et biennale).

L’arrêt de cassation ici commenté se prononce très clairement en fonction de l’option ouverte à l’acquéreur en énonçant qu’« il résulte de la combinaison de ces textes que l’acquéreur bénéficie du concours de l’action en garantie décennale et de celle en réparation des vices apparents ».

Une considération, prise d’un souci de cohérence, a guidé le choix de la Cour de cassation.

En effet, il est acquis, en matière de vente d’immeuble après achèvement, que c’est le fondement de l’action engagée qui commande le délai d’action, nonobstant le caractère apparent du désordre à la date de la vente (3e Civ., 28 février 2001, pourvoi no 99-14.848, Bull. 2001, III, no 23), celui-ci s’appréciant en la personne du maître de l’ouvrage et au jour de la réception (3e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi no 15-24.379, Bull. 2016, III, no 152).

Ainsi, l’acquéreur après achèvement peut agir sur le fondement des garanties légales des constructeurs, auxquelles est tenu le constructeur-vendeur par application de l’article 1792-1, 2o, du code civil, pendant le délai de forclusion des actions correspondantes, et il reviendra seulement au juge saisi de rechercher si le désordre était apparent ou non à la date de la réception par le maître de l’ouvrage, c’est-à-dire le constructeur-vendeur, et si ce désordre est ou non de gravité décennale ou biennale.

Il importe peu, sur ce fondement, que le désordre dont la réparation est sollicitée ait été apparent à la date de la vente dès lors qu’il ne l’était pas à la date de la réception des travaux par le maître de l’ouvrage, vendeur après achèvement.

Par son arrêt du 14 janvier 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a souhaité aligner le régime juridique applicable à l’acquéreur en l’état futur d’achèvement à celui qui prévaut pour l’acquéreur après achèvement, en évitant une disparité de traitement dépourvue de fondement.

3. Contrats et obligations conventionnelles

Urbanisme – Zone d’aménagement concerté – Cession de terrains – Suppression de la zone – Cahier des charges – Caducité – Effets – Obligation contractuelle à la charge des acquéreurs – Volonté des parties – Caractérisation – Portée

3e Civ., 4 mars 2021, pourvoi no 19-22.987, publié au Bulletin, rapport de M. Jacques et avis de Mme Vassallo

La caducité du cahier des charges de cession de terrains situés à l’intérieur d’une zone d’aménagement concerté qui a été supprimée ne fait pas obstacle à ce que les stipulations de ces cahiers des charges continuent de régir, en raison de leur caractère contractuel, les rapports entre les propriétaires qui y ont consenti.

Dès lors, ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui retient que le cahier des charges, caduc par l’effet de la loi en raison de la suppression de la zone, ne peut avoir créé aucune obligation de nature contractuelle à la charge des acquéreurs d’un terrain situé dans la zone supprimée, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la reproduction, dans l’acte de vente, des stipulations du cahier des charges ne caractérisait pas la volonté des parties de conférer, par une stipulation pour autrui, un caractère contractuel aux obligations qu’il prévoyait.

Par cet arrêt du 4 mars 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation tranche, pour la première fois, la question de savoir si les cahiers des charges de cession de terrains dans les zones d’aménagement concerté qui sont devenus caducs par suite de la suppression de la zone peuvent néanmoins continuer à s’imposer, en raison de leur dimension contractuelle, aux acquéreurs de terrains situés dans la zone.

Les zones d’aménagement concerté sont, aux termes de l’article L. 311-1 du code de l’urbanisme, les zones à l’intérieur desquelles une collectivité publique ou un établissement public y ayant vocation décide d’intervenir pour réaliser ou faire réaliser l’aménagement et l’équipement des terrains, notamment de ceux que cette collectivité ou cet établissement a acquis ou acquerra en vue de les céder ou de les concéder ultérieurement à des utilisateurs publics ou privés.

Ces opérations d’aménagement donnent lieu à la négociation de contrats de cession ou de concession d’usage des terrains situés dans la zone. En application de l’article L. 311-6 du code de l’urbanisme, ces contrats font l’objet d’un cahier des charges qui, d’une part, indique le nombre de mètres carrés de surface de plancher dont la construction est autorisée sur la parcelle cédée et, d’autre part, peut fixer des prescriptions techniques, urbanistiques et architecturales imposées pour la durée de la réalisation de la zone.

Depuis la loi no 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU), l’article L. 311-6 précité prévoit que les cahiers des charges des zones d’aménagement concerté signés postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi deviennent caducs à la date de la suppression de la zone.

Toutefois, à l’instar du cahier des charges de lotissement, le cahier des charges des ZAC (zone d’aménagement concerté) présente une nature hybride, réglementaire (3e Civ., 30 juin 1993, pourvoi no 90-18.906, Bull. 1993, III, no 106) mais aussi contractuelle, lorsqu’il a été incorporé aux actes de vente. Par suite, les obligations mises à la charge des acquéreurs par les actes de vente reproduisant le cahier des charges peuvent-elles subsister, en raison de leur dimension contractuelle, malgré la caducité qu’entraîne la suppression de la zone ?

Telle était la question posée à la Cour de cassation dans une espèce où un acte notarié de vente d’un lot d’une ZAC, bien que signé plus de six mois après la suppression de cette zone, renvoyait expressément au cahier des charges, lequel avait été signé postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi SRU précitée.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation s’est déjà prononcée, à plusieurs reprises, en faveur de la survie du cahier des charges dans sa dimension contractuelle, mais toujours dans des hypothèses où le cahier des charges avait été signé antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi SRU, de sorte qu’il échappait à la caducité automatique instituée par le législateur.

Par un arrêt du 21 novembre 2012 (3e Civ., 21 novembre 2012, pourvoi no 11-25.668), elle a jugé qu’ayant relevé que la construction édifiée par les acquéreurs sur un terrain situé dans la ZAC était soumise au cahier des charges de cette zone signé en 1995, disposant qu’il ferait la loi entre l’aménageur et ses acquéreurs, ainsi qu’entre ces derniers eux-mêmes, la cour d’appel en avait exactement déduit que le propriétaire voisin était en droit d’opposer les non-conformités aux règles édictées par le cahier des charges.

De même, par des arrêts du 7 avril 2016 (3e Civ., 7 avril 2016, pourvoi no 15-12.539) et du 5 janvier 2017 (3e Civ., 5 janvier 2017, pourvoi no 15-28.150), elle a rejeté les pourvois formés contre des arrêts de cours d’appel qui, ayant retenu que les dispositions de l’article L. 311-6 du code de l’urbanisme, prévoyant que le cahier des charges devient caduc à la date de suppression de la zone, n’étaient pas applicables aux cahiers des charges signés avant l’entrée en vigueur de la loi SRU et qu’il ne ressortait pas des pièces versées aux débats que des dispositions avaient été prises pour mettre fin, sur la zone concernée, aux prestations fournies par la société chargée de la gestion des services interentreprises dans la zone, qui s’étaient poursuivies, le cahier des charges ne prévoyant pas expressément de terme à son application tant que la zone n’avait pas été classée dans le domaine communal, classement dont la preuve n’était pas rapportée, en avaient déduit que des sociétés propriétaires d’immeubles dans la zone étaient tenues du règlement des charges appelées par la société.

Faire application de la même solution à des cahiers des charges signés postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi SRU suppose de considérer que la caducité résultant de la suppression de la zone, prévue à l’article L. 311-6 du code de l’urbanisme, n’atteint le cahier des charges que dans sa dimension réglementaire et le laisse en revanche subsister dans sa dimension contractuelle.

En matière de lotissement, alors même que l’article L. 442-9 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi no 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (loi ALUR), a étendu la caducité au bout de dix ans des règles contenues dans les documents de lotissement aux clauses de nature réglementaire des cahiers des charges non approuvés, il résulte d’une jurisprudence constante que les dispositions de cet article « ne remettent pas en cause les droits et obligations régissant les rapports entre colotis définis dans le cahier des charges du lotissement et que ce document, quelle que soit sa date, approuvé ou non, constitue un document contractuel dont les clauses engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues » (3e Civ., 13 février 2020, pourvoi no 19-10.977).

La solution du maintien contractuel du cahier des charges de lotissement dans les rapports entre colotis trouve d’ailleurs, en la matière, un fondement textuel dans le troisième alinéa de l’article L. 442-9 du code de l’urbanisme, qui prévoit que les dispositions de cet article « ne remettent pas en cause les droits et obligations régissant les rapports entre colotis définis dans le cahier des charges du lotissement ».

Si, à la différence du cahier des charges de lotissement qui, par nature, a vocation à régir les rapports entre colotis, le cahier des charges de cession de terrains dans une ZAC concerne d’abord les relations entre l’aménageur et l’acquéreur, il peut aussi engager les acquéreurs successifs entre eux par le mécanisme de la stipulation pour autrui. Par un arrêt du 24 avril 2003 (3e Civ., 24 avril 2003, pourvoi no 01-13.393), la troisième chambre civile de la Cour de cassation a confirmé a contrario cette possibilité en jugeant qu’une cour d’appel avait légalement justifié sa décision en retenant que l’absence de stipulation pour autrui interdisait aux autres acquéreurs de terrains situés dans la zone de se prévaloir entre eux et sur un plan contractuel d’une prescription du cahier des charges.

L’arrêt ici commenté se situe dans la droite ligne de cette jurisprudence en ce qu’il reconnaît la possibilité pour les parties de conférer aux obligations contenues dans un cahier des charges un caractère contractuel par la stipulation pour autrui.

Outre cette confirmation, le principal apport de cette décision est de consacrer le principe de la survie du cahier des charges dans les rapports entre les propriétaires qui y ont consenti, malgré sa caducité résultant de la suppression de la zone.

Dans son arrêt infirmatif, la cour d’appel, sans exclure, par principe, cette possibilité, avait néanmoins estimé que le seul rappel dans l’acte notarié de certaines clauses et conditions du cahier des charges, qui était caduc par l’effet de la loi, ne créait pas à la charge des acquéreurs une obligation de nature contractuelle dont les propriétaires voisins étaient susceptibles de se prévaloir pour poursuivre la démolition d’un abri technique de piscine contrevenant aux prescriptions du cahier des charges.

La cassation est prononcée pour manque de base légale, la cour d’appel ayant statué sans avoir recherché si la reproduction, dans l’acte de vente, pourtant signé postérieurement à la caducité du cahier des charges, des stipulations du cahier des charges qui prévoyaient que les obligations qui s’appliquaient dans les rapports entre l’aménageur et les propriétaires s’appliqueraient également dans les rapports des propriétaires successifs entre eux, ne caractérisait pas la volonté des parties de conférer à ces obligations un caractère contractuel.

Si cet arrêt peut être vu comme un nouvel hommage à la liberté contractuelle, il doit attirer l’attention des rédacteurs d’actes sur l’intérêt de prévoir un terme à l’application du cahier des charges et d’appeler l’attention des parties contractantes sur la portée exacte de leurs engagements en cas de reproduction de tout ou partie des clauses du cahier des charges dans les actes de vente, spécialement lorsque ceux-ci sont conclus postérieurement à la suppression de la ZAC.

4. Prescription

Assurance dommages – Assurance dommages-ouvrage – Sinistre – Déclaration – Déclarations successives pour des désordres identiques – Obligation de l’assureur – Réponse – Délai – Non-respect – Effets – Possibilité pour l’assureur d’invoquer la prescription de l’action (non)

3e Civ., 30 septembre 2021, pourvoi no 20-18.883, publié au Bulletin, rapport de M. Jacques et avis de M. Burgaud

L’assureur dommages-ouvrage est tenu de répondre dans le délai de soixante jours prévu à l’article L. 242-1 du code des assurances, à toute déclaration de sinistre, y compris lorsqu’il estime que les désordres sont identiques à ceux dénoncés par une précédente déclaration de sinistre.

À défaut, il ne peut plus opposer la prescription biennale, visée par l’article L. 114-1 du même code, qui serait acquise à la date de la seconde déclaration.

L’assureur dommages-ouvrage est-il tenu de répondre dans le délai de soixante jours à toute déclaration de sinistre, y compris lorsque les désordres dénoncés dans la déclaration sont identiques à ceux dénoncés dans une déclaration antérieure et pour lesquels l’assureur entend opposer la prescription biennale ?

Telle est la question à laquelle répond l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 30 septembre 2021.

L’article L. 242-1, alinéa 3, du code des assurances impose à l’assureur dommages-ouvrage un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la réception de la déclaration de sinistre, pour notifier à l’assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat. Cette exigence est rappelée dans les clauses types des contrats d’assurance de dommages-ouvrage, l’annexe II de l’article A 243-1 du code des assurances prévoyant que, dans un délai maximum de soixante jours courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre réputée constituée, l’assureur notifie sa décision sur le principe de la mise en jeu des garanties.

Il résulte d’une jurisprudence fermement établie que si, dans le délai de soixante jours, l’assureur n’a pas fait connaître sa décision, la garantie est due[2] et l’assureur est déchu du droit de la contester. L’inobservation du délai légal a donc un effet de purge de toutes les causes de non-garantie pouvant être opposées à l’assuré : faute d’avoir répondu dans les soixante jours, l’assureur ne peut plus contester la nature des désordres[3], invoquer leur caractère apparent ou le défaut d’aléa[4] ou opposer la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action tendant à la mise en jeu de la garantie[5].

Dans un arrêt du 26 novembre 2003[6], la troisième chambre civile de la Cour de cassation a jugé que la sanction qui s’attache au dépassement du délai imparti à l’assureur pour prendre position sur la garantie s’applique même dans le cas où l’assuré a fait une nouvelle déclaration de sinistre pour des désordres identiques à ceux qui avaient fait l’objet d’un premier refus de garantie et que, en l’absence de réponse, l’assureur ne peut plus opposer la prescription biennale qui serait acquise à la date d’expiration de ce délai.

Toutefois, dans un arrêt rendu le 10 octobre 2012[7], la même chambre a jugé que, lorsque les désordres qui font l’objet de la seconde déclaration sont exactement identiques à ceux qui ont fait l’objet de la première déclaration et dont le maître de l’ouvrage a déjà été indemnisé par le versement d’une somme qu’il était forclos à contester, celui-ci n’est pas fondé en sa demande tendant à voir prendre en charge un dommage dont il a déjà obtenu réparation.

L’arrêt commenté précise la portée de cette atténuation au principe selon lequel l’assureur doit répondre dans le délai imparti par l’article L. 242-1 du code des assurances à toute déclaration de sinistre.

Se plaignant de malfaçons à la suite de la construction de leur maison individuelle, des maîtres de l’ouvrage avaient fait une première déclaration de sinistre le 17 avril 2009 puis une seconde déclaration le 29 décembre 2012. L’assureur n’ayant répondu ni à la première, ni à la seconde déclaration, les maîtres de l’ouvrage en déduisaient qu’il ne pouvait se prévaloir de la prescription acquise à la date d’expiration du délai de soixante jours courant à compter de leur seconde déclaration, ce à quoi l’assureur répliquait que les désordres déclarés le 29 décembre 2012 étaient identiques à ceux déclarés le 17 avril 2009, pour lesquels la prescription biennale était acquise.

La réponse apportée par la Cour de cassation évite une discussion, à l’issue parfois indécise, sur l’identité ou non entre les désordres successivement déclarés : s’il est saisi d’une déclaration de sinistre, l’assureur dommages-ouvrage qui entend opposer la prescription biennale à son assuré doit le faire, à peine de déchéance, dans le délai de soixante jours, y compris pour des désordres qu’il estime identiques à ceux précédemment dénoncés.

Ce n’est donc, finalement, que dans le cas où l’assuré qui a déjà été indemnisé par son assureur demanderait une indemnisation supplémentaire sans justifier d’une quelconque aggravation des désordres, que l’assureur pourrait se dispenser de répondre à la nouvelle déclaration.

Si la solution retenue s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence rigoureuse de la Cour de cassation quant aux conséquences du non-respect de la procédure de mise en jeu de la garantie dommages-ouvrage prévue par le code des assurances, en incitant les assureurs à la vigilance lors de la réception des déclarations de sinistre, les obligations mises à la charge de l’assureur qui a manqué à ses obligations restent enfermées dans certaines limites. D’une part, la déchéance de son droit de contester sa garantie n’empêche pas la prescription de courir à compter de l’expiration du délai de soixante jours suivant la réception de la déclaration du sinistre[8]. D’autre part, l’article L. 242-1 du code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables[9], de sorte que l’assureur qui n’a pas répondu dans les soixante jours ne peut être tenu, au titre de l’assurance obligatoire, de garantir les dommages immatériels.

Urbanisme – Plan d’occupation des sols – Terrain réservé pour une voie, un ouvrage public, une installation d’intérêt général ou un espace vert – Délaissement – Mise en œuvre – Effets – Droit de rétrocession – Défaut – Immeuble n’ayant pas reçu la destination prévue – Revente de l’immeuble – Perte de la plus-value générée par le terrain réservé pour une voie, un ouvrage public, une installation d’intérêt général ou un espace vert – Indemnisation – Demande – Prescription – Prescription quadriennale – Créance sur une commune – Application – Portée

3e Civ., 10 juin 2021, pourvoi no 19-25.037, publié au Bulletin, rapport de Mme Renard et avis de M. Burgaud

La demande indemnitaire formée contre une commune, résultant de la privation de la plus-value née de la revente de parcelles après l’exercice du droit de délaissement, porte sur une créance soumise à la prescription quadriennale de l’article 1, alinéa 1, de la loi no 68-1250 du 31 décembre 1968, laquelle doit être invoquée avant que la juridiction saisie du litige en première instance se soit prononcée sur le fond.

Cassation – Moyen – Moyen inopérant – Moyen remettant en cause le contrôle de proportionnalité exercé par la juridiction de renvoi – Conditions – Détermination

Même arrêt

Lorsque la Cour de cassation a opéré elle-même un contrôle de proportionnalité, le moyen qui tend à remettre en cause le contrôle de proportionnalité surabondamment exercé par la cour d’appel de renvoi est inopérant.

L’arrêt rapporté apporte une contribution intéressante à la doctrine de la proportionnalité.

Par un arrêt du 18 avril 2019 (3e Civ., 18 avril 2019, pourvoi no 18-11.414, publié au Bulletin et au Rapport annuel), la Cour de cassation, opérant un contrôle de proportionnalité sur un moyen de pur droit, avait jugé qu’un auteur d’une personne privée ayant, sur le fondement du droit de délaissement et moyennant un certain prix, cédé à la commune son bien, qui faisait alors l’objet d’une réserve destinée à l’implantation d’espaces verts, et que la commune, sans maintenir l’affectation du bien à la mission d’intérêt général qui avait justifié sa mise en réserve, ayant modifié les règles d’urbanisme avant de revendre le terrain, qu’elle avait rendu constructible, moyennant un prix quarante-trois fois supérieur, il en résultait que, en dépit du très long délai séparant les deux actes, la privation de toute indemnisation de la personne privée portait une atteinte excessive au droit au respect de ses biens au regard du but légitime poursuivi, de sorte qu’en rejetant la demande de dommages-intérêts formée par celle-ci, la cour d’appel saisie du litige avait violé l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Au terme de ce contrôle de proportionnalité, la Cour de cassation avait donc écarté la règle de droit selon laquelle le droit de rétrocession ne peut bénéficier au propriétaire ayant usé de son droit de délaissement, en considérant que l’application d’une telle règle, dans ces circonstances particulières propres à l’espèce qui lui était soumise, portait une atteinte excessive au droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Elle avait cassé, en quasiment toutes ses dispositions, l’arrêt de la cour d’appel à elle déféré et avait renvoyé l’affaire devant une autre cour d’appel.

La cour d’appel de renvoi avait alloué à la personne privée une indemnité substantielle après avoir, invitée en cela par les parties, procédé à un nouveau contrôle de proportionnalité concluant également à une violation de l’article 1er du premier Protocole additionnel précité.

Un nouveau pourvoi ayant été formé, l’un des moyens critiquait la motivation de la cour d’appel de renvoi au regard des éléments pris en compte dans l’exercice de ce contrôle de proportionnalité.

Toutefois, se posait une question préalable à l’examen du bien-fondé de ce moyen : lorsque la Cour de cassation a effectué elle-même un contrôle de proportionnalité et que la cour d’appel de renvoi a procédé à un nouveau contrôle de ce type, quelle est la portée de celui-ci ?

Il ne fait aucun doute que, dans l’hypothèse – assez rare – où la Cour de cassation réalise elle-même un contrôle de proportionnalité (rappelons-le, deux conditions sont nécessaires : ce contrôle, qui n’a pas été demandé aux juges du fond, est demandé à la Cour de cassation ; ce contrôle est sollicité par le biais d’un moyen qui ne peut être que de pur droit, c’est-à-dire ne se référant à aucun élément de fait qui n’aurait pas résulté des énonciations des juges du fond), elle opère le même contrôle que celui qui échoit normalement au juge du fond puisqu’elle juge en fait et en droit.

En l’espèce, avaient donc été exercés deux contrôles de proportionnalité successifs émanant, l’un du juge du droit, l’autre d’un juge du fond.

Il doit être souligné que, si la cour d’appel de renvoi avait estimé, au terme de son propre contrôle de proportionnalité, qu’il n’avait existé aucune violation de l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’ordre juridictionnel aurait été inversé, pour ne pas dire bouleversé, la cour de renvoi devenant ainsi juridiction d’appel de la Cour de cassation.

Par l’arrêt rapporté, la troisième chambre civile a coupé court à de telles éventualités : elle a jugé que, dès lors que la Cour de cassation a opéré elle-même un contrôle de proportionnalité, le moyen, qui tend à remettre en cause le contrôle de proportionnalité surabondamment exercé par la cour d’appel de renvoi, est inopérant.

5. Responsabilité

Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage – Responsabilité contractuelle de droit commun – Action en responsabilité – Délai décennal – Nature – Détermination – Portée

3e Civ., 10 juin 2021, pourvoi no 20-16.837, publié au Bulletin, rapport de M. Nivôse et avis de Mme Vassallo

Le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l’article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, qui n’est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription.

Dès lors, une reconnaissance de responsabilité n’interrompt pas le délai décennal de l’action du maître de l’ouvrage en responsabilité contractuelle de droit commun pour des dommages intermédiaires.<

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a, dans cette décision (3e Civ., 10 juin 2021, pourvoi no 20-16.837, publié au Bulletin et au Rapport annuel) décidé que le délai de dix ans, prévu à l’article 1792-4-3 du code civil, pour la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs après réception est un délai de forclusion.

Il convient de rappeler qu’après la réception de l’ouvrage, les articles 1792 et 1792-1 du code civil, dans leur rédaction issue de la loi no 78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction disposent que tout constructeur lié au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage est responsable de plein droit des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination. Ainsi, la garantie décennale est due par un constructeur pendant dix ans après la réception : c’est un délai d’épreuve, préfix, de forclusion.

Lorsqu’après réception, des dommages apparaissent dans le délai de dix ans, mais ne rentrent pas dans les conditions d’application de la garantie décennale, il subsiste une responsabilité résiduelle, de droit commun, désignée sous le terme de « dommages intermédiaires » (3e Civ., 13 février 2013, pourvoi no 12-12.016, Bull. 2013, III, no 20). La preuve d’une faute du constructeur est nécessaire pour mettre en jeu cette responsabilité (3e Civ., 13 février 2013, pourvoi no 11-28.376, Bull. 2013, III, no 21 ; 3e Civ., 4 novembre 2010, pourvoi no 09-12.988, Bull. 2010, III, no 196).

Avant la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, alors que le délai de prescription de droit commun était de trente ans, celui de la responsabilité contractuelle des constructeurs avait été réduit à dix ans, avant réception (3e Civ., 24 mai 2006, pourvoi no 04-19.716, Bull. 2006, III, no 132, publié au Rapport annuel) et après réception (article 2270-2 ancien du code civil).

Depuis la réforme de 2008, l’article 2224 du code civil a fixé à cinq ans le délai de prescription des actions personnelles mobilières et l’article 1792-4-3 du même code a fixé à dix ans à compter de la réception des travaux, le délai pour agir des actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs et leurs sous-traitants.

Il résulte de la réforme de 2008 la situation suivante :

  • avant ou en l’absence de réception, la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs suit le régime prévu par l’article 2224 du code civil et peut être engagée pendant cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi no 19-13.459, publié au Bulletin et au Rapport annuel). Ce délai de cinq ans est un délai de prescription.
  • après réception, en application de l’article 1792-4-3 du même code, la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs peut être engagée pendant un délai de dix ans après la réception.

L’arrêt du 10 juin 2021 ici commenté a précisé deux points : le délai de la responsabilité contractuelle de droit commun après réception, prévu par l’article 1792-4-3 du code civil, est un délai de forclusion qui ne peut pas être interrompu par une reconnaissance de responsabilité.

Le titre XX du code civil traite de la prescription extinctive et distingue la prescription de la forclusion. Il dispose à l’article 2220 que les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre. Selon la doctrine, il faut distinguer les actions en justice qui relèvent de la prescription et celles soumises à la forclusion, dont le régime est largement différent (voir notamment Natalie Fricero, « La prescription après la loi du 17 juin 2008 en droit de la construction », RD imm. 2011, p. 435 ; Nicolas Balat, « Forclusion et prescription », RTD civ. 2016, p. 751 ; Xavier Lagarde, « La distinction entre prescription et forclusion à l’épreuve de la réforme du 17 juin 2008 », D. 2018, p. 469).

Si les délais de prescription et de forclusion peuvent tous les deux être interrompus, même par une demande en référé (article 2241 du code civil) ou par une mesure conservatoire (article 2244 du code civil), seul le délai de prescription peut être suspendu (articles 2221 et suivants du code civil) et, selon l’article 2240, la reconnaissance de responsabilité interrompt seulement le délai de prescription, non celui de forclusion.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation, suivant la volonté d’harmonisation du législateur, a eu le souci d’aligner, quant à la durée et au point de départ du délai, le régime de responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs sur celui de la garantie décennale, dont le délai est un délai d’épreuve (3e Civ., 12 novembre 2020, pourvoi no 19-22.376, publié au Bulletin ; 3e Civ., 16 octobre 2002, pourvoi no 01-10.482, Bull. 2002, III, no 205 et 3e Civ., 16 octobre 2002, pourvoi no 01-10.330, Bull. 2002, III, no 205, tous deux publiés au Rapport annuel).

Cette logique juridique et la cohérence justifient que l’unification porte sur le point de départ du délai au moment de la réception, la durée de dix ans et sur son régime juridique de la forclusion, avec pour conséquence que ce délai de dix ans de forclusion, ne peut pas être interrompu par une reconnaissance de responsabilité.


[1]. L’obligation de compensation consiste, pour le propriétaire, à subordonner l’obtention de l’autorisation à la proposition de transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage : la réglementation de la ville de Paris précise à ce sujet que les locaux proposés en compensation doivent être de qualité et de surface équivalentes à celles faisant l’objet du changement d’usage, sauf dans le « secteur de compensation renforcée », où les locaux proposés en compensation doivent représenter une surface double de celle faisant l’objet de la demande du changement d’usage, sauf si ces locaux sont transformés en logements locatifs sociaux, auquel cas le coefficient est de un pour un, l’objectif étant de renforcer la mixité sociale.

[2]. Sur le principe suivant lequel le silence gardé par l’assureur dommages-ouvrage pendant le délai de soixante jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre emporte obtention de la garantie, voir 1re Civ., 22 mai 1991, pourvoi no 89-18.604, Bull. 1991, I, no 161 ; 1re Civ., 9 juin 2017, pourvoi no 16-19.067.

[3]. 1re Civ., 26 novembre 1991, pourvoi no 86-13.604, Bull. 1991, I, no 329 ; 3e Civ., 3 décembre 2003, pourvoi no 01-12.461, Bull. 2003, III, no 214.

[4]. 3e Civ., 1er mars 2006, pourvois no 04-13.763 et no 04-13.190.

[5]. 1re Civ., 4 mars 1997, pourvoi no 95-10.045, Bull. 1997, I, no 78.

[6]. 3e Civ., 26 novembre 2003, pourvoi no 01-12.469, Bull. 2003, III, no 207.

[7]. 3e Civ., 10 octobre 2012, pourvoi no 11-17.496, Bull. 2012, III, no 141.

[8]. 1re Civ., 1er février 2000, pourvoi no 97-16.662, Bull. 2000, I, no 32.

[9]. 1re Civ., 17 juillet 2001, pourvoi no 98-21.913, Bull. 2001, I, no 232 ; 3e Civ., 17 octobre 2019, pourvoi no 18-11.103.

D. Activités économiques, commerciales et financières

1. Concurrence

Récusation – Personnes pouvant être récusées – Définition – Exclusion – Cas – Membres du collège de l’Autorité de la concurrence

2e Civ., 30 septembre 2021, pourvoi no 20-18.302, publié au Bulletin, rapport de M. de Leiris et avis de M. Aparisi

2e Civ., 30 septembre 2021, pourvoi no 20-18.672, publié au Bulletin, rapport de Mme Durin-Karsenty et avis de M. Aparisi

Il résulte des articles L. 461-1 à L. 461-4, L. 463-1 à L. 463-8, R. 461-3 à R. 461-10 et R. 463-4 à R. 463-16 du code de commerce que l’Autorité de la concurrence, chargée par la loi notamment de veiller au libre jeu de la concurrence et de contrôler les opérations de concentration économique, régies par les articles L. 430-1 à L. 430-10 du même code, est une autorité administrative indépendante, dont l’organisation est fondée sur une stricte séparation des fonctions de poursuite et d’instruction, confiées à un service placé sous l’autorité d’un rapporteur général, et des pouvoirs de sanction, relevant du collège de l’Autorité de la concurrence. Outre cette organisation, ces textes fixent la composition de ce collège et organisent des procédures devant cette Autorité qui tendent à garantir l’impartialité et l’indépendance de cette Autorité, ainsi que le respect des droits de la défense.

Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que l’Autorité de la concurrence est une autorité de nature non juridictionnelle, même lorsqu’elle est appelée à prononcer une sanction ayant le caractère d’une punition.

Selon l’article L. 464-8 du même code, les décisions de l’Autorité mentionnées aux articles L. 462-8, L. 464-2, L. 464-3, L. 464-5, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 752-27 sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l’économie, qui peuvent, dans le délai d’un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d’appel de Paris. L’article R. 464-11 du même code prévoit que l’Autorité de la concurrence est partie à l’instance, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Le président de l’Autorité de la concurrence peut former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris ayant annulé ou réformé une décision de l’Autorité.

Membre du réseau européen de concurrence (REC), créé par le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence, renforcé par la directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, l’Autorité de la concurrence peut infliger des sanctions administratives afin de garantir l’application effective des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Elle peut être dessaisie par la Commission de l’instruction d’affaires en application de l’article 11.6 du règlement n1/2003.

Il résulte de ces textes du droit de l’Union européenne, tels qu’interprétés par la Cour de justice de l’Union européenne, que l’Autorité de la concurrence n’est pas une juridiction apte à lui poser une question préjudicielle en application de l’article 267 du TFUE.

Par ailleurs, selon la Cour européenne des droits de l’homme, le respect de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’exclut pas que, dans une procédure de nature administrative, une « peine » soit prononcée d’abord par une autorité administrative, à la condition que la décision de l’autorité administrative ne remplissant pas elle-même les conditions de l’article 6, § 1, soit soumise au contrôle ultérieur d’un organe juridictionnel de pleine juridiction. Elle précise que parmi les caractéristiques d’un organe juridictionnel de pleine juridiction figure le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise, rendue par l’organe inférieur. Il doit notamment avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi.

Or, le recours en annulation ou en réformation devant la cour d’appel de Paris, prévu à l’article L. 464-8 du code de commerce, doit être regardé comme un recours de pleine juridiction au sens de l’article 6, § 1, précité. Il confère, en particulier, à cette juridiction le pouvoir de statuer sur tout grief tiré d’une atteinte à l’impartialité de l’Autorité de la concurrence, qu’il concerne la phase d’instruction placée, en application des articles L. 461-4 et R. 463-4 du code de commerce, sous la direction de son rapporteur général, ou la phase décisionnelle, confiée au collège de l’Autorité.

Il résulte de ce qui précède que les articles 341 et suivants du code de procédure civile instituant, devant les juridictions judiciaires statuant en matière civile, une procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime, ne s’appliquent pas à l’Autorité de la concurrence.

Les deux affaires, objet des arrêts rendus le 30 septembre 2021 (2e Civ., 30 septembre 2021, pourvoi no 20-18.302, publié au Bulletin et au Rapport annuel ; 2e Civ., 30 septembre 2021, pourvoi no 20-18.672, publié au Bulletin et au Rapport annuel), se présentent de façon similaire : à la suite de la saisine par le ministre chargé de l’économie, de l’Autorité de la concurrence, en application de l’article L. 462-5 du code de commerce, une instruction a été ouverte et un rapporteur désigné.

Destinataire de griefs notifiés par le rapporteur, une des sociétés a déposé une requête en récusation auprès d’un premier président d’une cour d’appel, sur le fondement des articles 341 et suivants du code de procédure civile, et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux fins de constater le défaut d’impartialité du rapporteur, d’ordonner à l’Autorité de la concurrence de procéder à sa récusation et à son remplacement et de juger non avenue la notification des griefs.

Le premier président a déclaré irrecevable la requête par un raisonnement qui se déploie en deux temps : il s’est déclaré compétent pour statuer sur une telle requête, au motif que l’Autorité de la concurrence est une juridiction lorsqu’elle est amenée à prononcer une sanction, en application des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 342 et 344 du code de procédure civile, mais il lui est apparu que la requête était tardive.

La société ayant échoué dans sa demande de récusation, a formé un pourvoi. Sans remettre en cause la compétence du premier président, son argumentation reposait sur plusieurs griefs destinés à combattre le constat de tardiveté de la requête.

Dans le cadre de l’examen des pourvois, il convenait donc préalablement à l’examen du grief, d’éprouver la pertinence de l’affirmation suivant laquelle le premier président a retenu que l’Autorité de la concurrence est une juridiction au sens des articles 342 et 344 précités.

La Cour de cassation n’avait pas, précédemment, eu l’occasion de se prononcer par un arrêt de principe, publié, sur cette question.

Pour y répondre, elle prend en compte un faisceau d’indices relatifs à l’organisation et au fonctionnement de l’institution, éclairés par les jurisprudences respectivement du Conseil constitutionnel, de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme.

Elle rappelle que l’Autorité de la concurrence est membre du Réseau européen de concurrence (REC) relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence, renforcé par la directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.

Elle souligne la nature de ses missions, celles des différents organes la composant, aux différents stades de la procédure, ainsi que sa qualification d’autorité administrative indépendante, telle qu’elle est visée à l’article L. 461-1 du code de commerce.

Elle prend en considération la nature et l’échelle des sanctions susceptibles d’être prononcées en soulignant qu’elles s’inscrivent dans le volet pénal de l’article 6, § 1, précité, traduit par l’impératif de séparation des autorités d’instruction et de jugement et le contrôle de pleine juridiction dont ses décisions sont l’objet, en cas de recours.

C’est au terme de cette analyse à la fois organique et fonctionnelle et en s’appuyant sur les jurisprudences internes et européennes qui viennent d’être rappelées, que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en déduit qu’une telle autorité ne saurait être qualifiée de juridiction au sens des articles 341 et suivants du code de procédure civile.

2. Entreprises en difficulté

Entreprise en difficulté (loi du 26 juillet 2005) – Liquidation judiciaire – Effets – Dessaisissement du débiteur – Portée – Acte de disposition – Applications diverses – Ordre de paiement – Date d’autorisation – Détermination – Consentement à l’opération de paiement

Com., 30 juin 2021, pourvoi no 20-18.759, publié au Bulletin, rapport de M. Riffaud et avis de Mme Guinamant

Selon l’article L. 641-9 du code de commerce, le jugement qui prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens et interdiction de tout règlement, les actes de disposition effectués postérieurement à ce jugement étant inopposables à la procédure collective. Il résulte de l’article L. 133-6 du code monétaire et financier qu’une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution et qu’ainsi, l’émetteur d’un ordre de paiement dispose des fonds dès la date à laquelle il consent à cette opération.

Cet arrêt constitue l’occasion, pour la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, de s’efforcer de concilier les effets immédiats de la règle du dessaisissement résultant de la mise en liquidation judiciaire d’un débiteur avec les exigences du traitement d’une opération de paiement par virement, lequel n’est pas nécessairement instantané.

Actuellement énoncée par l’article L. 641-9 du code de commerce, qui reprend les termes de l’article L. 622-9 du code de commerce ancien, eux-mêmes ceux de l’article 152 de la loi no 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, la règle du dessaisissement existait déjà sous l’empire de la loi de 1967.

Destinée à assurer l’effet de saisie réelle de la procédure collective et à garantir la protection du gage commun des créanciers, cette règle est indissociable du droit de la faillite. Et il résulte de l’article R. 621-4 du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l’article R. 641-1 du même code, que le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire ou de conversion d’un redressement en liquidation judiciaire prenant effet à compter de sa date, le dessaisissement se produit dès la première heure du jour où est prononcée la liquidation judiciaire (voir notamment, Com., 17 mai 1989, pourvoi no 87-17.930, Bull. 1989, IV, no 152 ; Com.,18 avril 1989, pourvoi no 86-18.270, Bull. 1989, IV, no 121).

À défaut de dispositions légales, la Cour de cassation a été amenée à trancher la question de la nature de la sanction et de sa portée. Elle juge, de façon constante, que les actes accomplis au mépris de la règle du dessaisissement sont inopposables à la procédure collective (Com., 23 mai 1995, pourvoi no 93-16.930, Bull. 1995, IV, no 150 et de nombreux arrêts).

C’est ainsi, que les actes juridiques accomplis par le débiteur en liquidation judiciaire, dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens, ne sont pas frappés d’une nullité, que le principe pas de nullité sans texte conduit nécessairement à écarter, mais simplement d’inopposabilité à la procédure collective c’est-à-dire, en réalité, inopposables au liquidateur judiciaire : l’acte reste valable entre les parties mais étant inopposable à la procédure collective, le liquidateur peut agir comme si cet acte n’avait jamais existé.

Comment articuler cette règle, aux effets immédiats, avec le processus d’un paiement par virement qui, notamment lorsqu’il fait appel à plusieurs prestataires de services de paiement, peut s’étaler sur plusieurs jours ?

Il s’agissait, précisément, de l’enjeu du procès opposant la banque du débiteur dessaisi, laquelle avait exécuté plusieurs ordres de virement dont elle avait été rendue destinataire la veille de la mise en liquidation judiciaire de son client, au liquidateur de ce dernier qui lui réclamait le montant des opérations dénouées à partir du jour du jugement prononçant la liquidation.

L’apport de l’arrêt commenté, qui fait suite à un refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité posée par la banque, laquelle se plaignait d’une atteinte disproportionnée aux principes de liberté contractuelle et de garantie des droits (assurés par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), et au droit de propriété (garanti par les articles 2 et 17 de cette même Déclaration) résultant de l’interprétation donnée par la jurisprudence de la Cour de cassation à la règle du dessaisissement (Com., 17 février 2021, QPC no 20-18.759), réside dans le fait que, s’agissant de faire application de la règle du dessaisissement et non de celle de l’interdiction des paiements, il importe de rechercher non pas à quelle date le virement a opéré paiement au profit de son bénéficiaire mais la date à laquelle le débiteur a accompli son acte de disposition. Il s’agit ainsi de vérifier s’il était encore au pouvoir du débiteur d’accomplir l’acte critiqué.

Cet arrêt retient, qu’en considération des règles du code monétaire et financier qui s’appliquent au virement, il résulte de l’article L. 133-6 de ce code que l’émetteur d’un ordre de virement accomplit un acte de disposition dès qu’il donne son consentement à cette opération avec pour conséquence que doit être cassé, pour violation des articles L. 641-9 du code de commerce et L. 133-6 du code monétaire et financier, l’arrêt de la cour d’appel qui a pris en considération, pour faire droit à la demande du liquidateur, la date du paiement par virement et non celle, qui lui était antérieure, de l’acte de disposition.

Entreprise en difficulté (loi du 26 juillet 2005) – Procédure (dispositions générales) – Organes de la procédure – Tribunal – Tribunal de commerce spécialement désigné – Compétence

Com., 17 novembre 2021, pourvoi no 19-50.067, publié au Bulletin, rapport de Mme Bélaval et avis de Mme Guinamant

Selon l’article L. 721-8 du code de commerce, des tribunaux de commerce spécialement désignés connaissent des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire lorsque le débiteur répond à certains critères relatifs au nombre de salariés ou au montant net du chiffre d’affaires.

Ce texte, qui ne prive pas le tribunal de commerce non spécialement désigné du pouvoir juridictionnel de connaître de ces procédures lorsque les seuils qu’il prévoit ne sont pas atteints, détermine une règle de répartition de compétence entre les juridictions appelées à connaître des procédures, dont l’inobservation est sanctionnée par une décision d’incompétence, et non par une décision d’irrecevabilité.

La loi no 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a créé au sein de l’organisation judiciaire des tribunaux de commerce spécialement désignés pour connaître de certaines procédures de sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire. Ainsi, selon l’article L. 721-8, 1o, a) et b), du code de commerce, applicable aux procédures collectives ouvertes à compter du 1er mars 2016, les entreprises dépassant un certain nombre de salariés et/ou un certain montant de chiffre d’affaires relèvent des tribunaux de commerce spécialisés. Le siège et le ressort de ces tribunaux spécialement désignés, au nombre de dix-huit, ont été fixés par un décret no 2016-217 du 26 février 2016.

Comme le souligne le Conseil d’État, saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre ce décret qui a été rejeté, dans sa décision du 9 octobre 2017[10], la spécialisation de ces tribunaux vise, dans un but d’intérêt général, à attribuer à un nombre réduit de juridictions les contentieux et procédures les plus complexes et sensibles, en renforçant ainsi la professionnalisation des juges consulaires et en limitant le risque de conflits d’intérêts liés à une trop grande proximité entre les acteurs économiques locaux et les tribunaux de commerce.

Par un précédent arrêt publié[11], la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation s’était prononcée sur les effets de la création des tribunaux de commerce spécialisés en matière d’extension, pour confusion des patrimoines, d’une procédure collective d’une entreprise ouverte par un tribunal de commerce non spécialisé à une entreprise cible répondant, quant à elle, aux critères d’attribution de la procédure à un tribunal spécialisé. Elle avait alors décidé que le tribunal non spécialisé demeurait compétent pour étendre la procédure collective dont il était déjà saisi, quelle que soit l’entreprise visée par la demande, et avait ainsi paru interpréter l’article L. 721-8 du code de commerce comme créant une répartition de compétence entre les juridictions. En réalité, aucune conclusion de ce type ne peut être véritablement tirée de ce précédent, car la solution, dépendante de la question posée, est gouvernée par les dispositions de l’article L. 621-2, dernier alinéa, du code de commerce, selon lesquelles le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent pour les demandes d’extension.

Le mérite de l’arrêt rapporté tient précisément à ce qu’il répond à la question de savoir si la contestation de la saisine d’un tribunal non spécialisé à l’égard d’une entreprise dépassant les seuils fixés par l’article L. 721-8 précité, et inversement, doit s’analyser en une contestation de la compétence du tribunal saisi, prenant la forme d’une exception d’incompétence, ou en une contestation de la recevabilité de la demande, en tant que présentée devant une juridiction dépourvue de pouvoir juridictionnel, prenant alors la forme d’une fin de non-recevoir. Les enjeux de la question tiennent aux régimes procéduraux différents de ces moyens de défense, mais aussi plus largement, à l’efficacité du dispositif au regard de la protection de l’intérêt général et des intérêts particuliers. Il s’agit de permettre un contrôle par le juge du choix de la juridiction saisie, tout en évitant de nourrir un contentieux sur la seule question de la détermination de la juridiction qui doit statuer, susceptible de retarder à l’excès le traitement des difficultés de l’entreprise concernée.

L’arrêt rapporté prend parti pour une règle d’attribution de compétence et non pour une règle d’attribution du pouvoir de statuer. Cette position se prévaut, sous les réserves d’usage, des termes de la circulaire d’application du 27 juillet 2016[12] de la loi précitée, elle s’inspire aussi des réflexions de la doctrine spécialisée, et repose sur une analyse consistant à considérer que les tribunaux de commerce, spécialisés comme non spécialisés, se partagent le pouvoir de connaître des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire, leur compétence d’attribution étant simplement soumise à des critères de répartition, celle des tribunaux spécialisés étant circonscrite à certaines catégories de débiteurs, limitativement décrites par la loi. Ainsi, l’hésitation sur la détermination de la juridiction habile à connaître d’une situation d’insolvabilité donnée ne porte pas sur le pouvoir de juger de telle ou telle juridiction mais sur sa compétence en fonction des caractéristiques du débiteur concerné.

Il en résulte plusieurs conséquences illustrées par l’espèce, sur la forme que doit revêtir l’exception d’incompétence et le moment où elle doit être présentée, et sur l’interdiction pour le juge d’appel et le juge de cassation de relever d’office l’incompétence de la juridiction non spécialisée ayant ouvert la procédure collective d’une entreprise relevant d’un tribunal spécialisé, en application de l’article 76, alinéa 2, du code de procédure civile.

3. Impôts et taxes

Impôts et taxes – Enregistrement – Impôt de solidarité sur la fortune – Déclaration – Réduction impôt de solidarité sur la fortune (ISF)/petites et moyennes entreprises (PME) – Souscription au capital d’une société remplissant les conditions fixées par la loi – État individuel – Portée

Com., 3 mars 2021, pourvoi no 19-22.397, publié au Bulletin, rapport de Mme Lion et avis de M. Debacq

L’article 885-0 V bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi no 2008-1443 du 30 décembre 2008, a institué le principe d’une réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), à hauteur de 75 % des versements effectués dans le capital de sociétés éligibles aux conditions qu’il prévoit. Il résulte de l’article 299 septies de l’annexe III du même code, dans sa rédaction issue du décret no 2008-336 du 14 avril 2008, que lorsqu’un contribuable souscrit au capital d’une telle société, celle-ci lui délivre un état individuel, précisant, notamment, qu’elle satisfait aux conditions exigées par ce texte, qu’il peut joindre à sa déclaration d’ISF ou fournir dans les trois mois suivant la date limite de dépôt de sa déclaration. Si la remise de ce document est une formalité nécessaire à l’obtention de l’avantage en cause, elle ne suffit pas à démontrer que les conditions prévues à l’article 885-0 V bis sont réunies et ne confère aucun droit au contribuable à bénéficier de la réduction d’impôt à laquelle il prétend, fût-il de bonne foi. Enfin, aucune règle n’impose à l’administration d’établir, avant de procéder à la rectification de l’imposition du contribuable, qu’il avait connaissance du caractère erroné de ce document, joint à sa déclaration.

En dehors des garanties prévues aux articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales, qui permettent au contribuable, dans les conditions et limites fixées par ces textes, d’opposer à l’administration l’interprétation d’un texte fiscal qu’elle a formellement admise ou une prise de position formelle de sa part sur une situation de fait au regard d’un texte fiscal, le principe selon lequel une partie ne peut se contredire au détriment d’autrui n’est pas applicable à l’administration fiscale, qui ne peut renoncer à l’application des textes législatifs ou réglementaires définissant les obligations des contribuables, quelle que soit sa position avant la procédure contentieuse.

Il résulte de l’article 885-0 V bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi no 2008-1443 du 30 décembre 2008, que les contribuables qui souscrivent au capital d’une société constituant une petite ou moyenne entreprise (PME) exerçant exclusivement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale et se trouvant en phase d’amorçage, de démarrage ou d’expansion, au sens des lignes directrices concernant les aides d’État visant à promouvoir les investissements en capital-investissement dans les PME (2006/C 194/02), peuvent bénéficier d’une réduction d’ISF, à concurrence de 75 % du montant de leur investissement.

Est assimilée à une telle société la société holding qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales constituant des PME exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale et se trouvant en phase d’amorçage, de démarrage ou d’expansion, et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers.

Si la qualification de holding animatrice n’est pas subordonnée à une participation majoritaire au capital d’une filiale exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale, une société holding qui ne contrôle aucune filiale opérationnelle ne peut cependant être qualifiée de holding animatrice et ne peut donc être assimilée aux PME visées par l’article 885-0 V bis du code général des impôts, de sorte que la souscription à son capital n’est pas éligible à la réduction d’ISF prévue par ce texte.

Prive sa décision de base légale la cour d’appel qui retient qu’une société holding a participé activement à la conduite de la politique de son groupe en se fondant sur des éléments tenant uniquement au pouvoir d’animation résultant de la structure mise en place et des moyens dont la société disposait pour animer sa filiale, sans constater concrètement qu’elle avait mis en œuvre ces moyens.

La loi no 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi « TEPA », a créé l’article 885-0 V bis du code général des impôts, instaurant une réduction d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), dite « ISF-PME », dont peuvent bénéficier les contribuables qui souscrivent au capital d’une petite ou moyenne entreprise (PME), à concurrence de 75 % ou 50 % du montant de l’investissement.

Ce dispositif fiscal, abrogé à compter du 1er janvier 2018 par la loi no 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 ayant remplacé l’ISF par l’impôt sur la fortune immobilière, était réservé aux souscriptions au capital de PME, au sens de l’annexe I au règlement (CE) no 800/2008 de la Commission du 6 août 2008 déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché commun en application des articles 87 et 88 du traité (Règlement général d’exemption par catégorie), exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, et non une activité de gestion de leur patrimoine mobilier ou immobilier, et se trouvant en phase d’amorçage, de démarrage ou d’expansion, au sens des lignes directrices de l’Union européenne concernant les aides d’État visant à promouvoir les investissements en capital-investissement dans les PME (2006/C 194/02).

La loi, dans sa version applicable au litige, prévoyait seulement la souscription directe au capital de telles sociétés et la souscription indirecte, par l’intermédiaire de sociétés holdings interposées ayant pour objet exclusif de détenir des participations dans des PME dont l’activité était éligible à cette réduction d’impôt.

La doctrine administrative (instruction administrative du 11 avril 2008, BOI 7 S-3-08) évoquait également la possibilité, pour les contribuables, de souscrire au capital de sociétés holdings animatrices de leur groupe, une telle souscription étant assimilée aux souscriptions directes au capital de sociétés opérationnelles.

Ce mode de souscription a ensuite été consacré par la loi no 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, qui a prévu qu’un investissement au capital d’une société holding animatrice de groupe donne droit à l’avantage fiscal de l’article 885-0 V bis précité lorsque la société est constituée et contrôle au moins une filiale depuis au moins douze mois.

Antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi, de nombreux contribuables ont souscrit au capital de sociétés membres d’un même groupe, se présentant comme des sociétés animatrices de groupe, et ont joint à leurs déclarations d’ISF une attestation émanant de ces sociétés, certifiant qu’ils avaient investi à leur capital. L’administration fiscale ayant remis en cause l’avantage fiscal auquel ils prétendaient au motif que ces sociétés n’avaient pas la qualité de holdings animatrices de groupe, de nombreux litiges opposant ces contribuables à l’administration fiscale ont donné lieu à une jurisprudence divergente des cours d’appel saisies.

Cet arrêt est l’occasion, pour la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, de se prononcer sur la régularité des procédures de rectification suivies contre ces contribuables et sur l’éligibilité de tels investissements à la réduction « ISF-PME ».

1) La régularité de la procédure de rectification

La question centrale posée par le pourvoi était celle des effets de l’attestation délivrée par la société se présentant comme une holding animatrice de groupe, conformément aux dispositions de l’article 299 septies de l’annexe III du code général des impôts, qui exigeaient, en matière de réduction « ISF-PME », que le contribuable joigne à sa déclaration d’impôt ou fournisse dans les trois mois suivant la date limite de dépôt de sa déclaration, un état individuel émanant de la société au capital de laquelle il a souscrit, mentionnant un certain nombre d’informations (objet social, siège social de la société, identité du souscripteur, nombre de titres souscrits, montant et date de leur souscription).

Cette attestation confère-t-elle au contribuable de bonne foi qui s’en prévaut un droit à bénéficier de la réduction fiscale, même si les conditions légales d’éligibilité de l’investissement à cet avantage fiscal ne sont pas remplies, comme le prévoit la doctrine administrative applicable aux réductions fiscales relatives au mécénat ou aux dons aux œuvres d’intérêt général ou d’organismes agréés ? Selon cette doctrine, en effet, le contribuable de bonne foi qui se prévaut d’une attestation irrégulière délivrée par un organisme bénéficiaire d’un tel don n’encourt aucun redressement. Cette doctrine est-elle applicable à la réduction fiscale en cause ? Si tel n’est pas le cas, l’administration fiscale doit-elle remettre en cause l’attestation délivrée au contribuable dans le cadre d’une procédure l’opposant à la société qui l’a émise, préalablement à toute procédure de rectification suivie contre le contribuable ?

Dans la présente espèce, les contribuables critiquaient en particulier le fait que, parallèlement au contrôle sur pièces dont ils avaient fait l’objet, l’administration avait engagé une vérification de la comptabilité de la société holding qui n’avait été suivie d’aucune proposition de rectification, ni du prononcé d’une amende pour délivrance d’attestation irrégulière, tel que prévu par l’article 1740 A du code général des impôts et considéraient qu’en poursuivant la procédure de rectification engagée auprès d’eux, l’administration s’était contredite à leur détriment et avait fait preuve de déloyauté à leur égard.

La cour d’appel avait déclaré régulière la procédure de rectification suivie par l’administration.

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation approuve tout d’abord cette décision, en ce qu’elle a considéré que, la doctrine administrative étant d’interprétation littérale, ainsi que cela résulte d’une jurisprudence constante (Com., 12 janvier 1999, pourvoi no 97-12.650, Bull. 1999, IV, no 13 ; Com., 20 septembre 2011, pourvoi no 10-24.523), les contribuables ne pouvaient se prévaloir d’une doctrine applicable, en matière d’impôt sur le revenu, aux reçus délivrés en l’échange de dons par des associations.

L’arrêt énonce ensuite que l’attestation prévue à l’article 299 septies de l’annexe III du code général des impôts ne suffit pas à démontrer que les conditions prévues à l’article 885-0 V bis du même code sont réunies et ne confère aucun droit au contribuable à bénéficier de la réduction d’impôt à laquelle il prétend, fût-il de bonne foi. Il énonce encore qu’aucune règle n’impose à l’administration d’établir, avant de procéder à la rectification de l’imposition du contribuable, qu’il avait connaissance du caractère erroné du document joint à sa déclaration, de sorte que les attestations litigieuses, qui n’avaient pas donné lieu au prononcé de l’amende pour délivrance d’attestation irrégulière, ne s’imposaient pas pour autant à l’administration dans le cadre de l’appréciation du droit à la réduction fiscale à laquelle les contribuables prétendaient.

Enfin, l’arrêt réaffirme que le seul cadre dans lequel un contribuable est fondé à invoquer l’adoption, par l’administration, d’une position contradictoire est celui des garanties prévues aux articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales, qui permettent au contribuable d’opposer à l’administration l’interprétation d’un texte fiscal qu’elle a formellement admise ou une prise de position formelle de sa part sur une situation de fait au regard d’un texte fiscal. Il approuve donc la cour d’appel d’avoir retenu que la décision de l’administration de ne pas prononcer, à l’encontre de la société émettrice de l’attestation, à l’issue de la vérification de sa comptabilité, une amende pour délivrance d’attestation irrégulière ne constituait pas une validation implicite de sa qualité de holding animatrice de groupe, cette appréciation suffisant à écarter le moyen d’irrégularité soulevé, fondé sur l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, ce principe n’étant pas applicable à l’administration fiscale, qui ne peut renoncer à l’application des textes législatifs ou réglementaires définissant les obligations des contribuables, quelle que soit sa position avant la procédure contentieuse, ainsi que la chambre commerciale, financière et économique l’avait déjà énoncé dans un arrêt récent (Com., 16 décembre 2020, pourvoi no 18-26.243).

2) Le bien-fondé des rectifications

Les contribuables soutenaient que la spécificité du dispositif ISF-PME devait conduire à retenir une définition de la holding animatrice de groupe spécifique au texte en cause, en ce qu’il dispose que la PME bénéficiaire de l’investissement doit se trouver en phase d’amorçage, de démarrage ou d’expansion, ce qui aurait dû, selon eux, conduire à retenir la possibilité d’un investissement au capital de sociétés holdings en phase d’amorçage, « potentiellement animatrices de leur groupe », qui ne contrôlent ni animent encore aucune filiale opérationnelle.

Ils affirmaient également qu’une société holding qui ne dispose pas de la majorité au sein de l’assemblée générale des associés peut être qualifiée d’animatrice dès lors qu’elle a la possibilité d’imposer ses vues et de maîtriser les orientations de sa filiale, et soutenaient que tel était le cas en l’espèce, grâce à la conclusion d’un contrat d’animation prévoyant la définition conjointe de la stratégie de l’entreprise et d’un pacte d’associés prévoyant le contrôle, par la holding, de toutes les décisions stratégiques de l’entreprise.

La cour d’appel avait fait droit à la demande de décharge des contribuables, considérant qu’il était démontré que la société était une holding animatrice contrôlant une filiale dont l’activité était éligible à la réduction fiscale en cause.

On rappellera que la notion de holding animatrice de groupe est une notion transversale du droit fiscal, applicable à différents dispositifs de réduction ou d’exonération fiscale (exonérations d’ISF des biens professionnels, abattement spécifique applicable à la plus-value réalisée par les dirigeants partant à la retraite, exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit applicable à la transmission de parts ou actions de sociétés faisant l’objet d’un engagement collectif de conservation, dit « pacte Dutreil transmission », etc.).

L’assimilation de la holding animatrice à la société opérationnelle procède de l’idée que l’activité d’animation confère à la holding, par capillarité, l’activité de sa filiale, ainsi que cela ressort des conclusions du rapporteur public dans une affaire à l’occasion de laquelle le Conseil d’État a jugé que dans le silence de la loi fiscale, une société holding ayant pour activité principale, outre la gestion d’un portefeuille de participations, la participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture de services spécifiques, était animatrice de son groupe et devait, par suite, être regardée comme exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière (CE, 13 juin 2018, no 395495, no 399121, no 399122 et no 399124, publié au Recueil Lebon).

Par le présent arrêt, la chambre commerciale, financière et économique a tout d’abord adapté la définition de la holding animatrice de groupe au dispositif fiscal en cause, en énonçant qu’exerce une activité éligible à cette réduction fiscale la société ayant pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales constituant des PME exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale et se trouvant en phase d’amorçage, de démarrage ou d’expansion, et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers.

Elle a ensuite approuvé la cour d’appel en ce qu’elle avait énoncé que la qualification de holding animatrice ne saurait être subordonnée à une participation majoritaire au capital d’une filiale exerçant une activité opérationnelle, admettant ainsi la possibilité qu’une société qui se dote des moyens de prendre des décisions stratégiques s’imposant à sa filiale puisse exercer un contrôle de fait de celle-ci, bien qu’elle ne détienne, dans son capital, qu’une participation minoritaire.

Elle a cependant relevé qu’à la date du premier investissement réalisé par les contribuables, la société se prétendant holding animatrice ne détenait encore aucune participation dans une PME et ne contrôlait donc aucune filiale opérationnelle, et a considéré que le fait qu’elle ait mis en place un dispositif destiné à lui permettre de jouer un rôle actif au sein de PME qu’elle devait sélectionner ne suffisait pas à lui conférer la qualité de holding animatrice de groupe.

Enfin, concernant l’investissement réalisé tandis que la société avait pris une participation de 35 % au capital d’une PME dont l’activité était éligible à la réduction fiscale en cause, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a censuré les juges d’appel au motif qu’ils n’avaient fait que relever que la holding disposait du pouvoir d’animer sa filiale opérationnelle, lequel résultait de la conclusion d’un pacte d’associés qui prévoyait la présence de la société holding au conseil de direction et le jeu d’une majorité qualifiée comprenant la voix du membre investisseur pour prendre les décisions importantes, et d’une convention d’animation portant sur la définition conjointe d’un plan d’action annuel fixant la stratégie de l’entreprise et les actions à mener, sans toutefois caractériser la participation effective à la conduite de la politique du groupe par la mise en œuvre concrète des moyens d’animation dont elle disposait. Sur cette question, l’arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la chambre, selon laquelle la reconnaissance du caractère animateur d’une société holding exige d’établir qu’elle contrôle, gère et anime ses filiales en définissant la politique du groupe, ce rôle devant être effectif, de sorte qu’il ne suffit pas que la société mère dispose des moyens d’animer ses filiales (Com., 19 novembre 1991, pourvoi no 89-19.474, Bull. 1991, IV, no 350), ni qu’elle fonctionne de manière active pour rechercher des prises de participation dans différentes sociétés (Com., 16 juin 1992, pourvoi no 89-21.949, Bull. 1992, IV, no 240).

Impôts et taxes – Redressement et vérifications (règles communes) – Procédures de contrôle – Transmission de pièces par l’autorité judiciaire à l’administration des finances – Article L. 101 du livre des procédures fiscales – Champ d’application – Commission rogatoire internationale

Com., 14 avril 2021, pourvoi no 19-18.616, publié au Bulletin, rapport de Mme Michel-Amsellem et avis de M. Debacq

Il ne résulte pas de l’énumération à l’article L. 101 du livre des procédures fiscales, des situations dans lesquelles l’autorité judiciaire est susceptible de transmettre à l’administration des finances des informations de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale que le législateur ait entendu exclure du champ d’application de ce texte les éléments recueillis et transmis par un procureur de la République dans le cadre d’une enquête pénale.

C’est dès lors à bon droit qu’une cour d’appel retient que des pièces, obtenues à l’occasion de l’exécution d’une commission rogatoire internationale, pouvaient, en application de ce texte, être transmises par le procureur de la République à l’administration fiscale.

À l’occasion de l’exécution en France d’une commission rogatoire des autorités helvétiques enquêtant sur le vol de données bancaires par un des salariés d’un établissement bancaire suisse et d’une perquisition réalisée au domicile français de ce salarié, des éléments laissant supposer que plusieurs contribuables détenaient des avoirs sur des comptes bancaires ouverts dans les livres de cet établissement ont été découverts. À la suite de la transmission par le procureur de la République de ces informations à l’administration fiscale, celle-ci a déposé plusieurs plaintes pour fraude fiscale à l’encontre de ces contribuables. Si, pour plusieurs d’entre eux, ces plaintes ont donné lieu à des condamnations pénales devenues définitives, tel n’était pas le cas dans cette affaire pour laquelle le redevable avait seulement fait l’objet d’un redressement au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune, dont il a contesté la régularité devant les juridictions civiles, tribunal de grande instance puis cour d’appel de Paris.

Cet arrêt est l’occasion pour la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation de préciser sa position sur l’admissibilité de la preuve en matière fiscale qui s’est élaborée en deux arrêts successifs.

Par un premier arrêt du 16 décembre 2020 (Com., 16 décembre 2020, pourvoi no 18-16.801, publié au Bulletin et au Rapport annuel), la chambre a jugé qu’en matière de procédures de contrôle de l’impôt, à l’exception de celles relatives aux visites en tous lieux, même privés, les pièces issues de la commission d’un délit ne peuvent être écartées au seul motif de leur origine dès lors qu’elles ont été régulièrement portées à la connaissance de l’administration fiscale par application de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales et que les conditions dans lesquelles elles lui ont été communiquées n’ont pas été ultérieurement déclarées illégales par un juge.

Ce principe avait été précédemment énoncé par le Conseil constitutionnel dans une décision du 4 décembre 2013 (Cons. const., 4 décembre 2013, décision no 2013-679 DC, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière), statuant sur la conformité à la Constitution de la loi no 2013-1117 du 6 décembre 2013, en particulier son article 37 créant l’article L. 10-0 AA du livre des procédures fiscales[13]. Cette analyse avait également été reprise par le Conseil d’État qui a jugé que la seule circonstance que l’administration ait disposé d’informations issues de documents obtenus de manière frauduleuse par un tiers est, par elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure d’imposition (CE, 20 octobre 2016, no 390639, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

La chambre commerciale, financière et économique a ainsi validé le principe selon lequel l’administration fiscale pouvait fonder un redressement en utilisant des pièces illicites à l’origine, dès lors qu’elles lui ont été régulièrement transmises par le procureur de la République, notamment en application de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales et ce, quand bien même cette transmission ait eu lieu avant l’entrée en vigueur de la loi de 2013 précitée énonçant ce principe.

Par l’arrêt du 14 avril 2021 ici commenté (Com., 14 avril 2021, pourvoi no 19-18.616, publié au Bulletin et au Rapport annuel), la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a précisé à quelles conditions la transmission par le procureur de la République en application de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales était régulière.

On rappellera que cet article, dans sa version antérieure à la loi no 2013-1117 du 6 décembre 2013 précitée, applicable en l’espèce, disposait que : « L’autorité judiciaire doit communiquer à l’administration des finances toute indication qu’elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu’il s’agisse d’une instance civile ou commerciale ou d’une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu. »

Une nouvelle rédaction a été apportée par la loi no 2015-1786 du 29 décembre 2015, le premier alinéa étant désormais rédigé de la façon suivante : « L’autorité judiciaire doit communiquer à l’administration des finances toute indication qu’elle recueille, à l’occasion de toute procédure judiciaire, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt […] ».

Le redevable soutenait dans cette affaire que la transmission des informations à l’administration fiscale qui ne s’était pas inscrite dans le cadre d’une « instance », n’était pas régulière au regard des exigences de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales, puisqu’elle avait été réalisée au stade de l’enquête préliminaire alors qu’aucun juge n’était encore saisi et qu’en conséquence, l’utilisation par l’administration fiscale d’informations résultant d’un vol viciait tant la procédure de redressement, que le redressement lui-même.

Par une motivation développée, la chambre commerciale, financière et économique a considéré que les dispositions de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales ne pouvaient être interprétées de la façon restrictive soutenue par l’auteur du pourvoi.

Procédant à une interprétation exégétique, elle a, tout d’abord, relevé que les dispositions en cause constituaient une énumération des situations dans lesquelles l’autorité judiciaire est susceptible de transmettre les informations permettant de soupçonner une fraude et qu’il ne résultait pas de cet énoncé, non limitatif, que le législateur ait entendu exclure du champ d’application de ce texte les éléments recueillis et transmis par un procureur de la République dans le cadre d’une enquête pénale. Elle a conforté cette analyse en rappelant l’objectif poursuivi par ces dispositions, tel qu’il avait été exprimé dans les travaux parlementaires de la loi du 4 avril 1926 portant création de nouvelles ressources fiscales, dont elles sont issues, visant expressément à permettre à l’administration fiscale d’être informée autant que possible de présomptions de dissimulations ou d’évasions fiscales, quelle que soit la procédure en cause. Enfin, la chambre commerciale, financière et économique a complété son analyse par une approche contextuelle selon laquelle la rédaction du texte, qui fait mention des procédures pénales existantes en 1926, devait être appréhendée à la lumière de l’évolution des règles de procédure pénale applicables à la date des transmissions en cause.

Cet arrêt constitue une évolution de la jurisprudence de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation puisque celle-ci avait précédemment jugé dans un arrêt du 28 novembre 2018 (Com., 28 novembre 2018, pourvoi no 16-26.446), au sujet d’une transmission effectuée en application de l’article L. 82 C du livre des procédures fiscales[14], que c’était à bon droit qu’une cour d’appel avait jugé que des pièces provenant d’une procédure d’enquête suivie au parquet ne provenaient pas du dossier d’une instance civile ou pénale de sorte qu’elles avaient été communiquées irrégulièrement à l’administration fiscale.

Il s’inscrit aussi dans une ligne différente de celle du Conseil d’État qui par un arrêt du 22 janvier 2020 (CE, 22 janvier 2020, no 421012, mentionné aux tables du Recueil Lebon) a jugé qu’« Il résulte des dispositions de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales […], dans leur rédaction antérieure à la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificatives pour 2015, que les renseignements recueillis dans le cadre d’une procédure judiciaire ne pouvaient être transmis à l’administration fiscale que dans le cadre d’une instance civile ou commerciale ou lorsqu’une information judiciaire avait été ouverte par un juge d’instruction. Par suite, en jugeant que l’autorité judiciaire avait pu, en application de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors en vigueur, communiquer à l’administration fiscale des renseignements obtenus dans le cadre d’une enquête préliminaire ayant fait l’objet d’un classement sans suite par le procureur de la République, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit. »

On relèvera encore que l’arrêt commenté prend le soin, d’une part, de rappeler au paragraphe 9 un certain nombre d’énonciations de l’arrêt attaqué quant à la validité des pièces et de leur détention, d’autre part, de préciser au paragraphe 10 que la cour d’appel avait elle-même examiné la régularité des pièces et de leur détention, signifiant ainsi que cette régularité doit pouvoir être contestée par la partie en cause devant les juridictions et qu’elle doit être contrôlée par le juge du fond, afin que le respect des droits des personnes poursuivies soit assuré.


[10]. CE, 9 octobre 2017, no 399153.

[11]. Com., 11 mars 2020, pourvois no 18-22.960 et no 18-22.962, publié au Bulletin.

[12]. Circulaire du 27 juillet 2016 relative à la compétence particulière de certains tribunaux de commerce (NOR : JUSB1619933C).

[13]. L’article L. 10-0 AA dispose que : « Dans le cadre des procédures prévues au présent titre II, à l’exception de celles mentionnées aux articles L. 16 B et L. 38, ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine les documents, pièces ou informations que l’administration utilise et qui sont régulièrement portés à sa connaissance soit dans les conditions prévues au chapitre II du présent titre II ou aux articles L. 114 et L. 114 A, soit en application des droits de communication qui lui sont dévolus par d’autres textes, soit en application des dispositions relatives à l’assistance administrative par les autorités compétentes des États étrangers. » L’article L. 101 du livre des procédures fiscales fait partie du chapitre II (Le droit de communication) du titre II (Le contrôle de l’impôt).

[14]. Il s’agissait dans cette espèce de l’article L. 82 C (anciennement L. 100) du livre des procédures fiscales (tel qu’issu de la loi no 2013-1117 du 6 décembre 2013 – article 17) : « À l’occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l’administration des finances. […] ».

E. Responsabilité civile, assurance et sécurité sociale

1. Assurance

Accident de la circulation – Tiers payeur – Protocole assureurs-organismes sociaux – Domaine d’application – Étendue – Véhicules soumis à l’obligation d’assurance – Appréciation souveraine

2e Civ., 10 novembre 2021, pourvoi no 19-24.696, publié au Bulletin, rapport de Mme Bouvier et avis de M. Grignon Dumoulin

Le règlement d’application pratique et les annexes, en leur version applicable au litige, du protocole assureurs-organismes sociaux du 24 mai 1983, relatif au recouvrement des créances des organismes de protection sociale auprès des entreprises d’assurances, prévoient qu’il s’applique aux accidents survenus à compter du 6 avril 2000 et « occasionnés par des véhicules soumis à l’obligation d’assurance (articles L. 211-1 et suivants, R. 211-1 et suivants du code des assurances), ainsi que par des bicyclettes, même lorsqu’elles sont tenues à la main ».

C’est dans l’exercice de son pouvoir souverain qu’une cour d’appel a décidé que l’accord liant les parties s’appliquait aux accidents causés par des véhicules terrestres à moteur soumis à l’obligation d’assurance.

Le protocole d’accord, dit « PAOS », conclu le 24 mai 1983, d’une part, par des organismes nationaux de protection sociale, d’autre part, par des organismes représentatifs des entreprises d’assurances, est relatif au recouvrement des créances des organismes de protection sociale auprès des entreprises d’assurances à la suite d’accidents causés par des véhicules terrestres à moteur et par des bicyclettes. Il en organise le règlement selon un mode conventionnel.

Le règlement d’application pratique du PAOS et ses annexes, en leur version applicable au litige, prévoient qu’il s’applique aux accidents survenus à compter du 6 avril 2000 et « occasionnés par des véhicules soumis à l’obligation d’assurance (articles L. 211-1 et suivants, R. 211-1 et suivants du code des assurances), ainsi que par des bicyclettes, même lorsqu’elles sont tenues à la main ».

Le PAOS permet de régler, par la voie amiable (consacrée par les articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale), les recours des caisses de sécurité sociale auprès des assureurs. Il prévoit, à cet effet, le traitement des litiges par des mécanismes et organes internes au protocole, auxquels les parties s’obligent à recourir, s’interdisant toute autre procédure. Il a été jugé que le PAOS est inopposable à la victime (2e Civ., 5 octobre 2006, pourvoi no 04-11.581, Bull. 2006, II, no 251) ou à son employeur (Soc., 31 octobre 2002, pourvoi no 01-20.903, Bull. 2002, V, no 334).

Par le passé, la Cour de cassation n’avait jamais été saisie de la question du champ d’application de ce protocole.

Au cas particulier, un salarié d’une société de transport avait été victime d’un accident mortel alors qu’il participait, sur le site exploité par une autre entreprise, au chargement de tuyaux en fonte, soulevés par un cariste à l’aide d’un chariot élévateur. La caisse primaire d’assurance maladie (la caisse) avait saisi un tribunal de son recours exercé contre les assureurs de la société reconnue coupable d’homicide involontaire au motif que cet accident, occasionné par un engin de levage utilisé comme machine-outil, relevait des règles de droit commun et non du PAOS, dont l’application était limitée, selon elle, aux seuls « accidents de la circulation », au sens de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation. L’arrêt attaqué par le pourvoi n’a pas suivi ce raisonnement et, estimant que le protocole d’accord conclu entre assureurs et organismes sociaux devait trouver à s’appliquer, a rejeté son recours.

Le premier moyen du pourvoi formé par la caisse, tiré de la violation de la loi, critique l’interprétation du protocole retenue par la cour d’appel comme s’appliquant à tous les accidents causés par des véhicules terrestres à moteur soumis à l’obligation d’assurance, ce qui était le cas, en l’espèce, du chariot élévateur.

Toutefois, les questions préalables posées par ce pourvoi étaient celles, liées, de la nature juridique de l’accord en cause et de l’office du juge de cassation dans le contrôle qu’il est appelé à exercer sur l’interprétation de ses stipulations. Dit autrement, au regard de la nature du protocole considéré, l’interprétation de ses stipulations définissant son champ d’application relève-t-elle ou non du contrôle de la Cour de cassation ?

Il est, en effet, constant que l’interprétation d’un engagement de droit privé, qui n’a d’effet qu’entre les parties, et non à l’égard des tiers, constitue une question de fait que la Cour de cassation laisse à l’appréciation souveraine des juges du fond, sous la réserve habituelle, toutefois, que ne soient pas dénaturés les termes clairs et précis du contrat. On soulignera qu’aucun grief de dénaturation n’était formulé en l’occurrence.

Il est vrai que la Cour de cassation exerce un contrôle approfondi sur l’interprétation des conventions collectives et des accords collectifs (Ass. plén., 23 octobre 2015, pourvoi no 13-25.279, Bull. 2015, Ass. plén., no 6, publié au Rapport annuel ; pour un accord collectif de branche professionnelle, relatif au régime de prévoyance des intérimaires non-cadres, 2e Civ., 6 mai 2021, pourvoi no 19-22.033). Pour autant, ce contrôle s’explique par leur « double » nature : contractuelle au stade de leur élaboration ; normative en ce qu’ils ont vocation à s’appliquer à des sujets de droit qui ne sont pas regardés comme parties ou représentés à l’accord.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par l’arrêt commenté, rendu dans une formation de jugement réunissant deux de ses sections (section de la protection sociale et section de la responsabilité civile extracontractuelle et des assurances) a retenu que l’accord en cause constituait une convention dépourvue de valeur normative. Elle en a déduit que c’était dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation des conventions que la cour d’appel avait décidé que l’accord liant les parties s’appliquait aux accidents causés par des véhicules terrestres à moteur soumis à l’obligation d’assurance.

Assurance (règles générales) – Garantie – Exclusion – Exclusion formelle et limitée – Définition – Exclusion – Cas – Clause faisant référence à « autres mal de dos »

2e Civ., 17 juin 2021, pourvoi no 19-24.467, publié au Bulletin, rapport de Mme Bouvier et avis de M. Grignon Dumoulin

Il résulte de l’article L. 113-1 du code des assurances que les exclusions de garantie doivent être formelles et limitées.

En conséquence, une clause d’exclusion de garantie, dès lors qu’elle mentionne : « et autre “mal de dos” » n’est pas formelle et limitée et ne peut recevoir application, peu important que l’affection dont est atteint l’assuré soit l’une de celles précisément énumérées à la clause.

Par cet arrêt publié, rendu le 17 juin 2021 en formation de section, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, après avoir rappelé qu’il résulte de l’article L. 113-1 du code des assurances que les exclusions de garantie doivent être formelles et limitées, a jugé qu’en conséquence, une clause d’exclusion de garantie, dès lors qu’elle mentionne : « et autre “mal de dos” », n’est pas formelle et limitée et ne peut recevoir application, peu important que l’affection dont est atteint l’assuré soit l’une de celles précisément énumérées à la clause.

En l’espèce, un agriculteur avait souscrit, pour les besoins de sa profession, quatre emprunts auprès d’une banque et adhéré à l’assurance de groupe souscrite par cette dernière auprès d’un assureur, garantissant notamment le risque d’invalidité absolue et définitive. À la suite d’un accident du travail ayant provoqué des hernies discales avec lombo-sciatalgie et empêché la poursuite par l’assuré de son activité professionnelle, l’assureur, invoquant les exclusions de garantie relatives aux pathologies lombaires contractuellement prévues, avait refusé la prise en charge des échéances des prêts. C’est dans ce contexte que l’assuré, contestant cette décision, avait assigné la banque et l’assureur devant un tribunal de grande instance.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a censuré la cour d’appel, qui pour dire l’assureur fondé à dénier sa garantie, avait considéré que dans la clause excluant « les incapacités et invalidités (qu’elles soient temporaires, permanentes, définitives et/ou absolues) qui résultent de lombalgie, de sciatalgie, dorsalgie, cervicalgie et autre “mal au dos” […] », seule l’expression « et autre mal au dos » n’était pas formelle et limitée et « qu’une fois expurgée de cette expression maladroite et imprécise inopposable à l’assuré », elle redevenait, ainsi que le soutenait l’assureur, parfaitement claire, formelle et limitée, pour le restant, et que, dès lors que l’assuré déclarait un sinistre avec lombo-sciatalgie droite, cette pathologie entrait nécessairement dans le champ contractuel de la clause d’exclusion litigieuse.

La cassation est prononcée au motif, rappelé ci-dessus, qu’en statuant ainsi, alors que la clause n’est pas formelle et limitée et ne peut recevoir application, peu important que l’affection dont est atteint l’assuré soit l’une de celles précisément énumérées à la clause, la cour d’appel a violé l’article L. 113-1 du code des assurances.

La loi no 81-5 du 7 janvier 1981 relative au contrat d’assurance et aux opérations de capitalisation a entendu encadrer, afin d’améliorer la protection et l’information des consommateurs[15], les relations contractuelles « structurellement déséquilibrées »[16] dans des contrats, pour la majorité des cas, d’adhésion, en subordonnant la validité des exclusions de garantie à de strictes conditions de fond et de forme. Ainsi, l’alinéa 1 de l’article L. 113-1 du code des assurances impose, depuis 1981, que les exclusions prévues par le contrat soient formelles et limitées et l’article L. 112-4 du même code, qu’elles soient mentionnées en caractères très apparents dans la police.

La jurisprudence s’est inscrite, de longue date, dans l’objectif assigné par cette législation de caractère impératif. Ainsi, une clause d’exclusion, pour être formelle et limitée, doit se référer à des faits, circonstances ou obligations définis avec précision, de telle sorte que l’assuré puisse connaître exactement l’étendue de sa garantie (1re Civ., 20 juillet 1994, pourvoi no 92-16.078, Bull. 1994, I, no 256 ; 1re Civ., 13 novembre 2002, pourvoi no 99-15.808). C’est ainsi, encore, que la clause doit se référer à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées (2e Civ., 15 janvier 2015, pourvoi no 13-19.405 ; 2e Civ., 5 février 2015, pourvoi no 14-10.507 ; 2e Civ., 19 mai 2016, pourvoi no 15-18.477).

Les exclusions de garantie ne peuvent, en outre, être tenues pour formelles et limitées dès lors qu’elles doivent être interprétées (1re Civ., 22 mai 2001, pourvoi no 99-10.849, Bull. 2001, I, no 140, publié au Rapport annuel ; 3e Civ., 27 octobre 2016, pourvoi no 15-23.841, Bull. 2016, III, no 140 ; 2e Civ., 27 avril 2017, pourvoi no 16-15.721 ; 2e Civ., 26 novembre 2020, pourvoi no 19-16.435, publié au Bulletin).

Enfin, les clauses exclusives de garantie, fussent-elles claires et précises, ne sauraient aboutir, sans retirer son objet au contrat d’assurance, à annuler dans sa totalité la garantie stipulée (1re Civ., 17 février 1987, pourvoi no 85-15.350, Bull. 1987, I, no 55 ; 1re Civ., 21 mai 1990, pourvoi no 87-16.299, Bull. 1990, I, no 114 ; 2e Civ., 5 juin 2008, pourvoi no 07-16.045 ; 2e Civ., 20 mars 2008, pourvoi no 06-11.763).

La sanction de la non-conformité aux exigences de l’article L. 113-1 du code des assurances est la nullité de la clause d’exclusion de garantie (3e Civ., 26 novembre 2003, pourvoi no 01-16.126, Bull. 2003, III, no 205) quand bien même certains arrêts, qui ne se déterminaient pas directement sur la nature de la sanction appliquée, ont pu faire mention de son « inopposabilité » sinon même ne pas contenir d’indication sur la nature de la sanction encourue.

La question qui était posée à la Cour de cassation dans l’arrêt ici commenté se présentait dans les termes suivants : l’annulation qui sanctionne une clause d’exclusion de garantie ne pouvant être regardée comme formelle et limitée, se bornait-elle aux seules dispositions qui, au sein même de la clause concernée, n’étaient pas conformes aux exigences de la loi ou s’étendait-elle à l’intégralité de cette clause ?

Au plan européen, dans le contentieux des clauses abusives, par un arrêt rendu en grande chambre le 26 mars 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), en réponse à des questions préjudicielles qui lui avaient été soumises, a apporté des éléments très substantiels de réponse à cette interrogation.

Elle a jugé, d’une part, que les articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doivent être interprétés en ce sens, tout d’abord, qu’ils « s’opposent à ce qu’une clause d’échéance anticipée d’un contrat de prêt hypothécaire jugée abusive soit maintenue en partie, moyennant la suppression des éléments qui la rendent abusive, lorsqu’une telle suppression reviendrait à réviser le contenu de ladite clause en affectant sa substance ». Ainsi, selon la CJUE, « s’il était loisible au juge national de réviser le contenu des clauses abusives figurant dans un tel contrat, une telle faculté serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de l’objectif à long terme visé à l’article 7 de la directive » précitée. En effet, une telle faculté contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application des clauses abusives à l’égard du consommateur, dans la mesure où ces professionnels seraient alors tentés d’user de ces clauses. Par ailleurs et quand bien même les clauses considérées devaient être invalidées, le juge national conserverait la faculté de compléter le contrat dans la mesure nécessaire pour garantir l’intérêt des professionnels concernés.

D’autre part, s’inscrivant dans cette logique protectrice de la partie la plus faible, la CJUE a jugé que ces mêmes articles ne s’opposent toutefois pas « à ce que le juge national remédie à la nullité d’une telle clause abusive en y substituant la nouvelle rédaction de la disposition législative qui a inspiré cette clause, applicable en cas d’accord des parties au contrat », mais seulement si le contrat en cause ne peut subsister en cas de suppression de ladite clause abusive et s’il est établi que l’annulation de ce contrat, dans son ensemble, exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables (CJUE, arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria, C-70/17 et C-179/17).

En droit interne des sociétés, il résulte de l’article 1844-10, alinéa 2, du code civil que toute clause statutaire, contraire à une disposition impérative de l’article 1844 du même code, est réputée non écrite. Il est constant que la sanction porte non seulement sur la disposition illicite, mais sur l’ensemble de la clause. Ce principe s’impose au juge qui ne peut, dès lors, choisir d’écarter la disposition litigieuse et d’appliquer ce qui subsisterait de la clause (Com., 9 juillet 2013, pourvoi no 11-27.235, Bull. 2013, IV, no 123 ; Com., 9 juillet 2013, pourvoi no 12-21.238, Bull. 2013, IV, no 124).

En droit des assurances, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a récemment jugé que la clause imposant à l’assuré, à peine de déchéance, de déclarer le sinistre dans un délai plus bref que le délai minimum prévu à l’article L. 113-2, 4o, du code des assurances n’est pas opposable à l’assuré. Elle a ainsi exclu que le juge du fond puisse « corriger » ou « réviser » (ce dernier terme est utilisé par la CJUE[17]) la clause, en substituant au délai illicite, le délai minimum légal (2e Civ., 21 janvier 2021, pourvoi no 19-13.347, publié au Bulletin).

En revanche, peu d’arrêts de la Cour de cassation, avaient, avant la décision commentée, traité de la question spécifique de l’application « distributive », ou non, de la sanction de nullité des dispositions d’une clause exclusive de garantie.

Si certaines de ses décisions avaient pu être interprétées comme validant des clauses contenant des causes d’exclusion ne satisfaisant pas aux exigences légales (notamment, 2e Civ., 24 septembre 2020, pourvoi no 19-19.483 ; 2e Civ., 24 septembre 2020, pourvoi no 19-19.484), pour autant, elles n’avaient pas statué expressément sur cette question.

Invitée par le pourvoi à trancher explicitement ce point de droit, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par l’arrêt du 17 juin 2021, commenté, a décidé qu’une clause d’exclusion contenant des causes d’exclusion ne satisfaisant pas aux exigences de l’article L. 113-1 du code des assurances est nulle dans sa globalité.

Cette décision, par une approche similaire à celle mise en œuvre par la CJUE dans le domaine des clauses abusives, prend en compte les exigences de protection des consommateurs affirmées par le législateur national et les normes européennes. Elle est de nature à assurer tant l’effet dissuasif que l’effet incitatif de la sanction de l’annulation.

Assurance de personnes – Assurance-vie – Contrat d’assurance sur la vie – Clauses abusives – Caractère abusif – Office du juge – Étendue – Détermination – Portée

2e Civ., 14 octobre 2021, pourvoi no 19-11.758, publié au Bulletin, rapport de Mme Bouvier et avis de M. Grignon Dumoulin

La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08).

Selon l’article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Dès lors, viole ces dispositions la cour d’appel qui ne procède pas à une telle recherche, alors qu’il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle, d’une part, que la clause litigieuse du contrat collectif d’assurance sur la vie définissait l’objet principal du contrat, en ce qu’elle prévoyait les modalités de la transformation en rente de l’épargne constituée par l’adhérent, d’autre part, qu’elle renvoyait, sans autre précision, au « tarif en vigueur », de sorte qu’il lui incombait d’examiner d’office la conformité de cette clause aux dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives en recherchant si elle était rédigée de façon claire et compréhensible et permettait à l’adhérent d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlaient pour lui, et, dans le cas contraire, si elle n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du non-professionnel ou consommateur.

Selon l’article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a dit pour droit que « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès [lors] qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet » et que, « lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose » (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08).

Au regard de cette jurisprudence, la Cour de cassation doit-elle relever d’office un moyen tiré du caractère abusif d’une clause contractuelle lorsqu’elle estime disposer de tous les éléments nécessaires à cet effet ?

C’est à cette question que répond l’arrêt commenté, rendu, en formation de section, par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

Le droit interne sur les clauses abusives est, pour l’essentiel, issu d’une transposition de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, modifiée en 2011 par la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs.

Les dispositions de l’article L. 212-1 du code de la consommation s’appliquent aux relations contractuelles liant l’adhérent et l’assureur dans un contrat d’assurance de groupe (1re Civ., 4 juillet 2019, pourvoi no 18-10.077, publié au Bulletin).

Il est de jurisprudence constante qu’une clause, qui ne répond pas aux exigences de clarté tant formelle que substantielle de l’article L. 132-1, alinéa 7, devenu L. 212-1, alinéa 3, du code de la consommation, peut être déclarée abusive alors même qu’elle définit l’objet principal du contrat (1re Civ., 14 avril 2016, pourvoi no 15-19.107 ; 1re Civ., 24 octobre 2019, pourvoi no 18-12.255, publié au Bulletin).

Le juge est tenu de rechercher d’office si une telle clause n’a pas pour objet ou effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur (CJUE, arrêt du 14 mars 2013, Aziz, C-415/11).

Sont considérées comme abusives les clauses qui confèrent un pouvoir unilatéral au professionnel (2e Civ., 22 février 2007, pourvois no 05-19.754 et no 05-19.954, Bull. 2007, II, no 41; 2e Civ., 11 septembre 2014, pourvoi no 13-19.497 ; 1re Civ., 14 novembre 2006, pourvoi no 04-15.646, Bull. 2006, I, no 488 ; 1re Civ., 10 avril 2019, pourvoi no 17-20.722).

Au cas particulier, la clause litigieuse du contrat collectif d’assurance sur la vie, auquel avait adhéré, le 7 octobre 2003, un médecin, afin de se constituer un complément de retraite par capitalisation, stipulait : « […] l’épargne constituée à la date de la transformation en rente détermine le capital constitutif de la rente. Le montant de la rente est alors calculé selon le tarif en vigueur à la date de transformation en rente et les options choisies au titre des garanties proposées ».

À la date de cette adhésion, la table de référence était la table de rente TGH05, fondée sur la distinction des espérances de vie moyennes des hommes et des femmes.

En décembre 2013, l’assuré a constaté une baisse du montant de la rente annuelle susceptible de lui être versée, résultant de l’application par l’assureur, à compter du 12 décembre 2012, d’une table dite « unisexe », en substitution à la table d’espérance de vie différenciée (TGH05). Pour justifier de cette modification unilatérale et qui n’avait donné lieu à aucune information préalable, l’assureur invoquait la référence contractuelle au « tarif en vigueur à la date de transformation en rente » et la mise en conformité des tables de conversion avec le principe de non-différenciation entre les hommes et les femmes (directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004, transposée en droit français par la loi no 2007-1774 du 17 décembre 2007 et la loi no 2013-672 du 26 juillet 2013, adoptée après l’arrêt du 1er mars 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, arrêt du 1er mars 2011, Association Belge des Consommateurs Test-Achats e. a., C-236/09)).

Au demeurant, les dispositions nouvelles de l’article L. 111-7 du code des assurances, invoquées par l’assureur, ne sont pas applicables aux contrats d’assurance de groupe conclus ou aux adhésions réalisées avant le 21 décembre 2007. Or, tel était le cas, en la circonstance.

Les juridictions du fond, de première instance et d’appel, saisies par l’assuré, ont rejeté ses demandes de paiement d’un tarif de rente évalué sur la base de la table de rente TGH05 et de dommages-intérêts pour non-respect, par l’assureur, de son obligation d’information.

L’assuré n’invoquant pas, au soutien de son pourvoi, un moyen tiré du caractère abusif de la clause litigieuse, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est interrogée sur la possibilité pour elle de relever d’office un tel moyen, au regard tant de la jurisprudence de la CJUE que de la spécificité de l’office du juge de cassation.

Après avoir recueilli, dans les conditions prévues à l’article 1015-1 du code de procédure civile, l’avis de la première chambre civile de la Cour de cassation, qui connaît, notamment, du contentieux de la consommation, la deuxième chambre civile juge, par l’arrêt commenté, qui est de principe, que, dès lors qu’elle constate que des éléments de fait et de droit en faveur du caractère abusif d’une clause contractuelle, ont été débattus devant les juges du fond, la Cour de cassation peut relever d’office le moyen tiré du défaut d’examen d’office du caractère abusif de cette clause.

La Cour de cassation vérifie ainsi, d’office, le respect, par le juge du fond, du contrôle qui incombe à ce dernier à cet égard. Elle n’en préserve pas moins, en l’absence de débat préalable devant les juges du fond sur ce point, la discussion de fait à laquelle ce moyen serait susceptible de donner lieu et, le cas échéant, les mesures d’instruction que son examen rendrait nécessaires.

C’est ainsi qu’après avoir relevé d’office le moyen tiré du caractère abusif de la clause litigieuse, la haute juridiction retient qu’il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant la juridiction d’appel, d’une part, que cette clause d’un contrat collectif d’assurance sur la vie définissait l’objet principal du contrat, en ce qu’elle prévoyait les modalités de la transformation en rente de l’épargne constituée par l’adhérent, d’autre part, qu’elle renvoyait, sans autre précision, au « tarif en vigueur », la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle qu’il incombait à la cour d’appel d’examiner d’office la conformité de cette clause aux dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives en recherchant si elle était rédigée de façon claire et compréhensible et permettait à l’adhérent d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlaient pour lui, et, dans le cas contraire, si elle n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du non-professionnel ou consommateur. Elle prononce, en conséquence, une cassation, avec renvoi, de l’arrêt attaqué pour violation des dispositions de l’article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation.

2. Responsabilité civile

Accident de la circulation – Véhicule terrestre à moteur – Définition – Exclusion – Fauteuil roulant électrique

2e Civ., 6 mai 2021, pourvoi no 20-14.551, publié au Bulletin, rapport de M. Besson et avis de M. Gaillardot

Il résulte des articles 1, 3 et 4 de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985, tels qu’interprétés à la lumière des objectifs assignés aux États par les articles 1, 3 et 4 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées adoptée le 13 décembre 2006, qu’un fauteuil roulant électrique, dispositif médical destiné au déplacement d’une personne en situation de handicap, n’est pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985.

La Cour de cassation a été saisie, à la suite d’un accident de la circulation dont avait été victime une personne en situation de handicap, d’un pourvoi formé par celle-ci contre la décision d’une cour d’appel qui, relevant que l’accident s’était produit alors qu’elle traversait la chaussée publique en fauteuil roulant électrique, a retenu qu’elle avait la qualité de conductrice d’un véhicule terrestre à moteur, et jugé qu’elle avait commis une faute qui était de nature à réduire son droit à indemnisation.

Pour parvenir à cette conclusion, la cour d’appel avait relevé qu’un fauteuil roulant électrique était « muni d’un système de propulsion motorisée, d’une direction, d’un siège et d’un dispositif d’accélération et de freinage », qu’il avait « vocation à circuler de manière autonome », et qu’il répondait « à la définition que l’article L. 211-1 du code des assurances donne du véhicule terrestre à moteur : “tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée” ».

À l’occasion de son pourvoi, la victime a présenté une question prioritaire de constitutionnalité interrogeant la conformité à la Constitution des articles 3 et 4 de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, en ce qu’ils « n’excluent pas de la catégorie des victimes conductrices d’un véhicule terrestre à moteur les personnes handicapées circulant sur un fauteuil roulant électrique ».

Par un arrêt du 1er octobre 2020 (2e Civ., 1er octobre 2020, QPC no 20-14.551), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a décidé qu’il n’y avait pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, au motif « que l’incompétence négative du législateur invoquée n’affecte aucun des droits ou libertés garantis par la Constitution, visés par la question, en l’absence d’interprétation jurisprudentielle constante des dispositions législatives contestées, dont il résulterait qu’un fauteuil roulant électrique est un véhicule terrestre à moteur au sens et pour l’application des articles 1er, 3 et 4 de la loi du 5 juillet 1985 ».

Cette motivation, qui soulignait ainsi l’absence d’une jurisprudence établie attribuant aux fauteuils roulants électriques la qualité de véhicules terrestres à moteur au sens de l’article 1er de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 précitée, mettait en lumière l’enjeu du pourvoi critiquant précisément l’arrêt de la cour d’appel en sa disposition décidant que ces moyens de déplacement relèvent d’une telle qualification.

Reposant sur l’affirmation opposée, selon laquelle « une personne handicapée qui se dépla[ce] à l’aide d’un fauteuil roulant électrique [ne peut être qualifiée de conductrice d’un véhicule terrestre à moteur] », les critiques du pourvoi se fondaient notamment sur la violation des articles 2, 5 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui assurent, sans distinction fondée sur le handicap, le droit à la vie et le droit à la sûreté, des articles 3 et 4 de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 précitée et de l’article R. 412-34 du code de la route, et invoquaient la Convention relative aux droits des personnes handicapées adoptée le 13 décembre 2006.

Pour répondre à la question qui lui était posée, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est principalement fondée sur les objectifs poursuivis par la loi no 85-677 du 5 juillet 1985.

Elle a ainsi observé que le législateur, en instaurant, par ce texte, un dispositif d’indemnisation sans faute, visant à prendre en considération les risques associés à la circulation des véhicules motorisés, avait entendu réserver une protection particulière à certaines catégories d’usagers de la route particulièrement exposés à ces risques, tels les piétons, les passagers transportés, les enfants, les personnes âgées, de même que les personnes en situation de handicap.

Tant de l’intention du législateur, ainsi mise à jour, que de l’interprétation des articles 1er, 3 et 4 de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 précitée effectuée à la lumière des articles 1, 3 et 4 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la France le 18 février 2010, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a déduit qu’un fauteuil roulant électrique, qui est un dispositif médical destiné au déplacement des personnes en situation de handicap, n’est pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985.

Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle – Dommage – Réparation – Préjudice économique – Perte de gains professionnels futurs – Préjudice distinct – Incidence professionnelle – Portée

2e Civ., 6 mai 2021, pourvois no 19-23.173 et no 20-16.428, publié au Bulletin, rapport de Mme Bouvier et avis de M. Grignon Dumoulin

Le préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail est indemnisable au titre de l’incidence professionnelle.

Par cet arrêt, publié et rendu en formation de section, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme la dimension extrapatrimoniale du poste de préjudice de l’incidence professionnelle.

La nomenclature dite « Dintilhac » a défini l’incidence professionnelle comme un poste de préjudice, à caractère définitif, distinct de la perte de gains professionnels futurs et ayant pour objet d’indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle (telles que la dévalorisation sur le marché du travail, la perte d’une chance professionnelle, l’augmentation de la pénibilité de l’emploi occupé par la victime, la nécessité d’abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage pour une autre en raison de la survenance de son handicap, les frais de reclassement professionnel, de formation ou tous frais imputables au dommage et nécessaires à un retour de la victime dans la sphère professionnelle, l’indemnisation de la perte de retraite subie en raison du handicap).

La question posée à la Cour de cassation, à l’occasion du pourvoi formé par M. P., devenu inapte à toute activité professionnelle du fait de l’accident dont il avait été victime, était celle de savoir si, dans une telle hypothèse, une incidence professionnelle pouvait être retenue, au-delà de l’indemnisation des pertes de gains professionnels futurs.

Une partie de la doctrine s’y déclarait défavorable, affirmant qu’en cas d’impossibilité de pratiquer toute activité professionnelle, la réparation des pertes de gains professionnels futurs devait, par définition, exclure l’attribution d’une incidence professionnelle, en l’absence de dévalorisation sur le marché du travail ou de pénibilité accrue dans l’exercice de la profession.

Certains auteurs étaient, en revanche, d’avis que l’incidence professionnelle existe, même lorsque la victime ne peut plus travailler et qu’elle est indemnisée intégralement de ses pertes de gains professionnels futurs, dans la mesure où, en raison de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve d’occuper un emploi, elle subit « la perte d’une certaine identité sociale, la dévalorisation de soi et même l’exclusion plus ou moins forte du corps social »[18].

La Cour de cassation avait, certes, affirmé que l’indemnisation, sous la forme d’une rente viagère, de la perte des gains professionnels futurs d’une victime privée de toute activité professionnelle pour l’avenir, faisait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l’incidence professionnelle (2e Civ., 13 septembre 2018, pourvoi no 17-26.011, Bull. 2018, II, no 179) et qu’il en allait de même pour une victime, mineure à la date de l’accident (2e Civ., 7 mars 2019, pourvoi no 17-25.855, publié au Bulletin).

Elle avait, en revanche, admis une indemnisation supplémentaire, au titre de l’incidence professionnelle de la victime privée de toute activité professionnelle dans le cas où la perte de gains professionnels futurs avait été indemnisée par l’allocation d’une rente temporaire, et non plus viagère (2e Civ., 13 décembre 2018, pourvoi no 17-28.019), ou au regard de la faiblesse des droits à la retraite constitués avant la survenue de l’accident (1re Civ., 11 juillet 2018, pourvoi no 17-22.756).

Par ailleurs, la chambre criminelle de la Cour de cassation a retenu l’indemnisation distincte d’une incidence professionnelle, découlant de la situation d’anomalie sociale dans laquelle se trouvait la victime du fait de son inaptitude à reprendre un quelconque emploi (Crim., 28 mai 2019, pourvoi no 18-81.035).

Le Conseil d’État, pour sa part, ne s’est pas encore prononcé par une décision de principe. Dans ses conclusions prises en 2018, dans un litige opposant des victimes à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), le rapporteur public souligne le fait que le juge administratif paraît réticent à entrer dans la logique de la dimension extrapatrimoniale de l’incidence professionnelle et privilégie, pour l’heure, l’indemnisation de ce préjudice au titre des troubles dans les conditions d’existence ou encore du préjudice moral (CE, 30 mars 2018, no 408052, mentionné aux tables du Recueil Lebon; CE, 30 mars 2018, no 408199). Toutefois, par une décision rendue le 17 avril 2019, il semble admettre, a contrario, la possibilité de retenir une incidence professionnelle, certes au titre d’une perte de chance, pour la victime, devenue incapable d’exercer une profession quelconque, qui justifie de chances sérieuses de promotion « dont la privation lui ouvrirait droit à réparation au titre d’une incidence professionnelle » (CE, 17 avril 2019, no 410016, point 3).

Par son arrêt du 6 mai 2021, ici commenté, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation consacre une acception extensive de l’incidence professionnelle, en incluant dans celle-ci le préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime en raison de son inaptitude définitive à occuper un emploi.

3. Sécurité sociale

Sécurité sociale, accident du travail – Faute inexcusable de l’employeur – Procédure – Action de la victime – Action récursoire de la caisse – Action directe contre l’assureur de l’employeur – Prescription – Délai – Détermination

2e Civ., 10 novembre 2021, pourvoi no 20-15.732, publié au Bulletin, rapport de Mme Coutou et avis de M. de Monteynard

Il résulte de la combinaison des articles 2224 du code civil, L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-4, alinéa 3, du code de la sécurité sociale et L. 124-3 du code des assurances qu’en l’absence de texte spécifique, l’action récursoire de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) à l’encontre de l’employeur, auteur d’une faute inexcusable, se prescrit par cinq ans, en application de l’article 2224 du code civil, et que l’action directe de la caisse à l’encontre de l’assureur de l’employeur se prescrit par le même délai et ne peut être exercée contre l’assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré.

En application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la caisse primaire d’assurance maladie récupère auprès de celui-ci les compléments de rente et indemnités versés par elle à la victime.

L’article L. 452-4 du code de la sécurité sociale prévoit que l’employeur peut s’assurer contre les conséquences financières de sa faute inexcusable.

Ces dispositions ont amené la deuxième chambre civile de la Cour de cassation à admettre l’action directe de la caisse contre l’assureur de l’employeur auteur d’une faute inexcusable.

Cette création jurisprudentielle est aujourd’hui reprise par l’article L. 124-3 du code des assurances, qui prévoit que le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable (Soc., 7 avril 1994, pourvoi no 92-10.324, Bull. 1994, V, no 143 ; Soc., 19 octobre 2000, pourvoi no 98-17.811, Bull. 2000, V, no 339 ; 2e Civ., 31 mai 2006, pourvoi no 04-10.127, Bull. 2006, II, no 144 ; 2e Civ., 21 juin 2006, pourvoi no 04-12.487, Bull. 2006, II, no 163).

Les dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale étant d’application stricte, et limitées aux seuls cas qu’elles prévoient, la deuxième chambre civile, et avant elle, la chambre sociale, ont jugé que la courte prescription de l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale ne s’applique qu’aux actions de la victime ou de ses ayants droits, l’action en récupération de la caisse contre l’employeur étant, quant à elle, soumise à la prescription de droit commun, alors trentenaire. La même prescription de droit commun a été jugée applicable à l’action directe de la caisse contre l’employeur (mêmes arrêts que ceux précédemment cités).

Si le fondement de l’action de la caisse contre l’employeur relève de la loi et, plus spécialement des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la nature de cette action a donné lieu à des jurisprudences divergentes, différentes décisions la qualifiant de subrogatoire, quand d’autres font état d’une action récursoire ou encore en remboursement.

En particulier, dans un arrêt du 31 mai 2006 (2e Civ., 31 mai 2006, pourvoi no 04-10.127, Bull. 2006, II, no 144), la deuxième chambre civile a justifié l’action directe de la caisse contre l’employeur par le fait que celle-ci serait « subrogée » dans les droits de la victime, qu’elle a indemnisée.

Si la jurisprudence retient que l’action directe de la victime contre l’assureur emprunte le régime de prescription de son action contre le responsable assuré, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 21 juin 2006 (2e Civ., 21 juin 2006, pourvoi no 04-12.487, Bull. 2006, II, no 163), intervenu à une date très rapprochée de celui ci-dessus évoqué, a maintenu que la prescription applicable était celle de droit commun. Pour se déterminer en ce sens, la chambre liait l’exercice de l’action directe à l’action en récupération de l’organisme social en retenant qu’elle résulte de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale et, qu’en l’absence de dispositions particulières, elle était soumise à la prescription trentenaire de droit commun.

Toutefois, cette position était loin d’être unitaire puisqu’un arrêt du 22 novembre 2018 (2e Civ., 22 novembre 2018, pourvoi no 17-16.480), a soumis tant l’action de la caisse contre l’employeur, que celle de la société de travail temporaire, employeur, à l’encontre de l’assureur de l’entreprise utilisatrice, à la prescription biennale, applicable à l’action directe de la victime « dans les droits de laquelle l’entreprise de travail temporaire et l’organisme de sécurité sociale sont subrogés ».

C’est pour mettre fin à ces divergences que par un arrêt de sections réunies, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé qu’il résultait de la combinaison des articles 2224 du code civil, L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-4, alinéa 3, du code de la sécurité sociale et L. 124-3 du code des assurances, qu’en l’absence de texte spécifique, l’action récursoire de la caisse à l’encontre de l’employeur, auteur d’une faute inexcusable, se prescrit par cinq ans en application de l’article 2224 du code civil et que l’action directe de la caisse à l’encontre de l’assureur de l’employeur se prescrit par le même délai et ne peut être exercée contre l’assureur, au-delà de ce délai, que tant que l’assureur reste exposé au recours de son assuré.

Sécurité sociale, allocation vieillesse pour personnes non salariées – Contribution de solidarité – Régime de la loi no 70-13 du 3 janvier 1970 – Assiette – Chiffre d’affaires – Abattement forfaitaire – Cas – Fusion ou absorption de la société

2e Civ., 25 novembre 2021, pourvoi no 20-16.979, publié au Bulletin, rapport de Mme Vigneras et avis de M. Gaillardot

Il résulte de la combinaison des articles L. 651-3, alinéa 1, L. 651-5, alinéa 1, et D. 651-14, alinéa 1, du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction alors en vigueur, qu’en cas de fusion ou d’absorption, la société absorbante ou la nouvelle société résultant de la fusion est redevable de la contribution sociale de solidarité (C3S) assise sur le cumul des chiffres d’affaires réalisés par elle-même et les sociétés ou entreprises absorbées ou fusionnées durant l’année au cours de laquelle est intervenue cette opération, déduction faite, de ce chiffre d’affaires global, de l’abattement prévu par l’article L. 651-3.

Viole ces textes une cour d’appel qui retient que la société absorbante est redevable de la C3S assise sur le cumul des chiffres d’affaires réalisé par elle-même et les sociétés absorbées durant l’année au cours de laquelle est intervenue l’opération, déduction faite, de chacun des chiffres d’affaires, de l’abattement prévu par l’article L. 651-3.

Par cet arrêt, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation définit les modalités de détermination de l’assiette de la contribution sociale de solidarité (C3S) en cas de fusion ou d’absorption de sociétés ou entreprises.

L’article L. 651-3 du code de la sécurité sociale, transféré à l’article L. 137-32 du même code par l’ordonnance no 2018-470 du 12 juin 2018 procédant au regroupement et à la mise en cohérence des dispositions du code de la sécurité sociale applicables aux travailleurs indépendants, définit l’assiette de la C3S. Dans sa rédaction issue de la loi no 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, applicable au litige, il énonce :

« La contribution sociale de solidarité est annuelle. Son fait générateur est constitué par l’existence de l’entreprise débitrice au 1er janvier de l’année au titre de laquelle elle est due. Son taux est fixé par décret, dans la limite de 0,13 %. Elle est assise sur le chiffre d’affaires défini à l’article L. 651-5 réalisé l’année précédant celle au titre de laquelle elle est due, après application d’un abattement égal à 19 millions d’euros. […] ».

L’article L. 651-5 du même code, devenu l’article L. 137-33, définit les modalités de détermination du chiffre d’affaires constituant l’assiette de la contribution :

« Les sociétés et entreprises assujetties à la contribution sociale de solidarité sont tenues d’indiquer annuellement à l’organisme chargé du recouvrement de cette contribution le montant de leur chiffre d’affaires global déclaré à l’administration fiscale, calculé hors taxes sur le chiffre d’affaires et taxes assimilées. De ce montant sont déduits, en outre, les droits ou taxes indirects et les taxes intérieures de consommation, versés par ces sociétés et entreprises, grevant les produits médicamenteux et de parfumerie, les boissons, ainsi que les produits pétroliers. […] ».

Enfin, l’article D. 651-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret no 2011-700 du 20 juin 2011 portant diverses dispositions relatives à la contribution sociale de solidarité des sociétés, devenu l’article D. 137-35 dudit code, prévoit des dispositions spécifiques en cas de fusion ou d’absorption de sociétés ou entreprises :

« En cas de fusion ou d’absorption de deux ou plusieurs sociétés ou entreprises, la société absorbante ou la nouvelle société résultant de la fusion est redevable, à la date mentionnée à l’article D. 651-9, de la contribution sociale de solidarité assise sur le chiffre d’affaires réalisé par toute société ou entreprise fusionnée ou absorbée durant l’année au cours de laquelle est intervenue cette opération.

Le changement de forme juridique d’une société ou entreprise ou toute autre modification de nature à entraîner une exonération de la contribution, restent sans effet sur son assujettissement à la contribution sociale de solidarité au titre du chiffre d’affaires réalisé jusqu’à la date de ce changement ou de cette modification. »

De l’articulation de ces textes, de nature législative et réglementaire, naît une double question : celle de la détermination du chiffre d’affaires constituant l’assiette de la C3S en cas de fusion ou d’absorption de sociétés d’une part, celle des modalités d’application de l’abattement prévu par l’article L. 651-3 du code de la sécurité sociale, dans cette même hypothèse, d’autre part.

Dans le litige soumis à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, la société requérante a, au cours de l’année 2016, absorbé deux autres sociétés, lesquelles ont été radiées au cours de la même année.

Sur instructions de l’URSSAF, la société absorbante s’est acquittée de la C3S calculée sur le chiffre d’affaires cumulé des trois sociétés (la société absorbante et les deux sociétés absorbées) après application de l’abattement de 19 millions d’euros prévu à l’article L. 651-3 du code de la sécurité sociale.

Elle a contesté ces modalités de calcul.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation censure le raisonnement par lequel la cour d’appel saisie du litige juge que le calcul de la C3S devait s’effectuer comme si chacune des sociétés absorbées avait survécu, bien que le paiement de la contribution ne soit dû que par la société absorbante, de sorte que cette dernière aurait été fondée à appliquer l’abattement prévu par l’article L. 651-3 du code de la sécurité sociale sur chacun des trois chiffres d’affaires cumulés.

En premier lieu, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation énonce que ce sont les chiffres d’affaires cumulés des sociétés absorbante et absorbées, réalisés durant l’année au cours de laquelle est intervenue l’opération de fusion ou d’absorption, qui doivent être pris en compte pour la détermination de l’assiette de la C3S. La circonstance que les sociétés absorbées n’existaient plus au 1er janvier de l’année au titre de laquelle la C3S était due n’y fait pas obstacle.

Cette règle est la simple application des dispositions de l’article D. 651-14 du code de la sécurité sociale qui définit explicitement l’assiette de la C3S en pareille hypothèse.

En second lieu, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation juge que la société absorbante ne peut appliquer qu’une seule fois, sur le chiffre d’affaires global résultant du cumul des chiffres d’affaires des sociétés absorbante et absorbées, l’abattement de 19 millions d’euros.

En effet, le seul texte relatif à cet abattement, l’article L. 651-3 du code de la sécurité sociale, qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte, ne prévoit qu’un abattement unique de 19 millions d’euros.

Il en résulte qu’en cas de fusion ou d’absorption, la société absorbante ou la nouvelle société résultant de la fusion est redevable de la C3S assise sur le cumul des chiffres d’affaires réalisés par elle-même et les sociétés ou entreprises absorbées ou fusionnées durant l’année au cours de laquelle est intervenue cette opération, déduction faite, de ce chiffre d’affaires global, de l’abattement prévu par l’article L. 651-3 du code de la sécurité sociale.

Sécurité sociale, allocation vieillesse pour personnes non salariées – Professions libérales – Pension – Avocat – Clause de stage – Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – Article 1er du Protocole additionnel no 1 – Conventionnalité – Détermination – Portée

2Civ., 12 mai 2021, pourvoi no 19-20.938, publié au Bulletin, rapport de Mme Vigneras et avis de M. Gaillardot

L’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu’une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

Le dispositif, dit de « clause de stage », du régime d’assurance vieillesse de base des avocats, résultant des articles L. 723-11 et R. 723-37, 3o, du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, prévoit que l’assuré qui ne justifie pas d’une durée d’assurance de soixante trimestres, a droit à une fraction de l’allocation aux vieux travailleurs salariés en fonction de cette durée.

En ne prévoyant le versement à l’assuré qui ne justifie pas d’une durée d’assurance de soixante trimestres, durée significative au regard de la durée d’une carrière professionnelle, que d’une fraction de l’allocation aux vieux travailleurs salariés, manifestement disproportionnée au regard du montant des cotisations mises à sa charge au cours de la période de constitution des droits, la « clause de stage », si elle contribue à l’équilibre financier du régime de retraite concerné, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti au regard du but qu’elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence.

Le pourvoi soumis à la Cour de cassation portait sur la détermination des droits à la retraite, au titre du régime d’assurance vieillesse de base, d’un avocat.

1. Le régime d’assurance vieillesse de base des avocats dans sa forme actuelle, est issu essentiellement du décret no 55-413 du 2 avril 1955 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi no 48-50 du 12 janvier 1948 relative aux droits de plaidoirie et du décret no 54-1253 du 22 décembre 1954 relatif à la Caisse nationale des barreaux. Il est géré par la Caisse nationale des barreaux français (CNBF), qui gère en outre les régimes obligatoires de retraite de base, de retraite complémentaire, d’invalidité décès et d’aide sociale des avocats et de leurs conjoints collaborateurs.

L’article L. 651-1 du code de la sécurité sociale prévoit l’affiliation de plein droit, à la CNBF, des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et de tous les avocats et avocats stagiaires en activité dans les barreaux de la métropole et des collectivités mentionnées à l’article L. 751-1.

La pension de retraite de base est calculée par référence à un taux plein correspondant à une durée d’assurance requise « tous régimes confondus ».

Lorsque l’intéressé a accompli la durée d’assurance fixée en application du deuxième alinéa de l’article L. 351-1 du code de la sécurité sociale, « tous régimes confondus », le montant de la pension de retraite est calculé en proportion de la durée d’assurance à la CNBF, selon les règles de coordination applicables, selon des modalités appropriées, entre les différents régimes d’assurance vieillesse.

2. Le régime comprenait en outre, jusqu’à son abrogation par la loi no 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017, un dispositif dit de « clause de stage », instaurant un seuil de durée d’assurance en deçà duquel l’avocat cotisant ne pouvait prétendre au versement d’une pension de retraite proportionnelle, mais obtenait une fraction de l’allocation aux vieux travailleurs salariés.

L’article L. 723-11 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi no 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, énonçait : « Les assurés ne justifiant pas d’une durée d’assurance déterminée ont droit à une fraction de l’allocation aux vieux travailleurs salariés mentionnée au chapitre Ier du titre Ier du livre VIII en fonction de cette durée. »

Cette « clause de stage » avait pour finalité d’inciter les carrières longues dans la profession d’avocat afin, notamment, d’assurer le financement du régime d’assurance vieillesse, alors financé essentiellement par les droits de plaidoirie.

C’est à ce titre qu’elle a été initialement fixée à trente ans, puis progressivement réduite, pour être fixée à soixante trimestres par l’article R. 723-37 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige, avant d’être totalement supprimée, afin de s’adapter à l’évolution des modalités d’exercice de la profession d’avocat, dans le cadre d’un fractionnement plus général des parcours professionnels.

L’allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS) était l’une des allocations de vieillesse non contributives de sécurité sociale composant le minimum vieillesse.

3. Le litige à l’origine du pourvoi soumis à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se rapportait, en l’espèce, à la détermination des droits à pension, au titre du régime d’assurance vieillesse de base, d’un avocat justifiant d’une durée d’assurance à ce régime de cinquante-huit trimestres. Faisant application du dispositif de la clause de stage, la CNBF a liquidé sa pension en lui accordant une fraction de l’allocation aux vieux travailleurs salariés, à concurrence de 58/60èmes.

Pour rejeter le recours de l’assuré, qui soutenait qu’il pouvait prétendre à une pension de retraite de 60/162èmes par l’application de dispositions des statuts de la CNBF relatives au calcul du nombre de trimestres, la cour d’appel a écarté ces dispositions statutaires, et, faisant application de la clause de stage, constaté que l’intéressé, qui ne justifiait pas d’une durée d’assurance de soixante trimestres, ne pouvait prétendre qu’à une fraction de l’allocation aux vieux travailleurs salariés.

4. À l’occasion du pourvoi formé devant la Cour de cassation, l’assuré a posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la méconnaissance, par l’article L. 723-11 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi no 2003-775 du 21 août 2003 précitée, du principe d’égalité devant la loi découlant de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en ce qu’il instituait entre les avocats, au regard de leur droit à pension de retraite, une différence de traitement manifestement hors de proportion avec leur différence de situation, en fonction d’une durée d’assurance déterminée par voie réglementaire, et, d’autre part, au droit au respect des biens tel qu’il est garanti par l’article 17 de la même Déclaration, en ce qu’il privait les avocats ayant cotisé pendant une durée jugée insuffisante de tout droit aux prestations auxquelles les cotisations versées donnaient vocation.

Par un arrêt du 13 février 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a renvoyé cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Par une décision du 20 mai 2020 (Cons. const., 20 mai 2020, décision no 2020-840 QPC, M. Emmanuel W. [Liquidation de la pension de retraite de base des avocats ne justifiant pas d’une durée d’assurance vieillesse suffisante]), le Conseil constitutionnel a déclaré l’article L. 723-11 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi no 2003-775 du 21 août 2003 précitée, conforme à la Constitution.

5. Décidant de procéder, conformément à son office, à un contrôle de conventionnalité du dispositif de la clause de stage résultant des dispositions des articles L. 723-11 et R. 723-37 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, la deuxième chambre civile a relevé d’office le moyen tiré de l’inconventionnalité de ces dispositions au regard des stipulations de l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Il résulte en effet de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que, si le droit à pension n’est pas garanti comme tel par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le droit à pension fondé sur l’emploi peut, dans certaines circonstances, donner naissance à un droit patrimonial entrant dans le champ de l’article 1er du Protocole précité.

C’est notamment le cas lorsque le droit de se voir attribuer une prestation sociale est lié au paiement de contributions et que ces contributions ont été versées : l’octroi de la prestation ne peut être refusé à l’intéressé (CEDH, arrêt du 22 octobre 2009, Apostolakis c. Grèce, no 39574/07, § 27 et 28; CEDH, arrêt du 3 mars 2011, Klein c. Autriche, no 57028/00).

S’inscrivant dans la perspective ainsi ouverte par la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation énonce que l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu’une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisations.

En l’espèce, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, au terme d’un contrôle de proportionnalité in abstracto, juge qu’en ne prévoyant le versement à l’assuré qui ne justifie pas d’une durée d’assurance de soixante trimestres, durée significative au regard de la durée d’une carrière professionnelle, que d’une fraction de l’allocation aux vieux travailleurs salariés, manifestement disproportionnée au regard du montant des cotisations mises à sa charge au cours de la période de constitution des droits, la « clause de stage », si elle contribue à l’équilibre financier du régime de retraite concerné, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti au regard du but qu’elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence.

Elle conclut ainsi à l’inconventionnalité des dispositions des articles L. 723-11 et R. 723-37 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, au regard des stipulations de l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Sécurité sociale, allocation vieillesse pour personnes non salariées – Généralités – Pension – Liquidation – Disposition s’opposant à la liquidation des retraites des assujettis n’ayant pas acquitté l’intégralité de leurs cotisations – Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – Article 1er du Protocole additionnel no 1 – Contrôle de proportionnalité – Cas – Non-prise en compte des paiements partiels

2e Civ., 25 novembre 2021, pourvoi no 20-17.234, publié au Bulletin, rapport de Mme Vigneras et avis de M. Gaillardot

L’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu’une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

Les articles L. 644-1 du code de la sécurité sociale et 2 du décret du 22 avril 1949 modifié relatif au régime d’assurance vieillesse complémentaire des médecins, d’une part, les articles L. 645-2 du code de la sécurité sociale et 2 du décret du 27 octobre 1972 modifié tendant à rendre obligatoire le régime des prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés, d’autre part, prévoient, qu’en dehors des cas qu’ils visent, seul le paiement intégral de la cotisation annuelle due au titre de chacun de ces régimes ouvre droit à l’attribution de points de retraite.

Pour la détermination des droits d’un assuré faisant l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif, au titre de ces régimes à caractère essentiellement contributif, l’exclusion des années durant lesquelles des cotisations n’ont pas été intégralement payées, sans aucune prise en compte des paiements partiels, si elle contribue à l’équilibre financier de ces régimes, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu’elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence.

Le pourvoi soumis à la Cour de cassation portait sur la détermination des droits à la retraite, au titre du régime d’assurance vieillesse complémentaire des médecins et du régime de prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés, d’un médecin exerçant à titre libéral.

1. Le régime d’assurance vieillesse des médecins libéraux comprend, outre le régime de base, le régime d’assurance vieillesse complémentaire des médecins, institué par le décret no 49-579 du 22 avril 1949, et le régime de prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés, institué dès 1960, mais rendu obligatoire par le décret no 72-968 du 27 octobre 1972 à l’ensemble des médecins conventionnés.

Ces régimes de retraite à points, par répartition, sont gérés par la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF).

Si l’existence de ces régimes est prévue par la loi (articles L. 644-1 du code de la sécurité sociale pour le régime d’assurance vieillesse complémentaire et L. 645-2 du même code pour le régime de prestations supplémentaires), ils n’en sont pas moins régis essentiellement par des dispositions réglementaires, associant aux décrets précités des statuts adoptés par le conseil d’administration de la CARMF.

2. L’article 15, § 2, des statuts du régime complémentaire d’assurance vieillesse de la CARMF énonce que pour prétendre à la liquidation de ses droits au titre de ce régime, l’assuré doit avoir acquitté ou avoir été exonéré de toutes les cotisations exigibles depuis l’affiliation jusqu’à la date de la retraite.

Selon l’article 16 bis des statuts du régime des allocations supplémentaires de vieillesse, les prestations supplémentaires prévues par les statuts ne peuvent être attribuées qu’à la condition que le médecin ne soit pas redevable de plus des deux dernières années de cotisations aux régimes obligatoires gérés par la CARMF.

Toutefois, lorsque, comme dans la présente affaire, l’assuré a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, la Cour de cassation juge que si le jugement de clôture pour insuffisance d’actif n’entraîne pas l’extinction des dettes, il interdit aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, de sorte que l’absence de règlement intégral des cotisations antérieures ne prive pas l’assuré ou ses ayants droit de tout droit aux prestations, mais a seulement pour effet d’exclure du calcul du montant des prestations la période durant laquelle des cotisations n’ont pas été payées (2e Civ., 17 janvier 2007, pourvoi no 04-30.797, Bull. 2007, II, no 6 ; Com., 13 mars 2007, pourvoi no 05-20.396, Bull. 2007, IV, no 85).

En outre, en application notamment de l’article 2 du décret no 49-579 du 22 avril 1949 et de l’article 2 du décret no 72-968 du 27 octobre 1972, prévoyant le versement d’une cotisation annuelle pour chacun des deux régimes, aucune prestation n’est versée par la CARMF au titre des années pour lesquelles la cotisation annuelle due au titre de chacun de ces régimes n’a pas été intégralement payée.

3. Le litige à l’origine du pourvoi soumis à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se rapportait à la détermination des droits à pension, au titre du régime d’assurance vieillesse complémentaire des médecins et du régime des prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés, d’un médecin exerçant à titre libéral.

Ce dernier ayant fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif, la CARMF a liquidé ses droits à pension au titre de l’assurance vieillesse de base, mais non au titre du régime d’assurance vieillesse complémentaire des médecins et du régime des prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés, au motif qu’il n’était pas à jour des cotisations dues au titre de ces régimes.

Par un arrêt du 15 février 2018 (2e Civ., 15 février 2018, pourvoi no 17-15.208), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel consacrant la position de la CARMF, conformément à la jurisprudence précédemment rappelée.

La CARMF a, dès lors, liquidé les droits de l’assuré au titre des régimes d’assurance vieillesse litigieux, en excluant les périodes pour lesquelles les cotisations n’avaient pas été intégralement versées.

Statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel, après avoir constaté que les statuts de chacun des deux régimes en litige comportaient des dispositions prévoyant, dans certaines hypothèses, et selon des modalités qui différent selon le régime, une proratisation des droits en fonction des cotisations versées, a condamné la CARMF à liquider les droits de l’assuré au titre du régime d’assurance vieillesse complémentaire des médecins libéraux en appliquant pour les cotisations annuelles partiellement réglées un nombre de points proportionnel au montant exigible pour l’année considérée, et sur la base de quatre-vingt-onze trimestres cotisés pour le régime des prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés.

La CARMF, contestant ces modalités de liquidation des droits, a frappé l’arrêt d’un pourvoi.

4. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait récemment répondu à la question posée par le pourvoi. Elle avait, en effet, jugé (2e Civ., 26 novembre 2020, pourvoi no 19-21.207, publié au Bulletin) qu’il résulte de la combinaison des articles L. 644-1 du code de la sécurité sociale et 2 du décret no 49-579 du 22 avril 1949 modifié relatif au régime d’assurance vieillesse complémentaire des médecins, d’une part, des articles L. 645-2 du code de la sécurité sociale et 2 du décret no 72-968 du 27 octobre 1972 modifié tendant à rendre obligatoire le régime de prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés, d’autre part, interprétés à la lumière de l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qu’en dehors des cas qu’ils visent, le report, chaque année, au compte de l’assuré, des points de retraite au titre du régime d’assurance vieillesse complémentaire des médecins et du régime des prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés, procède exclusivement du versement, pour l’intégralité de son montant, de la cotisation annuelle prévue pour chacun de ces régimes, et ne peut donc faire l’objet d’une proratisation en fonction de la fraction de la cotisation annuelle effectivement versée par l’assuré.

Toutefois, par un arrêt postérieur (2e Civ., 12 mai 2021, pourvoi no 19-20.938, publié au Bulletin et au Rapport annuel), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé que l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu’une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

Dans ces conditions, il lui appartenait de réexaminer la question à la lumière de cette nouvelle jurisprudence.

Relevant d’office le moyen tiré de l’inconventionnalité des dispositions législatives et réglementaires applicables au litige au regard de l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé, à l’issue d’un contrôle de conventionnalité in abstracto, que pour la détermination des droits d’un assuré faisant l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif, au titre de ces régimes à caractère essentiellement contributif, l’exclusion des années durant lesquelles des cotisations n’ont pas été intégralement payées, sans aucune prise en compte des paiements partiels, si elle contribue à l’équilibre financier de ces régimes, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu’elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence. Elle écarte, en conséquence, l’application des dispositions en cause.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation fait ainsi application, au régime d’assurance vieillesse complémentaire des médecins et au régime de prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés, de la méthode d’analyse dégagée à l’occasion de l’examen de la « clause de stage » du régime d’assurance vieillesse de base des avocats dans son arrêt du 12 mai 2021 précité.

Sécurité sociale – Cotisations – Recouvrement – Solidarité – Solidarité financière du donneur d’ordre – Mise en œuvre – Preuve – Procès-verbaux des contrôleurs de la sécurité sociale – Contestation par le donneur d’ordre du contenu des procès-verbaux – Production des procès-verbaux devant la juridiction de sécurité sociale – Obligation

2e Civ., 8 avril 2021, pourvoi no 19-23.728, publié au Bulletin, rapport de M. Gauthier et avis de M. de Monteynard

2e Civ., 8 avril 2021, pourvoi no 20-11.126, publié au Bulletin, rapport de M. Rovinski et avis de M. Gaillardot

Si la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre, prévue par le deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail, n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l’encontre du cocontractant, l’organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de ce document.

Tel que résultant des dispositions des articles L. 8221-1 et suivants du code du travail, le travail dissimulé s’applique à la fois au travail dissimulé par dissimulation d’activité (article L. 8221-3) et au travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié (article L. 8221-5). Ce dernier procède, aux termes de l’article L. 8221-5 du code du travail, du fait pour l’employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de certaines formalités (déclaration nominative d’embauche, délivrance du bulletin de paie) ou aux déclarations relatives aux salaires et aux cotisations assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L’article L. 8222-1 du code du travail oblige le donneur d’ordre, ou le maître d’ouvrage, à procéder à un certain nombre de vérifications concernant son cocontractant et à produire, pour en justifier, les documents listés par l’article D. 8222-5 du même code. En cas de méconnaissance de cette obligation de vérifications, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage est tenu « solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour travail dissimulé » au paiement des impôts, taxes, cotisations obligatoires, ainsi que des pénalités et majorations dus au Trésor public ou aux organismes de protection sociale.

Il en résulte que la solidarité entre le donneur d’ordre et le sous-traitant instituée par les dispositions des articles L. 8222-1 et suivants du code du travail répond ainsi à des conditions de fond bien précises :

  • Elle procède du défaut de vigilance du donneur d’ordre qui ne s’est pas informé, lors de la conclusion du contrat et, le cas échéant, au fur et à mesure de l’exécution de ce dernier, du bon accomplissement par le sous-traitant des formalités qui incombent à celui-ci. L’obligation de vigilance du donneur d’ordre est essentiellement formelle : il lui revient de se faire produire, aux échéances prévues, les pièces qui attestent de la régularité de l’embauche des salariés et du paiement des impôts, taxes, contributions et cotisations. Lorsque le donneur d’ordre s’est conformé à son obligation de vigilance, le recours à la solidarité financière est exclu.
  • Elle implique, en deuxième lieu, que la situation du sous-traitant, à savoir l’emploi de salariés dans des conditions caractérisant un travail dissimulé, ait été constatée par un procès-verbal dressé par un agent dûment habilité à cette fin (la liste des agents habilités est fixée par l’article L. 8271-1-2 du code du travail et inclut, en particulier, les agents des organismes de recouvrement [URSSAF et organismes de mutualité sociale agricole]). Exigence formelle, la constatation de l’infraction par voie de procès-verbal n’en détermine pas moins, en définitive, le bien-fondé même de la solidarité financière du donneur d’ordre.

S’agissant de la mise en œuvre de la solidarité du donneur d’ordre en application de l’article L. 8222-2 du code du travail, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé :

Si la seule mention de l’existence d’un tel procès-verbal dans la lettre d’observations adressée au donneur d’ordre suffit à la régularité de la procédure de recouvrement, la Cour de cassation veille parallèlement au respect du principe de la contradiction en s’assurant que la lettre d’observations adressée au donneur d’ordre lui permet de connaître la nature, la cause et l’étendue de son obligation, notamment par l’indication du montant global des cotisations dues par le sous-traitant en infraction, ainsi que celle, année par année, des cotisations mises à la charge du donneur d’ordre, ce en application de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale.

Il importe en outre de conserver à l’esprit la dimension pénale du régime du travail dissimulé qui imprime ses effets sur la mise en œuvre de la solidarité du donneur d’ordre.

  • D’une part, si l’absence de poursuites pénales tant du sous-traitant que, le cas échéant, du donneur d’ordre ne fait pas par elle-même obstacle à la mise en œuvre de la solidarité financière, l’engagement de poursuites pénales est de nature, dès lors que la juridiction répressive s’est prononcée, à remettre en cause, si le délit n’est pas constitué aux yeux de celle-ci, la solidarité financière. L’autorité de la chose jugée au pénal fait ainsi obstacle, en cas de relaxe du sous-traitant, à la condamnation du donneur d’ordre sur le fondement de la solidarité financière.
  • D’autre part, le procès-verbal, qui est systématiquement transmis au procureur de la République en application de l’article L. 8271-8 du code du travail, est susceptible de constituer un acte d’enquête, et d’être, à ce titre, protégé par le secret de l’enquête et de l’instruction en application de l’article 11 du code de procédure pénale. On rappellera que la chambre criminelle de la Cour de cassation a refusé le renvoi d’une question portant sur la constitutionnalité de l’article L. 8271-8 du code du travail en tant qu’il ne prévoit pas la transmission à l’intéressé du procès-verbal de constatation de l’infraction de travail dissimulé préalablement à sa transmission au procureur de la République au motif qu’une telle transmission porterait atteinte au secret de l’enquête et aurait une incidence sur la conservation des preuves (Crim., 5 août 2020, QPC no 20-80.647), avant d’énoncer, pour rejeter au fond le pourvoi sur ce point, que ces mêmes dispositions n’imposent pas l’information des personnes visées au procès-verbal d’infraction avant transmission de celui-ci au procureur de la République (Crim., 12 janvier 2021, pourvoi no 20-80.647, publié au Bulletin).

Les juridictions du fond et une partie de la doctrine (voir François Taquet, « Travail dissimulé : mentions obligatoires de la notification de redressement au titre de la solidarité financière », JCP 2011, éd. E, 1822 ; Agnès Cerf-Hollender, « Travail dissimulé », Rép. dr. trav., décembre 2012, mise à jour octobre 2018 ; Frédéric-Jérôme Pansier, « Jurisprudence – Droit social », Les Cahiers sociaux décembre 2011, p. 334 ; Dominique Asquinazi-Bailleux, « Le procès-verbal de travail dissimulé à l’origine du redressement n’a pas à être joint à la lettre d’observation », Bull. Joly travail avril 2019, p. 32 ; Xavier Aumeran, « Travail dissimulé et non-communication du procès-verbal : le principe du contradictoire refoulé », JCP 2019, éd. S, 1102 ; François Taquet, « Une Urssaf peut-elle refuser la délivrance d’une attestation de vigilance sur la base d’un simple constat de travail dissimulé ? », JSL septembre 2019, no 482) ont été critiques sur la jurisprudence de la chambre qui interdit au donneur d’ordre d’exiger la production du procès-verbal de constat de travail dissimulé et d’en contester le contenu.

Les pourvois formés par les URSSAF de Champagne-Ardenne et d’Alsace ont donné l’occasion à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation de s’interroger sur les conditions de la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre et en particulier, sur la question de la communication du procès-verbal de travail dissimulé au donneur d’ordre par l’organisme de recouvrement et de préciser sa jurisprudence, notamment à l’aune de la décision du 31 juillet 2015 du Conseil constitutionnel (Cons. const., 31 juillet 2015, décision no 2015-479 QPC, Société Gecop [Solidarité financière du donneur d’ordre pour le paiement des sommes dues par un cocontractant ou sous-traitant au Trésor public et aux organismes de protection sociale en cas de travail dissimulé]) qui a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu’elles n’interdisent pas au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé de l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.

La Cour de cassation a entendu maintenir sa jurisprudence selon laquelle la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l’encontre du cocontractant (2e Civ., 14 février 2019, pourvoi no 18-12.150, publié au Bulletin).

Cependant, sur le rappel en visa de l’article 9 du code de procédure civile, aux termes duquel il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, la Cour de cassation a décidé que l’organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de ce document.

L’exigence du principe de la contradiction et les droits du donneur d’ordre qu’il tire de sa qualité de codébiteur solidaire, sont ainsi renforcés, le donneur d’ordre étant mis en mesure, au stade de l’instance judiciaire, de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé de l’exigibilité des cotisations obligatoires ainsi que des majorations y afférentes au paiement solidaire desquelles il est tenu.

Sécurité sociale, prestations familiales – Allocation d’éducation de l’enfant handicapé – Bénéficiaires – Conditions – Prise en charge effective et permanente de l’enfant – Cas – Résidence alternée – Partage de l’allocation – Exclusion

2e Civ., 25 novembre 2021, pourvois no 19-25.456 et no 20-21.978, publié au Bulletin, rapport de Mme Renault-Malignac et avis de M. Halem

Il ressort de la combinaison des articles L. 513-1 et R. 513-1 du code de la sécurité sociale que les prestations familiales sont, sous réserve des règles particulières à chaque prestation, dues à la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l’enfant et que, sous réserve des dispositions relatives aux allocations familiales, ce droit n’est reconnu qu’à une seule personne au titre d’un même enfant.

Lorsqu’à la suite du divorce, de la séparation de droit ou de fait des époux ou de la cessation de la vie commune des concubins, les parents exercent conjointement l’autorité parentale et bénéficient d’un droit de résidence alternée sur leur enfant mis en œuvre de manière effective et équivalente, l’un et l’autre de ces parents sont considérés comme assumant la charge effective et permanente de leur enfant au sens du premier de ces textes.

Il en résulte que l’attribution d’une prestation familiale ne peut être refusée à l’un des deux parents au seul motif que l’autre parent en bénéficie, sauf à ce que les règles particulières à cette prestation fixée par la loi y fassent obstacle ou à ce que l’attribution de cette prestation à chacun d’entre eux implique la modification ou l’adoption de dispositions relevant du domaine de la loi.

Les règles particulières à l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et ses compléments, prévues aux articles L. 541-1 à L. 541-4 du code de la sécurité sociale qui font dépendre leur attribution non seulement de la gravité du handicap de l’enfant mais également des charges supplémentaires et sujétions professionnelles que le handicap a générées pour le parent, ne permettent pas leur attribution à chacun des parents de l’enfant en résidence alternée sans la modification ou l’adoption de dispositions relevant du domaine de la loi ou du règlement.

Dès lors, viole ces textes l’arrêt d’une cour d’appel qui enjoint à une caisse d’allocations familiales de mettre en œuvre le partage de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et de ses compléments entre les parents séparés au domicile de chacun desquels la résidence de l’enfant handicapé a été fixée en alternance alors que si l’article L. 541-3, dans sa rédaction issue de la loi no 2005-102 du 11 février 2005, prévoit que les dispositions de l’article L. 521-2 relatives aux allocations familiales sont applicables à l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, ce renvoi n’inclut pas les dispositions du deuxième alinéa de ce texte, édictées postérieurement.

Par un arrêt rendu le 25 novembre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur l’attribution de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé en cas de résidence alternée.

L’article L. 513-1 du code de la sécurité sociale accorde les prestations familiales à la personne qui assume la charge effective et permanente de l’enfant. L’article R. 513-1 du même code prévoit la règle dite de l’allocataire unique, selon laquelle le droit aux prestations familiales n’est reconnu qu’à une personne au titre d’un même enfant.

À la suite de l’institution de la résidence de l’enfant en alternance au domicile des parents séparés, officiellement introduite dans notre droit par la loi no 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale (article 373-2-9 du code civil), et tenant compte d’un avis de la Cour de cassation (Avis de la Cour de cassation, 26 juin 2006, no 06-00.004, Bull. 2006, Avis, no 4), le législateur a introduit une exception à la règle de l’unicité de l’allocataire, en modifiant, par la loi no 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007, l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale.

Le deuxième alinéa de ce texte prévoit désormais la possibilité d’un partage par moitié entre les parents de la charge de l’enfant pour le calcul des allocations familiales, en cas de résidence alternée de l’enfant au domicile de chacun des parents mise en œuvre de manière effective, soit sur leur demande conjointe, soit si les parents sont en désaccord sur la désignation de l’allocataire.

Cette exception à la règle de l’unicité de l’allocataire pour le droit aux prestations familiales peut-elle être étendue à d’autres prestations ?

Procédant à l’interprétation de cette disposition, la Cour de cassation a déjà précisé que la règle de l’unicité de l’allocataire pour le droit aux prestations familiales n’est écartée que dans le cas des parents dont les enfants sont en résidence alternée et pour les seules allocations familiales (2e Civ., 3 juin 2010, pourvoi no 09-66.445, Bull. 2010, II, no 108, concernant l’attribution de la prestation d’accueil du jeune enfant).

Au cas d’espèce, la mère d’un enfant handicapé en résidence alternée avait obtenu d’une caisse d’allocations familiales le bénéfice de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) et de ses compléments pour son enfant. Le père de l’enfant avait sollicité d’une autre caisse d’allocations familiales le partage de cette allocation qui lui est refusé.

L’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), dont le régime est prévu aux articles L. 541-1 à L. 541-4 du code de la sécurité sociale, a remplacé à partir de la loi no 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, l’ancienne allocation d’éducation spéciale. Elle est versée, sans condition de ressources, à toute personne qui assume la charge effective et permanente d’un enfant dont le taux d’incapacité permanente est au moins égal à 80 %, ou, sous certaines conditions comme la fréquentation d’un établissement spécialisé, à 50 %. Un complément d’allocation peut être versé pour l’enfant atteint d’un handicap dont la nature ou la gravité exige des dépenses particulièrement coûteuses ou nécessite le recours fréquent à l’aide d’une tierce personne. Le montant de ce complément prend notamment en compte la réduction d’activité professionnelle d’un ou des parents, sa cessation ou la renonciation à exercer une telle activité, ainsi que la durée du recours à une tierce personne rémunérée.

Pour accueillir le recours du père de l’enfant et juger que les organismes de sécurité sociale concernés devaient mettre en œuvre le partage de l’AEEH et de ses compléments entre les parents de l’enfant, la cour d’appel avait considéré que le renvoi de l’article L. 541-3 du code de la sécurité sociale à l’article L. 521-2 du même code rendait possible le partage de cette allocation entre les parents.

Ce raisonnement est censuré par l’arrêt commenté.

La Cour de cassation affirme, d’une part, le principe selon lequel l’attribution d’une prestation familiale ne peut être refusée à l’un des deux parents au seul motif que l’autre parent en bénéficie, sauf à ce que les règles particulières à cette prestation fixée par la loi y fassent obstacle ou à ce que l’attribution de cette prestation à chacun d’entre eux implique la modification ou l’adoption de dispositions relevant du domaine de la loi. Elle ouvre ainsi la voie à une possible évolution de sa jurisprudence en cohérence avec la décision rendue le 19 mai 2021 par le Conseil d’État (CE, 19 mai 2021, no 435429, mentionné aux tables du Recueil Lebon) relativement au complément de libre choix de mode de garde de la prestation d’accueil du jeune enfant.

Elle rappelle, d’autre part, que la règle de l’unicité de l’allocataire n’est écartée que dans le cas des parents dont les enfants sont en résidence alternée et pour les allocations familiales et que le renvoi opéré par l’article L. 541-3 du code de la sécurité sociale à l’article L. 521-2 du même code ne rend pas applicable à l’AEEH l’exception à la règle de l’unicité de l’allocataire prévue par le deuxième alinéa de ce dernier texte, édictée postérieurement.

Elle considère, enfin, que les règles particulières à l’AEEH et ses compléments ne permettent pas leur attribution à chacun des parents de l’enfant en résidence alternée sans la modification ou l’adoption de dispositions relevant du domaine de la loi ou du règlement. En effet, en ce qu’ils font dépendre le montant de l’allocation et ses compléments des charges supplémentaires et sujétions professionnelles rencontrées par le parent, les textes applicables ne mettent pas le juge en mesure de déterminer un mode de calcul du partage de la prestation entre les parents séparés dont l’enfant réside alternativement au domicile de chacun d’eux.


[15]. Travaux préparatoires du projet de loi relatif au contrat d’assurance et aux opérations de capitalisation, rapport de J. Geoffroy, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

[16]. F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil Contrats, PUF, 2014, p. 34 ; R. Bigot et A. Cayol, « L’article L. 113-1 du code des assurances et les clauses d’exclusion non formelles sur la sellette », Dalloz actualité, 7 janvier 2021.

[17]. CJUE, arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria, C-70/17 et C-179/17 : « 53– Ensuite, selon la jurisprudence de la Cour, lorsque le juge national constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle de droit national qui permet au juge national de compléter ce contrat en révisant le contenu de cette clause (arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C-618/10, EU:C:2012:349, point 73, et du 30 avril 2014, Kásler et KáslernéRábai, C-26/13, EU:C:2014:282, point 77).

54– Ainsi, s’il était loisible au juge national de réviser le contenu des clauses abusives figurant dans un tel contrat, une telle faculté serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de l’objectif à long terme visé à l’article 7 de la directive 93/13. En effet, cette faculté contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives, dans la mesure où ceux-ci demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, même si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété, dans la mesure nécessaire, par le juge national de sorte à garantir ainsi l’intérêt desdits professionnels (arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C-618/10, EU:C:2012:349, point 69, et du 30 avril 2014, Kásler et KáslernéRábai, C-26/13, EU:C:2014:282, point 79). »

[18]. M.-C. Lagrange, JCl Civil Code, LexisNexis, Articles 1382 à 1386, fasc. 202-1-3, « Régime de la réparation - Évaluation du préjudice corporel. Atteintes à l'intégrité physique. Situations d'handicaps lourds et indemnisations spécifiques », février 2014, mise à jour 28 février 2022.

F. Procédure civile et organisation des professions

1. Action en justice

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

2. Appel civil

Appel civil – Procédure sans représentation obligatoire – Acte d’appel – Mentions nécessaires – Chefs du jugement critiqués – Défaut – Portée

2e Civ., 9 septembre 2021, pourvois no 20-13.662 et suivants, publié au Bulletin, rapport de M. de Leiris et avis de M. Aparisi

En application de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le droit à l’accès au juge implique que les parties soient mises en mesure effective d’accomplir les charges procédurales leur incombant. L’effectivité de ce droit impose, en particulier, d’avoir égard à l’obligation faite ou non aux parties de constituer un avocat pour les représenter.

À la différence de l’article 901 du code de procédure civile, qui régit la procédure avec représentation obligatoire par avocat, l’article 933 du même code, de même que l’ensemble des autres dispositions régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, instaurent un formalisme allégé, destiné à mettre de façon effective les parties en mesure d’accomplir les actes de la procédure d’appel.

Il se déduit de l’article 562, alinéa 1, figurant dans les dispositions communes de ce code et disposant que l’appel défère à la cour d’appel la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas (2e Civ., 30 janvier 2020, pourvoi no 18-22.528, publié au Bulletin). De telles règles sont dépourvues d’ambiguïté pour des parties représentées par un professionnel du droit (2e Civ., 2 juillet 2020, pourvoi no 19-16.954, publié au Bulletin).

Toutefois, dans la procédure sans représentation obligatoire, un tel degré d’exigence dans les formalités à accomplir par l’appelant constituerait une charge procédurale excessive, dès lors que celui-ci n’est pas tenu d’être représenté par un professionnel du droit. La faculté de régularisation de la déclaration d’appel ne serait pas de nature à y remédier.

Il en résulte qu’en matière de procédure sans représentation obligatoire, la déclaration d’appel qui mentionne que l’appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d’appel, en omettant d’indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s’entendre comme déférant à la connaissance de la cour d’appel l’ensemble des chefs de ce jugement.

Par conséquent, doit être approuvé l’arrêt d’une cour d’appel qui statue sur le fond d’une affaire, dans une procédure sans représentation obligatoire, alors même qu’elle constatait que les déclarations d’appel indiquaient tendre à l’annulation ou, à tout le moins, à la réformation de la décision déférée, sans mentionner les chefs du jugement critiqués.

L’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendu le 9 septembre 2021 concerne la procédure d’appel.

Si la majeure partie des appels en matière civile sont désormais instruits suivant la procédure avec représentation obligatoire par avocat, la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel continue à s’appliquer en certaines matières, en particulier dans le domaine du contentieux du droit de la sécurité sociale, dans lequel était rendu l’arrêt commenté.

Dès lors que les parties à une telle procédure sont dispensées de constituer un avocat, celle-ci obéit nécessairement à un formalisme allégé, ainsi que l’énonce l’arrêt commenté, lequel précise encore que cet allègement est destiné à « mettre de façon effective les parties en mesure d’accomplir les actes de la procédure d’appel ».

En l’occurrence, la question se posait en raison de ce que le décret no 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile a introduit, dans les dispositions communes à l’appel, des règles intéressant le formalisme de la déclaration d’appel, laquelle était, jusqu’à présent, exclusivement régie par des dispositions distinctes, selon que l’appel relevait de la procédure avec ou sans représentation obligatoire : l’article 901 du code de procédure civile, s’agissant de la déclaration d’appel lorsque la représentation par avocat s’impose et l’article 933 du même code, concernant la déclaration d’appel formée dans la procédure sans représentation obligatoire.

Ces textes demeurent et ont été modifiés par le décret no 2017-891 du 6 mai 2017 déjà mentionné. Par ailleurs, l’article 562 du code de procédure civile fixe le principe de la limitation de l’effet dévolutif aux seules dispositions expressément critiquées du jugement frappé d’appel, l’adverbe « expressément » renvoyant naturellement au formalisme de la déclaration d’appel.

La Cour de cassation, à l’occasion de pourvois intéressant la procédure avec représentation obligatoire, a déduit de ces dernières dispositions qu’une déclaration d’appel mentionnant la formation d’un appel total, sans indication des dispositions critiquées du jugement, ne produit aucun effet dévolutif (2e Civ., 30 janvier 2020, pourvoi no 18-22.528, publié au Bulletin).

Par conséquent, pris à la lettre, l’article 562 du code de procédure civile devrait priver d’effet dévolutif l’appel, même lorsqu’il est formé dans une procédure sans représentation obligatoire, dès lors que la déclaration d’appel qui l’introduit ne mentionne pas les chefs du jugement critiqués.

Toutefois, la Cour de cassation s’était attachée à préciser que cette règle issue de l’article 562 précité encadrant les conditions d’exercice du droit d’appel, dans les procédures dans lesquelles l’appelant est représenté par un professionnel du droit, était dépourvue d’ambiguïté, pour en déduire qu’elle ne portait pas atteinte, en elle-même, à la substance du droit d’accès au juge d’appel (2e Civ., 2 juillet 2020, pourvoi no 19-16.954, publié au Bulletin).

Cet arrêt suggérait dès alors que la privation d’effet dévolutif était conditionnée à la représentation des parties par un avocat, professionnel avisé.

Cette orientation se trouve confirmée et précisée par l’arrêt commenté. La Cour de cassation y retient en effet que la règle et la sanction prévues par l’article 562 du code de procédure civile ne peuvent pas trouver à s’appliquer dans la procédure sans représentation obligatoire, pour en déduire qu’une déclaration d’appel ne précisant pas les chefs du jugement dont il est sollicité l’infirmation doit s’entendre comme déférant à la connaissance de la cour d’appel l’ensemble des chefs de ce jugement.

Pour aboutir à cette solution, qui écarte toute privation d’effet dévolutif de l’appel formé dans une procédure sans représentation obligatoire, la Cour de cassation s’appuie sur le droit à l’accès au juge, garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Celui-ci impose que les parties soient mises en mesure effective d’accomplir les charges procédurales leur incombant (voir par exemple, 2e Civ., 21 février 2019, pourvoi no 17-28.285, publié au Bulletin ; 2e Civ., 5 septembre 2019, pourvoi no 18-21.717, publié au Bulletin). Ainsi que le précise l’arrêt commenté, l’effectivité de ce droit impose, en particulier, d’avoir égard à l’obligation faite ou non aux parties de constituer un avocat pour les représenter.

Il convient, en effet, de souligner que pour apprécier le caractère proportionné du formalisme procédural, la Cour européenne des droits de l’homme invite à avoir tout particulièrement égard au fait que les parties soient ou non représentées par un professionnel (par exemple, CEDH, arrêt du 23 octobre 1996, Levages Prestations Services c. France, no 21920/93 ; CEDH, arrêt du 15 janvier 2009, Guillard c. France, no 24488/04 ; CEDH, arrêt du 24 avril 2008, Kemp et autres c. Luxembourg, no 17140/05), ce que la Cour de cassation ne manque pas de faire (par exemple, 2e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi no 15-25.431, Bull. 2016, II, no 247 ; 2e Civ., 2 juillet 2020, pourvoi no 19-11.624, publié au Bulletin).

À l’inverse, l’arrêt exclut qu’en un tel cas, une faculté de régularisation de la déclaration d’appel, qui serait offerte à l’appelant, soit de nature à remédier à l’atteinte apportée au droit d’accès au juge par la privation d’effet dévolutif de l’appel.

En effet, même dans la procédure avec représentation obligatoire, la Cour de cassation a déduit de l’application combinée des articles 908 et 910-4 du code de procédure civile qu’il pouvait être remédié au défaut de mention des chefs de jugement critiqués par une déclaration d’appel rectificative, remise dans le délai ouvert à l’appelant pour conclure sur le fond (2e Civ., 30 janvier 2020, pourvoi no 18-22.528, précité). Pour mémoire, il résulte de ces textes que l’appelant dispose d’un délai de trois mois pour conclure et que, passé ce délai, il est irrecevable à émettre de nouvelles prétentions sur le fond, excluant ainsi que passé ce délai, il puisse, par une nouvelle déclaration d’appel, étendre sa critique à d’autres chefs du jugement attaqué.

Or, en l’absence de dispositions analogues dans la procédure sans représentation obligatoire, l’appelant peut régulariser sa déclaration d’appel affectée d’une nullité jusqu’à la clôture des débats. La question se posait, dès lors, de savoir si le recours à cette faculté de régularisation pourrait constituer un remède suffisant à la rigueur de l’application à la procédure sans représentation obligatoire de la sanction de l’article 562 du code de procédure civile.

L’arrêt l’écarte. Une telle régularisation impliquerait, en effet, que l’appelant remette à la cour d’appel une nouvelle déclaration d’appel, rectifiant la première, en précisant les chefs du jugement critiqués. En d’autres termes, le formalisme de la régularisation serait nécessairement identique à celui auquel est soumise la déclaration d’appel « initiale ». Aussi bien, celle-là ne saurait-elle, par construction, remédier au formalisme excessif de celle-ci…

Par ailleurs, la solution retenue par l’arrêt n’est pas déterminée par le constat de ce que dans l’instance considérée, les parties étaient ou non représentées, de fait, par un avocat. Elle s’appuie, bien différemment, sur la considération de l’absence d’obligation, dans la procédure concernée, faite aux parties d’être représentées. La distinction est d’importance. L’espèce l’illustre bien, dans laquelle, précisément, chacune des parties avait fait le choix d’être représentée par un avocat.

On le voit, la solution retenue, tout à la fois s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et tire d’amples conséquences de la distinction entre procédures avec ou sans représentation obligatoire par avocat. Ainsi, dans une procédure d’appel sans représentation obligatoire, l’avocat de l’appelant pourra compter sur un formalisme allégé, notamment pour l’établissement de la déclaration d’appel.

On signalera que cette même approche distinctive était déjà à l’œuvre dans un précédent arrêt, rendu le 25 mars 2021 (2e Civ., 25 mars 2021, pourvoi no 18-23.299, publié au Bulletin), intéressant le point de départ du délai imparti pour déférer à la cour d’appel une ordonnance du magistrat chargé d’instruire l’affaire. En procédure d’appel sans représentation obligatoire, l’article 945 du code de procédure civile fixe ce point de départ à la date de l’ordonnance. La procédure avec représentation obligatoire est régie à cet égard par des textes rédigés dans les mêmes termes. En matière de procédure avec représentation obligatoire, la jurisprudence retient que la solution en cause ne méconnaît pas le droit d’accès au juge, dès lors que l’avocat constitué est en mesure d’accomplir, dans les formes et délais requis, les actes de la procédure d’appel, au nombre desquels figure le déféré (2e Civ., 21 février 2019, pourvoi no 17-28.285, publié au Bulletin). À l’opposé, l’arrêt du 25 mars 2021 précité retient que, dans la procédure sans représentation obligatoire, le droit d’accès au juge implique qu’à défaut pour la partie ou son représentant d’avoir été informé de la date de cette ordonnance, le délai qui lui est ouvert pour déférer l’ordonnance ne peut courir que du jour où l’ordonnance est portée à sa connaissance par tout moyen permettant de s’assurer de la date à laquelle la partie ou son représentant a reçu cette information.

C’est assez dire la portée générale que revêt l’arrêt commenté dans la consolidation d’un formalisme allégé en procédure d’appel sans représentation obligatoire par avocat.

3. Cassation

Cassation – Pourvoi – Déchéance – Défaut de mémoire ampliatif – Caractère fautif ou non – Détermination – Portée

2e Civ., 27 mai 2021, pourvoi no 19-23.898, publié au Bulletin, rapport de M. Besson et avis de M. Gaillardot

Le défaut d’accomplissement d’une charge de la procédure par la partie à laquelle elle incombe ne constitue pas, en l’absence d’abus, une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur. Il n’encourt d’autres sanctions que celles prévues par les règles procédurales applicables à l’instance en cause.

Dès lors, doit être cassée la décision qui a condamné l’auteur d’un pourvoi à payer des dommages-intérêts au défendeur à ce pourvoi, au motif que le fait de ne pas avoir déposé un mémoire ampliatif dans le délai imposé par l’article 978 du code de procédure civile constituait une irrégularité procédurale sanctionnée par la déchéance du pourvoi, et qu’un tel manquement du demandeur en cassation à ses devoirs réglementaires est nécessairement une faute.

Après avoir formé un pourvoi en cassation contre une décision de cour d’appel rendue en sa défaveur, l’auteur de ce pourvoi n’a pas déposé de mémoire ampliatif pour le soutenir, en sorte que, par application de l’article 978 du code de procédure civile, le pourvoi a fait l’objet d’une ordonnance de déchéance[19].

Les défendeurs au pourvoi, qui avaient constitué avocat à la Cour de cassation, mais n’avaient pas été amenés à présenter un mémoire en réponse, du fait de cette déchéance, n’ont ainsi pas été en mesure de solliciter l’indemnisation des frais d’honoraires qu’ils avaient exposés pour cette constitution.

Ils ont de ce fait saisi un tribunal d’instance afin, selon les termes de l’acte introductif d’instance, d’« obtenir réparation du pourvoi en cassation déposé à leur encontre […] par X, n’ayant fait l’objet par celui-ci d’aucun mémoire ampliatif dans le délai légal ».

Visant plus précisément les dispositions des articles 1240 du code civil, 978, alinéa 1, et 32-1 du code de procédure civile, ils sollicitaient la condamnation de leur adversaire à leur payer une somme « correspondant aux honoraires qu’ils ont réglés à leur conseil […], avocat à la Cour de cassation » ainsi que des dommages-intérêts « pour procédure abusive et action dilatoire (article 32-1 du code de procédure civile) » et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour, notamment, « le temps consacré à la préparation de leur dossier de procédure de cassation […] ».

Le tribunal d’instance, statuant en dernier ressort, a retenu que l’intéressé, s’il n’avait pas agi de façon abusive en formant un pourvoi, avait néanmoins commis, en ne déposant pas dans le délai requis un mémoire ampliatif au soutien de ce pourvoi, « une irrégularité procédurale » qui était un manquement « nécessairement » constitutif d’une faute.

La Cour de cassation a été saisie, par le demandeur au premier pourvoi, d’un nouveau pourvoi, formé contre la décision rendue par le tribunal d’instance.

Le demandeur au pourvoi, qui faisait principalement grief au jugement attaqué de le condamner à indemniser les frais de constitution d’avocat à la Cour de cassation que ses adversaires avaient exposés à l’occasion du précédent pourvoi, soutenait (pour l’essentiel), en un moyen unique de cassation invoquant la violation des articles 1240 du code civil et 978 du code de procédure civile, que le fait pour un demandeur en cassation ayant finalement entendu renoncer à son pourvoi formé à titre conservatoire et laisser en conséquence intervenir la déchéance de son pourvoi, faute de dépôt d’un mémoire ampliatif, ne constituait pas une faute.

Accueillant ce moyen, la Cour de cassation a considéré que, sauf abus, une partie est en droit de renoncer à l’exercice d’une voie de recours qu’elle a engagée, et a affirmé, par une règle de principe (plus) générale, que le défaut d’accomplissement d’une charge de la procédure ne constitue pas, en l’absence d’un tel abus, une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur, qui n’encourt d’autres sanctions que celles prévues par les règles procédurales applicables.

Par cet arrêt, la Cour préserve la possibilité pour une partie, soucieuse de conserver son droit à recours, de former un pourvoi à titre conservatoire avant, le cas échéant, de décider (ensuite), sur la recommandation de son avocat, de ne pas le soutenir, plutôt que de le maintenir de façon peut-être inopportune.

Si la pratique des pourvois conservatoires paraît en effet devoir être préservée, dès lors qu’elle évite l’encombrement de la Cour de cassation et les frais générés par le maintien de pourvois voués à l’échec, la présente affaire met toutefois en évidence la nécessité de s’interroger sur les moyens par lesquels l’auteur d’un pourvoi non soutenu pourrait être condamné à supporter tout ou partie des frais engagés par l’autre partie avant le prononcé de la déchéance, en vue de défendre au pourvoi.

4. Prescription

Prescription civile – Interruption – Acte interruptif – Demande en justice – Définition – Portée

2e Civ., 14 janvier 2021, pourvoi no 19-20.316, publié au Bulletin, rapport de Mme Kermina et avis de M. Girard

Aux termes de l’article 2241 du code civil, alinéa 1, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Dès lors, une requête fondée sur l’article 145 du code de procédure civile, qui, introduisant une procédure non contradictoire, ne constitue pas, au sens de l’article 2241, une demande en justice, n’interrompt pas le délai de prescription de l’action au fond.

Prescription civile – Interruption – Acte interruptif – Action en justice – Assignation en référé – Instance au fond introduite postérieurement – Actions tendant à un seul et même but

Même arrêt

Si, en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

Tel est le cas de la demande en référé, à fin de mainlevée du séquestre de documents recueillis par un huissier de justice en vertu d’une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, qui interrompt le délai de prescription de l’action au fond, dès lors qu’elle tend, comme la demande au fond, à obtenir l’indemnisation du préjudice, celle-ci étant virtuellement comprise dans l’action visant à l’obtention de la mesure in futurum.

Prescription de l’action au fond et mesures in futurum

Destinées à obtenir, avant tout procès, la preuve de faits qui pourraient être déterminants dans la solution d’un litige à venir, ou à conserver de telles preuves, les mesures d’instruction ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, autrement appelées mesures in futurum, ne sont évidemment pas sans lien avec l’action au fond.

Or, si le résultat des mesures est appelé à avoir une résonnance sur la mise en œuvre de l’action au fond, peut-on en dire autant de la procédure qui a été menée sur le fondement de l’article 145 précité pour les obtenir, et plus précisément des actes procéduraux qui ont saisi le juge ayant prononcé ces mesures ?

La Cour de cassation a été invitée à prendre parti, dans une même affaire, sur cette question, plus précisément sur le caractère éventuellement interruptif du délai de prescription de l’action au fond, d’une part, de la requête présentée au juge en vue d’obtenir des documents, et, d’autre part, de l’assignation devant le juge des référés en vue d’obtenir la remise des documents recueillis et conservés par l’huissier de justice.

Dans un arrêt du 14 janvier 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a décidé que la requête fondée sur l’article 145 du code de procédure civile n’interrompt pas le délai de prescription de l’action au fond, tandis que la demande en référé à fin de levée du séquestre de documents recueillis par un huissier de justice, en vertu d’une ordonnance sur requête rendue sur le fondement du même texte, interrompt ce délai.

Sur quelles justifications reposent ces solutions contraires, qui mettent pourtant en œuvre les mêmes textes, l’article 145 du code de procédure civile et l’article 2241 du code civil ?

L’article 145 du code de procédure civile ouvre deux possibilités à celui qui veut demander en justice que soit ordonnée, avant tout procès, une mesure d’instruction destinée à conserver ou à établir la preuve de faits qui pourraient être déterminants dans la solution d’un litige à venir. Il peut agir sur requête ou en référé.

Or, par essence, la voie de la requête, contrairement à l’assignation en référé, ouvre une procédure non contradictoire. Aucune action, au sens de l’article 30 du code de procédure civile, ne peut être tenue pour engagée par une requête.

La requête peut-elle, dans ces conditions, constituer la demande en justice, qui, selon l’article 2241, alinéa 1, du code civil, interrompt, même en référé, le délai de prescription ?

Sachant que l’acte considéré est destiné à empêcher l’adversaire de prescrire, peut-on admettre qu’il n’en ait pas connaissance ?

À ces questions, la jurisprudence recensée donne une réponse qui offre une lecture restrictive de l’article 2241 du code civil : la requête en injonction de payer (1re Civ., 3 octobre 1995, pourvoi no 93-17.700, Bull. 1995, I, no 343) et la requête à fin de désignation d’un expert (3e Civ., 9 novembre 2005, pourvoi no 04-15.073, Bull. 2005, III, no 219), ne sont pas interruptives du délai de prescription de l’action au fond.

En revanche, la requête à fin de conciliation en matière de saisie des rémunérations, parce qu’elle tend à faire convoquer le débiteur devant le tribunal (2e Civ., 13 décembre 1995, pourvois no 93-21.091 et no 93-21.092 ; 2e Civ., 16 mai 2012, pourvoi no 11-13.207 ; 1re Civ., 19 mars 2015, pourvoi no 14-10.972), est interruptive du délai de prescription de l’action au fond.

L’arrêt commenté, qui s’appuie sur le syllogisme tiré de ce que, seule, la demande en justice, appelant l’adversaire, interrompt le délai de prescription et de ce que la requête n’ouvre pas une procédure contradictoire, de sorte qu’une requête fondée sur l’article 145 du code de procédure civile ne peut pas interrompre le délai de prescription de l’action au fond, pose une solution de portée générale.

Quelle que soit la finalité de la mesure in futurum sollicitée par requête, expertise, mais aussi investigations diverses, comme, en l’espèce, l’appréhension de documents dans les locaux d’une entreprise par un huissier de justice, la requête n’interrompt pas le délai de prescription de l’action au fond.

En revanche, contrairement à une requête, l’assignation mobilise la contradiction.

Ce n’est donc pas sur ce terrain qu’il faut avancer pour justifier le caractère interruptif de la prescription de l’action au fond d’une assignation en référé à fin de levée du séquestre des documents appréhendés par un huissier de justice et conservés par lui, alors qu’on sait qu’en vertu d’une jurisprudence traditionnelle, la demande en justice interrompt le délai de prescription de l’action qu’elle concerne et ne s’étend pas aux actions distinctes en leur objet[20].

On sait aussi qu’une jurisprudence non moins constante décide que l’extension de l’effet interruptif d’une action à l’autre est admis lorsque les deux actions recherchent le même avantage, tendent à un seul et même but, de sorte que, selon une formule communément retenue, la seconde est virtuellement comprise dans la première[21].

Il a déjà été jugé que l’action en référé in futurum à fin d’expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile interrompt le délai de prescription de l’action au fond (2e Civ., 6 mars 1991, pourvoi no 89-16.995, Bull. 1991, II, no 77 ; 3e Civ., 24 avril 2003, pourvoi no 01-15.457, Bull. 2003, III, no 85; Com., 6 septembre 2016, pourvoi no 15-13.128 ; 3e Civ., 6 juillet 2017, pourvoi no 16-17.151, Bull. 2017, III, no 89 ; 2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi no 18-10.011, publié au Bulletin).

Peut-on inclure l’action en mainlevée de séquestre de documents dans la formule proposée par certains auteurs, présentant le référé-expertise « comme éclaireur procédural, pour déterminer les causes d’une responsabilité »[22] ?

L’arrêt du 14 janvier 2021 ici commenté, va dans ce sens : l’action à fin de mainlevée du séquestre de documents fondée sur l’article 145 du code de procédure civile est virtuellement comprise dans l’action au fond à fin d’indemnisation parce que la première tend à rendre possible la seconde. Elle constitue son préalable utile sinon nécessaire, selon la formule qui été employée en demande dans ce dossier.

Cette assignation en référé interrompt donc le délai de prescription de l’action au fond.

Et si le juge des référés rejetait définitivement la demande, cet effet interruptif serait non avenu (voir en ce sens pour l’expertise : 3e Civ., 24 avril 2003, pourvoi no 01-15.457, précité).

On observera qu’en l’espèce, le juge des référés avait rejeté la demande de mainlevée de séquestre des documents recueillis et conservés par l’huissier de justice à l’issue de la procédure sur requête. Ce n’est qu’en appel que la demande a été accueillie.

La Cour de cassation a considéré que, du point de vue de l’interruption de la prescription, l’action in futurum devait être envisagée dans sa globalité, instance d’appel comprise.

Reste à déterminer, dans ce contexte, quelle serait la portée interruptive de l’action en référé si les documents appréhendés n’étaient pas produits devant le juge du fond ?

Est-ce que la fin qui justifie les moyens, c’est-à-dire interrompre la prescription de l’action au fond en cherchant à récupérer des preuves déterminantes, est toujours présente lorsqu’il s’avère que les preuves n’en sont pas ?

Il y a tout lieu de penser que cette portée interruptive du délai de prescription de l’action au fond subsisterait, car l’objectif de la mesure in futurum est d’obtenir des preuves seulement possibles.

À ce stade, le procès au fond reste potentiel.>


[19]. Il est à noter que, selon les « Statistiques pour le domaine civil » publiées sur le site intranet de la Cour de cassation, 958 ordonnances de déchéance ont été rendues durant l’année 2020 (1 980 ordonnances de désistement) et 1 303 (2 511 ordonnances de désistement) durant l’année 2019.

[20]. Voir pour exemples : 3e Civ., 29 mars 2018, pourvoi no 17-15.042, Bull. 2018, III, no 37 ; Com., 4 juillet 2006, pourvoi no 04-16.578, Bull. 2006, IV, no 168 ; 1re Civ., 13 novembre 2003, pourvoi no 00-20.075, Bull. 2003, I, no 227; 3e Civ., 5 avril 2006, pourvoi no 05-13.187, Bull. 2006, III, no 96 ; 1re Civ., 9 juillet 2003, pourvoi no 01-11.153, Bull. 2003, I, no 170 ; 3e Civ., 19 janvier 2000, pourvoi no 98-13.773, Bull. 2000, III, no 11.

[21]. Voir pour exemples : 1re Civ., 9 mai 2019, pourvoi no 18-14.736, publié au Bulletin ; 1re Civ., 11 juillet 2018, pourvoi no 17-19.875 ; 3e Civ., 26 mars 2014, pourvois no 12-24.203 et no 12-24.208, Bull. 2014, III, no 42 ; Soc., 5 février 2014, pourvoi no 12-24.980 ; 1re Civ., 13 décembre 2012, pourvoi no 11-23.886 ; 2e Civ., 28 juin 2012, pourvoi no 11-20.011, Bull. 2012, II, no 123 ; 3e Civ., 19 mai 2010, pourvoi no 09-12.689, Bull. 2010, III, no 97 ; 3e Civ., 10 mai 2006, pourvoi no 05-13.603.

[22]. C. Brenner et H. Lécuyer, « La réforme de la prescription », JCP 2009, éd. N, 1118, § 66, cité par le rapporteur de l’arrêt 2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi no 18-10.011, publié au Bulletin.

G. Droit pénal et procédure pénale

1. Droit pénal général

a. Cumul de qualifications
Cumul idéal d’infractions – Fait unique – Pluralité de qualifications – Double déclaration de culpabilité – Exclusion – Infraction étant l’élément constitutif ou la circonstance aggravante de la seconde – Infraction spéciale incriminant une modalité de l’action sanctionnée par la seconde – Cas – Escroquerie et faux et usage de faux

Crim., 15 décembre 2021, pourvoi no 21-81.864, publié au Bulletin, rapport de Mme Fouquet et avis de M. Petitprez

Outre la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l’une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l’autre, un ou des faits identiques ne peuvent donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité concomitantes contre une même personne lorsque l’on se trouve dans l’une des deux hypothèses suivantes :

Dans la première, l’une des qualifications, telle qu’elle résulte des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue.

Dans la seconde, l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale.

Cassation – Moyen – Moyen nouveau – Principe ne bis in idem – Poursuites concomitantes – Irrecevabilité

Crim., 15 décembre 2021, pourvoi no 20-85.924, publié au Bulletin, rapport de Mme Labrousse et avis de M. Quintard

Le moyen, qui invoque pour la première fois devant la Cour de cassation la violation du principe ne bis in idem en cas de poursuites concomitantes, est irrecevable.

Le 15 décembre 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation, réunie en formation solennelle, a rendu deux arrêts qui marquent une évolution substantielle de la jurisprudence concernant le cumul de qualifications pour les mêmes faits dans le cadre de poursuites concomitantes.

Ces décisions constituent l’aboutissement d’un processus de réflexion préparatoire nouveau, entamé à l’occasion d’échanges sur le sujet avec les universitaires lors d’un colloque (« Le principe ne bis in idem et les concours d’infractions pénales ») et poursuivi au sein d’un groupe de travail interne à la chambre criminelle.

En motivation développée, l’arrêt du 15 décembre 2021 (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi no 21-81.864, publié au Bulletin et au Rapport annuel) expose précisément les motifs de l’infléchissement de la jurisprudence et tend à envisager de façon globale la question.

Le principe de l’interdiction du cumul des qualifications lors de poursuites concomitantes applicable à la déclaration de culpabilité est maintenu, tout en limitant son champ d’application :

  • Le principe de l’interdiction du cumul des qualifications lors d’une déclaration de culpabilité ne s’applique qu’en cas de faits identiques ;
  • Dans le cas de faits identiques, il prohibe le cumul de qualifications lorsque l’une d’elles, telle qu’elle résulte des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre (seule cette dernière qualification doit être retenue) ;
  • Il prohibe également le cumul de qualifications lorsque l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale ;
  • En dehors de ces cas, le cumul de qualifications lors d’une déclaration de culpabilité est possible, même en présence de faits identiques ;
  • Pour mémoire, il est rappelé la prohibition du cumul d’infractions incompatibles.
1. La restriction du champ d’application de l’interdiction du cumul de qualifications

Par l’arrêt du 15 décembre 2021 (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi no 21-81.864, publié au Bulletin et au Rapport annuel), la chambre criminelle de la Cour de cassation affirme à nouveau le principe de l’interdiction du cumul de qualifications lors de la déclaration de culpabilité en application du principe ne bis in idem.

Toutefois, outre la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l’une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l’autre, ce principe doit être réservé aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l’on se trouve dans l’une des deux hypothèses suivantes :

Dans la première, l’une des qualifications, telle qu’elle résulte des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue.

Dans la seconde, l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale.

Avant de poser ce principe amendé, la chambre criminelle de la Cour de cassation explique les raisons de cette restriction du champ d’application de l’interdiction du cumul de qualifications pour les mêmes faits dans le cadre de poursuites concomitantes.

1.1. La jurisprudence antérieure

Les articles 132-2 et suivants du code pénal définissent et régissent le concours réel d’infractions, c’est-à-dire la situation dans laquelle une infraction est commise avant qu’une infraction antérieure ait fait l’objet d’une condamnation définitive, chacune des infractions en concours réprimant ainsi un fait distinct. En revanche, aucun texte ne définit, ni ne régit, l’hypothèse dans laquelle un acte unique est susceptible de recevoir plusieurs qualifications.

L’étude de la jurisprudence antérieure aux présentes décisions illustre un souci de rationnaliser la faculté de cumuler des qualifications pour des mêmes faits tout en se heurtant à la difficulté, en la matière, de fixer une doctrine régissant l’ensemble des situations.

La chambre criminelle de la Cour de cassation, au visa du principe ne bis in idem, a jugé qu’un même fait autrement qualifié ne peut donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité, fût-ce au cours de poursuites concomitantes (Crim., 13 janvier 1953, Bull. crim. 1953, no 12).

Cependant, l’application de cette règle n’a pas donné lieu à une jurisprudence constante et uniforme. Il a été en particulier recouru, afin de justifier une double déclaration de culpabilité pour un même fait, aux notions de violation d’intérêts distincts ou de valeurs sociales protégées (exemples : Crim., 22 novembre 1983, pourvoi no 83-93.975, Bull. crim. 1983, no 308 ; Crim., 4 mai 2006, pourvoi no 05-84.786 ; Crim., 6 février 2007, pourvoi no 06-82.601, Bull. crim. 2007, no 29 ; Crim., 8 décembre 2015, pourvoi no 14-85.548, Bull. crim. 2015, no 278) ; à la différence des éléments constitutifs des infractions concernées (exemple : Crim., 17 novembre 1986, pourvoi no 85-93.444, Bull. crim. 1986, no 342) ou des intentions coupables (exemple : Crim., 3 mars 1960, Bull. crim. 1960, no 138).

Dans un souci de rationalisation du droit applicable, en 2016, la chambre criminelle de la Cour de cassation a posé, toujours au visa du principe ne bis in idem, le principe selon lequel « des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes » (Crim., 26 octobre 2016, pourvoi no 15-84.552, Bull. crim. 2016, no 276, publié au Rapport annuel).

Cet arrêt a constitué une évolution à plusieurs égards. Il traduisait la volonté de garantir de la même manière les droits de la personne poursuivie dans les hypothèses de poursuites concomitantes et successives en appliquant de façon identique dans les deux cas le principe ne bis in idem. Il affirmait en creux la volonté d’abandonner la possibilité de retenir deux qualifications concurrentes en utilisant le critère classique des intérêts sociaux protégés, qui s’était avéré en pratique trop incertain ou trop souple. Le principe énoncé entendait expressément trouver à s’appliquer, non seulement en cas de poursuites visant la commission d’un fait unique, mais aussi à des situations où des faits pluriels indissociables sont incriminés.

La chambre criminelle de la Cour de cassation s’inspirait en cela de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans l’hypothèse de poursuites successives, a jugé que l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes. La Cour de Strasbourg a précisé que l’examen doit porter sur les faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même auteur et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace, l’existence de ces circonstances devant être démontrée pour qu’une condamnation puisse être prononcée ou que des poursuites pénales puissent être engagées (CEDH, arrêt du 10 février 2009, Sergueï Zolotoukhine c. Russie, no 14939/03).

Cependant, la mise en œuvre du principe posé dans l’hypothèse de poursuites concomitantes, qui a été décliné dans plusieurs arrêts subséquents à celui de 2016, s’est révélé source de difficultés rendant son évolution nécessaire.

1.2. Une évolution nécessaire

La chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’arrêt du 15 décembre 2021 (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi no 21-81.864, publié au Bulletin et au Rapport annuel) expose les raisons justifiant l’évolution de la jurisprudence. En premier lieu, l’application du principe posé dans l’arrêt du 26 octobre 2016 (Crim., 26 octobre 2016, pourvoi no 15-84.552, précité) peut conduire à ce que des plaignants, qui étaient recevables à se constituer partie civile pour l’un des faits poursuivis, ne puissent obtenir réparation en l’absence de préjudice direct et personnel résultant de la seule qualification retenue (pour une illustration, Crim., 18 mars 2020, pourvoi no 19-83.358).

En effet, la chambre criminelle juge que les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d’un préjudice résultant de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction visée à la poursuite (Crim., 21 novembre 2018, pourvoi no 17-81.096, Bull. crim. 2018, no 193).

Il convient d’observer que pour pallier cette difficulté, la chambre criminelle de la Cour de cassation admet d’ores et déjà et depuis longtemps, en matière d’atteinte involontaire à l’intégrité physique des personnes, qu’un prévenu soit poursuivi et déclaré coupable à raison de qualifications pénales distinctes, lorsqu’un seul et même accident a causé à plusieurs victimes des blessures de gravité inégale susceptibles de qualification délictuelle et contraventionnelle, ou a causé la mort d’une victime et n’a entraîné pour d’autres que des blessures.

Dans ce cas, la chambre criminelle constate que les infractions « procèdent d’une même action coupable » et, tout en admettant que la déclaration de culpabilité porte sur toutes les qualifications poursuivies, veille seulement à ce qu’une seule peine soit prononcée (Crim., 8 mars 2005, pourvoi no 04-83.341, Bull. crim. 2005, no 78 ; Crim., 24 octobre 2017, pourvoi no 16-85.506).

En deuxième lieu, la chambre criminelle de la Cour de cassation constate que la jurisprudence de 2016 ne permet pas toujours de réprimer l’action délictueuse de la façon la plus adaptée aux faits de l’espèce et à la situation personnelle de l’auteur des faits. En effet, sa mise en œuvre implique de ne retenir qu’une seule infraction et de ne prononcer que les peines attachées à celle-ci (Crim., 13 janvier 1953, Bull. crim. 1953, no 12 ; Crim., 8 décembre 1959, Bull. crim. 1959, no 588). Elle fait ainsi obstacle à ce que le juge puisse individualiser la peine en prononçant une peine complémentaire réprimant une infraction non retenue et qui pourtant apparaît particulièrement adaptée aux circonstances de l’acte commis, à la personnalité ou à la situation personnelle de son auteur. On peut citer par exemple la peine complémentaire d’interdiction professionnelle ou encore celle de confiscation du patrimoine.

En dernier lieu, le choix d’une seule qualification ne permet pas toujours d’appréhender l’action délictueuse dans toutes ses dimensions.

En effet, l’abandon de l’une des qualifications en présence peut avoir pour conséquence d’occulter un intérêt auquel l’action délictueuse a porté atteinte ou une circonstance dans laquelle cette action s’est déroulée, alors que la volonté de protéger cet intérêt ou de réprimer cette circonstance a déterminé le législateur à incriminer le comportement considéré.

Cette dernière considération a d’ores et déjà conduit la chambre criminelle de la Cour de cassation à admettre des cumuls de qualifications dans des hypothèses où seul le cumul des chefs de poursuite permet d’appréhender l’action délictueuse dans toutes ses dimensions (illustrations : Crim., 16 avril 2019, pourvoi no 18-84.073, Bull. crim. 2019, no 77 ; Crim., 31 mars 2020, pourvoi no 19-83.938).

1.3. Une évolution en cohérence avec l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

La Cour européenne des droits de l’homme juge que l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes (CEDH, arrêt du 10 février 2009, Sergueï Zolotoukhine c. Russie, no 14939/03). Ce texte, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, prohibe la répétition de procédures pénales définitivement clôturées.

Cependant, même dans ce cadre, la Cour de Strasbourg admet le cumul de poursuites dès lors que celles-ci, prévisibles, unies par un lien matériel et temporel suffisamment étroit, s’inscrivent dans une approche intégrée et cohérente du méfait en question et permettent de réprimer les différents aspects de l’acte répréhensible, à condition qu’elles ne génèrent pas d’inconvénient supplémentaire pour la personne poursuivie, ne conduisent pas à lui faire supporter une charge excessive, et se limitent à ce qui est strictement nécessaire au regard de la gravité de l’infraction (CEDH, arrêt du 8 octobre 2020, Bajcic c. Croatie, no 67334/13 ; CEDH, arrêt du 31 août 2021, Galovic c. Croatie, no 45512/11).

Ainsi, lorsqu’il existe entre des poursuites concernant des faits ou une action matérielle un lien suffisamment étroit entre elles, matériellement et temporellement, comme cela serait nécessairement le cas si elles faisaient partie de la même procédure, la nécessité de réprimer différents aspects de l’acte répréhensible peut justifier, à certaines conditions, le cumul des poursuites.

Les conditions posées tendent à garantir que d’une part les inconvénients générés par la duplication des procédures ne soient pas excessifs et que d’autre part les sanctions prononcées demeurent strictement proportionnées à la gravité de l’infraction.

1.4. Une évolution possible au regard notamment des garanties offertes par le régime du prononcé des peines

Dans l’hypothèse où plusieurs qualifications sont susceptibles de recevoir application à l’occasion d’une même poursuite, les principes posés par l’article 132-3 du code pénal et la jurisprudence garantissent le prononcé de peines nécessaires, proportionnées et adaptées.

Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle qu’en vertu de l’article 132-3 du code pénal, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé qu’une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé. Seules les peines d’amende pour contraventions se cumulent entre elles et avec celles encourues ou prononcées pour des délits en concours, en application de l’article 132-7 du code pénal, et que sa jurisprudence, consacrée par la création de l’article 485-1 du code de procédure pénale, qui exige désormais que les peines principales et complémentaires prononcées par les juges soient motivées au regard de la gravité des faits, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de leur auteur en tenant compte des éléments concrets de l’espèce (Crim., 8 mars 2017, pourvoi no 15-87.422, Bull. crim. 2017, no 66 ; Crim., 27 juin 2018, pourvoi no 16-87.009, Bull. crim. 2018, no 128 ; Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.576, publié au Bulletin et au Rapport annuel).

2. Les cas d’interdiction du cumul de qualifications

2.1. La condition tenant à l’identité de faits

La solution adoptée par l’arrêt du 26 octobre 2016 (Crim., 26 octobre 2016, pourvoi no 15-84.552, précité) pouvait amener le juge pénal à statuer sur le cumul de deux infractions qui réprimaient des faits différents mais considérés comme indissociables et en conséquence ne devant être poursuivis que sous une seule qualification.

Le nouveau principe restreint la portée de l’interdiction de cumul aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause. Ainsi, dans l’hypothèse de poursuites multiples au cours d’une même procédure, il appartient au juge pénal, saisi d’un moyen tiré de la violation du principe ne bis in idem, de rechercher uniquement si le ou les faits retenus pour caractériser chacune des qualifications, tels que visés à la prévention, sont identiques.

Si les faits incriminés sont distincts, il importe peu, contrairement aux notions dégagées par l’arrêt du 26 octobre 2016 précité, qu’ils soient indissociables et que leur auteur ait poursuivi une seule intention coupable. Par ailleurs, même lorsque les faits poursuivis sous plusieurs qualifications sont identiques, leur cumul n’est interdit que dans des hypothèses limitées.

2.2. Le cas spécifique des infractions incompatibles

La chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle que deux infractions ne peuvent se cumuler lorsque la caractérisation des éléments constitutifs de l’une exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l’autre. Cette hypothèse ne relève pas de l’application du principe ne bis in idem. Elle s’explique par l’impossibilité de caractériser l’une des infractions lorsque l’autre est constituée. Par exemple, le délit d’homicide involontaire ne peut se cumuler avec le crime de meurtre lorsque les mêmes faits sont concernés.

2.3. Le cas des qualifications inclusives dont le cumul est prohibé par le principe ne bis in idem

Le cumul de qualifications est prohibé lorsque l’une d’elles, telle qu’elle résulte des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre. Seule cette dernière qualification doit être retenue.

Afin de rechercher si l’une des qualifications visées à la prévention constitue un élément constitutif ou une circonstance aggravante d’une autre, il convient de s’attacher non aux faits de l’espèce, mais aux qualifications définies par les textes d’incrimination.

Ainsi, par exemple, le crime de viol, lorsqu’il est commis par violence, ne peut être retenu concomitamment au délit de violences. Seul le crime de viol doit être retenu, sauf si les faits constitutifs de ce délit sont distincts des violences caractérisant l’un des éléments constitutifs du viol. De même, le délit de vol avec violence ne peut être retenu concomitamment au délit de violences. Seul le vol aggravé doit être retenu, sauf si les faits constitutifs de ce délit sont distincts des violences caractérisant la circonstance aggravante du vol.

2.4. Le cas des qualifications générale et spéciale dont le cumul est prohibé par le principe ne bis in idem

L’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale. Par exemple, ne peuvent être retenus concomitamment les crimes d’assassinat et d’empoisonnement, prévus et réprimés respectivement par les articles 221-3 et 221-5 du code pénal.

3. Illustration sur le cumul de qualifications escroquerie, faux et usage de faux

Par l’arrêt du 15 décembre 2021 (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi no 21-81.864, publié au Bulletin et au Rapport annuel), la chambre criminelle de la Cour de cassation juge qu’en application des principes posés, les délits de faux, usage de faux et escroquerie peuvent se cumuler.

Aux termes de l’article 441-1 du code pénal, constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. Sont réprimés la production et l’usage de faux.

L’article 313-1 du même code définit l’escroquerie comme le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.

Les délits de faux et d’usage de faux peuvent se cumuler car ils visent des faits distincts.

Les délits d’usage de faux et d’escroquerie peuvent se cumuler car bien que visant des faits identiques, ils n’entrent pas dans l’un des cas où le cumul est interdit. En effet, en premier lieu, la caractérisation des éléments constitutifs de l’une des infractions n’exclut pas la caractérisation des éléments constitutifs de l’autre. En second lieu, aucune de ces infractions n’est un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’une des autres. Le législateur n’a pas érigé en élément constitutif de l’infraction d’escroquerie l’usage de faux mais « les manœuvres frauduleuses ». L’escroquerie peut être caractérisée par des actes qui ne sont pas par eux-mêmes délictueux.

Ainsi, le délit d’usage de faux n’est pas, aux termes des textes d’incrimination, un élément constitutif du délit d’escroquerie. Ces deux qualifications peuvent donc se cumuler.

4. L’irrecevabilité du moyen tiré de la violation du principe ne bis in idem invoqué pour la première fois en cassation

La chambre criminelle de la Cour de cassation juge que le moyen, qui invoque pour la première fois devant la chambre criminelle la violation du principe ne bis in idem en cas de poursuites concomitantes, n’est pas recevable (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi no 20-85.924, publié au Bulletin et au Rapport annuel).

En effet, en premier lieu, ce principe, appliqué dans le cas de poursuites concomitantes, tend à protéger les intérêts du prévenu. Il n’est donc pas d’ordre public. En second lieu, le grief ne naît pas de l’arrêt attaqué.

En revanche, le moyen est recevable lorsque, bien que n’ayant pas été soulevé par le prévenu, la cour d’appel a écarté d’office l’application du principe ne bis in idem (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi no 21-81.864, publié au Bulletin et au Rapport annuel). En effet, dans cette hypothèse, le grief naît de l’arrêt.

Il convient de préciser que cette solution ne concerne pas l’hypothèse où le principe ne bis in idem est invoqué à l’occasion de poursuites successives.

En effet, dans ce cas, ce principe concourt également à préserver l’autorité des décisions de justice et la sécurité juridique. La chambre criminelle de la Cour de cassation juge en conséquence que l’exception prise de sa violation est dès lors un moyen d’ordre public qui peut être soulevé à tout moment de la procédure et notamment pour la première fois devant la chambre criminelle, à condition que cette Cour trouve dans les constatations des juges du fond les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur (Crim., 13 novembre 1989, pourvoi no 88-80.801, Bull. crim. 1989, no 408 ; Crim., 8 décembre 1993, pourvoi no 93-81.959, Bull. crim. 1993, no 377).

b. Peines

Lois et règlements – Application dans le temps – Loi pénale de fond – Loi plus douce – Loi no 2019-222 du 23 mars 2019 – Effets – Application aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur

Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.464, publié au Bulletin, rapport de M. Bellenger et avis de Mme Philippe

L’article 132-19, alinéa 1, du code pénal dans sa version issue de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019, qui interdit le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme égale ou inférieure à un mois, est une disposition de pénalité moins sévère applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur, le 24 mars 2020.

Peines – Peines correctionnelles – Peines d’emprisonnement sans sursis prononcées par la juridiction correctionnelle – Peine inférieure à six mois – Aménagement de peine – Aménagement ab initio – Refus – Conditions – Détermination

Crim., 11 mai 2021, pourvoi n20-84.412, publié au Bulletin, rapport de Mme Issenjou et avis de M. Valat

Il résulte des articles 132-19 et 132-25 du code pénal et 464-2 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019, applicables à compter du 24 mars 2020, que si la peine ferme d’emprisonnement prononcée est inférieure ou égale à six mois, au sens de l’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale, son aménagement est obligatoire et ce n’est qu’en cas d’impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné que la juridiction correctionnelle peut écarter l’aménagement de la peine.

Dans ce cas, elle doit motiver spécialement sa décision, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l’espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné.

Lorsque la peine est de six mois, elle doit, en outre, si elle ne décerne aucun mandat de dépôt ou d’arrêt en application des articles 397-4 et 465-1 du code de procédure pénale, délivrer un mandat de dépôt à effet différé.

Lorsque la peine est inférieure à six mois, et dès lors que la loi ne permet pas la délivrance d’un mandat de dépôt à effet différé, elle doit, si elle ne décerne aucun mandat de dépôt ou d’arrêt en application des articles 397-4 et 465-1 du code de procédure pénale, remettre au condamné un avis de convocation à comparaître devant le juge de l’application des peines conformément à l’article 474 du code de procédure pénale.

Dès lors, méconnaît les principes précités la cour d’appel qui, pour refuser d’aménager une peine de trois mois d’emprisonnement assortie de la révocation partielle du sursis à hauteur de trois mois assortissant une condamnation antérieure, énonce qu’en l’absence d’éléments suffisants sur la situation matérielle et professionnelle de l’intéressé, elle se trouve dans l’impossibilité d’organiser valablement ab initio l’une des mesures d’aménagement, alors que l’aménagement de la peine était obligatoire, l’impossibilité de déterminer les modalités de la mesure n’étant pas de nature à y faire obstacle.

Peines – Peines correctionnelles – Peines d’emprisonnement sans sursis prononcées par la juridiction correctionnelle – Conditions – Motivation – Nécessité de la peine et caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction – Caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction – Constatation – Caractère suffisant – Détermination – Portée

Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-83.507, publié au Bulletin, rapport de Mme Fouquet et avis de Mme Mathieu

Il se déduit des articles 464-2, 485-1 du code de procédure pénale, 132-1 et 132-19 du code pénal, dans leur rédaction issue de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019, qu’en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine d’emprisonnement ferme doit, quels que soient le quantum et la décision prise quant à son éventuel aménagement, motiver ce choix en faisant apparaître qu’il a tenu compte des faits de l’espèce, de la personnalité de leur auteur, ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale. Il lui appartient d’établir, au regard de ces éléments, que la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et que toute autre sanction est manifestement inadéquate.

Ces dispositions sont applicables immédiatement au jugement des infractions commises avant leur entrée en vigueur, le 24 mars 2020, en application de l’article 112-2, 2o, du code pénal, s’agissant de dispositions relatives à la motivation des peines.

Justifie sa décision la cour d’appel qui, postérieurement au 24 mars 2020, pour prononcer une peine de dix-huit mois d’emprisonnement, statue par des motifs dont il résulte qu’elle a tenu compte des faits de l’espèce, de la personnalité du prévenu et de sa situation personnelle et établissent que la gravité des faits et la personnalité du prévenu rendent la peine d’emprisonnement sans sursis indispensable, toute autre sanction étant manifestement inadéquate.

Lois et règlements – Application dans le temps – Loi relative au régime d’exécution et d’application des peines – Aménagement des peines sans sursis supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an – Application immédiate – Exception – Quantum de la peine aménageable

Même arrêt

Lorsque les faits ont été commis avant le 24 mars 2020, date d’entrée en vigueur de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 et sans récidive légale, le juge qui prononce une peine d’emprisonnement supérieure à un an et inférieure ou égale à deux ans doit se prononcer sur son éventuel aménagement au regard des dispositions issues de la loi précitée relatives à l’aménagement des peines supérieures à six mois et inférieures ou égales à un an, seule la condition tenant au quantum de la peine aménageable restant régie par la loi ancienne.

Il se déduit du principe qui vient d’être énoncé ainsi que de l’articulation des articles 132-19 du code pénal, dans ses rédactions antérieure et postérieure à la loi précitée, 132-25 du code pénal, 464-2 et 593 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de cette loi, que, lorsque la date des faits poursuivis est antérieure au 24 mars 2020, si la peine d’emprisonnement prononcée est supérieure à un an et inférieure ou égale à deux ans, au sens de l’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale, l’aménagement de la peine est le principe, sauf en cas de récidive.

La juridiction de jugement ne peut écarter l’aménagement que si elle constate que la situation ou la personnalité du condamné ne permettent pas son prononcé ou si elle relève une impossibilité matérielle de le faire.

Dans ce cas, elle doit motiver spécialement sa décision, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l’espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné.

Elle doit en outre, si elle ne décerne aucun mandat de dépôt ou d’arrêt en application des articles 397-4, 465 et 465-1 du code de procédure pénale, délivrer un mandat de dépôt à effet différé.

Dès lors encourt la censure, l’arrêt de la cour d’appel, qui après avoir condamné le prévenu à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois pour des faits commis avant le 24 mars 2020, ne se prononce pas sur son aménagement.

Lois et règlements – Application dans le temps – Loi de forme ou de procédure – Application immédiate – Domaine d’application – Disposition relative à la motivation des peines

Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.576, publié au Bulletin, rapport de Mme Labrousse et avis de M. Aubert

L’article 485-1 du code de procédure pénale, issu de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019, qui pose, sans préjudice des dispositions prévoyant une motivation spéciale, le principe de la motivation des peines en matière correctionnelle, à l’exception des peines obligatoires ou de la confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction, est applicable immédiatement au jugement des infractions commises avant son entrée en vigueur, le 24 mars 2020, en application de l’article 112-2, 2o, du code pénal, s’agissant d’une disposition relative à la motivation des peines.

Il en résulte qu’en matière correctionnelle, une peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle et que le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu.

Lois et règlements – Application dans le temps – Loi relative au régime d’exécution et d’application des peines – Aménagement des peines sans sursis supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an – Application immédiate – Portée

Même arrêt

Les dispositions de l’article 74 de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 relatives à l’aménagement des peines d’emprisonnement sans sursis supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an, qui forment un ensemble cohérent dont les élément sont indissociables, sont applicables immédiatement au jugement des infractions commises avant leur entrée en vigueur, le 24 mars 2020, en application de l’article 112-2, 3o, du code pénal, s’agissant de dispositions relatives au régime d’exécution et d’application des peines n’ayant pas pour résultat de rendre plus sévères les condamnations prononcées.

Lois et règlements – Application dans le temps – Loi de forme ou de procédure – Application immédiate – Domaine d’application – Disposition précisant le mode de calcul des seuils d’emprisonnement en matière d’aménagement de peine

Même arrêt

Les dispositions de l’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale, introduites par l’article 2 du décret no 2020-187 du 3 mars 2020, qui prévoient que les seuils de six mois ou un an d’emprisonnement prévus en matière d’aménagement de peine par la loi précitée du 23 mars 2019 s’apprécient en tenant compte de la révocation totale ou partielle d’un sursis simple décidée par la juridiction de jugement et de la durée de la détention provisoire, sont applicables immédiatement au jugement des faits commis antérieurement à leur entrée en vigueur, le 24 mars 2020, en application de l’article 112-2, 2o, du code pénal, s’agissant de dispositions fixant les formes de la procédure.

Peines – Peines correctionnelles – Peines d’emprisonnement sans sursis prononcées par la juridiction correctionnelle – Peine supérieure à six mois et inférieure ou égale à un an – Aménagement de peine – Aménagement ab initio – Refus – Conditions – Détermination

Même arrêt

Il résulte des articles 132-19 et 132-25 du code pénal et 464-2 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019, que si la peine ferme d’emprisonnement prononcée est supérieure à six mois et inférieure ou égale à un an, au sens de l’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale, son aménagement est le principe et la juridiction correctionnelle ne peut l’écarter que si elle constate que la situation ou la personnalité du condamné ne permettent pas son prononcé ou si elle relève une impossibilité matérielle de le faire.

Dans ce cas, elle doit motiver spécialement sa décision, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l’espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné. Elle doit en outre, si elle ne décerne aucun mandat de dépôt ou d’arrêt en application des articles 397-4, 465 et 465-1 du code de procédure pénale, délivrer un mandat de dépôt à effet différé.

Il s’ensuit que la juridiction de jugement ne peut refuser d’aménager la peine au motif qu’elle ne serait pas en possession d’éléments lui permettant d’apprécier la mesure d’aménagement adaptée. Dans ce cas, elle doit ordonner d’une part l’aménagement de la peine, d’autre part la convocation du prévenu devant le juge de l’application des peines, en application de l’article 464-2, I, 2o, du code de procédure pénale.

Elle ne peut davantage l’écarter au motif de l’absence d’éléments propres à caractériser un projet de réinsertion. Enfin, la juridiction de jugement ne peut refuser l’aménagement de la peine au motif qu’elle ne dispose pas d’éléments suffisamment précis et actualisés. Si le prévenu est comparant, la juridiction doit l’interroger sur sa situation personnelle et, le cas échéant, peut ordonner un ajournement de la peine aux fins d’investigations sur sa personnalité ou sa situation, en application de l’article 132-70-1 du code pénal. Si le prévenu est non comparant, la juridiction de jugement ne peut refuser d’aménager la peine en se fondant sur sa seule absence. Il lui appartient de rechercher, au vu des pièces de la procédure, si le principe d’un aménagement peut être ordonné.

Dès lors, ne justifie pas sa décision la cour d’appel qui, pour refuser d’aménager une peine de cinq mois d’emprisonnement assortie de la révocation totale du sursis de trois mois assortissant une condamnation antérieure, se borne à énoncer qu’en raison de l’insuffisance d’éléments actualisés sur la situation et sur la personnalité du prévenu, aucune pièce n’ayant été produite devant la juridiction, aucun aménagement de peine ne peut être prononcé, alors qu’il lui appartenait d’interroger le prévenu, présent à l’audience, afin d’obtenir ces éléments pour apprécier si un aménagement de sa peine, au moins dans son principe, pouvait être prononcé et, le cas échéant, d’ordonner des investigations complémentaires, en application de l’article 132-70-1 du code pénal.

Le 11 mai 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation, réunie en formation solennelle, a rendu quatre arrêts qui portent sur l’application des dispositions relatives au prononcé et à la motivation des peines en matière correctionnelle, en particulier des peines d’emprisonnement et de leur aménagement, lesquelles ont été substantiellement modifiées par la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, entrée en vigueur le 24 mars 2020. Elle complète ainsi sa jurisprudence issue de l’arrêt en date du 20 octobre 2020 (Crim., 20 octobre 2020, pourvoi no 19-84.754, publié au Bulletin).

En procédant de la sorte, elle tend, avec un souci de cohérence et de sécurité juridique dans l’application et l’interprétation de plusieurs textes à coordonner entre eux, en s’assurant de l’intention du législateur, à faciliter la mise en œuvre du « bloc peines » par les juridictions correctionnelles.

1. Le prononcé des peines, autres que l’emprisonnement sans sursis, en matière correctionnelle

La loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée a introduit dans le code de procédure pénale un nouvel article 485-1 aux termes duquel la motivation de la décision correctionnelle doit porter sur « le choix de la peine au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, sauf s’il s’agit d’une peine obligatoire ou de la confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction ».

Dans l’un des arrêts du 11 mai 2021 (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.576, publié au Bulletin et au Rapport annuel), la Cour de cassation juge que ce texte relatif à la motivation des peines constitue une loi de procédure, applicable immédiatement à la répression des infractions commises avant son entrée en vigueur en application de l’article 112-2, 2o, du code pénal, conformément à une jurisprudence constante (§ 12). Elle constate par ailleurs que les articles 132-1 et 132-20 du code pénal n’ont pas été modifiés par la loi (§ 14).

Il s’ensuit que les exigences de motivation des peines correctionnelles demeurent les mêmes qu’antérieurement : ainsi, en matière correctionnelle, la peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle et le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu.

En l’espèce, le moyen qui critiquait le prononcé d’une peine d’emprisonnement avec sursis, d’une amende et d’une interdiction de gérer, est écarté au regard de la motivation retenue par les juges et, conformément à une jurisprudence constante, dès lors que la prévenue n’a comparu ni devant les premiers juges ni devant la cour d’appel après avoir fait l’objet d’une première décision de condamnation et n’a fourni, ni fait fournir à la juridiction, à aucun de ces stades, d’éléments sur sa personnalité et sa situation personnelle ainsi que sur le montant de ses charges, qu’il n’incombe pas aux juges, en possession des seuls éléments mentionnés en procédure sur ces différents points, de rechercher ceux qui ne leur auraient pas été soumis et qu’en l’absence d’autres éléments portés à leur connaissance, les juges peuvent fonder leur appréciation de la personnalité du prévenu sur le seul casier judiciaire (§ 16 à 22).

2. Le prononcé des peines d’emprisonnement sans sursis en matière correctionnelle
2.1. L’interdiction des peines d’emprisonnement ferme d’une durée égale ou inférieure à un mois

L’article 132-19, alinéa 1, du code pénal, modifié par la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée, entrée en vigueur le 24 mars 2020, interdit le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme d’une durée égale ou inférieure à un mois.

Il ressort des travaux parlementaires que le législateur a entendu, non pas imposer une peine minimale de privation de liberté, à l’instar d’une peine plancher, mais au contraire interdire au juge de prononcer une très courte peine d’emprisonnement et l’inciter à prononcer alors une peine alternative à l’emprisonnement.

Interprétant la loi dans le sens voulu par le législateur, la Cour de cassation considère, dans l’un des arrêts du 11 mai 2021 (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.464, publié au Bulletin et au Rapport annuel), qu’il s’agit donc d’une disposition de pénalité moins sévère, applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur, conformément à l’article 112-1 du code pénal (§ 9 et 10).

En conséquence, elle casse, en l’espèce, la décision d’une cour d’appel qui a prononcé, le 8 septembre 2020, une peine de quinze jours d’emprisonnement ferme pour des faits de prise du nom d’un tiers commis en 2018.

Il s’en déduit que, lorsque plusieurs peines d’emprisonnement sont prononcées cumulativement, en application par exemple, comme dans l’affaire considérée, de l’article 434-23 du code pénal, le respect des dispositions de l’article 132-19 du code pénal s’apprécie peine par peine.

2.2. La motivation des peines d’emprisonnement sans sursis
2.2.1 La jurisprudence antérieure sous l’empire des anciens textes

Sous l’empire de l’article 132-19 du code pénal dans sa version antérieure à la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée, la Cour de cassation jugeait que :

2.2.2 L’évolution des textes et de la jurisprudence

Dans l’un des arrêts du 11 mai 2021 (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-83.507, publié au Bulletin et au Rapport annuel), la Cour de cassation, après avoir constaté que la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée a modifié le dernier alinéa de l’article 132-19 du code pénal et créé des articles 464-2 et 485-1 du code de procédure pénale et analysé leur articulation, conclut que ces modifications lui imposent de faire évoluer sa jurisprudence (§ 9 à 11).

Ainsi, le juge qui prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit motiver son choix en faisant apparaître qu’il a tenu compte, non seulement des faits de l’espèce et de la personnalité de leur auteur, mais aussi de sa situation matérielle, familiale et sociale (§ 12). Le régime de motivation se trouve par conséquent aligné sur celui des autres peines correctionnelles.

Comme auparavant, mais en articulant dorénavant au regard de ces trois séries d’éléments (qui constituent une sorte « d’assiette » de la motivation), le juge doit établir que la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et que toute autre sanction est manifestement inadéquate (§ 12).

Le renforcement des exigences de motivation des peines d’emprisonnement sans sursis apparaît en conformité avec la volonté du législateur de limiter le prononcé de telles peines, qui s’est notamment traduite par la substitution de l’adjectif « indispensable » à l’adjectif « nécessaire » à l’alinéa 2 de l’article 132-19 du code pénal : « Toute peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate. ».

2.2.3 L’application dans le temps du renforcement de la motivation

Cette exigence de motivation est applicable immédiatement en application de l’article 112-2, 2o, du code pénal (§ 13 et 14), quelle que soit la date des faits, s’agissant d’une loi de procédure.

En l’espèce, le moyen qui critiquait la motivation de la peine d’emprisonnement de dix-huit mois est écarté, les juges, qui ont tenu compte des faits de l’espèce, de la personnalité du prévenu et de sa situation personnelle, s’étant prononcés par des motifs dont il résulte que la gravité des faits et la personnalité du prévenu rendent la peine d’emprisonnement sans sursis indispensable, toute autre sanction étant manifestement inadéquate (§ 15 à 21).

3. L’aménagement des peines d’emprisonnement sans sursis supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an

La loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée réforme en profondeur le droit de l’aménagement des peines supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an, ce qui a soulevé plusieurs questions : comment apprécier les nouveaux seuils d’aménagement de six mois et un an prévus par la loi ? Est-ce que les nouvelles dispositions d’aménagement des peines s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur, le 24 mars 2020 ? Quelles sont les conditions de fond, les modalités procédurales et les exigences de motivation en cas de refus d’aménagement ?

3.1. Les principes gouvernant l’aménagement des peines inférieures ou égales à un an

Il convient de rappeler les principes posés par le législateur dans la mesure où ceux-ci justifient les solutions dégagées par la Cour de cassation. Il résulte des travaux parlementaires que le législateur a entendu :

  • faciliter l’aménagement des courtes peines d’emprisonnement ferme : l’aménagement des peines devient obligatoire pour les peines supérieures à un mois et inférieures ou égales à six mois et doit porter en ce cas sur la totalité de la partie ferme de la peine tandis que l’aménagement de celles supérieures à six mois et inférieures ou égales à un an demeure le principe ;
  • ne plus subordonner l’aménagement de la peine à l’exigence d’un projet de réinsertion du condamné ;
  • confier au juge correctionnel, à titre principal, l’aménagement de la peine ;
  • assurer l’incarcération effective du condamné en l’absence d’aménagement de la peine.
3.2. L’appréciation des seuils d’aménagement de six mois et un an

L’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale a été introduit par l’article 2 du décret no 2020-187 du 3 mars 2020 relatif aux aménagement de peine et aux modalités d’exécution de la peine de détention à domicile sous surveillance électronique. Il prévoit que les seuils de six mois ou d’un an d’emprisonnement prévus en matière d’aménagement de peine par la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée s’apprécient en tenant compte :

  • de la révocation totale ou partielle d’un sursis simple ou d’un sursis probatoire, décidée par la juridiction de jugement et dont la durée s’ajoute à celle de la peine d’emprisonnement pouvant être exécutée ;
  • de la durée de la détention provisoire dont la durée est intégralement déduite de celle de la peine d’emprisonnement prononcée.

Dans les arrêts du 11 mai 2021 (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-84.412, publié au Bulletin et au Rapport annuel, § 22 ; Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.576, publié au Bulletin et au Rapport annuel, § 26), la Cour de cassation précise que ce texte de procédure est applicable immédiatement et, par conséquent, le met en œuvre à l’égard d’une peine d’emprisonnement respectivement de trois et cinq mois d’emprisonnement avec révocation d’un sursis antérieur de trois mois.

3.3. L’application dans le temps des dispositions relatives à l’aménagement des peines d’emprisonnement sans sursis supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an

L’arrêt précité du 20 octobre 2020 (Crim., 20 octobre 2020, pourvoi no 19-84.754, publié au Bulletin) – aux termes duquel les dispositions de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 qui interdisent tout aménagement des peines d’emprisonnement sans sursis d’une durée comprise entre un et deux ans, ayant pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur – n’a pas tranché la question différente de l’application dans le temps des règles d’aménagement des peines d’emprisonnement ferme supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an.

Dans les pourvois dont la Cour de cassation était saisie, les faits pour lesquels les prévenus ont été condamnés avaient été commis avant l’entrée en vigueur des dispositions de l’article 74 de la loi modifiant ou créant les articles 132-19, 132-25 du code pénal et 464-2, 474 et 723-15 du code de procédure pénale relatifs à l’aménagement des peines.

Après avoir analysé et mis en cohérence ces dispositions, la Cour de cassation, dans l’un des arrêts du 11 mai 2021 (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.576, publié au Bulletin et au Rapport annuel), constate que le nouveau régime d’aménagement des peines qui en résulte forme un ensemble cohérent, au sein duquel chaque disposition trouve une contrepartie, relatif au régime d’exécution et d’application des peines dont l’application dans le temps obéit aux règles définies par l’article 112-2, 3o, du code pénal (§ 28 à 37).

Observant que ce nouveau régime ne rend pas plus sévères les peines prononcées, elle en déduit que les dispositions relatives à l’aménagement des peines d’emprisonnement sans sursis supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an sont applicables au jugement des faits commis antérieurement à leur entrée en vigueur (§ 38 à 42).

3.4. Les conditions de l’aménagement des peines inférieures ou égales à un an

3.4.1 L’aménagement obligatoire des peines supérieures à un mois et inférieures ou égales à six mois

Avant la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée, il résultait des articles 132-19 et 132-25 du code pénal que la juridiction qui prononçait une peine d’emprisonnement aménageable, quel qu’en soit le quantum, devait l’aménager si la personnalité et la situation du condamné le permettaient, et sauf impossibilité matérielle.

Tirant les conséquences, à la lumière des travaux parlementaires, des modifications apportées par la loi du 23 mars 2019 à la rédaction des articles 132-19 et 132-25 du code pénal, la Cour de cassation, dans l’un des arrêts du 11 mai 2021 (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-84.412, publié au Bulletin et au Rapport annuel), énonce que lorsque la peine ferme prononcée est supérieure à un mois et inférieure ou égale à six mois, l’aménagement de la peine, dans sa totalité, est désormais obligatoire (§ 25 à 27).

Ce n’est qu’en cas d’impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation de la personne condamnée que la juridiction pourra écarter le principe de l’aménagement de la peine (§ 28). Dans ce cas, conformément à l’article 132-19, alinéa 4, du code pénal, elle doit motiver spécialement sa décision, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l’espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné (§ 29). Le refus d’aménagement ne peut être motivé par d’autres éléments que ceux précités.

Dès lors, en l’espèce, la décision de la cour d’appel disant n’y avoir lieu à aménagement de la peine de six mois d’emprisonnement au sens de l’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale aux motifs qu’elle ne disposait pas d’éléments suffisants pour aménager est censurée (§ 32 à 34).

3.4.2 L’aménagement de principe des peines supérieures à six mois et inférieures ou égales à un an

Le principe de l’aménagement

Pour les peines supérieures à six mois et inférieures ou égales à un an, la Cour de cassation, dans l’un des arrêts du 11 mai 2021 (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.576, publié au Bulletin et au Rapport annuel), constate que la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée maintient le droit antérieur dont il résulte que l’aménagement est le principe (§ 48).

Pour refuser, par dérogation au principe, d’aménager la peine, la juridiction doit soit constater que la situation ou la personnalité du condamné ne permettent pas son prononcé, soit relever une impossibilité matérielle de le faire. Elle doit motiver spécialement sa décision, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l’espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné (§ 49 et 50).

Il convient de souligner que la juridiction n’a pas à motiver l’aménagement de la peine : seul le refus d’aménagement doit l’être.

La motivation du refus d’aménagement

Le refus d’aménagement ne peut être motivé par des éléments autres que ceux précités (§ 52) ; ne peuvent pas être des raisons permettant de motiver le refus d’aménagement :

  • l’absence d’éléments permettant à la juridiction d’apprécier la mesure d’aménagement adaptée. Dans ce cas, en application du nouvel article 464-2, I, 2o, du code de procédure pénale, la juridiction ordonne d’une part, le principe de l’aménagement de la peine, d’autre part la convocation du prévenu devant le juge de l’application des peines (§ 53) ;
  • l’absence d’éléments propres à caractériser un projet de réinsertion puisque l’aménagement n’est plus subordonné à l’exigence d’un tel projet (§ 54).

Par ailleurs, l’intention du législateur de limiter la mise à exécution des courtes peines d’emprisonnement et de favoriser le recours à l’ajournement du prononcé de la peine aux fins d’investigations sur la personnalité ou la situation du prévenu (modification de l’article 132-70-1 du code pénal) conduit la Cour de cassation à faire évoluer sa jurisprudence portant sur la motivation du refus d’aménagement (§ 55 à 57) :

  • si le prévenu est comparant, la juridiction doit l’interroger sur sa situation personnelle et, le cas échéant, peut ordonner un ajournement de la peine aux fins d’investigations sur sa personnalité ou sa situation, en application de l’article 132-70-1 précité (§ 60) ;
  • si le prévenu est non comparant, la juridiction de jugement ne peut refuser d’aménager la peine en se fondant sur sa seule absence. Il lui appartient alors de rechercher, au vu des pièces de la procédure, si le principe d’un aménagement peut être ordonné (§ 61).

Dès lors, en l’espèce, la décision de la cour d’appel refusant d’aménager la peine de huit mois d’emprisonnement au sens de l’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale en raison de l’insuffisance d’éléments actualisés est censurée (§ 62 à 65).

3.5. Les modalités procédurales du prononcé de l’aménagement ou de son refus

Les modalités procédurales du prononcé de l’aménagement ou de son refus sont fixées par le nouvel article 464-2 du code de procédure pénale créé par la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée. Cet article crée notamment la faculté pour la juridiction de délivrer un mandat de dépôt à effet différé lorsque l’emprisonnement est d’au moins six mois.

Dans les arrêts du 11 mai 2021 (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.576, publié au Bulletin et au Rapport annuel, § 51 à 53 ; Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-84.412, publié au Bulletin et au Rapport annuel § 30 et 31), la Cour de cassation en déduit qu’un tel mandat fait obstacle à toute saisine du juge de l’application des peines avant l’incarcération du condamné et précise également l’interprétation de l’article 464-2 du code de procédure pénale selon le quantum de la peine ferme d’emprisonnement prononcée.

3.5.1 Les modalités procédurales en cas d’aménagement de la peine d’emprisonnement

En application du nouvel article 464-2 du code de procédure pénale, lorsque la juridiction décide l’aménagement de la peine, elle doit :

  • soit ordonner son aménagement en déterminant la mesure adaptée (détention à domicile sous surveillance électronique, semi-liberté ou placement à l’extérieur). Comme par le passé, la juridiction de jugement n’a pas à fixer les modalités de la mesure d’aménagement, le juge de l’application des peines étant compétent pour le faire ;
  • soit, si elle ne dispose pas des éléments lui permettant de déterminer la mesure d’aménagement adaptée, elle doit ordonner l’aménagement de la peine et la convocation de la personne condamnée devant le juge de l’application des peines qui décidera de cette mesure comme le prévoit l’article 723-15 du code de procédure pénale (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.576, publié au Bulletin et au Rapport annuel, § 53).

Dans ces deux cas, en application de l’article 474 du code de procédure pénale, la juridiction correctionnelle remet au condamné présent à l’audience un avis de convocation à comparaître, dans un délai qui ne saurait excéder trente jours, devant le juge de l’application des peines.

Il convient de souligner que, dès lors que la juridiction, même saisie selon la procédure de comparution immédiate, ne peut ordonner l’aménagement de la peine d’emprisonnement ferme inférieure ou égale à six mois qu’en totalité, les dispositions de l’article 132-25 du code pénal ne lui permettent pas, quelle que soit la mesure décidée, d’ordonner une mesure d’incarcération (Crim., 14 avril 2021, pourvoi no 21-80.829, publié au Bulletin).

3.5.2 Les modalités procédurales en cas de refus d’aménagement de la peine d’emprisonnement

En application du nouvel article 464-2 du code de procédure pénale, lorsque la juridiction refuse l’aménagement pour les raisons déjà précisées, il convient de distinguer selon le quantum de peine encourue. La faculté de délivrer un mandat de dépôt à effet différé n’a en effet été prévue par le législateur que pour les peines égales ou supérieures à six mois.

Première hypothèse : la peine est supérieure à un mois et inférieure à six mois

La juridiction prend l’une de ces décisions (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-84.412, publié au Bulletin et au Rapport annuel, § 31) :

  • si le prévenu se trouve dans l’un des cas prévus aux articles 397-4 (comparution immédiate) et 465-1 (faits commis en récidive) du code de procédure pénale et qu’elle l’estime justifiée, délivrance d’un mandat de dépôt ou d’arrêt ;
  • dans les autres cas, remise à la personne condamnée, présente à l’audience, d’une convocation à comparaître devant le juge de l’application des peines dans un délai qui ne saurait excéder trente jours, en application de l’article 474 du code de procédure pénale.

Deuxième hypothèse : la peine est égale ou supérieure à six mois et inférieure ou égale à un an

Pour ce quantum de peine, le législateur a souhaité limiter, avant mise à exécution de la peine, la saisine du juge de l’application des peines aux seuls cas où le tribunal ne s’oppose pas à l’aménagement de la peine mais ne dispose pas d’éléments suffisants pour en choisir le mode d’exécution.

Dès lors, la juridiction prend l’une de ces décisions (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.576, publié au Bulletin et au Rapport annuel, § 51) :

  • si le prévenu se trouve dans l’un des cas prévus aux articles 397-4, 465 et 465-1 du code de procédure pénale et qu’elle l’estime justifiée, délivrance d’un mandat de dépôt ou d’arrêt ;
  • dans les autres cas, délivrance d’un mandat de dépôt à effet différé.

On observera que l’article 465 précité n’est applicable que si la peine est d’au moins un an d’emprisonnement.

4. L’aménagement des peines d’emprisonnement ferme supérieures à un an et inférieures ou égales à deux ans lorsque les faits ont été commis avant le 24 mars 2020

La Cour de cassation a jugé, le 20 octobre 2020 (Crim., 20 octobre 2020, pourvoi no 19-84.754, publié au Bulletin), que les dispositions de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée qui interdisent tout aménagement des peines d’emprisonnement sans sursis d’une durée comprise entre un et deux ans ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur.

Il en résulte que, lorsque le juge prononce une peine supérieure à un an et inférieure ou égale à deux ans pour des faits commis avant le 24 mars 2020, il doit se prononcer sur son aménagement. Ce principe ne s’applique pas en cas de récidive légale, l’article 132-25 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 ne permettant pas l’aménagement des peines supérieures à un an dans une telle hypothèse.

Mais lorsque la peine comprise entre un et deux ans est aménageable, quels sont les textes applicables à son aménagement ?

4.1. L’application des dispositions nouvelles

Par l’un des arrêts du 11 mai 2021 (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-83.507, publié au Bulletin et au Rapport annuel), la Cour de cassation considère que le juge se prononce sur cet aménagement au regard des dispositions issues de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée, dans la logique de l’arrêt du même jour (Crim., 11 mai 2021, pourvoi no 20-85.576, publié au Bulletin et au Rapport annuel) précisant que les règles d’aménagement des peines fermes d’emprisonnement supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an sont d’application immédiate (§ 22 à 26).

Ainsi, seule la condition tenant au quantum de la peine aménageable reste régie par la loi ancienne.

Il en résulte que, dès lors que la peine d’emprisonnement prononcée est aménageable au regard de son quantum, les conditions et les modalités de son aménagement, ou du refus de cet aménagement, sont toujours régies par la loi nouvelle, quels que soient le quantum de la peine et la date des faits, ce qui est de nature à faciliter la prise de décision de la juridiction puisque les textes anciens n’ont plus lieu de s’appliquer.

4.2. L’application, par analogie, des dispositions relatives à l’aménagement des peines d’emprisonnement supérieures à six mois et inférieures ou égales à un an

La Cour de cassation précise que le juge qui prononce une peine supérieure à un an et inférieure ou égale à deux ans pour des faits commis avant le 24 mars 2020, sauf en cas de récidive, doit faire application des dispositions régissant l’aménagement des peines supérieures à six mois et inférieures ou égales à un an (§ 26).

L’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale qui définit le mode de calcul des seuils de six mois ou d’un an d’emprisonnement prévus en matière d’aménagement de peine par la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée est également applicable pour apprécier ce seuil de deux ans (§ 27).

Il sera en conséquence renvoyé aux développements consacrés à ces dispositions, l’ensemble des précisions relatives notamment aux conditions, aux modalités et à la motivation du refus d’aménagement étant transposable.

Dès lors, en l’espèce, la décision de la cour d’appel qui a condamné le prévenu à dix-huit mois d’emprisonnement sans se prononcer sur l’aménagement de la peine alors que les faits ont été commis avant l’entrée en vigueur de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019, est censurée (§ 31 à 33).

2. Droit pénal spécial

Aucun arrêt publié au Rapport en 2021.

3. Procédure pénale

Chambre de l’instruction – Mesure de sûreté – Existence d’indices graves ou concordants – Contrôle d’office – Portée

Crim., 27 janvier 2021, pourvoi no 20-85.990, publié au Bulletin, rapport de Mme Thomas et avis de M. Quintard

La décision de placement en détention provisoire prise en application de l’article 141-2 du code de procédure pénale pour sanctionner l’inexécution volontaire par la personne mise en examen des obligations du contrôle judiciaire n’a pas à être motivée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences de l’article 144 du même code.

Il se déduit de l’article 5, § 1, c, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que la chambre de l’instruction statuant sur les mesures de sûreté doit s’assurer, à chacun des stades de la procédure, même d’office, que les conditions légales de telles mesures sont réunies, en particulier l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne, comme auteur ou complice, à la commission des infractions poursuivies.

Son contrôle sur ces indices, propre à la matière des mesures de sûreté, est sans incidence sur la validité de la mise en examen, laquelle ne peut être critiquée que dans le cadre des procédures engagées sur le fondement des articles 80-1-1 et 170 du code de procédure pénale.

L’obligation de constater l’existence de tels indices cesse, sauf contestation sur ce point, en cas de placement en détention provisoire sanctionnant des manquements volontaires aux obligations du contrôle judiciaire.

Justifie sa décision la chambre de l’instruction qui, en l’absence d’une telle contestation, caractérise l’existence d’un manquement entrant dans les prévisions de l’article 141-2 précité et estime souverainement qu’il doit donner lieu à révocation du contrôle judiciaire.

Le 27 janvier 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation rend un arrêt qui complète sa jurisprudence relative au contrôle préalable de l’existence d’indices de participation aux faits de la personne soumise à une mesure de sûreté.

Ainsi, elle pose le principe du contrôle d’office, par les chambres de l’instruction statuant sur les mesures de sûreté que sont le contrôle judiciaire, l’assignation à résidence avec surveillance électronique et la détention provisoire, de l’existence, parmi les conditions légales devant être réunies pour prononcer de telles mesures, d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable que la personne ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions reprochées. L’arrêt ajoute que ce contrôle est exclusivement propre à la matière des mesures de sûreté.

Après avoir réaffirmé la position constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation selon laquelle la décision de placement en détention provisoire prise pour sanctionner les manquements de la personne aux obligations du contrôle judiciaire ne doit être motivée que sur ces manquements, et refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité à ce sujet, l’arrêt énonce enfin que dans cette hypothèse, le contrôle de l’existence de tels indices par les juges n’a pas lieu d’être, sauf contestation sur ce point.

1. Contrôle de l’existence des indices graves ou concordants dans le contentieux des mesures de sûreté
1.1. La jurisprudence antérieure, issue notamment de l’arrêt du 14 octobre 2020

En droit interne, le prononcé de mesures de sûreté trouve sa condition-socle dans le statut de personne mise en examen, conféré par le juge d’instruction lors de sa décision de mise en examen à l’issue d’un interrogatoire de première comparution, conformément à l’article 116 du code de procédure pénale.

Ce statut suppose, ainsi que l’énonce l’article 80-1 du même code, que le juge d’instruction trouve dans le dossier de la procédure des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que la personne ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi.

Une fois placée sous ce statut pénal, la personne mise en examen, présumée innocente, reste libre, sauf si toutefois, il apparaît nécessaire de prononcer à son encontre une mesure de contrôle judiciaire, d’assignation à résidence avec surveillance électronique, ou, à titre exceptionnel, de détention provisoire, la loi encadrant strictement les conditions du prononcé et de la durée de ces trois mesures.

La décision de placement en détention provisoire relève de la compétence exclusive du juge des libertés et de la détention. Celle relative aux deux autres mesures relève d’une compétence partagée entre le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention. La chambre de l’instruction est compétente sur appel des décisions de ces deux magistrats et sur saisine directe.

Aucune disposition de droit interne ne pose le principe du contrôle, par les juges statuant en matière de mesures de sûreté, du bien-fondé du statut pénal de personne mise en examen résultant de la décision du juge d’instruction. Cependant, cette question ne relève-t-elle pas de l’office du juge appelé à statuer sur la restriction de liberté d’une personne présumée innocente ?

Il convient de rappeler qu’il résulte de l’article 5, § 1, c, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que nul ne peut être privé de sa liberté, sauf lorsqu’il y a, notamment, des raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis une infraction.

Sur le fondement de cette exigence conventionnelle que le juge national doit appliquer directement, la chambre criminelle de la Cour de cassation a énoncé que la chambre de l’instruction doit s’assurer, à chacun des stades de la procédure, que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment de l’existence d’indices graves ou concordants de la participation de la personne mise en examen, comme auteur ou complice, à la commission des infractions qui lui sont reprochées (Crim., 14 octobre 2020, pourvoi no 20-82.961, publié au Bulletin).

1.2. Les précisions apportées par la présente décision

L’arrêt ici commenté confirme celui précité du 14 octobre 2020 et apporte des précisions complémentaires au principe du contrôle de l’existence d’indices graves ou concordants.

Champ d’application du contrôle. L’apport de l’arrêt est d’abord de préciser que le contrôle concerne toutes les mesures de sûreté, à savoir la détention provisoire, l’assignation à résidence avec surveillance électronique et le contrôle judiciaire et ce, qu’il s’agisse de prononcer, de prolonger ou de maintenir une de ces mesures.

Nature du contrôle. L’apport de l’arrêt est ensuite d’affirmer que ce contrôle doit être effectué d’office par la chambre de l’instruction, c’est-à-dire même si la personne n’élève devant elle aucune contestation au sujet de l’existence de ces indices, dont il est rappelé que la consistance n’est pas figée et peut varier en fonction de l’avancement, à charge et à décharge, de l’instruction.

Objet du contrôle. L’apport de l’arrêt est encore de confirmer que le contrôle porte sur l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable que la personne ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions reprochées.

La sémantique utilisée renvoie aux conditions posées par l’article 80-1 du code de procédure pénale pour prononcer la mise en examen d’une personne. La qualification issue du droit interne a été réaffirmée dans un objectif de cohérence et d’uniformité au sein de la matière de l’instruction préparatoire.

Il convient de souligner qu’il n’est ainsi pas fait référence à la notion de raisons plausibles de soupçonner la personne d’avoir commis une infraction bien que la présente décision comme l’arrêt précédent du 14 octobre 2020 soient rendus au visa de l’article 5, § 1, c, de la Convention précitée.

En effet, si le principe même d’un contrôle par le juge intervenant dans le cadre du contentieux de la détention découle de l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel s’oppose à ce qu’une personne soit détenue en dehors des voies légales, les critères au regard desquels ce contrôle est effectué ne sauraient être moins exigeants que ceux définis par le droit national. Or, le droit français prévoit que seule une personne à l’encontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants de participation aux faits reprochés lors de l’instruction préparatoire peut faire l’objet d’une mesure de sûreté.

Étendue du contrôle. La chambre criminelle de la Cour de cassation a également précisé les conséquences de l’appréciation portée par ces juges sur les indices graves ou concordants, alors que le code de procédure pénale organise par ailleurs, aux articles 170 et 80-1-1, le contrôle de leur existence en ouvrant la voie de la requête en nullité de l’acte de mise en examen devant la chambre de l’instruction et en permettant, de six mois en six mois, ou dans les dix jours de la notification d’une expertise ou de certains interrogatoires, la saisine du juge d’instruction afin qu’il revienne sur sa décision de mise en examen.

L’arrêt énonce ainsi que le contrôle de l’existence des indices graves ou concordants à l’occasion du contentieux relatif aux mesures de sûreté est sans incidence sur la validité de la mise en examen, laquelle ne peut être remise en cause que par les voies de droit prévues à cet effet.

Le caractère distinct et séparé de chacun de ces contentieux et des compétences respectives de chaque magistrat, introduit par le législateur dans la loi no 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, avec la création de la fonction de juge des libertés et de la détention, est ainsi rappelé, ainsi que l’autorité propre qui doit être attachée à la décision de chacun des juges, sans recouvrement de compétence.

2. Spécificités en matière de révocation du contrôle judiciaire
2.1. La jurisprudence existante en matière de révocation du contrôle judiciaire

La chambre criminelle de la Cour de cassation interprète l’article 141-2 du code de procédure pénale, qui prévoit la révocation du contrôle judiciaire, comme permettant le placement en détention provisoire d’une personne qui a volontairement manqué aux obligations du contrôle judiciaire au seul constat de ces manquements.

Cette détention n’a pas à être motivée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences de l’article 144 du code de procédure pénale. Celui-ci dispose que la détention provisoire doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des sept objectifs qu’il énumère limitativement, qui ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique.

2.2. La problématique posée par le pourvoi et la question prioritaire de constitutionnalité incidente

La chambre criminelle de la Cour de cassation était invitée par le pourvoi et par une question prioritaire de constitutionnalité à revenir sur cette interprétation et à affirmer la double nécessité, d’une part, de vérifier que les conditions légales de détention prévues à l’article 144 du code de procédure pénale étaient réunies, d’autre part, de procéder au contrôle de l’existence, au moment de la révocation du contrôle judiciaire, des indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne aux faits reprochés.

2.3.   La confirmation de la jurisprudence et les conséquences à l’égard du contrôle de l’existence des indices graves ou concordants

Absence d’obligation de contrôler l’existence d’indices graves ou concordants. L’arrêt maintient l’analyse d’une détention à caractère autonome, prononcée pour sanctionner des manquements volontaires aux obligations du contrôle judiciaire. Il écarte continûment la nécessité de justifier cette détention au regard des conditions de l’article 144 du code de procédure pénale. Dans la suite de cette analyse, il énonce qu’il est fait également exception, en pareil cas, à l’obligation générale faite aux juges de s’assurer de l’existence des indices graves ou concordants.

Une réserve : en cas de contestation de l’existence d’indices graves ou concordants. L’arrêt réserve toutefois le cas où ces indices sont contestés devant la chambre de l’instruction pour demeurer en cohérence avec l’obligation qui est faite à cette juridiction de répondre aux articulations essentielles des mémoires qui sont déposés devant elle. Au cas d’espèce, la chambre de l’instruction n’avait pas été saisie d’une telle contestation.

L’obligation générale faite aux juges de motiver la détention provisoire au regard de l’article 144 du code de procédure pénale et l’obligation supplémentaire qui leur est faite par cet arrêt de s’assurer, au besoin d’office, de l’existence d’indices graves ou concordants, cessant en cas de révocation du contrôle judiciaire, le pourvoi est en conséquence rejeté.

H. Application du droit de l’Union européenne, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du droit international

1. Droit de l’Union européenne

Union européenne – Sécurité sociale – Règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 – Article 14 – Certificat E101 – Utilisation frauduleuse du certificat – Fraude pénalement sanctionnée – Sanction opérée en méconnaissance du droit de l’Union européenne – Principe de la primauté du droit de l’Union européenne – Effets – Détermination – Portée

Soc., 31 mars 2021, pourvoi no 16-16.713, publié au Bulletin, rapport de Mme Prache et M. Le Masne de Chermont et avis de Mme Berriat

D’une part, par arrêt du 14 mai 2020 (CJUE, arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics e. a., C-17/19), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit qu’un certificat E101, délivré par l’institution compétente d’un État membre, au titre de l’article 14, point 1, sous a), ou de l’article 14, point 2, sous b), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, à des travailleurs exerçant leurs activités sur le territoire d’un autre État membre, et un certificat A1, délivré par cette institution, au titre de l’article 12, paragraphe 1, ou de l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, à de tels travailleurs, s’’imposent aux juridictions de ce dernier État membre uniquement en matière de sécurité sociale.

Il en résulte que le maintien d’un certificat E101 ne fait pas obstacle à ce que le juge de l’État membre d’accueil applique les règles nationales de droit du travail relatives à la relation de travail en cause et sanctionne la violation par l’employeur d’obligations que le droit du travail met à la charge de celui-ci.

D’autre part, par arrêt du 2 avril 2020 (CJUE, arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC, C-370/17 et C-37/18), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que :

1o) l’article 11, § 1, sous a), du règlement (CEE) no 574/72 du Conseil du 21 mars 1972 doit être interprété en ce sens que les juridictions d’un État membre, saisies dans le cadre d’une procédure judiciaire diligentée contre un employeur pour des faits de nature à révéler une obtention ou une utilisation frauduleuses de certificats E101 délivrés au titre de l’article 14, point 1, sous a), du règlement no 1408/71, à l’égard de travailleurs exerçant leurs activités dans cet État membre, ne peuvent constater l’existence d’une fraude et écarter en conséquence ces certificats qu’après s’être assurées, d’une part, que la procédure prévue à l’article 84 bis, paragraphe 3, de ce règlement a été promptement enclenchée et l’institution compétente de l’État membre d’émission a été mise en mesure de réexaminer le bien-fondé de la délivrance desdits certificats à la lumière des éléments concrets soumis par l’institution compétente de l’État membre d’accueil qui donnent à penser que les mêmes certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et, d’autre part, que l’institution compétente de l’État membre d’émission s’est abstenue de procéder à un tel réexamen et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur ces éléments, le cas échéant, en annulant ou en retirant les certificats en cause.

2o) l’article 11, § 1, du règlement no 574/72, et le principe de primauté du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans le cas où un employeur a fait l’objet, dans l’État membre d’accueil, d’une condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance de ce droit, à ce qu’une juridiction civile de cet État membre, tenue par le principe de droit national de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, mette à la charge de cet employeur, du seul fait de cette condamnation pénale, des dommages-intérêts destinés à indemniser les travailleurs ou un organisme de retraite de ce même État membre victimes de cette fraude.

Doit en conséquence être cassé l’arrêt qui, pour condamner un employeur à payer diverses sommes à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé par dissimulation d’activité pour défaut de déclaration aux organismes de sécurité sociale et de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, se fonde, en présence d’un certificat E101 dont la validité a été confirmée par l’autorité émettrice, sur l’autorité de la chose jugée revêtue par une condamnation pénale reposant sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance du droit de l’Union européenne.

Par arrêt du 10 janvier 2018 (Soc., 10 janvier 2018, pourvoi no 16-16.713, Bull. 2018, V, no 1), la chambre sociale de la Cour de cassation avait décidé, en application de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de demander à la Cour de justice de l’Union européenne de se prononcer, à titre préjudiciel, sur la force probatoire attachée aux certificats E101 délivrés au titre de l’article 14, § 1, sous a) du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, en application de l’article 11, § 1, du règlement (CEE) no 574/72 du Conseil du 21 mars 1972 fixant les modalités d’application du règlement (CEE) no 1408/71 alors que la situation considérée relevait de l’article 14, § 2, sous a), i), pour des salariés exerçant leur activité sur le territoire de l’État membre dont ils sont ressortissants et sur lequel l’entreprise de transport aérien établie dans un autre État membre dispose d’une succursale et que la seule lecture du certificat E101 qui mentionne un aéroport comme lieu d’activité du salarié et une entreprise aérienne comme employeur permettait d’en déduire qu’il avait été obtenu de façon frauduleuse.

Elle l’a également interrogée sur le point de savoir si le principe de la primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, tenue en application de son droit interne par l’autorité de la chose jugée par une juridiction pénale sur une juridiction civile, tire les conséquences d’une décision d’une juridiction pénale rendue de façon incompatible avec les règles du droit de l’Union en condamnant civilement un employeur à des dommages-intérêts envers un salarié du seul fait de la condamnation pénale de cet employeur pour travail dissimulé.

Le litige à l’origine du pourvoi opposait la société Vueling Airlines à un copilote, engagé le 21 avril 2007, pour lequel un certificat E101 avait été délivré par l’institution compétente espagnole au titre de l’article 14, § 1, sous a), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 précité.

Ce certificat a été annulé, le 17 avril 2014, par une décision de cette institution à la demande de l’institution compétente française. L’autorité hiérarchique compétente espagnole a néanmoins considéré par une décision modificative du 5 décembre 2014 qu’il convenait de laisser sans effet cette annulation.

Le défaut de déclaration de ce salarié aux organismes de sécurité sociale avait donné lieu, à la suite de contrôles effectués en 2008 par l’URSSAF, à une condamnation pénale, par arrêt du 31 janvier 2012 de la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris, de la société Vueling Airlines pour travail dissimulé par dissimulation d’activité pour défaut de déclaration en application de l’article L. 8221-3, 2o, du code du travail, définitive en l’état du rejet, par la chambre criminelle de la Cour de cassation, du pourvoi formé contre cette décision (Crim., 11 mars 2014, pourvoi no 12-81.461, Bull. crim. 2014, no 75). La chambre criminelle n’avait, alors, pas posé de question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, considérant que la fraude constatée permettait d’écarter les certificats produits par l’employeur.

Par un arrêt du 4 mars 2016, pour faire droit aux demandes du salarié et condamner la société à lui verser diverses sommes, notamment à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, la chambre sociale de la cour d’appel de Paris s’est ainsi fondée sur l’autorité de la chose jugée revêtue par cette condamnation pénale devenue définitive et sur l’illégalité du détachement.

Un pourvoi a été formé contre cet arrêt par la société Vueling Airlines, qui a reproché à la cour d’appel, d’une part, de ne pas avoir recherché si la délivrance d’un E101 par les autorités espagnoles n’excluait pas l’affiliation du salarié au régime de sécurité sociale français, et faisait donc obstacle à sa condamnation pour travail dissimulé par dissimulation d’activité, et, d’autre part, de s’être fondée sur l’autorité de chose jugée d’une condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude méconnaissant le droit de l’Union.

Si l’article 13, § 2, du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 précité pose le principe selon lequel la législation de sécurité sociale applicable est la loi nationale du lieu de travail, il connaît cependant plusieurs exceptions, au nombre desquelles figurent les deux régimes suivants, invoqués à l’occasion du litige en cause et visés par les questions préjudicielles :

  • selon l’article 14, § 1, les travailleurs détachés restent soumis, à certaines conditions, à la législation de l’État d’exercice d’origine de l’activité salariée ;
  • selon l’article 14, § 2, sous a), i, les travailleurs qui exercent leur activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres et qui font partie du personnel navigant d’une entreprise effectuant des transports internationaux de passagers par voie aérienne et ayant son siège sur le territoire d’un État membre sont soumis, lorsqu’ils sont occupés par une succursale que cette entreprise possède sur le territoire d’un État membre autre que celui où elle a son siège, à la législation de l’État membre sur le territoire duquel se trouve cette succursale.

Dans un cas comme dans l’autre, l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre dont la législation reste applicable atteste, au moyen d’un document appelé « certificat E101 » (devenu, sous l’empire des nouveaux règlements européens (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004, l’« attestation A1 »), que le travailleur en cause est soumis à cette législation.

En raison du principe selon lequel les travailleurs doivent être affiliés à un seul régime de sécurité sociale, ce certificat implique nécessairement que le régime d’un autre État membre n’est pas susceptible de s’appliquer (CJCE, arrêt du 10 février 2000, FTS, C-202/97, point 49). Il crée une présomption de régularité de l’affiliation des travailleurs concernés, telle qu’il s’impose à l’institution compétente de l’État membre dans lequel sont détachés les travailleurs (CJCE, arrêt du 10 février 2000 précité, point 53).

Il s’impose également aux juridictions de l’État membre d’accueil qui ne sont pas habilitées à vérifier la validité d’un certificat E101 en ce qui concerne l’attestation des éléments sur la base desquels un tel certificat a été délivré (CJCE, arrêt du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05, point 32, et CJUE, arrêt du 6 septembre 2018, Alpenrind e. a., C-527/16, point 47), même lorsqu’il est constaté par celles-ci que les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans le champ d’application matériel de la disposition sur la base de laquelle le certificat a été délivré (CJUE, arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff, C-620/15, point 61).

Par un arrêt rendu postérieurement à la demande de décision préjudicielle de la chambre sociale, la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu une exception de fraude de nature à faire obstacle à ladite présomption en la soumettant, d’une part, à une saisine préalable par l’institution compétente de l’État membre d’accueil de l’institution émettrice d’une demande motivée et circonstanciée de réexamen et de retrait des certificats et, d’autre part, à l’absence de réponse de l’institution émettrice (CJUE, arrêt du 6 février 2018, Altun e. a., C-359/16, point 61).

Dans sa décision du 2 avril 2020 (CJUE, arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC, C-370/17 et C-37/18), répondant aux deux questions préjudicielles transmises par la chambre sociale de la Cour de cassation, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit :

« 1) L’article 11, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) no 574/72 […] doit être interprété en ce sens que les juridictions d’un État membre, saisies dans le cadre d’une procédure judiciaire diligentée contre un employeur pour des faits de nature à révéler une obtention ou une utilisation frauduleuses de certificats E101 délivrés au titre de l’article 14, point 1, sous a), du règlement (CEE) no 1408/71 […], à l’égard de travailleurs exerçant leurs activités dans cet État membre, ne peuvent constater l’existence d’une fraude et écarter en conséquence ces certificats qu’après s’être assurées :

  • d’une part, que la procédure prévue à l’article 84 bis, paragraphe 3, de ce règlement a été promptement enclenchée et l’institution compétente de l’État membre d’émission a été mise en mesure de réexaminer le bien-fondé de la délivrance desdits certificats à la lumière des éléments concrets soumis par l’institution compétente de l’État membre d’accueil qui donnent à penser que les mêmes certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et
  • d’autre part, que l’institution compétente de l’État membre d’émission s’est abstenue de procéder à un tel réexamen et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur ces éléments, le cas échéant, en annulant ou en retirant les certificats en cause.

2) L’article 11, paragraphe 1, du règlement no 574/72, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement no 118/97, tel que modifié par le règlement no 647/2005, et le principe de primauté du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans le cas où un employeur a fait l’objet, dans l’État membre d’accueil, d’une condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance de ce droit, à ce qu’une juridiction civile de cet État membre, tenue par le principe de droit national de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, mette à la charge de cet employeur, du seul fait de cette condamnation pénale, des dommages-intérêts destinés à indemniser les travailleurs ou un organisme de retraite de ce même État membre victimes de cette fraude. »

Se prononçant sur les faits de l’espèce, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que la procédure de dialogue n’a pas été engagée promptement dès lors que l’URSSAF, institution compétente française, n’a communiqué à l’institution émettrice espagnole les éléments relatifs à la fraude recueillis par l’inspection du travail, en vue d’obtenir l’annulation ou le retrait des certificats E101, que par un courrier postérieur au prononcé de l’arrêt du 31 janvier 2012 de la cour d’appel de Paris et envoyé près de quatre années après que l’inspection du travail a dressé un procès-verbal du chef de travail dissimulé à l’encontre de Vueling Airlines (CJUE, arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC, C-370/17 et C-37/18, point 83).

Elle a également relevé que cette dernière juridiction a, par cet arrêt, constaté l’existence d’une fraude et écarté les certificats E101 avant que la procédure de dialogue ait été enclenchée et sans même avoir recherché, au préalable, si tel avait été le cas afin que l’institution émettrice espagnole fût en mesure de réexaminer et, le cas échéant, d’annuler ou de retirer ces certificats (CJUE, arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC, C-370/17 et C-37/18, point 82).

Par ailleurs, saisie par la chambre criminelle de la Cour de cassation d’une question préjudicielle dans une affaire dans laquelle un employeur avait été déclaré coupable du chef de travail dissimulé par dissimulation d’activité pour défaut de déclaration préalable à l’embauche de salariés pour lesquels avaient été délivrés des certificats E101 (Crim., 8 janvier 2019, pourvoi no 17-82.553), la Cour de justice de l’Union européenne, par arrêt du 14 mai 2020 (CJUE, arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics e. a., C-17/19), a précisé que les certificats E101 ou A1 s’imposent aux juridictions de ce dernier État membre uniquement en matière de sécurité sociale.

Tirant les conséquences de cet arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que « le délit de travail dissimulé tant par dissimulation de salariés que par dissimulation d’activité peut être établi, nonobstant la production de certificats E101 ou A1, lorsque les obligations déclaratives qui ont été omises ne sont pas seulement celles afférentes aux organismes de protection sociale (article L. 8221-3, 2o, du code du travail) ou aux salaires ou aux cotisations sociales (article L. 8221-5, 3o, du code du travail) » (Crim., 12 janvier 2021, pourvoi no 17-82.553, publié au Bulletin, point 41).

Statuant en formation plénière, la chambre sociale de la Cour de cassation tire à son tour toutes les conséquences de ces arrêts. Elle énonce que la cour d’appel, en présence d’un certificat E101 dont l’autorité émettrice avait confirmé la validité, ne pouvait se fonder sur l’autorité de la chose jugée revêtue par une condamnation pénale reposant sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance du droit de l’Union européenne. Elle prononce en conséquence la cassation sur ce point de l’arrêt de la cour d’appel de Paris.

Cette cassation en effet ne s’étend qu’aux seuls chefs de dispositif relatifs à l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et aux dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, ainsi que, par voie de conséquence, à ceux relatifs à la prise d’acte par le salarié de la rupture du contrat de travail dont la cour d’appel avait relevé qu’elle était justifiée notamment par l’illégalité de la situation contractuelle.

Dès lors, le maintien du certificat E101 par les autorités espagnoles ne faisait pas obstacle à ce que la cour d’appel prononce la condamnation de la société Vueling Airlines à verser au salarié diverses sommes à titre de rappels de salaire, congés payés y afférents et dommages-intérêts pour congés non pris. En effet, ces condamnations sanctionnent des obligations de l’employeur relevant du seul droit du travail. La chambre sociale rejette en conséquence, de façon préalable, le moyen de la société Vueling Airlines en ce qu’il fait grief à l’arrêt de la condamner au paiement de ces sommes.

Union européenne – Travail – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 – Article 7 – Repos et congés – Droit au congé annuel payé – Exigence d’une période de travail effectif pendant une période de référence – Exclusion – Cas – Nullité du licenciement – Période d’éviction précédant la réintégration du salarié – Portée

Soc., 1er décembre 2021, pourvois no 19-24.766, no 19-26.269 et no 19-25.812, publié au Bulletin, rapport de Mme Capitaine et avis de Mme Berriat

Par arrêt du 25 juin 2020 (CJUE, arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, C-762/18 et Iccrea Banca, C-37/19), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 7, § 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur.

Il en résulte que sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Doit en conséquence être cassé l’arrêt qui, pour rejeter la demande du salarié tendant à obtenir que l’employeur soit condamné à lui payer une rémunération pour chaque mois écoulé entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration assortie des congés payés afférents, retient que la période d’éviction n’ouvre pas droit à acquisition de jours de congés.

Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à revoir sa jurisprudence jusqu’alors appliquée en matière d’acquisition de droit à congés payés du salarié au titre de la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi.

L’article L. 3141-3 du code du travail instaure un droit à congés payés, à raison de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur dans la limite de cinq semaines, étant précisé que sont considérées comme période de travail effectif certaines périodes où le salarié n’exerce aucun travail, telles que celles des congés payés, congé de maternité, de paternité ou d’accueil de l’enfant, de repos compensateur, jours de repos accordés au titre d’un accord collectif, période de suspension du contrat de travail à la suite d’une maladie professionnelle, d’un accident du travail ou de trajet. Ces périodes sont expressément prévues par l’article L. 3141-5 du code du travail.

Hormis ces exceptions, l’absence de travail effectif ne permet pas d’acquérir des congés.

En cas de nullité du licenciement et de réintégration, la chambre sociale de la Cour de cassation distingue les salariés protégés des autres salariés. En effet, pour les salariés protégés, l’indemnité due, en application de l’article L. 2422-4 du code du travail, au salarié licencié sur le fondement d’une décision d’autorisation de l’inspecteur du travail ensuite annulée, a, de par la loi, le caractère d’un complément de salaire, dès lors que cet article le prévoit expressément et la chambre sociale en déduit que cette indemnité ouvre droit au paiement de congés payés (Soc., 6 avril 2016, pourvoi no 14-13.484, Bull. 2016, V, no 67). Pour les autres salariés, en l’absence de disposition légale, la chambre sociale considère que la période d’éviction ouvre droit au paiement d’une indemnité et non à des rappels de salaire et en déduit que cette période n’ouvre pas droit à congés payés (Soc., 11 mai 2017, pourvois no 15-19.731 et no 15-27.554, Bull. 2017, V, no 73). Elle a réaffirmé très récemment par un arrêt diffusé que la période d’éviction ne pouvait être considérée comme constituant un temps de travail effectif (Soc., 30 janvier 2019, pourvoi no 16-25.672).

L’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, instaure au bénéfice de tout travailleur un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, sans que cette période minimale de congé puisse être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.

Ce droit a été expressément consacré en tant que droit fondamental à l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, le droit au congé annuel a une double finalité, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l’exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, d’une part, et disposer d’une période de détente et de loisirs, d’autre part (CJUE, arrêt du 20 juillet 2016, Maschek, C-341/15, point 34 et jurisprudence citée). L’objectif de permettre au travailleur de se reposer suppose que ce travailleur ait exercé une activité justifiant, pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé visée par la directive 2003/88/CE précitée, le bénéfice d’une période de repos, de détente et de loisirs.

Si les droits au congé annuel payé doivent en principe être déterminés en fonction des périodes de travail effectif accomplies en vertu du contrat de travail (CJUE, arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C-12/17, point 28 et jurisprudence citée), la Cour de justice a reconnu l’existence de certaines circonstances, indépendantes de la volonté du travailleur, dans lesquelles le droit au congé annuel payé ne peut être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé, telles que le congé maladie (CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20 ; CJUE, arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C-12/17, point 29).

Saisie par les juridictions bulgare (affaire C-762/18) et italienne (affaire C-37/19) de deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88/CE et de l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et concernant les droits à congés de deux salariées licenciées puis réintégrées dans leur emploi à la suite de l’annulation judiciaire de leur licenciement, la Cour de justice a tranché en faveur de l’acquisition d’un droit à congés payés pendant la période d’éviction (CJUE, arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, C-762/18 et C-37/19), en estimant que l’article 7, § 1, de la directive 2003/88/CE précitée « doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur ».

La Cour de justice constate que, « tout comme la survenance d’une incapacité de travail pour cause de maladie, le fait qu’un travailleur a été privé de la possibilité de travailler en raison d’un licenciement jugé illégal par la suite est, en principe, imprévisible et indépendant de la volonté de ce travailleur » et elle estime que la période d’éviction « doit être assimilée à une période de travail effectif aux fins de la détermination des droits au congé annuel payé » (points 67 et 69). Elle précise néanmoins que, « dans l’hypothèse où le travailleur concerné a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son premier emploi, ce travailleur ne saurait prétendre, à l’égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi » (points 79 et 88).

C’est dans ce contexte que la chambre sociale de la Cour de cassation, réunie en formation plénière (Soc., 1er décembre 2021, pourvois no 19-24.766, no 19-26.269 et no 19-25.812, publié au Bulletin et au Rapport annuel), a été amenée à se prononcer sur l’incidence de l’arrêt de la Cour de justice sur sa jurisprudence en matière de droits à congés payés pour la période comprise entre un licenciement nul et la réintégration, en dehors de la situation particulière des salariés protégés.

Au cas présent, le salarié, licencié pour insuffisance professionnelle, avait sollicité la nullité du licenciement et sa réintégration, ce qu’il avait obtenu devant la cour d’appel, qui avait ensuite refusé d’ajouter les congés payés afférents à l’indemnité d’éviction, estimant que cette indemnité n’ouvrait pas droit à acquisition de jours de congés.

Opérant un revirement de jurisprudence afin de mettre la jurisprudence française en harmonie avec cette décision de la Cour de justice, la chambre sociale de la Cour de cassation estime qu’il y a lieu de juger désormais, au visa des articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail fondant en l’espèce la nullité du licenciement, que, sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Par la référence à ces deux dernières dispositions légales, la chambre sociale de la Cour de cassation a entendu préciser que cette solution vaut pour les droits à congés légaux, y compris la cinquième semaine de congé qui ne résulte pas de la directive 2003/88/CE précitée, ainsi que pour les droits à congés supplémentaires qui peuvent être reconnus notamment par voie de conventions ou d’accords collectifs.

2. Droit de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Appel civil – Procédure sans représentation obligatoire – Acte d’appel – Mentions nécessaires – Chefs du jugement critiqués – Défaut – Portée

2e Civ., 9 septembre 2021, pourvois no 20-13.662 et suivants, publié au Bulletin, rapport de M. de Leiris et avis de M. Aparisi

En application de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le droit à l’accès au juge implique que les parties soient mises en mesure effective d’accomplir les charges procédurales leur incombant. L’effectivité de ce droit impose, en particulier, d’avoir égard à l’obligation faite ou non aux parties de constituer un avocat pour les représenter.

À la différence de l’article 901 du code de procédure civile, qui régit la procédure avec représentation obligatoire par avocat, l’article 933 du même code, de même que l’en­semble des autres dispositions régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, instaurent un formalisme allégé, destiné à mettre de façon effec­tive les parties en mesure d’accomplir les actes de la procédure d’appel.

Il se déduit de l’article 562, alinéa 1, figurant dans les dispositions communes de ce code et disposant que l’appel défère à la cour d’appel la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont criti­qués, l’effet dévolutif n’opère pas (2e Civ., 30 janvier 2020, pourvoi no 18-22.528, publié au Bulletin). De telles règles sont dépourvues d’ambiguïté pour des parties représentées par un professionnel du droit (2e Civ., 2 juillet 2020, pourvoi no 19-16.954, publié au Bulletin).

Toutefois, dans la procédure sans représentation obligatoire, un tel degré d’exigence dans les formalités à accomplir par l’appelant constituerait une charge procédurale excessive, dès lors que celui-ci n’est pas tenu d’être représenté par un professionnel du droit. La faculté de régularisation de la déclaration d’appel ne serait pas de nature à y remédier.

Il en résulte qu’en matière de procédure sans représentation obligatoire, la déclaration d’appel qui mentionne que l’appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d’appel, en omettant d’indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s’entendre comme déférant à la connaissance de la cour d’appel l’ensemble des chefs de ce jugement.

Par conséquent, doit être approuvé l’arrêt d’une cour d’appel qui statue sur le fond d’une affaire, dans une procédure sans représentation obligatoire, alors même qu’elle consta­tait que les déclarations d’appel indiquaient tendre à l’annulation ou, à tout le moins, à la réformation de la décision déférée, sans mentionner les chefs du jugement critiqués.

Voir le commentaire sous la partie Appel civil, p. 184.

Chambre de l’instruction – Mesure de sûreté – Existence d’indices graves ou concordants – Contrôle d’office – Portée

Crim., 27 janvier 2021, pourvoi no 20-85.990, publié au Bulletin, rapport de Mme Thomas et avis de M. Quintard

La décision de placement en détention provisoire prise en application de l’article 141-2 du code de procédure pénale pour sanctionner l’inexécution volontaire par la personne mise en examen des obligations du contrôle judiciaire n’a pas à être motivée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences de l’article 144 du même code.

Il se déduit de l’article 5, § 1, c, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que la chambre de l’instruction statuant sur les mesures de sûreté doit s’assurer, à chacun des stades de la procédure, même d’office, que les conditions légales de telles mesures sont réunies, en particulier l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne, comme auteur ou complice, à la commission des infractions poursuivies.

Son contrôle sur ces indices, propre à la matière des mesures de sûreté, est sans inci­dence sur la validité de la mise en examen, laquelle ne peut être critiquée que dans le cadre des procédures engagées sur le fondement des articles 80-1-1 et 170 du code de procédure pénale.

L’obligation de constater l’existence de tels indices cesse, sauf contestation sur ce point, en cas de placement en détention provisoire sanctionnant des manquements volon­taires aux obligations du contrôle judiciaire.

Justifie sa décision la chambre de l’instruction qui, en l’absence d’une telle contestation, caractérise l’existence d’un manquement entrant dans les prévisions de l’article 141-2 précité et estime souverainement qu’il doit donner lieu à révocation du contrôle judiciaire.

Voir le commentaire sous la partie Procédure pénale, p. 212.

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