Rapport annuel 2021 (C. Activité du bureau d’aide juridictionnelle)

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Ouvrage de référence dans les milieux judiciaire et universitaire, le Rapport de la Cour de cassation est aussi un précieux instrument de travail pour les praticiens du droit. Le Rapport 2021 comporte des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, ainsi que l’analyse des principaux arrêts et avis ayant été rendus, tout au long de l’année, dans les différentes branches du droit privé. Le Rapport présente également, de manière détaillée, l’activité juridictionnelle et extra-juridictionnelle de la Cour de cassation, ainsi que celle des juridictions et commissions instituées auprès d’elle.

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Rapport annuel 2021 (C. Activité du bureau d’aide juridictionnelle)

C. Activité du bureau d’aide juridictionnelle

L’organe chargé d’examiner la demande d’aide juridictionnelle présentée en vue soit de se pourvoir en cassation, soit de soutenir un pourvoi déjà formé ou de défendre à celui-ci est, dit la loi, un bureau établi près la Cour de cassation, il s'agit du bureau d'aide juridictionnelle (BAJ).

Aussi, la question se pose-t-elle de la nature juridique de cet organe.

La Cour de cassation n’y voit pas une juridiction selon l’avis qu’elle a émis à cet égard le 9 juillet 1993 (Avis de la Cour de cassation, 9 juillet 1993, no 09-30.010, Bull. 1993, Avis, no 9).

On comprend mieux, dès lors, que le bureau d’aide juridictionnelle ait ignoré la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dont un demandeur l’avait saisi dès lors qu’une telle question ne peut, selon l’article 61-1 de la Constitution, être posée que devant une juridiction. Lequel demandeur, invoquant le mécanisme de transmission automatique de toute question prioritaire de constitutionnalité restée sans réponse pendant trois mois, a obtenu que le Conseil constitutionnel en soit saisi. On a alors cru que celui-ci ne pourrait s’abstenir de prendre position sur la nature juridique du bureau d’aide juridictionnelle. C’était ignorer les ressources inépuisables du droit. Ainsi le Conseil constitutionnel a habilement esquivé le débat sur ce point en décidant, s’appuyant sur le même texte qui précise que la question ne peut être posée qu’en cours d’instance, que « la procédure d’admission à l’aide juridictionnelle n’est pas, en tout état de cause, au sens de l’article 61-1 de la Constitution, une instance en cours à l’occasion de laquelle une question prioritaire de constitutionnalité peut être posée » (Cons. const., 21 novembre 2014, décision no 2014-440 QPC, M. Jean-Louis M. [Demande tendant à la saisine directe du Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité]).

Régie par la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et le décret no 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles entré en vigueur le 1er janvier 2021, l’aide juridictionnelle est, en toute hypothèse, dominée par le principe de subsidiarité en ce sens qu’aux termes de l’article 2, dernier alinéa, de la loi précitée, elle « n’est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d’un contrat d’assurance de protection juridique ou d’un système de protection ».

Si tel n’est pas le cas, elle peut être accordée, mais sous réserve de remplir certaines conditions.

Les trois premières sont communes à toutes les demandes d’aide juridictionnelle. La dernière n’est connue que du bureau d’aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation.

1re condition : la personnalité juridique du demandeur

En principe réservée aux personnes physiques (article 2 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 précitée), l’aide juridictionnelle peut être accordée exceptionnellement :

  • aux personnes morales à but non lucratif ;
  • aux syndicats de copropriétaires d’immeubles, soit lorsque l’immeuble en copropriété fait l’objet d’un plan de sauvegarde, soit en cas d’action en recouvrement de créances par un administrateur provisoire.

2e condition : la nationalité du demandeur

Sont éligibles à l’aide juridictionnelle (article 3 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991) :

  • les Français et les ressortissants des États membres de l’Union européenne (UE) ;
  • les étrangers résidant habituellement et régulièrement en France, ainsi que, à titre exceptionnel, ceux dont la situation apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès ;
  • les étrangers mineurs ou figurant dans une procédure pénale ou faisant l’objet d’une procédure relevant du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Sont également éligibles à l’aide juridictionnelle (article 3-1 de la loi précitée pris en application de la directive 2003/8/CE du Conseil du 27 janvier 2003 visant à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l’établissement de règles minimales communes relatives à l’aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires) les étrangers qui sont parties à un litige transfrontalier (litige relevant d’une juridiction siégeant dans un État membre de l’Union européenne autre que celui dans lequel réside le demandeur) pourvu qu’ils résident ou soient domiciliés régulièrement dans un des États membres de l’Union européenne, à l’exception du Danemark.

3e condition : les ressources du demandeur

Chaque année sont fixés des plafonds de ressources affectés de correctifs pour charges de famille, dans la limite desquels sont accordés (article 4 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 précitée) soit l’aide juridictionnelle totale si le revenu fiscal de référence du demandeur est inférieur à 11 262 euros, soit l’aide juridictionnelle partielle, au taux de 55 % si ce revenu est compris entre 11 263 euros et 13 312 euros, ou au taux de 25 % si celui-ci est compris entre 13 313 euros et 16 890 euros, ces plafonds étant majorés, lorsque le foyer fiscal est composé de plus d’une personne, d’une somme équivalente à 0,18 fois le montant du plafond pris en compte pour le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale pour chacune des deux premières personnes supplémentaires, puis d’une somme équivalente à 0,1137 fois ce même montant pour chaque personne au-delà de la troisième (article 3 du décret no 2020-1717 du 28 décembre 2020 précité et circulaire d’application du 30 décembre 2020).

Toutefois, il peut être dérogé à la condition de ressources lorsque la situation du demandeur « apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès » ou, en cas de litige transfrontalier, en raison d’une différence du coût de la vie entre la France et l’État membre de l’UE où le demandeur a son domicile ou sa résidence habituelle (article 6 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991).

4e condition : le caractère sérieux de l’action du demandeur

Cette condition est propre à la demande dont est saisi le bureau d’aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation.

Certes, les autres bureaux d’aide juridictionnelle ne peuvent accorder l’aide juridictionnelle qu’à la personne « dont l’action n’apparaît pas, manifestement, irrecevable [ou] dénuée de fondement » (article 7, alinéa 1, de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 précitée).

L’article 7, alinéa 3, de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 précitée dispose qu’« en matière de cassation, l’aide juridictionnelle est refusée au demandeur si aucun moyen de cassation sérieux ne peut être relevé ».

Ce texte est identique à celui de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale selon lequel sont déclarés « non admis » les pourvois « irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux de cassation ».

L’article 1014 du code de procédure civile, dans sa version originelle, était rédigé en des termes identiques. Si le concept de non-admission, regardé par certains comme trop péjoratif, est évincé de la nouvelle version, celle-ci maintient l’exigence de sérieux en disposant « qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée lorsque le pourvoi est irrecevable ou lorsqu’il n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ».

Évolution de l’activité du bureau d’aide juridictionnelle
Année 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021
Affaires restant à examiner au 1er janvier 2938 3211 2750 3386 3638 3788 2554 2030 2707 2746
Affaires reçues* 8736 8250 8128 7696 8123 7939 7268 7265 5850 6080
Décisions rendues mettant fin à la procédure 8463 8711 7492 6816 7973 9173 7792 6583 5811 6443
Affaires restant à examiner au 31 décembre 3211 2750 3386 3638 3788 2554 2030 2712 2746 2159

* Les affaires reçues incluent, outre les demandes nouvelles (5787 en 2020), les requêtes diverses (6 en 2020) et les retours après admission du recours (57 en 2020).

Répartition des décisions du bureau d’aide juridictionnelle par catégories
Année 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021
Rejet 3432 3492 3292 3767 3606 4257 4048 3100 2722 2753
Admission 2033 1880 1723 1615 1383 1890 1577 1708 1672 1554
Irrecevabilité et caducité 2998 3339 2477 1434 2984 3026 2167 1775 1417 2136
Suppléments d'instruction 67 40 41 58 43 56 44 13 14 7
Total 8530 8751 7533 6874 8016 9229 7836 6596 5825 6450

Depuis 2006 (10 829 demandes), le bureau d’aide juridictionnelle avait connu une décrue assez régulière de ses saisines : 10 315 en 2007, 9 170 en 2008, 9 677 en 2009, 9 414 en 2010, 8 568 en 2011, 8 736 en 2012, 8 250 en 2013, 8 071 en 2014, 7 638 en 2015, avant une légère augmentation en 2016 (8 066 demandes) puis une nouvelle décrue (7 863 demandes en 2017, 7 193 demandes en 2018, 7 196 demandes en 2019, 5 787 en 2020). L'année 2021 marque de nouveau une augmentation avec 6 201 demandes, nombre qui reste inférieur à ceux des années 2006 à 2019.

Au regard du nombre de ces demandes, il a été décidé, conformément à l’article 8, alinéa 1, du décret no 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, alors applicable, de créer des divisions au sein du bureau.

Ainsi, celui-ci comprend six divisions, une division pénale, qui instruit les demandes relatives aux affaires relevant de la chambre criminelle, et cinq autres divisions dont les compétences respectives épousent, sous réserve de quelques aménagements, celles des chambres civiles, commerciale et sociale de la Cour de cassation, l’effectif total du bureau s’élevant à une soixantaine de membres.

La spécialisation de ceux-ci favorise la recherche du moyen sérieux à l’existence duquel est subordonné l’octroi de l’aide juridictionnelle.

Comment le définir ?

C’est évidemment celui qui va justifier la censure, totale ou partielle, de la décision attaquée.

Mais nous pouvons aller plus loin et retenir, par exemple, les hypothèses suivantes :

  • incertitudes, voire divergences, jurisprudentielles ;
  • ancienneté de la jurisprudence pouvant appeler un réexamen en raison d’un environnement nouveau, ou, au contraire, nouveauté de la question posée par le litige ;
  • modification du paysage juridique en raison d’une décision du Conseil constitutionnel venant, sur une question prioritaire de constitutionnalité, assortir une disposition d’une réserve d’interprétation en discordance avec la jurisprudence de la Cour de cassation.

Cette subordination de l’octroi de l’aide juridictionnelle à l’exigence d’un moyen sérieux de cassation a été jugée compatible avec le droit à l’accès au juge tel que garanti par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, par deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 février 2002 (CEDH, arrêt du 26 février 2002, Del Sol c. France, no 46800/99 ; CEDH, arrêt du 26 février 2002, Essaadi c. France, no 49384/99).

Dès lors que l’existence d’un tel moyen est constatée, l’aide juridictionnelle est octroyée soit totalement, soit partiellement, dans la mesure où est respecté le plafond de ressources auquel est subordonné cet octroi.

Si l’octroi partiel laisse au bénéficiaire la charge d’un honoraire conventionnellement fixé avec son avocat, ou d’un émolument en cas de concours d’un officier public et ministériel, en revanche, l’ensemble des autres frais qu’il aurait dû supporter sont, comme en cas d’octroi total, à la charge de l’État (article 24 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 précitée), étant observé, dans cette dernière hypothèse, que la rétribution versée par celui-ci aux avocats aux Conseils est fixée à 382 € (article 90 du décret no 2020-1717 du 28 décembre 2020 précité).

Mais il va de soi qu’il n’y a pas lieu de mobiliser le bureau lorsque, d’évidence, la demande d’aide juridictionnelle ne peut être accueillie. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’elle est irrecevable pour avoir été formée après l’expiration du délai de pourvoi, ou caduque en raison de l’impéritie du demandeur qui omet de produire les pièces nécessaires à l’examen de sa demande.

Ainsi, lorsque celle-ci ne présente « manifestement pas de difficulté sérieuse », la décision d’octroi, comme de refus, peut être prise, par le président ou le vice-président du bureau (article 22 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991). À défaut, la décision appartient à la division compétente, qui se réunit deux fois par mois en matière pénale et une fois par mois en matière civile.

La décision peut être frappée de recours devant le premier président de la Cour de cassation (article 23 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991), lequel délègue ses pouvoirs à des magistrats du siège de celle-ci.

Ainsi la durée de traitement d’une demande peut, notamment en cas de recours, être significative.

La maîtrise de cette durée est d’autant plus importante qu’elle peut affecter l’examen du pourvoi en considération duquel la demande a été présentée.

En effet, si en matière pénale, la demande n’a pas d’effet interruptif, ni même d’effet suspensif, sur le cours de l’instruction et du jugement du pourvoi, en revanche, en matière civile, entendue au sens large de matière non pénale, le délai de pourvoi, comme les délais de dépôt des mémoires, sont interrompus, en cas de saisine du bureau d’aide juridictionnelle avant leur expiration et ne recommencent de courir qu’après décision définitive sur la demande.

S’agissant de la saisine propre à interrompre ces délais, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu, le 3 mai 2016, après avis de la deuxième chambre civile, un arrêt d’une particulière importance au regard du dispositif mis en place par les textes qui régissent l’aide juridictionnelle en cas de saisine d’un bureau incompétent.

Alors applicable à cette date, l’article 32, alinéa 1, du décret no 91-1266 du 19 décembre 1991 précité disposait que le bureau qui se déclare incompétent renvoie la demande par décision motivée devant le bureau qu’il désigne. Cette disposition était semblable à celle qui figurait à l’article 96, alinéa 2, du code de procédure civile (aujourd'hui transféré à l'article 81, alinéa 2, dudit code) qui prévoyait que le juge qui se déclare incompétent désigne la juridiction qu’il estime compétente. Nous pourrions être tentés de déduire de cette similitude que de même que, selon l’article 2241 du code civil, la demande en justice portée devant une juridiction incompétente interrompt le délai de prescription, la demande d’aide juridictionnelle formée en vue de se pourvoir en cassation en matière civile, mais adressée à un bureau d’aide juridictionnelle autre que le bureau établi près la Cour de cassation, interrompt les délais impartis pour le dépôt du pourvoi et des mémoires.

C’est une position contraire qu’a adoptée la Cour de cassation dans ledit arrêt du 3 mai 2016 (Soc., 3 mai 2016, pourvoi no 14-16.533, Bull. 2016, V, no 78) qui pose en principe que « seule la demande d’aide juridictionnelle en vue de se pourvoir en matière civile devant la Cour de cassation adressée au bureau d’aide juridictionnelle établi près cette juridiction interrompt le délai imparti pour le dépôt du pourvoi ou des mémoires » et précise « qu’un tel effet interruptif n’est attaché ni au dépôt de la demande devant un autre bureau d’aide juridictionnelle ni à la transmission de la demande par celui-ci au bureau de la Cour de cassation ».

l est vrai qu’à la différence de l’article 96, alinéa 2, du code de procédure civile selon lequel la désignation par le juge incompétent de la juridiction qu’il estime compétente s’impose au juge de renvoi, l’article 32, alinéa 2, du décret no 91-1266 du 19 décembre 1991 précité ajoutait que la décision de renvoi s’impose au sein d’un même ordre de juridiction, à moins que le bureau désigné ne soit d’un niveau supérieur. Et le bureau d’aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation est, par hypothèse, d’un niveau supérieur à celui du bureau de renvoi.

Désormais l’exception d’incompétence est régie par l’article 35 du décret no 2020-1717 du 28 décembre 2020 qui reproduit la disposition précitée après l’avoir amputée de la restriction qu’elle contenait.

Reste qu’à ce jour la Cour de cassation n’a pas eu à se prononcer sur l’incidence de cette modification textuelle sur sa jurisprudence.

Quoi qu’il en soit, celle-ci commande que tout président d’un bureau d’aide juridictionnelle saisi à tort d’une demande relevant de la compétence du bureau établi près la Cour de cassation s’en dessaisisse au plus vite et informe le demandeur de l’obligation qui lui incombe de saisir ce bureau d’une demande dans le délai imparti pour le dépôt soit du pourvoi, soit du mémoire en demande ou en défense, et impose à tout conseil de s’assurer que son client a bien adressé sa demande audit bureau.

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