Rapport annuel 2020 de la Cour de cassation (IV. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ (QPC))

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Ouvrage de référence dans les milieux judiciaire et universitaire, le Rapport de la Cour de cassation est aussi un précieux instrument de travail pour les praticiens du droit. Le Rapport 2020 comporte des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, ainsi que l’analyse des principaux arrêts et avis ayant été rendus, tout au long de l’année, dans les différentes branches du droit privé. Le Rapport présente également, de manière détaillée, l’activité juridictionnelle et extra-juridictionnelle de la Cour de cassation, ainsi que celle des juridictions et commissions instituées auprès d’elle.

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Rapport annuel 2020 de la Cour de cassation (IV. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ (QPC))

IV. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ (QPC)

Lois et règlements – Application dans le temps – Lois de forme ou de procédure – Application immédiate – Domaine d’application – Article 108 de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 – Portée

2e Civ., 25 juin 2020, pourvoi no 19-23.219, publié au Bulletin, rapport de Mme Jollec et avis de M. Aparisi

L’article 108 de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019, dépourvu de caractère interprétatif, est applicable aux actes d’exécution forcée postérieurs à l’entrée en vigueur de ce texte, soit le 25 mars 2019.

Alsace-Moselle – Procédure civile – Exécution forcée – Exécution sur les biens immeubles – Titre exécutoire – Validité – Conditions – Détermination – Portée

Même arrêt

Constitue un titre exécutoire, au sens de l’article L. 111-5, 1º, du code des procédures civiles d’exécution, dans sa rédaction antérieure à la loi nº 2019-222 du 23 mars 2019, un acte notarié de prêt qui mentionne, au jour de sa signature, outre le consentement du débiteur à son exécution forcée immédiate, le montant du capital emprunté et ses modalités de remboursement permettant, au jour des poursuites, d’évaluer la créance dont le recouvrement est poursuivi.

Saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’interprétation jurisprudentielle par la Cour de cassation de l’article L. 111-5, 1o, du code des procédures civiles d’exécution, dans sa rédaction antérieure à la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu’il n’y avait pas lieu à transmission de la question au Conseil constitutionnel, dès lors que, par arrêt du même jour, elle a décidé, procédant à un revirement de jurisprudence, que constitue un titre exécutoire, au sens de l’article L. 111-5, 1o, du code des procédures civiles d’exécution, alors applicable, un acte notarié de prêt qui mentionne, au jour de sa signature, outre le consentement du débiteur à son exécution forcée immédiate, le montant du capital emprunté et ses modalités de remboursement permettant, au jour des poursuites, d’évaluer la créance dont le recouvrement est poursuivi.

Jusqu’alors, la Cour de cassation, par une jurisprudence constante (1re Civ., 6 avril 2016, pourvoi no 15-11.077 ; 1re Civ., 4 octobre 2017, pourvoi no 16-15.458 ; 3e Civ., 18 mai 2017, pourvoi no 16-14.671 ; 2e Civ., 19 octobre 2017, pourvoi no 16-19.675 ; 2e Civ., 19 octobre 2017, pourvoi no 16-26.413 ; 2e Civ., 22 mars 2018, pourvoi no 17-10.635), jugeait que, pour constituer un titre exécutoire, l’acte de prêt dressé par le notaire dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, devait mentionner, outre le consentement du débiteur à l’exécution forcée immédiate, une créance déterminée au jour des poursuites. Ne pouvaient donc constituer un titre exécutoire les actes de prêt dont la créance poursuivie n’était que déterminable, sauf dans l’hypothèse où les parties, conformément à une pratique locale, avaient stipulé au contrat une clause d’arrêté de compte, donnant pouvoir au représentant de l’organisme prêteur d’arrêter les comptes en cas de carence du débiteur.

Cette jurisprudence a fait l’objet d’importantes controverses doctrinales. Elle a engendré des difficultés d’ordre pratique. Elle a eu, en effet, pour conséquence d’imposer au créancier, dont l’acte notarié avait été dressé dans un des trois départements de l’Alsace-Moselle, d’agir en justice pour obtenir un titre exécutoire alors que partout ailleurs dans l’ensemble du territoire national, cet acte notarié permettait d’engager une procédure d’exécution forcée. En outre, des divergences de jurisprudence entre les cours d’appel de Metz et de Colmar sont apparues, source d’insécurité juridique.

La loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée est venue modifier l’article L. 111-5, 1o, précité en énonçant que « constituent aussi des titres exécutoires : 1o Les actes établis par un notaire de ces trois départements lorsqu’ils sont dressés au sujet d’une prétention ayant pour objet le paiement d’une somme d’argent déterminée ou déterminable, ou la prestation d’une quantité déterminée ou déterminable d’autres choses fongibles ou de valeurs mobilières, et que le débiteur consent dans l’acte à l’exécution forcée immédiate ».

C’est dans ce contexte que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi formé contre l’arrêt d’une cour d’appel ayant statué à propos d’un acte d’exécution antérieur à l’entrée en vigueur de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 précitée, ainsi que d’une question prioritaire de constitutionnalité formulée à l’occasion de ce recours.

La deuxième chambre civile a, d’abord, jugé que cette loi n’était pas interprétative et qu’il en résultait que le texte applicable au présent litige était l’article L. 111-5, 1o, du code des procédures civiles d’exécution dans sa version antérieure à la loi no 2019- 222 du 23 mars 2019 précitée.

Prenant, ensuite, appui sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation a décidé de procéder à un revirement de jurisprudence afin, pour l’essentiel, de rapprocher les règles du droit local de celles du droit général. À cet égard, il convient d’observer que si le maintien du droit local a été érigé, par le Conseil constitutionnel, au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République, la portée de ce principe a été circonscrite en ce que, notamment, les dispositions de droit local ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d’application n’est pas élargi (Cons. const., 5 août 2011, décision no 2011-157 QPC, Société SOMODIA [Interdiction du travail le dimanche en Alsace-Moselle]). Or, en l’espèce, le maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation contribuait à accroître les différences entre les dispositions de droit local et celles du droit applicable dans le reste du territoire national.

S’inspirant de la « doctrine du droit vivant », la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a donc donné une interprétation renouvelée de l’article L. 111-5, 1o, du code des procédures civiles d’exécution, dans sa version antérieure à la loi de 2019, destinée à assurer sa conformité aux exigences découlant du principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil constitutionnel dans la décision no 2011-157 QPC du 5 août 2011 précitée.

Elle en a déduit que, dans ces conditions, la question prioritaire de constitutionnalité n’avait plus lieu d’être transmise au Conseil constitutionnel.

Si le Conseil constitutionnel a admis (Cons. const., 6 octobre 2010, décision no 2010- 39 QPC, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. [Adoption au sein d’un couple non marié]) que tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition, la Cour de cassation, et notamment la chambre criminelle (Crim., 5 octobre 2011, pourvoi no 11-90.087, Bull. crim. 2011, no 196 ; Crim., 12 avril 2012, pourvoi no 12-90.004, Bull. crim. 2012, no 100 ; Crim., 26 juin 2012, pourvoi no 12-80.319, Bull. crim. 2012, no 159 ; Crim., 11 avril 2018, pourvoi no 16-87.622, Bull. crim. 2018, no 75), a déjà procédé, elle-même, à l’interprétation de la constitutionnalité d’une jurisprudence, appliquant ainsi ce qui est convenu d’appeler la doctrine « du droit vivant ». La présente décision de non-lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, renvoyant à l’arrêt du même jour, procédant au revirement de jurisprudence, en fournit une illustration.

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