N°8 - Septembre 2022 (Éditorial - Urbanisme et environnement)

Lettre de la troisième chambre civile

Une sélection commentée des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Associations / Assurance-construction / Baux commerciaux / Covid-19 / Baux d'habitation / Construction / Environnement / Société civile immobilière / Vente d'immeuble).

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Lettre de la troisième chambre civile

N°8 - Septembre 2022 (Éditorial - Urbanisme et environnement)

Urbanisme et environnement : le juge face à un droit en perpétuel renouvellement

Par Isabelle de Silva,

Présidente de la 6ème chambre de la Section du contentieux du Conseil d’État

Isabelle de Silva, présidente de la 6ème chambre de la Section du contentieux du Conseil d’État

A l’heure où le droit est toujours plus évolutif et complexe, le dialogue des juges demeure une voie essentielle pour permettre au juge de rendre une décision éclairée.

A cet égard, le séminaire qui a réuni les magistrats de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation et de la 6ème chambre du Conseil d’Etat en juin dernier a été particulièrement riche et fructueux, en permettant à chacun de mesurer les évolutions jurisprudentielles intervenues, et l’acuité des questions soulevées par la loi nationale ou le droit européen. La présentation de décisions récentes innovantes a permis de mesurer, aussi, combien le juge adapte en permanence ses méthodes ou son office afin de remplir au mieux sa mission. Et nous avons aussi constaté l’intérêt des échanges sur les contentieux « partagés » entre les deux ordres de juridiction (droit des ICPE, droit de la remise en état des sols pollués, police de l’environnement notamment).

Pour prolonger ce temps d’échange entre nos deux juridictions, il m’a semblé utile de revenir sur les directions nouvelles prises par le contentieux de l’urbanisme et de l’environnement devant le juge administratif.

S’agissant du droit de l’urbanisme, c’est le législateur qui a profondément infléchi l’office du juge, au gré des réformes successives qui ont remodelé le contentieux de l’urbanisme. Désormais, le juge de la décision d’urbanisme n’est plus seulement chargé de contrôler la légalité de la décision initiale, mais doit aussi prendre en compte la possibilité de régulariser les illégalités éventuellement constatées. Le législateur a cherché, ce faisant, à éviter des annulations « inutiles » des autorisations d’urbanisme. Ainsi, les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 ont imposé au juge administratif de se prononcer sur le point de savoir si les vices affectant la légalité de l’acte attaqué sont susceptibles d’être régularisés. Si tel est le cas il doit surseoir à statuer pour permettre à ce processus de régularisation d’advenir. Ce nouveau régime contentieux conduit ainsi le juge à se prononcer sur de nouvelles questions - le caractère régularisable de l’illégalité notamment -, et prolonge de fait la procédure, qui englobe désormais le temps laissé à la régularisation. Le contentieux conduit aussi le juge à se prononcer « en deux temps », ce qui peut soulever des questions délicates relatives à l’exercice des voies de recours.

Le Conseil d’Etat a été conduit à préciser le champ dans lequel peut intervenir la régularisation, en retenant, au vu de l’article L. 600-5-1, éclairé par les travaux parlementaires, une très large faculté de régularisation : la mesure de régularisation peut advenir même si elle « implique de revoir l’économie générale du projet en cause », dès lors qu’elle « n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même » (CE, Section 2 oct. 2020, avis, Barrieu, concl. O. Fuchs, publié au recueil, n° 438318). Le développement de ce nouvel office de régularisation a conduit, par contrecoup, le Conseil d’Etat à revenir sur des notions anciennes et bien établies, comme celle du permis de construire modificatif. Ainsi, le champ du permis modificatif a été récemment « aligné » sur celui des mesures de régularisation, (CE, Section 26 juillet 2022, Vincler, concl. Section Agnoux, Rec. n° 437765).  Le Conseil d’Etat a souhaité ce faisant revenir aux sources de la jurisprudence initiale, qui entendait autoriser des évolutions significatives des projets, mais a aussi souhaité traiter de façon homogènes les évolutions du permis liées à un contentieux et celles qui se font en dehors des prétoires sur les constructions non achevées, y compris d’ailleurs afin de dénouer des contestations ou contentieux éventuels. Ce nouveau cadre jurisprudentiel ne remet pas en cause les droits des tiers, qui peuvent toujours contester les modifications apportées, le pétitionnaire ne disposant de droits acquis que sur la partie du permis non modifiée par la nouvelle autorisation. Ces différentes évolutions devraient conduire à limiter les hypothèses dans lesquelles l’autorisation d’urbanisme sera annulée, et pourraient – qui sait ? - diminuer corrélativement le contentieux relevant du juge judiciaire.

Le contentieux environnemental, qui relève également de la sixième chambre, a lui aussi connu des décisions marquantes. C’est cette fois le droit européen et les engagements internationaux en matière climatique qui ont conduit le Conseil d’Etat à intervenir pour enjoindre au gouvernement de prendre des mesures en matière de pollution atmosphérique et de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Les affaires « Grande Synthe » et « Les amis de la Terre » présentent plusieurs points communs :  le Conseil d’Etat se prononçait sur des décisions implicites du gouvernement (suscitées par les requérants)  refusant de prendre les mesures nécessaires pour répondre à des défis environnementaux ; il prenait en compte la norme juridique fixant un objectif de protection de l’environnement ; il recourait, enfin, à ses pouvoirs en matière d’injonction et d’astreinte, qui visent à favoriser la pleine exécution des décisions de justice. Ainsi, dans l’affaire « Grande Synthe », le Conseil d’Etat a jugé que, alors même que les accords de Paris n’ont pas d’effet direct en droit interne, leurs stipulations devaient être prises en compte dans l’interprétation des dispositions législatives prises pour leur mise en œuvre – notamment les objectifs de réduction des gaz à effet de serre (CE, 19 nov. 2020, Commune de Grande Synthe, n° 427301). Par suite, l’Etat devait mettre en œuvre les moyens nécessaires pour respecter les engagements qu’il avait lui-même souscrits (CE, 1er juillet 2021, Commune de Grande Synthe, n° 427301). En soi, le fait que Conseil d’Etat prescrive au gouvernement de mettre en œuvre des dispositions législatives est très classique, mais l’originalité de l’affaire tient à l’application par le juge de ce pouvoir en matière environnementale, pour contrôler le respect d’objectifs « macro », qui ne peuvent être atteints que par la mise en œuvre d’un ensemble de politiques publiques. Le recours aux pouvoirs d’injonction vise toujours, pour le juge, au rétablissement de la légalité. A cet égard, le recours à l’astreinte peut s’avérer nécessaire, comme cela a été le cas dans l’affaire « Les amis de la Terre ». Après avoir constaté que les objectifs assignés à la France en matière de respect de valeurs limites de polluants dans l’atmosphère n’avaient pas été atteints, une importante condamnation sous astreinte a été prononcée (CE, Ass., 10 juillet 2020, Assoc. Les Amis de la Terre, n° 428409). Au stade de la liquidation, le Conseil d’Etat a décidé d'affecter une partie de l’astreinte à des personnes morales de droit public disposant d'une autonomie suffisante à l'égard de l'Etat et à des personnes morales de droit privé, à but non lucratif, dont les missions étaient en rapport avec l'objet du litige (CE, 4 août 2021, Assoc. Les Amis de la Terre et autres, n° 428409).

Eu égard à l’acuité des enjeux climatiques et environnementaux auxquels notre planète est confrontée, il est probable que ce type de contentieux continue d’occuper les prétoires dans les années à venir. Le dialogue entre Conseil d’Etat et Cour de cassation sera un précieux renfort pour y faire face.

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