N°8 - Septembre 2022 (Baux commerciaux)

Lettre de la troisième chambre civile

Une sélection commentée des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Associations / Assurance-construction / Baux commerciaux / Covid-19 / Baux d'habitation / Construction / Environnement / Société civile immobilière / Vente d'immeuble).

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Lettre de la troisième chambre civile

N°8 - Septembre 2022 (Baux commerciaux)

Interruption du délai de prescription de l’action en paiement d’une indemnité d’éviction

3e Civ., 22 juin 2022, pourvoi n° 20-20.844 et 21-111.68, publié au Bulletin

Dans l’affaire commentée, la délivrance d’un congé avec refus de renouvellement d’un bail commercial consenti pour l’exploitation d’une station-service a soulevé deux questions de nature différente.

La première, de nature processuelle, a trait à la combinaison des délais spécifiques prévus par le code de commerce en matière de bail commercial avec le droit commun de la prescription.

On sait, en effet, qu’outre l’article L. 145-60 qui prévoit que les actions exercées en vertu du chapitre relatif au bail commercial se prescrivent par deux ans, les articles L. 145-9 et L. 145-10 instituent des délais spécifiques.

Ainsi, aux termes de l’article L. 145-9, le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.

Avant la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, ce délai était prévu à peine de forclusion, en sorte qu’il ne pouvait être ni interrompu ni suspendu.

Au cas présent, dans un litige noué postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi, l’assignation du preneur en paiement d’une indemnité d’éviction avait été délivrée au bailleur avant que deux années après la date d’effet du congé ne se soient écoulées mais placée postérieurement.

Mettant en oeuvre le droit commun de la prescription selon lequel, en application de l’article 2241 du code civil, la demande en justice interrompt le délai de prescription, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi reprochant à la cour d’appel d’avoir fait produire un effet interruptif à la délivrance de l’assignation.

La seconde question est relative à la combinaison de l’obligation de dépollution pesant sur le dernier exploitant d’une installation classée pour la protection de l’environnement avec le droit du locataire à une indemnité d’éviction.

En application de l’article L. 512-12-1 du code de l'environnement, le dernier exploitant d’un tel site est tenu de le mettre en sécurité et, s’agissant de réservoirs de carburant et de leurs équipements annexes, de les neutraliser conformément aux dispositions de l'article 18 de l'arrêté du 22 juin 1998 et de l’article 2.10 de l’annexe de l’arrêté du 15 avril 2010.

La cour d’appel ayant intégré dans les indemnités accessoires dues au locataire évincé les frais liés à la dépollution de l’exploitation définitivement fermée, le pourvoi lui reprochait d’avoir ainsi méconnu que le coût de la dépollution et de la remise en état ne constituait pas un préjudice imputable à l’éviction mais découlait d’une obligation légale.

La Cour de cassation l’a accueilli en énonçant que, indépendamment de tout rapport de droit privé, seul le dernier exploitant était tenu d’exécuter cette obligation.

L’incidence de l’interdiction de recevoir du public résultant de l’état d’urgence sanitaire sur l’obligation des locataires de payer leur loyer

3e Civ., 30 juin 2022, pourvois n° 21-20.190, publié au Bulletin et au Rapport,

3e Civ., 30 juin 2022, n° 21-20.127, publié au Bulletin

3e Civ., 30 juin 2022, n° 21-19.889

Au nombre des mesures prises pour faire face à l'épidémie de covid-19, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré sur l'ensemble du territoire national par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, les autorités publiques ont, jusqu'au 11 mai 2020, interdit, d’une part, tout déplacement de personne hors de son domicile, sauf pour effectuer des achats de première nécessité et de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle, d’autre part, l’accueil du public dans les commerces, à l'exception de ceux présentant un caractère indispensables à la vie de la Nation.

De nombreux locataires se sont alors abstenus de payer leur loyer.

Afin d’amortir les conséquences immédiates de ces mesures, les ordonnances n° 2020-306 et n° 2020-316 du 25 mars 2020 ont suspendu les effets des clauses résolutoires sanctionnant le défaut de paiement de loyers et charges locatives devenus exigibles entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. Puis, diverses mesures d’aide financière aux entreprises ont été progressivement mises en place par les autorités publiques.

Une note du ministère de l’économie, des finances et de la relance relative à l’impact de la crise sanitaire sur les loyers des commerces, versée aux débats par l’avocat général, estime qu’en 2020 et 2021, les différentes mesures d’interdiction d’accueil du public ont entraîné la fermeture de près de 45 % des établissements du commerce de détail pour un montant total de loyers et charges locatives immobilisés estimé à plus de trois milliards d’euros.

Certains locataires ayant demandé à être définitivement dispensés, en tout ou partie, du paiement des loyers en contrepartie desquels ils estimaient n’avoir pas complètement bénéficié de la jouissance des locaux loués, le contentieux qui s’en est suivi a conduit à la saisine de la Cour de cassation par une trentaine de pourvois.

Par les trois arrêts commentés, elle a répondu à l’ensemble des questions de principe s’étant posées aux juridictions du fond.

L’une d’entre elle était préalable : les ordonnances du 25 mars 2020 précitées avaient-elles pour objet ou pour effet d’exclure l’application du droit commun du bail, ainsi que l’avait retenu l’une des décisions frappées de pourvoi ?

En se prononçant par un motif de pur droit substitué à celui des premiers juges, sur les conditions de mise en œuvre de l’article 1722 du code civil prétendument évincé, et en approuvant leurs motifs sur les conditions de mise en œuvre des autres dispositions du code civil invoquées par les locataires, la troisième chambre civile ne l’a pas admis.

En, effet, il ne résulte ni des motifs ni de la lettre de ces ordonnances qu’en paralysant le jeu de certaines sanctions aux manquements des parties, le gouvernement aurait entendu régler, par exception, toutes les conséquences de la crise dans le champ contractuel.

Les locataires n’étaient donc pas privés de la possibilité d’invoquer à leur profit le droit commun du bail.

Pouvaient-ils, dès lors, prétendre, sur le fondement de l’article 1722 du code civil, à la diminution du prix du bail en invoquant la perte partielle et temporaire de la chose louée par l’effet des mesures d’interdiction d’accueil du public caractérisant un cas fortuit ?

Pour le soutenir, ceux-ci s’appuyaient sur une jurisprudence établie admettant que la perte partielle ou totale de la chose louée puisse résulter non seulement de sa destruction matérielle, mais également de l’impossibilité d’en user, en tout ou partie, conformément à sa destination contractuelle, notamment en exécution d’une mesure administrative, et invoquaient en outre un précédent (1re Civ., 29 novembre 1965, Bull. n° 655) dont ils déduisaient que la perte juridique de la chose louée au sens de l’article 1722 pouvait n’être que temporaire.

Excluant la caractérisation de la notion même de perte de la chose louée au motif que la mesure générale et temporaire d’interdiction de recevoir du public est sans lien direct avec la destination contractuelle des locaux loués, les arrêts commentés ne prennent pas position sur ce dernier point.

En effet, cette interdiction, s’inscrivant dans un ensemble de mesures ayant pour objet de restreindre les rapports inter-personnels dans le but de limiter la propagation du virus, ne réglementait pas l’usage des locaux, mais la circulation des personnes dans l’objectif de garantir la santé publique. Elle n’est dès lors pas à l’origine d’une perte des lieux loués, en sorte que les locataires n’étaient pas fondés à se prévaloir de l’article 1722.

D’ailleurs, la juridiction administrative ne raisonne pas différemment lorsqu’elle n’admet la responsabilité de l’Etat législateur pour rupture d’égalité des citoyens devant les charges publiques que s’il est justifié d’un préjudice grave et spécial, c’est-à-dire excédant, d’abord, les inconvénients qui doivent être supportés par tous au nom des exigences de la vie en société et limité, ensuite, à un petit nombre de personnes ou une catégorie de personnes, suffisamment détachables de la communauté nationale.

A défaut d’une perte des lieux loués, les locataires pouvaient-ils se prévaloir d’un manquement de leur bailleur à son obligation de délivrance, justifiant qu’ils invoquent l’exception d’inexécution pour s’abstenir de payer leur loyer ?

Les effets de l’interdiction de recevoir du public ne sont cependant, à l’évidence, pas imputables aux bailleurs, puisqu’ils s’imposent à eux comme aux locataires. Aucun manquement contractuel à leur obligation de délivrance ne saurait donc leur être reproché.

Pour le surplus, les arrêts commentés font application de la jurisprudence selon laquelle le créancier, ici le locataire, qui n’a pu profiter de la prestation à laquelle il avait droit, ne peut invoquer la force majeure, en application de l’article 1218, lu a contrario, du code civil.

Enfin, une fois qu’elle avait résolu ces questions de droit, la Cour de cassation a considéré qu’elles ne constituaient pas une contestation sérieuse de nature à faire obstacle à l’exercice d’un référé-provision.

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