N°7 - Mai 2022 (Prescription et vices cachés)

Lettre de la troisième chambre civile

Une sélection commentée des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Assurance-construction / Baux commerciaux / Copropriété / Environnement / Expropriation / Hypothèque / Prescription et vices cachés / Sous-traitance).

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Lettre de la troisième chambre civile

N°7 - Mai 2022 (Prescription et vices cachés)

Encadrement dans le temps

Encadrement dans le temps de l’exercice de l'action en garantie des vices cachés par le délai de vingt ans de l'article 2232 du code civil / Encadrement dans le temps de l'action récursoire du constructeur fondée sur les vices des matériaux qu'il a mis en œuvre

 

3e Civ., 8 décembre 2021, pourvoi n° 20-21.439, publié au Bulletin

3e Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, publié au Bulletin

À quelques semaines d'intervalle la troisième chambre civile de la Cour de cassation s'est prononcée sur le régime de la prescription de l'action en garantie des vices cachés, que cette action soit exercée à titre principal, par l'acquéreur d'un bien immobilier, ou à titre récursoire, par le constructeur recherchant la garantie de son fournisseur.

Par un premier arrêt, la troisième chambre civile de la Cour de cassation tire les conséquences des nouvelles règles issues de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription pour encadrer dans le temps l'action en garantie des vices cachés.

Dans un second, elle se fonde sur la spécificité du régime de responsabilité des constructeurs pour déterminer si la prescription de l'action récursoire de l'entrepreneur contre son fournisseur peut courir avant que le maître de l'ouvrage exerce sa propre action.

 

Encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008

Le délai pour agir en garantie des vices cachés est fixé par l'article 1648, alinéa 1er, du code civil. Il s'agissait initialement d'un « bref délai », dont la jurisprudence avait fixé le point de départ au jour de la découverte du vice par l'acquéreur. En 2005, le législateur a confirmé ce point de départ tout en fixant désormais le délai à deux ans.

Ce délai n'est, cependant, pas le seul à encadrer l'action en garantie des vices cachés puisque, depuis le début des années 2000, la Cour de cassation retient que cette action est également enfermée dans le délai de prescription de droit commun courant à compter de la vente.

En matière civile, la prescription extinctive de droit commun était d'une durée de trente ans (ancien article 2262 du code civil). Lorsqu'une partie était commerçante, le délai était de dix ans (article L. 110-4, I, du code de commerce). Aucun de ces deux textes ne précisait le point de départ du délai.

La loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription, a réduit notablement la durée de la prescription, tant en matière civile qu'en matière commerciale, en fixant dans les deux cas sa durée à cinq ans. Le nouvel article 2224 du code civil, concernant la prescription des actions personnelles ou mobilières, prévoit également que le délai ne court que du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

On voit ainsi qu'avec la réforme de 2008, les points de départ des délais prévus à l'article 1648, alinéa 1er, et 2224 du code civil sont les mêmes : il s'agit dans les deux cas d'un point de départ « glissant », dépendant de la connaissance du vice par l'acquéreur.

Le législateur a, par ailleurs, introduit un nouveau délai, destiné à borner tous les délais de prescription. Sans ce « butoir » les délais pourraient se prolonger indéfiniment, par le jeu du report de leur point de départ ou par l'effet des suspensions et interruptions prévues par la loi. Le nouvel article 2232 du code civil énonce, ainsi, que, sous réserve de certaines exceptions, le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.

Compte tenu du choix d'un point de départ glissant pour la prescription extinctive, se confondant avec celui du délai biennal de l'article 1648, alinéa 1er, du code civil et compte tenu du nouveau délai « butoir » de vingt ans de l'article 2232 du code civil, la prescription extinctive de droit commun de l'article 2224 du code civil pouvait-elle encore encadrer l'action en garantie des vices cachés ?

Dans son arrêt du 8 décembre 2021 (pourvoi n° 20-21.439, publié au Bulletin), la troisième chambre civile de la Cour de cassation répond clairement par la négative : pour les contrats de vente conclus après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, seul le délai de vingt ans de l'article 2232 du code civil peut venir encadrer l'action en garantie des vices cachés, étant précisé que par un arrêt du 1er octobre 2020 (pourvoi n° 19-16.986, publié au Bulletin), elle avait jugé que la naissance du droit, au sens de ce texte, s'entendait du jour de la vente.

Ainsi, pour les contrats conclus à compter du 19 juin 2008, l'action en garantie des vices cachés doit s'exercer dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice, dans la limite de vingt ans à compter de la vente.

Quelle solution adopter, par ailleurs, pour les actions récursoires fondées sur la garantie des vices cachés et pour les contrats de vente conclus avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ? Une seconde affaire a donné l'occasion à la Cour de cassation de se prononcer.

 

Encadrement dans le temps de l'action récursoire du constructeur fondée sur les vices des matériaux qu'il a mis en œuvre

Dans une seconde affaire, un constructeur, condamné à indemniser le maître de l'ouvrage pour des dommages de nature décennale, avait appelé en garantie son fournisseur. Cette action récursoire avait été formée plus de dix ans après la vente des matériaux de construction, intervenue en 2004.

Pour les actions récursoires fondées sur la garantie des vices cachés, la Cour de cassation applique le même principe que pour l'action principale : l'action est encadrée par le délai de prescription de droit commun courant à compter de la vente initiale. Au contraire de la première chambre et de la chambre commerciale, la troisième chambre retenait, néanmoins, que la prescription de l'article 2262 (ancien) du code civil ou de l'article L. 110-4, I, du code de commerce se trouvait suspendue jusqu'à ce que le constructeur ait intérêt à l'exercer, soit jusqu'à sa mise en cause par le maître de l'ouvrage : la prescription ne peut courir si l'action n'est pas née.

La cour d'appel avait appliqué cette solution. Le pourvoi demandait son abandon.

Les dispositions nouvelles de l'article 2232 du code civil pouvaient-elle trouver à s'appliquer ? L’arrêt du 1er octobre 2020 précité (pourvoi n° 19-16.986, publié au Bulletin) a exclu une telle application rétroactive de la loi nouvelle. Les dispositions transitoires prévues à l'article 26 de la loi ne concernent que les dispositions qui allongent ou réduisent la durée de la prescription. En l'absence de dispositions transitoires qui lui soient applicables, le délai butoir de l'article 2232 du code civil, créé par la loi du 17 juin 2008, relève, pour son application dans le temps, du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle. C'est donc la prescription de l'article L. 110-4, I, du code de commerce qui encadrait le délai pour agir du constructeur, s'agissant d'une vente de matériaux antérieure à l'entrée en vigueur de la loi.

Fallait-il, dès lors, juger, comme le demandait l'auteur du pourvoi, que le recours était irrecevable compte tenu de l'expiration d'un délai supérieur à dix ans entre la vente et l'assignation délivrée au fournisseur ?

La réponse de la troisième chambre (3e civ. 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, publié au Bulletin) est négative : il doit être tenu compte du régime de responsabilité particulier du constructeur, qui n'est pas celui du droit commun. La responsabilité du constructeur peut être recherchée pendant dix ans après la réception de l'ouvrage, y compris pour les désordres dits intermédiaires qui ne sont pas de gravité décennale. De manière générale, le défaut des matériaux mis en œuvre par le constructeur pour la réalisation de l'ouvrage ne constitue pas une cause d'exonération de sa responsabilité.

Dès lors, le constructeur dont la responsabilité est retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en œuvre pour la réalisation de l'ouvrage doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale. En décider autrement porterait une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge.

Pour le cas des matériaux destinés à être mis en œuvre dans un ouvrage au sens du droit de la construction, la solution ne peut être identique à celle appliquée aux autres meubles. Pour l'exercice de l'action récursoire, le délai de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu'à ce que la responsabilité du constructeur ait été recherchée par le maître de l'ouvrage.

Pour les contrats conclus avant l'entrée en vigueur de la réforme, la troisième chambre civile recherche ainsi un équilibre entre l'impératif de sécurité juridique et le droit d'accès au juge, tenant compte des spécificités des contentieux immobiliers.

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