N°11 - Juillet 2023 (Baux commerciaux)

Lettre de la troisième chambre civile

Une sélection commentée des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Baux commerciaux / Baux ruraux / Construction).

  • Immobilier
  • bail commercial
  • bail rural
  • construction immobilière

L’action en constatation de l'existence d'un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire est-elle soumise à prescription ?

3e Civ., 25 mai 2023, pourvoi n° 21-23.007, publié au Bulletin

L’article L.145-5 du code de commerce autorise les parties à déroger au statut du bail commercial en concluant, sous certaines conditions, un bail dérogatoire. Mais si, à l'expiration de ce bail, et désormais, depuis la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite loi Pinel, au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de son échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère de plein droit un nouveau bail soumis au statut.

Par un arrêt de principe (3e Civ., 1er octobre 2014, pourvoi n° 13-16.806, Bull. 2014, III, n° 121), la Cour de cassation a jugé que « la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à la prescription biennale. »

La prescription biennale de l’article L.145-60 du code de commerce étant expressément exclue, la doctrine et les praticiens s’étaient demandés si la prescription de droit commun avait, dès lors, vocation à s’appliquer.

Par l’arrêt commenté, la Cour de cassation été amenée à expliciter la portée de sa jurisprudence, par le biais d’un moyen de cassation relevé d’office, en énonçant désormais que « la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à prescription ».

Elle a, en conséquence, cassé la décision de la cour d’appel qui avait fait application de la prescription quinquennale à une demande en reconnaissance du statut formée par un locataire qui, à l’issu d’un bail dérogatoire, avait été laissé dans les lieux pendant une dizaine d’années avant que le bailleur ne lui dénie la qualité de locataire.

En effet, en excluant en 2014 la prescription biennale, la Cour de cassation avait déjà nécessairement entendu exclure toute prescription de la demande qui ne tend qu’à voir constater l’existence d’un effet légal du statut, à la différence de la demande en requalification d’un contrat en bail commercial, laquelle est soumise à la prescription biennale.

C’est, en se sens, qu’elle s’était d’ailleurs déjà implicitement prononcée (3e  Civ., 7 juillet 2016, pourvoi n° 15-19.485, Bull. 2016, III, n° 91) lorsqu’elle avait précisé que « la demande en fixation du loyer du bail commercial né par application de l'article L. 145-5 du code de commerce suppose qu'ait été demandée, par l'une ou l'autre des parties, l'application du statut des baux commerciaux » pour retenir que le délai de prescription biennale de l'action en fixation du loyer d'un tel bail court, non pas de la date à laquelle naît le bail commercial, mais de la date à laquelle la demande d'application du statut est formée par l'une ou l'autre des parties.

Retenir une autre solution aurait été de nature à priver les parties du bénéfice de l’effet légal du bail statutaire qui opère de plein droit et à susciter des recours préventifs de nature à nuire à une bonne administration de la justice.

Définition des locaux à usage industriel en tant qu’ils sont exclus du champ d’application du droit légal de préférence du locataire commercial

3e Civ., 29 juin 2023, pourvoi n° 22-16.034, publié au Bulletin

L’une des innovations majeures de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite loi Pinel, est l’instauration, à l’article L. 145-46-1 du code de commerce, d’un droit légal de préférence pour le locataire d’un bail commercial en cas de vente des locaux loués.

Expressément limité aux locaux à usage commercial ou artisanal, ce droit de préférence n’est donc pas applicable à la cession de locaux à usage industriel dont ni ce texte, ni aucune autre disposition du code de commerce, ne donnent cependant de définition.

Par l’arrêt commenté, la Cour de cassation a donc été amenée, pour la première fois, à les définir au sens de ce texte.

Elle a d’abord constaté qu’il n’était pas possible de se référer à l’intention du législateur dès lors que la lecture des travaux parlementaires ne permettait pas de déterminer les motifs ayant conduit à les exclure du droit de préférence.

Elle a ensuite relevé que la notion de local à usage industriel n’avait pas encore été définie par la jurisprudence judiciaire.

Elle s’est donc tournée vers la jurisprudence administrative en soulignant que le Conseil d’Etat avait jugé que, au sens des articles 44 septies (CE, 28 février 2007, n° 283441), 244 quater B (CE, 13 juin 2016, n° 380490) et 1465 (CE, 3 juillet 2015, n° 369851) du code général des impôts, ont un caractère industriel les entreprises exerçant une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre est prépondérant.

Elle a considéré que si cette définition relevait de la matière fiscale, les critères dégagés par le juge administratif étaient, au regard de l’objet de l’article L. 145-46-1, opérants pour délimiter la portée de l’exclusion des locaux à usage industriel du champ d’application du droit de préférence.

Elle a donc énoncé, qu’au sens de l’article L. 145-46-1, doit être considéré comme à usage industriel tout local principalement affecté à l'exercice d'une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant.

Par cette définition, elle apporte une autre précision importante : pour être à usage industriel, il suffit que les locaux loués soient principalement affectés à une activité industrielle.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, la locataire procédait justement, dans les locaux loués à usage exclusif « d'entreprise générale de bâtiment et travaux publics et fabrication d'agglomérés », tant à la fabrication de certains éléments de construction qu’à la vente de produits provenant d’autres sites de production.

Par son pourvoi, elle reprochait aux juges du fond d’avoir soumis l’application du droit de préférence à la condition d’exercice exclusif d’une activité commerciale ou artisanale.

La Cour de cassation l’a rejeté en approuvant la cour d’appel d’avoir retenu que l'existence d'une activité de négoce accessoire à l’activité industrielle ne suffisait pas à conférer à l’immeuble loué la qualification de local à usage commercial.

Largement inspirée de la jurisprudence du Conseil d’Etat, mais adaptée au champ d’application de l’article L. 145-46-1 du code de commerce, la décision commentée, de nature à sécuriser la pratique notariale, constitue une illustration de la réalité du dialogue des juges, lequel est animé par un souci d’intelligibilité et d’accessibilité du droit.

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