N°10 - Avril 2023 (Baux commerciaux)

Lettre de la troisième chambre civile

Une sélection commentée des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Action en paiement de travaux et services / Associations / Assurances / Baux commerciaux  / Environnement / Location de courte durée de logements meublés)

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Lissage du déplafonnement : office du juge des loyers commerciaux et de la cour d’appel

3e Civ., 25 janvier 2022, pourvoi n° 21-21.943, publié au Bulletin

Une des innovations majeures de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite loi Pinel, est l’ajout d’un alinéa à l’article L. 145-34 du code de commerce, selon lequel, lorsque la durée du bail est contractuellement supérieure à neuf ans ou en cas de déplafonnement du loyer renouvelé, « la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente ».

Si la Cour de cassation avait déjà été amenée à rendre un avis sur les modalités d'application de ce nouveau dispositif (Avis de la Cour de cassation, 9 mars 2018, n° 17-70.040, Bull. 2018, Avis, n° 3) et à transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (3e Civ., 6 février 2020, pourvoi n° 19-19.503, publié au Bulletin) à la suite de laquelle le Conseil Constitutionnel a consacré la constitutionnalité du dernier alinéa de l'article L. 145-34 du code de commerce (Décision n° 2020-837 QPC du 7 mai 2020), c'est, par l’arrêt commenté, la première fois qu'elle a statué sur l’application de ce texte dans le cadre d'un pourvoi.

En l’occurrence, la bailleresse reprochait à une cour d’appel, statuant en appel d’un juge des loyers commerciaux, d’avoir excédé ses pouvoirs en fixant un échéancier des augmentations du loyer déplafonné alors que la locataire lui demandait, à titre subsidiaire, en cas de déplafonnement du loyer renouvelé, de dire que les augmentations de loyer en résultant ne pourraient pas être supérieures à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.

Dans le droit fil de son avis, par lequel elle avait écarté la conception du bail à paliers, la Cour de cassation a réaffirmé que le mécanisme créé par le dernier alinéa de l’article L. 145-34 du code de commerce n'instaure, dans les cas qu'il détermine, qu'un étalement de la hausse du loyer qui résulte du déplafonnement, sans affecter la fixation du loyer à la valeur locative.

Le juge des loyers commerciaux connaissant, aux termes de l'article R. 145-23 du code de commerce, des seules contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé et ce dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer, l’arrêt commenté retient qu’il n’entre pas dans son office de statuer sur l’application du dernier alinéa de l’article L. 145-34 du même code. Cette solution, fondée sur une lecture stricte de l'article R. 145-23, apporte une précision complémentaire à l’avis qui ne se prononçait que sur l’absence de pouvoir du juge des loyers commerciaux d'arrêter l'échéancier des loyers.

Par ailleurs, l’arrêt commenté éclaire l’office de la cour d’appel en consacrant la solution de principe selon laquelle, saisie d’un appel formé contre un jugement du juge des loyers commerciaux, elle ne peut statuer que dans la limite des pouvoirs de celui-ci.

Cette solution se justifie au regard de la particularité de l'office du juge des loyers commerciaux, qui peut seulement fixer le prix du loyer révisé ou renouvelé, sans prononcer de condamnation puisque, conformément à l’article L.145-57 du code de commerce, l'ordonnance ou l'arrêt fixant le prix du nouveau bail ne vaut bail qu’à défaut d’exercice par les parties de leur droit d'option ou d’accord pour dresser un nouveau bail dans le délai d'un mois qui suit la signification de la décision définitive.

Le domaine d’application de l’effet interruptif de la notification du mémoire préalable est limité à la procédure devant le juge des loyers commerciaux

3e Civ., 25 janvier 2022, pourvoi n° 21-20.009, publié au Bulletin

La notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt-elle la prescription biennale de l'action tendant à la fixation judiciaire du loyer d'un bail commercial renouvelé lorsque l'action est intentée directement devant le tribunal judiciaire et non devant le juge des loyers commerciaux ?

C’est la question qui, en dépit de l’ancienneté des textes afférents à la procédure devant le juge des loyers commerciaux, a été posée pour la première fois à la Cour de cassation par un bailleur, qui, après avoir délivré à son locataire un congé avec offre de renouvellement et lui avoir notifié un mémoire préalable en fixation du loyer de renouvellement, l’a assigné directement devant le tribunal judiciaire en validation du congé et en fixation du prix du loyer renouvelé dans les deux années de la notification de son mémoire préalable, mais plus de deux ans après la date de prise d'effet du bail renouvelé constituant le point de départ de la prescription biennale.

Pour y répondre, la Cour de cassation s’est fondée tant sur le droit commun que sur le droit spécial.

La Cour de cassation retient que le mémoire préalable ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil. Cette solution se fonde sur le caractère limitatif de l’énumération des articles 2240, 2241 et 2244 de ce code des causes de droit commun d’interruption du délai de prescription. Elle s’inscrit en cohérence avec la jurisprudence déniant, en l’absence d’un texte spécial, tout effet interruptif à une mise en demeure (Com., 18 mai 2022, pourvoi n° 20-23.204, publié au Bulletin).

Ainsi, le mémoire préalable n’est une cause interruptive de la prescription qu’en vertu de l’article 33, alinéa 1er, du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 (qui n’a pas été codifié) selon lequel la notification du mémoire institué par l’article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription. Or, le premier alinéa de ce texte n’institue la procédure sur mémoire que dans l’hypothèse où les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées devant le juge des loyers commerciaux et non lorsqu’elles sont portées à titre accessoire devant le tribunal judiciaire.

Cette solution se justifie par la spécificité de la procédure devant le juge des loyers commerciaux qui s'impose aux justiciables comme ayant été édictée « dans le cadre de l'organisation judiciaire et dans l'intérêt d'une meilleure administration de la justice et non dans l'intérêt de l'une ou l'autre des parties » (3e Civ., 14 septembre 2011, pourvoi n° 10-10.032, Bull. 2011, III, n° 148) et a pour objectif de favoriser un règlement amiable entre les parties à bail commercial du litige pouvant naître sur le montant du loyer révisé ou renouvelé.

Ainsi, la saisine du juge des loyers commerciaux ne peut intervenir, en application de l’article R. 145-27 du code de commerce avant l'expiration d'un délai d'un mois suivant la réception du mémoire préalable, lequel n’est exigé que lorsque la partie saisit le juge des loyers commerciaux. En revanche, lorsqu’une partie saisit directement le tribunal judiciaire d’une question principale relevant de sa compétence et accessoirement d’une demande en fixation du loyer, c’est la procédure contentieuse de droit commun qui est applicable et non la procédure spéciale sur mémoire en vigueur devant le seul juge des loyers commerciaux. Dans ce cas, n’ayant pas à notifier un mémoire préalable, elle ne saurait bénéficier de son effet interruptif.

Comme le souligne l’avocate générale dans son avis : « Cette procédure spéciale est totalement entrée dans les mœurs des professionnels et bailleurs concernés, elle est aux mains des praticiens du droit, adaptée aux réalités économiques et à celles du contentieux des baux commerciaux. Elle offre en effet un circuit dédié aux hypothèses de litige les plus fréquentes, lorsque le désaccord ne porte que sur le prix du loyer renouvelé ou révisé, la compétence d’ordre public du juge des loyers commerciaux ne lui permettant pas de traiter une question touchant au fond ou d’interpréter une clause qui ne serait pas claire. »

De surcroît, il importe d’observer que dans l’affaire commentée, le bailleur n’était pas privé d’un accès au juge puisqu’il pouvait, un mois après réception de son mémoire préalable par le locataire, saisir le juge des loyers commerciaux pour statuer sur sa demande en fixation du prix du bail renouvelé, ce dernier pouvant alors, en cas de contestation sur la validité du congé, soit surseoir à statuer et renvoyer la question devant le tribunal judiciaire soit se dessaisir de l’affaire au profit la même juridiction.

L’arrêt commenté approuve donc la cour d’appel d’avoir refusé tout effet interruptif à la notification du mémoire préalable en l’absence de saisine du juge des loyers commerciaux.

Régime de l’action du bailleur en paiement d’une indemnité d’occupation après l’exercice par le locataire de son droit d’option en vertu de l’article L.145-57 du code de commerce

3e Civ., 16 mars 2023, pourvoi n° 21-19.707, publié au Bulletin

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, un bailleur avait délivré à son locataire un congé, avec offre de renouvellement, moyennant un loyer déplafonné. Le locataire, qui avait accepté le renouvellement, mais aux charges et conditions du bail expiré, a ensuite délivré au bailleur « un congé » l’informant de sa volonté de libérer les lieux.

Le juge des loyers commerciaux, saisi postérieurement par le bailleur en fixation du prix du bail renouvelé, a constaté que le bail avait pris fin par l’effet du congé.

Le bailleur a alors assigné le locataire en paiement d’une indemnité d’occupation pour la période courant du lendemain de l’expiration du bail à la date de libération des lieux.

Avant d’examiner cette demande, les juges ont dû répondre à la question de savoir quel était le régime de prescription de cette action en paiement d’une indemnité d’occupation.

La cour d’appel a considéré que le locataire, qui avait lui-même « donné congé », ne pouvait se prévaloir du fait que son maintien dans les lieux entrait dans le champ de la législation relative aux baux commerciaux, de sorte que son occupation était sans droit ni titre, et qu’il était redevable d’une indemnité d’occupation de droit commun dont l’action en paiement était soumise à la prescription quinquennale.

La Cour de cassation censure cette motivation, réaffirmant sa jurisprudence selon laquelle l'indemnité d'occupation due par un locataire pour la période ayant précédé l'exercice de son droit d'option trouve son origine dans l'application de l'article L. 145-57 du code de commerce et est, comme telle, soumise à la prescription biennale édictée par l'article L. 145-60 de ce code (3e Civ., 5 février 2003, pourvoi n° 01-16.882, Bulletin civil 2003, III, n° 26).

En effet, il importe de rappeler que le bail commercial renouvelé après délivrance d'un congé est un nouveau bail, le précédent cessant par l'effet du congé (Ass. plén., 7 mai 2004, pourvoi n° 02-13.225, Ass. plén. 2004., n° 9), qui se forme dès l’accord des parties sur le principe du renouvellement, même en absence d’accord sur le nouveau prix (3e Civ., 21 mars 1990, pourvoi n° 88-20.402, Bulletin 1990 III N° 81).

Mais l'acceptation du principe du renouvellement du bail ne présente qu'un caractère provisoire : le bailleur et le locataire peuvent exercer leur droit d’option à tout moment durant l'instance en fixation du prix du bail renouvelé et avant même l'introduction de cette instance, jusqu’au délai ultime, fixé par l’article L. 145-57 du code de commerce, d'un mois à compter de la signification de la décision fixant le prix du bail renouvelé devenue définitive.

Ainsi, au cas d’espèce, même si une procédure en fixation du prix n’avait pas encore été engagée par le bailleur, le locataire qui a décidé de libérer les lieux après avoir d’abord accepté le principe du renouvellement, a exercé son droit d’option, de sorte qu’il a occupé les lieux en vertu du statut des baux commerciaux à compter de la date d’expiration du bail jusqu’à l’exercice de ce droit. Il était donc redevable pour cette période d’une indemnité d’occupation statutaire et non, comme l’a retenu la cour d’appel, d’une indemnité d’occupation de droit commun.

Outre cette réaffirmation de sa jurisprudence de 2003, la Cour de cassation ajoute deux nouvelles précisions importantes.

En premier lieu, le locataire qui se maintient dans les lieux après l’exercice de son droit d’option devient alors redevable d’une indemnité d’occupation de droit commun soumise à la prescription quinquennale.

Ainsi, en cas de congé avec offre de renouvellement délivré par le bailleur et accepté en son principe par le locataire avant d’exercer son droit d’option, l’occupation des lieux relève successivement de deux régimes distincts :

  • à compter du lendemain de la date d’expiration du bail jusqu’à l’exercice du droit d’option : une indemnité d’occupation statutaire, soumise à la prescription biennale (article L. 145-60 du code de commerce) ;
  • le cas échéant, de l’exercice du droit d’option jusqu’à la libération des lieux : une indemnité d’occupation de droit commun, soumise à la prescription quinquennale (article 2224 du code civil ou L.110-4 du code de commerce).

 

En second lieu, le point de départ du délai de prescription de l’action du bailleur en paiement de ces indemnités d’occupations, tant la statutaire que celle de droit commun, est le jour où celui-ci est informé par le locataire de l’exercice de son droit d’option.

En effet, en application de l’article L. 145-57 du code de commerce, tant que le locataire n’a pas exercé son droit d’option, celui-ci est tenu de continuer à payer les loyers échus au prix ancien ou, le cas échéant, au prix fixé à titre provisionnel par la juridiction saisie, sauf compte à faire entre le bailleur et le preneur, après fixation définitive du prix du loyer. Ce n’est que rétroactivement, en cas d’exercice du droit d’option, qu’il est redevable, non plus d’un loyer mais d’une indemnité d'occupation statutaire, distincte du loyer auquel elle se substitue de plein droit. Dès lors, le bailleur n’a connaissance des faits lui permettant d’agir en paiement de cette indemnité d’occupation statutaire qu’à compter de cette date.

Enfin, il importe de rappeler qu’à défaut de convention contraire, l’indemnité d’occupation statutaire doit être fixée à la valeur locative déterminée selon les critères de l'article L.145-33 du code de commerce. Dès lors, les juges ne peuvent pas fixer l’indemnité d’occupation statutaire au montant de l’ancien loyer ou du loyer provisionnel, sans rechercher la valeur locative des lieux (3e Civ., 3 octobre 2007, pourvoi n° 06-17.766, Bull. 2007, III, n° 160), ni lui appliquer le mécanisme du plafonnement (3e Civ., 17 juin 2021, pourvoi n° 20-15.296, publié au Bulletin) ou celui de l’étalement de la hausse du déplafonnement.

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