N°2 - Mars 2021 (Urbanisme)

Lettre de la troisième chambre civile

Action en démolition d’une construction à la demande d’un tiers : à quelle date faut-il se placer pour apprécier la condition de localisation du bien dans une zone protégée ?

3e Civ., 11 février 2021, pourvoi n° 20-13.627, publié

Lorsqu’il est saisi d’une demande de démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire qui a été annulé, c’est à la date à laquelle il statue que le juge doit apprécier la condition de localisation dans l’une des zones énumérées au 1° de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme.

           

Commentaire :

            Dans quelles conditions les tiers (très souvent les voisins), qui subissent un préjudice du fait d’une construction édifiée conformément à un permis de construire, en méconnaissance d’une règle d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique, peuvent-ils en obtenir la démolition?

            Afin de sécuriser les autorisations de construire, le législateur a, au cours des quinze dernières années, limité la possibilité pour ces tiers d’obtenir la démolition d’une telle construction.

            Ainsi, outre la démonstration d’un préjudice, plusieurs conditions, cumulatives, fixées par l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, qui encadre l’exercice de l’action en responsabilité civile, doivent-elles être remplies :

            - préalablement, le permis doit avoir été annulé par le juge administratif  pour excès de pouvoir ;

            - l’action en démolition doit être engagée dans le délai de deux ans qui suit la décision devenue définitive de la juridiction administrative ;       

            - la construction doit être située dans l’un des périmètres spécialement protégés énumérés par l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme (par exemple : les sites désignés Natura 2000, les abords des monuments historiques ou les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles, destinés à interdire les constructions qui pourraient aggraver le risque pour les vies humaines...).

            Cette dernière condition a été fixée par le législateur dans un double objectif : d’une part, protéger la nature, les paysages et le patrimoine architectural et urbain, d’autre part, prévenir les risques naturels ou technologiques.

            Mais quelle est la date à prendre en compte pour apprécier la condition relative à la localisation géographique de la construction : celle de la délivrance du permis de construire ou celle où le juge statue ?

            La troisième chambre civile décide que le juge doit vérifier l’existence de cette condition le jour où il statue.

            Dans l’affaire jugée, la cour d’appel a constaté que, à la date à laquelle elle statuait, la construction litigieuse, qui aggravait le risque d’inondation de la parcelle voisine, était située dans un périmètre classé en zone rouge du plan de prévention du risque d’inondation. La Cour de cassation rejette en conséquence le moyen qui soutenait que, lors de l’attribution du permis de construire, la maison concernée n’était pas située dans une des zones de protection limitativement énumérées.

            A contrario, si la situation juridique de la zone dans laquelle se situe la construction évolue, de telle sorte qu’elle n’est plus considérée comme présentant une importance particulière au jour où le juge statue, la démolition de la construction ne pourra pas être prononcée.                                                                                                                                                                                        

Qui a qualité pour agir en démolition ou mise en conformité d’un ouvrage sur le fondement de l’article L.. 480-14 du code de l’urbanisme : la commune et/ou l’EPCI ?

3e Civ., 21 janvier 2021, pourvoi n° 20-10.602, publié

La commune a, concurremment avec l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme, qualité pour agir en démolition ou en mise en conformité d’un ouvrage sur le fondement de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme.

 

Commentaire :

            Selon l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme (EPCI) peut saisir le tribunal judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié ou installé sans autorisation, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité, en violation de l’article L. 421-8. L’action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l’achèvement des travaux.

            Destinée à faire cesser une situation illicite, l’action de l’article L. 480-14, à la différence de l’action civile ouverte aux tiers (voir commentaire suivant) en application du 1° de l’article L. 480-13, n’est pas soumise à la démonstration d’un préjudice personnel et direct causé par les constructions irrégulières (3e  Civ., 16 mai 2019, pourvoi n° 17-31.757, publié).

            Dès l’origine, l’article L. 480-14 a donné compétence à la commune « ou » à l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme pour engager l’action civile.

            C’est la conjonction de coordination « ou » qui a conduit la Cour de cassation à trancher la question inédite suivante : lorsqu’il existe un EPCI compétent en matière de plan local d’urbanisme, la commune peut-elle agir en démolition concurremment avec cet EPCI ou seul celui-ci a-t-il qualité pour agir ?

            La solution divisait les cours d’appel : la plupart des juridictions du fond consacraient le principe de compétences concurrentes, mais certaines optaient pour des compétences exclusives.

            Remplissant son rôle d’unification de la jurisprudence, la Cour de cassation se prononce en faveur d’une compétence concurrente : les deux autorités ont qualité pour agir sur le fondement de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme.

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