N°2 - Mars 2021 (Location de locaux meublés)

Lettre de la troisième chambre civile

Changement d’usage d’un local d’habitation : la législation française est conforme à la directive européenne !

3e Civ., 18 février 2021, pourvoi  n° 17-26.156, publié

Hormis les cas d’une location consentie à un étudiant pour une durée d’au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, d’un bail mobilité d’une durée de un à dix mois et de la location du local à usage d’habitation constituant la résidence principale du loueur pour une durée maximale de quatre mois, le fait de louer, à plus d’une reprise au cours d’une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale au sens de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 constitue un changement d’usage d’un local destiné à l’habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable.

 

Commentaire :

Pour lutter contre la pénurie de logements dans certaines communes, le législateur a instauré un dispositif d’autorisation préalable de changement d’usage qui vise à éviter que les locaux à usage d’habitation ne soient utilisés à d’autres fins et dont le non-respect est sanctionné par le prononcé d’une amende civile (d’un montant maximum de 25 000 euros par local jusqu’à la loi du 18 novembre 2016 qui l’a porté à 50 000 euros) et d’une injonction de restituer au bien son usage d’habitation. Le développement exponentiel, au cours de ces dernières années, de la location meublée de courte durée, rendu possible grâce à l’apparition de sites internet d’ « économie collaborative », l’a amené (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 dite loi ALUR) à ajouter, à l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, qui prévoit ce dispositif d’autorisation, un sixième alinéa qui porte spécifiquement sur la location meublée de courte durée.

Aux termes de cet alinéa, constitue un changement d’usage au sens de ce texte et est donc soumis à autorisation, dans les communes concernées par le dispositif, « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation d’une manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile ».

            A l’occasion de pourvois formés par deux propriétaires condamnés au paiement d’une amende pour non-respect de ces dispositions, la Cour de cassation a été interrogée sur la conformité de l’article L. 631-7, alinéa 6, argué d’imprécision à défaut de fixation de seuils chiffrés, et de l’article L. 631-7-1, relatif aux conditions d’octroi des autorisations, aux articles 9 et 10 la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, communément appelée « directive services ».

            Par arrêts du 15 novembre 2018 (3e Civ., 15 novembre 2018, pourvois n°17-26.156, publié et n°17-26.158), la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne de plusieurs questions préjudicielles.

            Par un arrêt du 22 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur ces questions préjudicielles (C-724/18 et C-727/18).

 

I.- UN DISPOSITIF LÉGAL CONFORME A LA DIRECTIVE

            Dans l’arrêt rapporté et dans quatre autres arrêts rendus le même jour (pourvois n°17-26.156, publié, n°19-11.577, n°19-13.191, publié et 19-11.462, publié), la Cour de cassation, prenant en  considération les réponses apportées par la juridiction européenne et procédant à une analyse de la réglementation en cause, a jugé que les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation satisfont :

            - d’une part, aux exigences de l’article 9 de la directive, dès lors que l’article L. 631-7, alinéa 6, est justifié par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et est proportionné à l’objectif poursuivi en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle ;

- d’autre part, à celles de l’article 10 dès lors que l’article L. 631-7, alinéa 6, répond aux exigences d’objectivité et de non-ambiguïté des critères d’octroi des autorisations prévues par ce texte (voir infra) et que l’article L. 631-7-1 (qui confie au maire de la commune de situation de l’immeuble la faculté de délivrer l’autorisation préalable de changement d’usage et attribue au conseil municipal le soin de fixer les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations, au regard des objectifs de mixité sociale en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements) fixe des critères qui sont justifiés par une raison d’intérêt général, qui satisfont aux conditions de clarté, de non-ambiguïté, d’objectivité, de publicité, de transparence et d’accessibilité et qui, tels que mis en œuvre par la Ville de Paris dont le règlement municipal prévoit notamment une obligation de compensation, sont conformes au principe de proportionnalité.

 

II.- DES CRITÈRES LÉGAUX PRÉCIS

            La question de la précision des critères de mise en œuvre du dispositif, s’agissant des locations meublées de courtes durées, était centrale.

            Dans ses arrêts, la Cour de cassation a considéré que l’article L. 631-7, alinéa 6, est en soi suffisamment précis, au sens de la directive, dès lors qu’il se déduit, par une lecture combinée de l’article L. 631-7 et de l’article L. 632-1 auquel il renvoie, que constitue un changement d’usage la location, à plus d’une reprise au cours d’une même année, d’un local meublé pour une durée inférieure à un an (ou à neuf mois en cas de location à un étudiant) à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale.

            Ces critères étant cumulatifs, il en résulte que tout propriétaire d’un local à usage d’habitation situé dans une commune visée par l’article L. 631-7, alinéa 1er, et ne constituant pas sa résidence principale, s’il souhaite le louer meublé à plus d’une reprise au cours d’une même année, à la nuitée, à la semaine ou au mois, pour une durée inférieure à un an (ou à neuf mois si la location est consentie à un étudiant) à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale, devra, hors le cas d’un bail mobilité, obtenir une autorisation préalable.

            En revanche, le propriétaire d’un tel local meublé qui ne constitue pas sa résidence principale pourra, sans avoir à solliciter d’autorisation préalable de changement d’usage :

- consentir un bail d’habitation d’au moins douze mois (ou neuf mois si la location est consentie à un étudiant),

- le donner à bail pour une durée inférieure à ces seuils, une seule fois sur une période d’un an, à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile,

- conclure, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, un bail mobilité.   

            Enfin, il y a lieu de rappeler que, lorsque le local meublé constitue la résidence principale du bailleur, celui-ci peut le donner en location, dans la limite de quatre mois par an, sans avoir à solliciter d’autorisation préalable.       

Un exemple de changement d’usage d’habitation

3e Civ., 18 février 2021, n° 19-13.191, publié

Constitue un changement d’usage d’un local destiné à l’habitation au sens de l’article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l’habitation, le fait, pour le propriétaire d’un local meublé à usage d’habitation, de consentir deux baux d’une durée respective de quatre et six mois sur une période de moins d’un an.

 

Commentaire :                                                                                  

            Les propriétaires d’un appartement à usage d’habitation situé à Paris ont été assignés par la Ville de Paris en paiement d’une amende pour l’avoir loué  « de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile », en l’espèce, pour avoir consenti à deux sociétés deux locations d’une durée respective de quatre et six mois, entre mars 2016 et janvier 2017, sans avoir sollicité l’autorisation de changement d’usage prévue par l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation.

            La demande de la Ville de Paris a été rejetée en première instance et en appel au motif qu’aucun changement d’usage n’était en l’espèce caractérisé, les baux ayant été conclus au profit de deux sociétés qui y avaient logé le même salarié.

            Faisant application de la solution dégagée par les arrêts ci-dessus commentés, la Cour de cassation en a déduit que les deux locations litigieuses, consenties pour des durées respectives de quatre et six mois, inférieures à un an, sur une période de moins d’un an, constituaient un changement d’usage au sens de l’article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l’habitation et étaient soumises en conséquence à une autorisation préalable.

Preuve de l’usage d’habitation : portée du formulaire H2

3e Civ., 18 février 2021, n° 19-11.462, publié

Le formulaire « H2 » rempli par les redevables de la contribution foncière des propriétés bâties en application de l’article 16 de la loi du 2 février 1968 comporte, à la date de sa souscription, les renseignements utiles à l’évaluation de chaque propriété ou fraction de propriété, à l’exception du montant du loyer qui est celui du 1er janvier 1970.

Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui retient que le fait que ladite déclaration ait été remplie en juin 1978 ne saurait la priver de sa valeur probante de l’usage du bien au 1er janvier 1970, sans expliquer en quoi les renseignements figurant dans ce formulaire établissent l’usage d’habitation du bien au 1er janvier 1970.

 

Commentaire :       

            Dans les litiges relatifs aux changements d’usage des locaux destinés à l’habitation, la question préalable est celle de la preuve que le local en cause constitue un local à usage d’habitation, au sens de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation.

            Un local est réputé à usage d’habitation au sens de ce texte s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve (article 631-7, alinéa 3).

            La commune fournit souvent, pour établir l’usage d’habitation d’un local, la déclaration établie selon le modèle « H2 », qui a été remplie par les redevables de la contribution foncière sur les propriétés bâties en vue de la révision foncière du 1er janvier 1970.

            En l’espèce, le formulaire avait été rempli par les propriétaires du local en 1978.

            La cour d’appel a considéré que ce document établissait l’usage d’habitation du local au 1er janvier 1970 au regard des réponses des propriétaires selon lesquelles le bien était loué en meublé.

            Mais ces formulaires comportent les renseignements demandés « à la date de leur souscription », à l’exception du montant du loyer qui est celui en vigueur au 1er janvier 1970 (article 40 du décret d’application n° 69-1076 du 28 novembre 1969).

            La Cour de cassation en déduit que les renseignements portés dans ce formulaire ne peuvent être considérés comme décrivant l’usage du bien au 1er janvier 1970, sans qu’il soit précisé en quoi les réponses apportées établissent l’usage d’habitation du local à cette date.

            L’arrêt de la cour d’appel a donc été cassé.  

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