N°7 - Juillet 2022 (Diffamations et injures)

Lettre de la première chambre civile

Une sélection des arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation (Diffamations et injures / Divorce et séparation de corps / Droit international privé / Droit international privé économique / Etat / Protection des consommateurs / Responsabilité contractuelle / Succession).

Lettre de la première chambre civile

N°7 - Juillet 2022 (Diffamations et injures)

Diffamation, base factuelle suffisante et prudence dans les propos

1re Civ., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-16.156, publié

1re Civ., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-16.497, publié

Le 11 mai 2022, la première chambre civile s’est prononcée sur deux affaires s’inscrivant dans le mouvement sociétal de dénonciation des atteintes à caractère sexuel portées aux femmes à la suite de l'affaire dite Weinstein.

La première, objet du pourvoi n° 21-16.156, concernait des propos tenus par une autrice sur son blog sous le hashtag « #Moiaussi : pour que la honte change de camp », repris dans un article publié sur le site internet d’un magazine et mettant en cause un homme politique pour des faits d’agressions sexuelles.

La seconde, objet du pourvoi n° 21-16.497, se rapportait à la publication par une journaliste sur son compte twitter, sous le hashtag « balancetonporc », de propos grossiers qu'aurait tenus à son égard l'ancien directeur d'une chaîne de télévision.

Estimant que ces dénonciations avaient porté atteinte à leur honneur ou à leur considération, les intéressés avaient engagé une procédure en diffamation.

Dans les deux cas, le tribunal avait retenu l’existence d’une diffamation et refusé aux femmes le bénéfice de la bonne foi, que la cour d’appel leur avait au contraire accordé.

La loi du 29 juillet 1881, en son article 29, définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». 

De longue date, la jurisprudence admet que la personne à l'encontre de laquelle est invoquée une diffamation peut démontrer l'existence de circonstances particulières de nature à la faire bénéficier de la bonne foi, considérée comme un fait justificatif. 

La bonne foi suppose la réunion de quatre critères : la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression, ainsi que le sérieux de l'enquête (notamment 1re Civ., 17 mars 2011, n° 10-11.784, Bull. I, n° 58 ; 2e Civ., 27 mars 2003, n° 00-20.461, Bull. II, n° 84)

Parallèlement, la Cour européenne des droits de l'homme, qui protège le droit à la liberté d'expression, conformément à l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, devant être mis en balance avec le droit à la protection de la réputation, a imposé au juge de déterminer si les propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante (notamment CEDH, 23 avril 2015, Morice c. France [GC], req. 29369/10 ; CEDH, 17 décembre 2004, Pedersen et Baadsgaard c. Danemark, n° 49017/99).

Dans la continuité de décisions rendues par la chambre criminelle (Crim., 21 avril 2020, n° 19-81.172, publié ; Crim., 28 juin 2017, n° 16-80.066 et n° 16-80.064, Bull. crim. n° 178 et n° 16-82.163, Bull. crim. n° 179), la première chambre civile, dans le premier arrêt, a précisé que, si les propos litigieux s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général et reposaient sur une base factuelle suffisante, le juge devait apprécier moins strictement les quatre critères de la bonne foi, notamment l'absence d'animosité personnelle et la prudence dans l'expression.

En l’occurrence, le débat d’intérêt général avait bien été mis en évidence par les juges du fond comme étant celui consécutif à la libération de la parole sur les comportements à connotation sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes et de nature à porter atteinte à leur dignité.

Mais qu’en était-il de la base factuelle suffisante ?

Dans la première affaire, l’auteur du pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir retenu l’existence d’une telle base alors qu’elle avait pourtant relevé des erreurs factuelles affectant les propos diffamatoires, ainsi que l'absence de témoignage direct.

La première chambre civile a, toutefois, approuvé le raisonnement des juges du fond qui, après avoir retenu un certain nombre de faits et circonstances venant étayer les propos diffamatoires, avaient souverainement estimé que les erreurs factuelles commises par l’autrice n’étaient pas de nature, sept ans et demi après les faits, à les discréditer, une telle durée faisant par ailleurs obstacle à la recherche de témoins directs.

Dans la seconde affaire, les griefs portaient à la fois sur la caractérisation de la base factuelle suffisante quant à l'ensemble du tweet et sur la prudence dans l'expression.

Là encore, la motivation de l'arrêt d'appel a été validée, en ce que les juges du fond avaient analysé le sens et la portée de l'intégralité du message incriminé, mis en évidence que les propos imputés avaient déjà été dénoncés antérieurement par la journaliste, que leur réalité n'était pas contestée par leur auteur, qu'ils visaient à dénoncer un comportement grossier sans lui attribuer d'autres faits et que, si les termes en étaient outranciers, ils étaient suffisamment prudents. 

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