Refus de transmission d’une QPC pour défaut de caractère sérieux
L’exclusion de la vocation successorale d’un époux des éléments d’appréciation de la prestation compensatoire prévus par l’article 271 du code civil n’est pas contraire au principe d’égalité devant la loi
1re Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 21-20.362, publié
Pour déterminer le droit à prestation compensatoire et la fixation de son montant, l'article 271 du code civil prévoit qu'il doit être tenu compte de l'évolution de la situation des parties dans un avenir prévisible.
L'interprétation de cette disposition a conduit la Cour de cassation à exclure la prise en compte des éléments postérieurs non prévisibles à la date à laquelle les juges du fond doivent se placer pour apprécier la demande de prestation compensatoire.
Tel est le cas de la vocation successorale d'un des époux, qui selon une jurisprudence constante, ne constitue pas un droit prévisible au sens des articles relatifs à la prestation compensatoire (1re Civ., 6 octobre 2010, pourvoi n° 09-10.989, Bull. 2010, I, n° 186 ; 1re Civ., 23 octobre 2013, pourvoi n° 12-24.391). A l’inverse, il doit être tenu compte, au titre des droits existant des époux à la date d’appréciation de la prestation compensatoire, des sommes provenant d’une succession et échues avant cette date (1re Civ., 28 février 2006, n° 04-17.695 ; 1re Civ., 6 octobre 2010, n° 09-65.301).
Un ex-époux condamné au versement d'une prestation compensatoire a soumis à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité interrogeant l'interprétation jurisprudentielle de l'article 271 du code civil en tant qu'elle entraînerait une rupture d'égalité entre les époux, dès lors que les droits successoraux de celui dont les parents sont encore en vie ne peuvent être pris en compte pour l’évaluation de son patrimoine, alors que l’actif reçu par l’autre époux de la succession de ses parents est pris en considération.
Soulignant que la vocation successorale d’un époux à la date de la rupture du lien matrimonial ne constitue pas un droit prévisible au sens de ce texte, s’agissant d’une simple espérance successorale, soumise à aléas, contrairement aux droits successoraux déjà existant à cette date, la Cour de cassation retient, d’une part, que les époux dont les parents de l'un sont encore en vie alors que ceux de l'autre sont décédés sont placés dans des situations objectivement différentes, d’autre part, que la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l’objet de la prestation compensatoire qui est de compenser la disparité créée dans les conditions de vie respectives des époux par la rupture du mariage.
Ayant ainsi retenu l'absence d'atteinte au principe d’égalité entre les époux devant la loi, la Cour de cassation en déduit que la question ne présente pas un caractère sérieux et décide en conséquence de ne pas la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Cette décision s'ajoute aux précédentes décisions du Conseil constitutionnel, saisi à plusieurs reprises de la constitutionnalité des dispositions relatives à la prestation compensatoire (décision n° 2014-398 QPC du 2 juin 2014 sur l'article 272, alinéa 2, du code civil ; décision n° 2015-488 QPC du 7 octobre 2015 sur l'article 280-1 du code civil ; décision n° 2020-871 QPC du 15 janvier 2021 relative au paragraphe VI de l'article 33 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce).
Prestation compensatoire
L'attribution à titre gratuit de la jouissance du domicile conjugal pendant la durée de la procédure de divorce ne doit pas être prise en compte pour apprécier la disparité au sens de l’article 270 du code civil.
1re Civ., 13 avril 2022, pourvoi n° 20-22.807, publié
Il résulte des articles 270 et 271 du code civil que, pour fixer la prestation compensatoire, le juge doit d'abord examiner s'il résulte de la dissolution du lien matrimonial une disparité dans les conditions de vie respectives des époux, avant d'envisager le montant et la consistance de la compensation à opérer.
Pour apprécier celle-ci, les juges du fond doivent tenir compte de tous les moyens d'existence des époux : ressources provenant du travail, salaires, pensions, traitements et indemnités, mais également les revenus du capital, les loyers perçus, ainsi que le patrimoine propre de chaque époux et notamment le prix de vente d'un bien propre (2e Civ., 25 novembre 1999, pourvoi n° 96-14.494, Bull. 1999, II, n° 175 ; 1re Civ., 20 septembre 2006, pourvoi n° 04-17.803), les fonds perçus en héritage par l'un des époux (2e Civ., 26 avril 2001, pourvoi n° 99-12.696) et les biens appartenant en nue-propriété à l'un des conjoints (2e Civ., 14 juin 1989, pourvoi n° 88-13.257, Bull. 1989, II, n° 128).
Toutefois, ils ne doivent pas prendre en considération certain éléments.
Il en est ainsi de l'avantage que constitue, pour l'époux bénéficiaire, l'attribution à titre gratuit de la jouissance du domicile conjugal pendant la durée de la procédure de divorce.
En effet, cet avantage, fondé sur le devoir de secours, cesse à la date à laquelle le divorce, mettant fin au devoir de secours, est irrévocablement prononcé.
C'est cette règle qui en l'espèce a été méconnue : pour rejeter la demande de prestation compensatoire, la cour d’appel a estimé qu’il n’existait pas de disparité dans les conditions de vie des époux résultant du mariage au détriment de l’épouse, au regard, notamment, de la situation patrimoniale respective des époux dont elle a estimé qu’elle était en faveur de l’épouse. Or, dans l’appréciation de cette situation patrimoniale, la cour d’appel a fait état, à deux reprises, de la jouissance gratuite du domicile conjugal.
C'est ce dernier point qui a été censuré, dans le prolongement d'une jurisprudence constante à cet égard.