N°12 - Novembre 2023 (Santé publique)

Lettre de la première chambre civile

Une sélection des arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation (Santé publique / Régimes matrimoniaux / Protection des consommateurs / Propriété littéraire et artistique / Professions médicales et paramédicales / Etranger / Officiers publics ou ministériels).

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Lettre de la première chambre civile

N°12 - Novembre 2023 (Santé publique)

Possibilité pour l’ONIAM d’émettre des titres exécutoires

Avis de la Cour de cassation, 28 juin 2023, n° 23-70.003, Publié

L’article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire offre aux juges du fond de l’ordre judiciaire la possibilité de saisir la Cour de cassation d’une demande d’avis, avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges.

Le tribunal judiciaire de Bobigny a saisi cette opportunité pour poser à la Cour de cassation plusieurs questions sérieuses qui se posent à de nombreux juges du fond et qui présentent un enjeu important, tant pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) que pour les assureurs d’établissements de transfusion sanguine mais aussi pour ceux de professionnels de santé et  d’établissements, services ou organismes de santé ainsi que pour la bonne administration de la justice. Ces questions portaient sur la possibilité pour l’ONIAM d'émettre des titres exécutoires à l’encontre de responsables de dommages, de former, en cas d’opposition, une demande reconventionnelle ou subsidiaire de condamnation de l'assureur à la somme correspondant à la créance du titre exécutoire et, enfin, sur l'ordre d'examen des demandes et la qualification de la contestation du droit de l'ONIAM à formuler une demande reconventionnelle.

L’ONIAM a notamment pour mission d’indemniser, au titre de la solidarité nationale, les victimes de contamination transfusionnelles par le virus de l’hépatite C (VHC), le virus de l’hépatite B (VHB) ou du virus T-lymphotropique humain, dans les conditions fixées à l’article L. 1221-14 du code de la santé publique et il a été substitué à l’Etablissement français du sang (EFS) dans les contentieux en cours au 1er juin 2010.

La demande d’avis portait strictement sur l’émission de titres exécutoires à la suite d’une telle indemnisation, mais, pour éclairer au mieux les juges du fond, la Cour de cassation a élargi la portée de sa réponse, en rappelant qu’en application des articles L. 1142-15, L. 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique, lorsque l'ONIAM s'est substitué aux assureurs de personnes considérées comme responsables de dommages, en cas de silence ou de refus explicite de leur part de faire une offre d'indemnisation ou en cas d'offre manifestement insuffisante, de défaut d'assurance des responsables de dommages ou d'épuisement ou d'expiration de leur couverture d'assurance et a indemnisé les victimes, il est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de ces victimes contre les personnes responsables des dommages, leurs assureurs ou le Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé.

La première question (1/a) du TJ de Bobigny portait sur la possibilité pour l’ONIAM d’émettre un titre exécutoire contre les assureurs des structures reprises par l’EFS aux fins de recouvrer les sommes versées à la victime, dans les droits de laquelle il est subrogé, en application de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique.

La Cour de cassation a répondu positivement à cette question, dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE Avis, 9 mai 2019, Société hospitalière d'assurances mutuelles, n° 426365 - CE Avis, 9 mai 2019, Société hospitalière d'assurances mutuelles, n° 426321) et de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (2e Civ., 14 avril 2022, n° 21-16.435, publié) : pour recouvrer les sommes versées aux victimes, l'ONIAM peut soit émettre un titre exécutoire à l'encontre des assureurs des structures reprises par l’EFS, soit saisir la juridiction compétente d'une demande à cette fin.

La deuxième question (1/b) était relative à la possibilité pour l'ONIAM de former des demandes reconventionnelles lorsque l'assureur conteste devant le juge judiciaire la validité du titre exécutoire.

Lorsque l’ONIAM a émis un titre exécutoire contre des assureurs de structures reprises par l'EFS, de personnes considérées comme responsables de dommages, de leurs assureurs ou du fonds, l'ONIAM n'est pas recevable à saisir ensuite le juge d'une demande tendant à leur condamnation au remboursement de l'indemnité versée à la victime.

Si l’assureur forme un recours contre le titre exécutoire, la possibilité pour l’ONIAM de former des demandes reconventionnelles dépend de la décision du juge sur la validité du titre.

Si le juge valide le titre, l'ONIAM ne peut pas former une demande reconventionnelle pour obtenir la condamnation du débiteur mais il peut demander reconventionnellement sa condamnation à lui payer des intérêts moratoires sur cette créance et, le cas échéant, la pénalité prévue aux articles L. 1142-15, L. 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique.

Si le juge annule le titre exécutoire pour un motif d’irrégularité formelle invoqué par l’assureur, l’ONIAM peut former une demande reconventionnelle, à titre subsidiaire, pour obtenir la condamnation de l’assureur au montant du titre exécutoire ainsi que des intérêts moratoires et de la pénalité prévue par les textes. Cette solution va dans le sens d’une bonne administration de la justice : si le juge a validé le principe de la créance, il est inutile d’obliger l’ONIAM à émettre un nouveau titre exécutoire, qui risquerait de faire lui-même à nouveau l’objet de contestation sur sa régularité formelle.

La Cour de cassation a également apporté une précision pratique d’importance : dès lors que la juridiction est appelée à statuer sur des responsabilités liées à la survenue de dommages corporels et sur les préjudices en résultant, l'ONIAM doit mettre en cause les tiers payeurs, conformément aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, afin que ceux-ci puissent solliciter le remboursement de leurs débours. Elle a estimé que la notification par l’ONIAM aux tiers payeurs de l'émission d'un titre exécutoire, seule exigence posée par le Conseil d'Etat, n'était pas suffisante (CE Avis, 9 mai 2019, n° 426321, précité).

La troisième question (1/c) était relative l'ordre d'examen des demandes formées par l'assureur, lorsque celui-ci conteste le bien-fondé de la créance de l'ONIAM et la régularité formelle du titre.

La réponse apportée par la Cour de cassation diffère de celle apportée par le Conseil d’Etat (CE, 5 avril 2019, n°413712), dès lors que les règles de procédure applicables ne sont pas les mêmes devant le juge judiciaire et le juge administratif : en vertu du principe dispositif (articles 4 et 5 du code de procédure civile), le juge est tenu par la hiérarchie donnée par les parties à leurs demandes. Il doit donc, d’abord, examiner la demande principale formée par le débiteur en annulation du titre exécutoire émis par l'ONIAM pour un motif d'irrégularité formelle, puis, le cas échéant, la demande subsidiaire de ce débiteur en annulation du titre exécutoire pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre et les demandes reconventionnelles formées par l'ONIAM.

Enfin, la dernière question (2) portait sur la qualification du moyen formulé par l'assureur, qui vise à contester la possibilité pour l'ONIAM de former une demande reconventionnelle, et sur le juge compétent pour statuer sur une telle contestation.

La Cour de cassation rappelle d’abord que, lorsque le juge valide le titre exécutoire émis par l'ONIAM, celui-ci n'est pas recevable à former une demande de condamnation du débiteur à lui payer le montant de ce titre. Par conséquent, le moyen qui conteste la recevabilité d'une telle demande constitue une fin de non-recevoir susceptible d'être tranchée par le juge de la mise en état en application de l'article 789 du code de procédure civile.

QPC

Questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité de l'article L. 1221-14, alinéa 8, du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, au droit de propriété, à la liberté contractuelle et au droit à un recours juridictionnel effectif, garantis par la Constitution et application de ce texte dans le temps

 

QPC, 14 novembre 2023, pourvoi n° 23-14.577, publié

Les questions prioritaires de constitutionnalité posées dans cette affaire mettent en relief le dialogue constant entre le juge et le législateur, témoignant de la diversification des sources du droit mais aussi des difficultés qui en résultent, s’agissant de l’application de la loi dans le temps.

Rappelons que la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, entrée en vigueur le 1er juin 2010, a élargi la compétence de l’ONIAM dans l’indemnisation des victimes de contaminations transfusionnelles, introduisant l'article L. 1221-14 dans le code de la santé publique. Cette loi a également organisé, aux termes de son article 67 IV, une substitution de l’ONIAM à l’EFS, pour les actions en cours intentées avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une décision irrévocable.

La Cour de cassation avait estimé que cette substitution « n’opère pas transfert à l’ONIAM des créances de l’EFS envers les assureurs de celui-ci » (Civ. 1re, 28 novembre 2012, B n°249, pourvoi n° 11-23.990). L’article 72, II,  de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 renverse cette jurisprudence et complète l’article 67, IV, précité en permettant à l’office de «demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang …». L’article 72, I, a également ajouté, dans le même sens, un septième alinéa à l’article L.1221-14 CSP, pour les actions intentées depuis le 1er juin 2010.

Toutes les difficultés n’étaient pas pour autant réglées. La Cour de cassation avait d’abord limité le bénéfice de la présomption de l’article 102 de la loi du 4 mars 2002 aux seules victimes, en estimant que l'incertitude sur le centre ayant fourni les produits sanguins contaminés faisait obstacle à l'action en garantie de l'ONIAM contre les assureurs (Civ. 1ère  3 février 2016, pourvoi n° 14-22.351). Elle a, par la suite, opéré un revirement de jurisprudence en énonçant que la garantie des  assureurs est due à l’ONIAM « lorsque l'origine transfusionnelle d'une contamination est admise, que l'établissement de transfusion sanguine qu'ils assurent a fourni au moins un produit administré à la victime et que la preuve que ce produit n'était pas contaminé n'a pu être rapportée » (Civ.1, 20 septembre 2017, pourvoi n° 16-23.451) . Cependant, la Cour de cassation a  limité la portée de ce revirement en considérant que « cette garantie étant due à l'ONIAM au titre des seuls produits fournis par leur assuré, il incombe au juge de tenir compte de la fourniture par d'autres établissements de transfusion sanguine de produits sanguins dont l'innocuité n'a pu être établie » ( Civ. 1ère 22 mai 2019, pourvoi n° 18-13.934, publié ; 9 décembre 2020, pourvoi n° 19-20.315).

L’article 39 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 confirme cette jurisprudence, s’agissant du bénéfice de la présomption de l’article 102, mais l’écarte, s’agissant de l’étendue du recours de l’ONIAM contre les assureurs. Selon l’alinéa 8 de l’article L. 1221-14, issu de cette loi, « Les assureurs à l'égard desquels il est démontré que la structure qu'ils assurent a fourni au moins un produit sanguin labile ou médicament dérivé du sang, administré à la victime, et dont l'innocuité n'est pas démontrée, sont solidairement tenus de garantir l'office et les tiers payeurs pour l'ensemble des sommes versées et des prestations prises en charge ».

Des questions prioritaires de constitutionnalité ont dès lors été posées relatives à la conformité de ce texte au droit de propriété, à la liberté contractuelle et au droit à un recours juridictionnel effectif, garantis par la Constitution.

Cependant, l’article 39, II précise que le I ne s'applique qu’aux actions juridictionnelles engagées à compter du 1er juin 2010. Autrement dit, la loi n’a pas modifié les dispositions transitoires résultant des articles 67 IV et 72, II, précités pour les actions intentées avant le 1er juin 2010.  C’est la raison pour laquelle les questions prioritaires de constitutionnalité sont jugées irrecevables, le texte critiqué n’étant pas applicable, l’action contre les assureurs ayant été intentée par l’EFS auquel l’ONIAM s’est substitué le 22 février 2010.

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