N°7 - Mai 2023 (Indemnisation des préjudices)

Lettre de la deuxième chambre civile

Une sélection commentée des décisions rendues par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Accidents de la circulation / Appel civil / Assurances / Honoraires d'avocat / Indemnisation des préjudices / procédure civile / procédures civiles d'exécution / Sécurité sociale / Surendettement).

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Lettre de la deuxième chambre civile

N°7 - Mai 2023 (Indemnisation des préjudices)

Objet du litige et indemnisation d'un préjudice spécifique d'angoisse des victimes de terrorisme

2e Civ., 27 octobre 2022, pourvoi n° 21-12.881, publié au Bulletin

Sommaire :

Ne modifie pas les termes du litige la cour d'appel qui, saisie par une victime directe d'un acte de terrorisme, de demandes d'indemnisation, d'une part, d'un préjudice situationnel d'angoisse autonome, d'autre part, des souffrances endurées, après avoir énoncé que le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées regroupe toutes les souffrances de la victime, qu'elles soient physiques ou psychiques, rejette la demande formée au titre du préjudice situationnel d'angoisse et alloue, au titre des souffrances endurées, une indemnité dont le montant n'excède pas la somme des demandes présentées de ces deux chefs.

 

Commentaire :

L'arrêt rendu le 27 octobre 2022 par la deuxième chambre civile, lors d'une audience entièrement consacrée à l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme, est une illustration de ce que la nomenclature Dintilhac, dont l'application généralisée par les juridictions a permis une harmonisation des modalités d'indemnisation du dommage corporel, n'est pas « un carcan rigide et intangible », selon les termes même du groupe de travail qui en est l'auteur.

En l'espèce, une personne de nationalité française, qui avait été enlevée à l'étranger par un groupe terroriste et était restée séquestrée pendant plus de trois ans sous la menace constante que l'on attente à sa vie, avait sollicité du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) l'indemnisation, d'une part, de son préjudice au titre des souffrances endurées, d'autre part, d'un «préjudice spécifique situationnel d'angoisse» autonome, à raison de l'angoisse ressentie pendant la durée de l'acte terroriste, et notamment celle d'être confrontée à la mort.

La cour d'appel, estimant que le dommage évoqué au titre de ce «préjudice spécifique» s'analysait en des souffrances et prenant en compte les circonstances et les dommages particuliers invoqués à ce titre par la victime, tenant notamment au fait d'avoir été exposée à des simulacres d'exécution répétés, lui avait alloué au titre du poste des souffrances endurées une somme excédant le montant réclamé de ce chef, mais inférieure au total des sommes sollicitées au titre de ce poste et du «préjudice spécifique d'angoisse».

La Cour de cassation l'approuve d'avoir procédé ainsi et écarte le moyen du FGTI pris d'une modification des termes du litige, en relevant que la cour d'appel n'a pas indemnisé deux fois le même préjudice, exigence qui résulte du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime et gouverne l'indemnisation du préjudice corporel, ni excédé la somme des demandes présentées par cette victime en réparation des souffrances qu'elle avait endurées avant la consolidation de son état de santé.

Ce faisant, elle réaffirme que la classification de certains préjudices sous un intitulé inapproprié est, en elle-même, sans incidence sur le droit à indemnisation de la victime (2e Civ., 1er avril 2021, pourvoi n°19-16.877).

Si la Cour de cassation réunie en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte., 25 mars 2022, pourvoi n° 20-15.624) a admis que puisse être indemnisé séparément le préjudice dit «d’angoisse de mort imminente», dès lors que la juridiction n'indemnise pas deux fois le même préjudice, une juridiction ne peut être sanctionnée, sous réserve de statuer dans les limites de l'appel (2e Civ., 9 mars 2023, pourvoi n°21-21.428), pour avoir considéré qu'un préjudice présenté comme spécifique et autonome pouvait être réparé au titre d'un poste de préjudice prévu par la nomenclature, dès lors que tous les préjudices ont été indemnisés dans la limite des prétentions émises.

Précisions sur l'étendue et la portée de la cassation en matière d'indemnisation du préjudice corporel

2e Civ, 26 janvier 2023, pourvoi n° 21-15.483, publié au Bulletin

Sommaire :

I - Se trouve légalement justifié l'arrêt d'une cour d'appel qui, statuant sur renvoi d'un arrêt cassé en ce qu'il avait rejeté la demande d'indemnisation d'une victime au titre de la perte de gains professionnels futurs et condamné solidairement la société d'assurance et le responsable à payer à la victime la somme lui revenant au titre de l'indemnisation de son préjudice global, retient que le poste de préjudice d'incidence professionnelle n'était pas affecté par la cassation.

II - Encourt la cassation, au regard des articles 29 et 31 de la loi du n° 85-677 du 5 juillet 1985, L. 434-1, L. 434-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, l'arrêt d'une cour d'appel, statuant sur renvoi , qui retient que l'évaluation du préjudice global de la victime en ses dispositions non affectées par la cassation est revêtue de l'autorité de la chose jugée, de sorte que la demande relative aux modalités d'imputation de la créance de l'organisme social est irrecevable, alors que les règles concernant les modalités d'imputation du recours des tiers payeurs sont d'ordre public et que la cour d'appel était saisie d'un moyen de pur droit tiré de l'obligation d'imputer la rente accident du travail sur les postes de préjudice de perte de gains professionnels futurs et d'incidence professionnelle.

III - Il résulte des articles 624, 625 et 638 du code de procédure civile que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation.

Dès lors, viole ces dispositions la cour d'appel qui, statuant sur renvoi, déclare irrecevable la demande de nouvelle fixation de la période de doublement des intérêts de retard, alors que le dispositif de l'arrêt de cassation incluait explicitement, parmi les chefs de l'arrêt annulé, la condamnation de la société d'assurance au paiement d'intérêts au double du taux légal sur une certaine somme et pour une période définie.

 

Commentaire :

Par cette décision, la deuxième chambre civile fait une application, particulière au contentieux de la réparation du dommage corporel, de la jurisprudence de la Cour de cassation qui retient, depuis un arrêt d'assemblée plénière de 2006, que «la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé cette cassation » (Ass. plén., 27 octobre 2006, pourvoi n° 05-18.977, Bull. 2006, Ass. plén, n° 13), .

De nombreuses décisions, rendues à la suite de cet arrêt, ont ainsi privilégié le critère formel de l'étendue de la cassation (Com, 15 octobre 2002, pourvoi n° 01-11.518 ; 2ème Civ, 28 février 2006, pourvoi n° 04-12.936 ;  Soc., 15 janvier 2013, pourvoi n° 11-26.039 ; 2ème civ, 4 février 2021, pourvoi n° 19-21.489).

De cette conception formelle de l'étendue de la cassation prononcée, il résulte que seuls échappent à la cassation les chefs de dispositif de l'arrêt distincts de ceux censurés et qu'en présence d'un chef de dispositif unique, la cassation investit la juridiction de renvoi du chef de litige tranché par cette disposition dans tous ses éléments de fait et de droit (2ème Civ, 13 mars 2008, pourvoi n° 07-13.195).

Par le présent arrêt, la deuxième chambre civile décide que par l'effet de l'annulation intervenue du chef de dispositif qui incluait explicitement, parmi les chefs de l'arrêt annulé cassé, la condamnation de l'assureur au paiement d'intérêts au double du taux légal sur une certaine somme et sur une période, la juridiction de renvoi était investie de la connaissance du chef du litige tranché par cette disposition, dans tous ses éléments de fait et de droit, de sorte qu'était recevable la demande de procéder à une nouvelle fixation de la période de doublement des intérêts de retard.

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Cet arrêt apporte aussi une importante précision, s'agissant de la portée de la cassation, en matière d'indemnisation du préjudice corporel.

En effet, en vertu de la jurisprudence de la Cour, l'étendue de la cassation est fixée en considération du chef de dispositif cassé sans avoir égard aux motifs ayant justifié la cassation, de sorte que si le dispositif de l'arrêt cassé ne comporte que la somme qui a liquidé globalement tous les postes de préjudice de la victime, la cour d'appel de renvoi  peut être invitée par les parties à réexaminer tous les postes, (et ce, alors même que seuls certains d'entre eux auraient été critiqués par le pourvoi, 2e Civ., 17 juin 2021, pourvoi n° 19-24.536, 20-13.893 ; 2ème Civ, 9 décembre 2021, pourvoi n° 19-18.937).

Par le présent arrêt, la deuxième chambre civile précise qu'en revanche, si la cassation du montant global de la somme revenant à la victime résulte de la cassation d'un ou plusieurs chefs du dispositif réparant certains postes de préjudice, les parties ne pourront pas remettre en discussion devant la cour d'appel de renvoi l'ensemble des postes de préjudice, mais seulement ceux expressément affectés par la cassation.

Ainsi,  a-t-elle décidé, en l'espèce, que la cassation du chef de dispositif de l'arrêt rendu par la cour d'appel, en ce qu'il rejette la demande d'indemnisation de la victime au titre de la perte de gains professionnels futurs et en conséquence condamne l'assureur et le responsable du dommage à payer une certaine somme  représentant l'indemnisation totale du préjudice après imputation de la créance des organismes sociaux, était sans effet sur le poste d'incidence professionnelle, lequel était, en conséquence, irrévocablement fixé.

Ce même arrêt rappelle, enfin, que les règles concernant les modalités d'imputation du recours des tiers payeurs sont d'ordre public (2ème Civ, 13 juin 2013, pourvoi n° 12-19.437 ; Crim. 19 avril 2017, pourvoi n° 15-86.351). La juridiction de renvoi se devait donc d'examiner le moyen de pur droit, qui lui était soumis, tiré de l'obligation d'imputer la rente accident du travail sur les postes de préjudice de perte de gains professionnels futurs, d'incidence professionnelle et s'il y avait lieu de déficit fonctionnel permanent.

Evaluation du préjudice économique d'un enfant résultant du décès d'un de ses parents

2e Civ, 19 janvier 2023, pourvoi n° 21-12.264, publié au Bulletin

Sommaire :

Le préjudice économique d'un enfant résultant du décès d'un de ses parents doit être évalué sans tenir compte ni de la séparation ou du divorce de ces derniers, ces circonstances étant sans incidence sur leur obligation de contribuer à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, ni du lieu de résidence de celui-ci.

Il en résulte qu'en cas de décès du parent chez lequel vivait l'enfant, le préjudice économique subi par ce dernier doit être évalué en prenant en considération, comme élément de référence, les revenus annuels de ses parents avant le décès, en tenant compte, en premier lieu, de la part d'autoconsommation de chacun d'eux et des charges fixes qu'ils supportaient dans leur foyer respectif, et, en second lieu, de la part de revenu du parent survivant pouvant être consacrée à l'enfant.

 

Commentaire :

Par cet arrêt, la Cour de cassation applique à une situation qui ne lui avait pas encore été soumise la méthode classique en matière d'indemnisation du préjudice économique des proches d'une victime décédée. 

La nomenclature Dintilhac prévoit, en effet, qu'en cas de décès de la victime directe, le préjudice patrimonial subi par l'ensemble de la famille proche du défunt doit être évalué en prenant pour élément de référence le revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès de la victime directe, en tenant compte de la part de consommation personnelle de celle-ci, et des revenus que continue à percevoir le conjoint, le partenaire d'un pacte civil de solidarité ou le concubin survivant.

Dans le pourvoi soumis à la Cour de cassation, une mère de famille, divorcée du père de son enfant, était décédée à la suite d'un homicide. L'enfant avait saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions pour obtenir indemnisation de ses préjudices.

L'appréciation de son préjudice économique posait la question de d'incidence de la séparation de ses parents : la cour d'appel avait intégré aux revenus de la mère la pension alimentaire versée par le père, puis procédé à une comparaison de ces revenus avec ceux du père chez lequel l'enfant était allé vivre après le décès de sa mère. Constatant que le revenu désormais disponible pour l'enfant était supérieur à celui dont il bénéficiait lorsqu'il vivait aux côtés de sa mère, elle avait jugé qu'il n'existait pas de préjudice économique.

Cette analyse est censurée, au motif que le préjudice économique d'un enfant résultant du décès d'un de ses parents doit être évalué sans tenir compte ni de la séparation ou du divorce de ces derniers, ces circonstances étant sans incidence sur leur obligation de contribuer à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, ni du lieu de résidence de celui-ci.

Ainsi, dans une telle situation, le préjudice économique de l'enfant s'évalue en comparant la part de revenus disponible pour l'enfant avant et après le décès, en prenant en compte les revenus de ses parents - et non seulement la pension alimentaire versée par l'un des parents - avant le décès, et les revenus du parent survivant, sans omettre de prendre en considération qu'avant le décès, chaque parent devait supporter, outre sa part d'autoconsommation, les charges fixes de son foyer.

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