N°5 - Janvier 2023 (Accidents de la circulation)

Lettre de la deuxième chambre civile

Une sélection commentée des décisions rendues par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Accidents de la circulation / Appel civil / Procédure civile - médiation / Procédure civile d'exécution / Sécurité sociale - cotisations / Sécurité sociale - indu de professionnels de santé / Sécurité sociale - prestations / Sécurité sociale - retraites / Sécurité sociale - risques professionnels)

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Lettre de la deuxième chambre civile

N°5 - Janvier 2023 (Accidents de la circulation)

Loi Badinter et dommages causés aux marchandises transportées en exécution d'un contrat de transport

2e Civ., 31 mars 2022, pourvoi n°20-15.448, publié au Bulletin

2e Civ.,  7 avril 2022, pourvoi n°21-11.137, publié au Bulletin

Sommaire :

Il résulte de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, tel qu'interprété par la jurisprudence, que cette loi instaure un régime d'indemnisation autonome et d'ordre public, excluant l'application du droit commun de la responsabilité, qu'elle soit contractuelle ou délictuelle, qui fait peser sur le conducteur du véhicule impliqué, soumis à une obligation d'assurance, la charge de cette indemnisation.

Cette loi, qui tend à assurer une meilleure protection des victimes d'accidents de la circulation par l'amélioration et l'accélération de leur indemnisation, dès lors qu'est impliqué un véhicule terrestre à moteur, n'a pas pour objet de régir l'indemnisation des propriétaires de marchandises endommagées à la suite d'un tel accident, survenu au cours de leur transport par le professionnel auquel elles ont été remises à cette fin, en exécution d'un contrat de transport. Les conditions et modalités de la réparation de tels préjudices, d'ordre exclusivement économique, sont déterminées par ce contrat et les dispositions du code de commerce qui lui sont applicables.

1ère espèce :

Encourt la cassation l'arrêt qui, après avoir constaté que les dommages matériels dont il était demandé réparation avaient été occasionnés à la marchandise transportée, une grue-pelle, lors des opérations de déchargement de celle-ci alors qu'elle roulait sur la rampe de descente de la remorque sur laquelle elle se trouvait, effectuées en exécution du contrat de transport liant les parties au litige, dont la qualité de commerçant n'était pas contestée, retient que l'indemnisation de la victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions d'ordre public de la loi du 5 juillet 1985 et en déduit que, peu important l'existence d'un contrat de transport liant les parties, le tribunal de grande instance est compétent en application des dispositions de l'article R. 212-8 du code de l'organisation judiciaire.

2ème espèce :

Après avoir analysé les stipulations contractuelles liant la société propriétaire de la marchandise transportée et le transporteur et retenu que cette société était partie au contrat de transport, qui constitue un acte de commerce par nature, conclu entre des sociétés commerciales, la cour d'appel en a exactement déduit que seul ce contrat régissait la responsabilité du transporteur pour les dommages causés à la marchandise transportée et que l'exception d'incompétence soulevée par le transporteur devait en conséquence être accueillie.

 

Commentaire :

Par deux arrêts rendus à quelques jours d'intervalle, la Cour de cassation précise, pour la première fois, le champ d'application du régime d'indemnisation, autonome et d'ordre public, instauré par la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, dite loi Badinter, en excluant son application à la réparation des dommages matériels causés, en raison d’un accident de la circulation, à des biens transportés en exécution d’un contrat de transport.

Dans la première espèce, une société commerciale avait confié à une société de transport celui d'une grue-pelle lui appartenant. Sur le lieu de son déchargement, la grue-pelle a chuté de la remorque sur laquelle elle avait été transportée alors que, conduite par un préposé de la société de transport, elle était en mouvement.

Après avoir indemnisé la société propriétaire, son assureur a assigné, sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, les assureurs du transporteur pour obtenir le remboursement des indemnités qu'il avait versées.

Dans la seconde, un ensemble propulsif, confié par la société commerciale qui en était propriétaire à un transporteur pour être transporté, selon un itinéraire prédéfini, jusqu'à l'un de ses entrepôts, a été endommagé après que le chauffeur, qui avait dévié de l'itinéraire prévu, avait heurté la base du tablier d'un pont.

La société propriétaire de l'ensemble propulsif a assigné le transporteur et son assureur sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 pour obtenir réparation de son préjudice.

Alors que, dans l'une et l'autre de ces espèces, l'implication d'un véhicule terrestre à moteur dans l'accident à l'origine des dommages matériels subis par la marchandise transportée était avérée, la Cour de cassation, se référant à l'objectif poursuivi par la loi du 5 juillet 1985 de tendre à assurer une meilleure protection des victimes d'accidents de la circulation par l'amélioration et l'accélération de leur indemnisation dès lors qu'est impliqué un véhicule terrestre à moteur, énonce qu'elle n'a pas pour objet de régir l'indemnisation des propriétaires de marchandises endommagées à la suite d'un accident, survenu au cours de leur transport par le professionnel auquel elles ont été remises à cette fin, en exécution d'un contrat de transport.

Elle en déduit que les conditions et modalités de la réparation de tels préjudices, d'ordre exclusivement économique, sont déterminées par le contrat de transport et les dispositions du code de commerce qui lui sont applicables.

Elle en tire la conséquence, mettant fin à des solutions divergentes des juges du fond, que le litige opposant les parties à un contrat de transport, acte de commerce par nature, dont la qualité de commerçant n'était pas contestée, relève de la compétence des juridictions commerciales.

La qualification d’accident de la circulation ne peut être retenue qu’en présence d’un fait de circulation

2e Civ., 7 juillet 2022, n° 21-10.945, publié au Bulletin

Sommaire :

Ne constitue pas un accident de la circulation, au sens de l’article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, celui résultant de la chute d’une victime sur un véhicule en stationnement dans un garage privé lorsqu'aucun des éléments liés à sa fonction de déplacement n'est à l'origine de l'accident.

Viole le texte susvisé la cour d’appel qui, pour faire application des dispositions de la loi du 5 juillet 1985, après avoir constaté que la victime, qui était montée sur son toit pour effectuer des travaux de réparation, avait trébuché et était tombée au travers de la lucarne du toit du garage de son voisin, heurtant dans sa chute le véhicule qui y était stationné, retient que le stationnement du véhicule constituait, en tant que tel, un fait de circulation.

 

Commentaire :

Conformément aux dispositions de l’article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, la personne sollicitant l’application de cette loi doit établir que le dommage dont elle a été victime résulte d’un accident de la circulation.

Pour ce faire, il lui appartient de rapporter la preuve de ce que son dommage découle d’un fait de circulation. Si cette condition ne soulève pas de difficulté majeure lorsque le véhicule était en mouvement lors de l’accident, l’appréciation de l’existence d’un fait de circulation peut s’avérer plus délicate lorsque le véhicule se trouvait à l’arrêt.

La jurisprudence de notre Cour s’est très tôt orientée vers une conception large du fait de circulation et s’est refusée à lier celui-ci au mouvement ou au déplacement du véhicule.

La Cour de cassation a ainsi appliqué la loi du 5 juillet 1985 à des accidents survenus lorsque le véhicule se trouvait en stationnement sur la voie publique (2ème Civ., 22 novembre 1995, n° 94-10.046, 93-21.221, 94-10.054 ; 2ème Civ., 18 mars 2004, n° 02-15.190). Les dispositions de cette loi ont également été appliquées aux hypothèses où le véhicule stationnait dans un garage privé individuel (2ème Civ., 22 mai 2014, n° 13-10.561) ou un sous-sol à usage privatif des occupants d’une résidence (2ème Civ., 18 mars 2004, n° 02-15.190), particulièrement en cas d’incendie du véhicule.

Cependant, l’application de la loi du 5 juillet 1985 a été exclue, en cas d’incendie, lorsque le véhicule était stationné dans un lieu incompatible avec la circulation. Ainsi d’un cyclomoteur ayant pris feu alors qu’il était stationné dans un hall d’immeuble (2ème Civ., 26 juin 2003, n°00-22.250).

Par l’arrêt commenté, la deuxième chambre civile se prononce sur l’éventuelle application de la loi du 5 juillet 1985 dans l’hypothèse très particulière de la chute de la victime depuis un toit sur un véhicule stationné dans un garage privé.

Elle affirme que « ne constitue pas un accident de la circulation, au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, celui résultant de la chute d’une victime sur un véhicule en stationnement dans un garage privé, lorsqu'aucun des éléments liés à sa fonction de déplacement n'est à l'origine de l'accident. »

Ainsi, pour la deuxième chambre civile, la qualification d’accident de la circulation ne peut être retenue en l’absence de lien de rattachement avec un fait de circulation, ce qui est le cas lorsque le véhicule impliqué se trouve à l’arrêt, non sur une voie publique, mais dans un garage privé, et qu’aucun élément lié à sa fonction de déplacement n’est à l’origine de l’accident.

Appréciation in concreto des conditions du transfert de la garde d’un véhicule

2e Civ., 7 juillet 2022, pourvoi n° 20-23.240, publié au Bulletin

Sommaire :

N’a pas donné de base légale à sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer le propriétaire d’un véhicule responsable, sur le fondement de la loi  n° 85-677 du 5 juillet 1985, de l’accident de la circulation ayant occasionné des dommages à l’un des passagers, retient que le fait que ce propriétaire ait, dans son seul intérêt et pour un laps de temps limité, confié la conduite à une autre personne en raison de son état d'ébriété tout en restant passager dans son propre véhicule n'était pas de nature à transférer au conducteur les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle caractérisant la garde, ces seuls motifs étant impropres à exclure, en considération des circonstances de la cause, que le propriétaire non conducteur avait perdu tout pouvoir d’usage, de contrôle et de direction de son véhicule.

 

Commentaire :

Il résulte de l’article 2 de la loi du 5 juillet 1985 que les débiteurs de l’obligation d’indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur sont le conducteur et le gardien du véhicule. La notion de garde n’étant pas définie par la loi du 5 juillet 1985, elle est appréciée en référence aux critères dégagés par la jurisprudence en matière de responsabilité du fait des choses, telle que prévue par l’article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil.

Depuis un célèbre arrêt de principe Franck c/ Connot, la Cour de cassation juge que le gardien est celui qui dispose du pouvoir d'usage, de direction et de contrôle sur la chose au moment où celle-ci a été l'instrument du dommage (Cass., ch. réun., 2 décembre 1941, DC 1942. 25).

En application de ce principe, le propriétaire du véhicule est présumé en être le gardien, mais il peut renverser cette présomption en démontrant qu'un transfert de garde a eu lieu au profit d'un tiers qui détenait, au moment du fait dommageable, le pouvoir d'usage, de direction et de contrôle de la chose (2ème Civ., 13 janvier 1988, pourvoi n° 86-16.908).

La Cour de cassation, par plusieurs arrêts anciens, avait eu l’occasion de connaître de cas d’espèce proches de celui ici concerné, et avait jugé que, dès lors que le propriétaire était demeuré passager, les juges devaient rechercher s’il avait donné des directives au conducteur durant le trajet ou en avait la possibilité (1re Civ., 29 novembre 1977, pourvoi n° 75-14.086, Bull., n° 450 ; 2e Civ., 9 mars 1978, pourvoi n° 76-14.505). Mais, dans des arrêts plus récents, la Cour de cassation a précisé que, dès lors qu’il était constaté que la personne présumée gardienne du véhicule, fût-elle endormie au moment de l’accident, avait confié la conduite à un tiers, temporairement et pour un usage déterminé, la garde n’avait pas été transférée (1re Civ., 17 mai 1982, pourvoi n° 81-12.069, Bull., n° 180 ; 1re Civ., 8 novembre 1989, pourvoi n° 87-10.357, Bull., n° 344).

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, la cour d’appel, pour retenir que le propriétaire du véhicule en était resté gardien, s’était bornée à énoncer ce dernier principe, de manière abstraite, en le transposant à la situation dans laquelle le propriétaire était en état d’ébriété.

En cassant cet arrêt, la deuxième chambre civile affirme la nécessité, pour le juge, de procéder à une appréciation in concreto, consistant à vérifier si, dans les circonstances de l'espèce, le propriétaire du véhicule avait effectivement la possibilité d'exercer un pouvoir d'usage, de contrôle et de direction du véhicule.

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