N°2 - Juillet 2021 (Sécurité sociale, allocations vieillesse pour personnes non salariées)

Lettre de la deuxième chambre civile

  • Procédure civile

Lettre de la deuxième chambre civile

N°2 - Juillet 2021 (Sécurité sociale, allocations vieillesse pour personnes non salariées)

Application du principe de proportionnalité à la clause de stage prévue par le régime d'assurance vieillesse des avocats

2e Civ., 12 mai 2021, n° 19-20.938, FS-P+R

Sommaire :

L'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu'une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

Le dispositif, dit de "clause de stage", du régime d'assurance vieillesse de base des avocats, résultant des articles L. 723-11 et R. 723-37, 3°, du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, prévoit que l'assuré qui ne justifie pas d'une durée d'assurance de soixante trimestres, a droit à une fraction de l'allocation aux vieux travailleurs salariés en fonction de cette durée.

En ne prévoyant le versement à l'assuré qui ne justifie pas d'une durée d'assurance de soixante trimestres, durée significative au regard de la durée d'une carrière professionnelle, que d'une fraction de l'allocation aux vieux travailleurs salariés, manifestement disproportionnée au regard du montant des cotisations mises à sa charge au cours de la période de constitution des droits, la "clause de stage", si elle contribue à l'équilibre financier du régime de retraite concerné, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti au regard du but qu'elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence.

 

Commentaire :

Le pourvoi soumis à la Cour de cassation portait sur la détermination des droits à la retraite d’un avocat, au titre du régime d'assurance vieillesse de base, qui est issu essentiellement des dispositions du décret n°55-413 du 2 avril 1955 et qui est géré par la Caisse nationale des barreaux français (CNBF). Ce régime de retraite comportait, jusqu'à son abrogation par la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016, un dispositif dit de "clause de stage" instaurant un seuil de durée d'assurance en-deçà duquel l'avocat cotisant ne pouvait prétendre au versement d'une pension de retraite proportionnelle, mais obtenait une fraction de l'allocation aux vieux travailleurs salariés.

Cette « clause de stage », initialement fixée à 30 ans, a été progressivement réduite, pour être fixée à soixante trimestres par l'article R. 723-37 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige, avant d'être totalement supprimée. L'article L. 723-11 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n°2003-775 du 21 août 2003, énonçait ainsi : « Les assurés ne justifiant pas d'une durée d'assurance déterminée ont droit à une fraction de l'allocation visée à l'article L. 643-1 en fonction de cette durée » (il s'agit de l'allocation aux vieux travailleurs salariés, qui est l'une des allocations de vieillesse non contributives de sécurité sociale composant le minimum vieillesse).

Le litige à l'origine du pourvoi soumis à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se rapportait ainsi à la détermination des droits à pension, au titre du régime d'assurance vieillesse de base, d'un avocat justifiant d'une durée d'assurance à ce régime de 58 trimestres, et dont la CNBF a liquidé sa pension en lui accordant une fraction de l'allocation aux vieux travailleurs salariés, à concurrence de 58/60ème. A l'occasion de ce pourvoi, l'intéressé a posé une question prioritaire de constitutionnalité qui a été renvoyée au Conseil constitutionnel (2e Civ., 13 février 2020, n°19-20.938), lequel, dans sa décision n°2020-840 QPC du 20 mai 2020, a déclaré l'article L. 723-11 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, conforme à la Constitution.

Après cette décision, la deuxième chambre civile a décidé de procéder, conformément à son office, à un contrôle de conventionnalité du dispositif de la clause de stage résultant des dispositions des articles L. 723-11 et R. 723-37 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, et a relevé d'office le moyen tiré de l'inconventionnalité de ces dispositions au regard des stipulations de l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

S'inscrivant dans la perspective ouverte par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (voir : CEDH, Apostolakis c/ Grèce, 22 octobre 2009, requête n°39574/07, § 27 et 28 ; Klein c. Autriche, 3 mars 2011, n°57028/00), la deuxième chambre civile énonce dans le présent arrêt que l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu'une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

Procédant à un contrôle de proportionnalité, in abstracto, elle juge qu'en ne prévoyant le versement à l'assuré qui ne justifie pas d'une durée d'assurance de soixante trimestres, durée significative au regard de la durée d'une carrière professionnelle, que d'une fraction de l'allocation aux vieux travailleurs salariés, manifestement disproportionnée au regard du montant des cotisations mises à sa charge au cours de la période de constitution des droits, la « clause de stage », si elle contribue à l'équilibre financier du régime de retraite concerné, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti au regard du but qu'elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence.

Elle conclut ainsi à l'inconventionnalité des dispositions des articles L. 723-11 et R. 723-37 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, au regard des stipulations de l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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