N°2 - Juillet 2021 (Sécurité sociale)

Lettre de la deuxième chambre civile

  • Procédure civile

Lettre de la deuxième chambre civile

N°2 - Juillet 2021 (Sécurité sociale)

Solidarité financière d'un donneur d'ordre : le procès-verbal de travail dissimulé doit être produit en cas de contestation de son existence ou de son contenu

2e Civ., 8 avril 2021, n° 20-11.126, FS-P+R

2e Civ., 8 avril 2021, n° 19-23.728, FS-P+R

Sommaire :

Si la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d'ordre, prévue par le deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, n'est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l'encontre du cocontractant, l'organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d'ordre de l'existence ou du contenu de ce document.

 

Commentaire :

1. La jurisprudence de la Cour de cassation rendue sur le fondement de l’article L. 8222-2 du code du travail, relatif à la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre à l’occasion du constat, par procès-verbal, du travail dissimulé commis par son cocontractant, se concentre essentiellement autour des points suivants.

La Cour de cassation juge que la mise en oeuvre de la solidarité du donneur d’ordre est subordonnée à l’établissement d’un procès-verbal de constat de travail dissimulé à l’égard du cocontractant (2ème Civ., 26 novembre 2015, pourvoi n° 14-23.851, Bull. 2015, II, n° 258 ; 28 mai 2020, n°19-14.862 et 19-14.863).

L’établissement de ce procès-verbal constitue en effet une condition de fond de la mise en oeuvre de la solidarité du donneur d’ordre.

S’agissant de la régularité de la procédure de redressement, la Cour de cassation juge, sur le fondement des dispositions des articles L. 8222-2 du code du travail et R. 243-59 du code de la sécurité sociale, que dans la mise en oeuvre de la solidarité financière consécutive au constat d'un travail dissimulé, l’organisme de recouvrement a pour seule obligation, avant la décision de redressement, d'exécuter les formalités assurant le respect du principe de la contradiction par l'envoi de la lettre d'observations, sans être tenu de joindre à celle-ci le procès-verbal constatant le délit de travail dissimulé (2ème Civ., 13 octobre 2011, n°10-19.386, 10-19.389 et 10-19.391 ; 14 février 2019, n°18-12.150, en cours de publication ; 28 mai 2020, n°19-14.862, précité).

Ainsi, la régularité de la procédure de redressement n’est pas subordonnée à la communication au donneur d’ordre, par l’organisme de recouvrement, du procès-verbal de constat de travail dissimulé établi à l’encontre du cocontractant.

La Cour de cassation vérifie toutefois que la lettre d'observations prévue par l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale assure le caractère contradictoire du contrôle et la garantie des droits de la défense à l'égard du donneur d'ordre dont la solidarité financière est recherchée, en précisant notamment, année par année, le montant des sommes dues (2ème Civ., 13 février 2020, pourvoi n° 19-11.645, en cours de publication).

La Cour de cassation rappelle enfin que le juge du contentieux de la sécurité sociale peut toujours, s’il l’estime nécessaire, ordonner la production du procès-verbal de travail dissimulé, pour le soumettre à la discussion contradictoire des parties et examiner les contestations soulevées par le donneur d’ordre (2ème Civ., 13 octobre 2011, n°10-19.386 et suivants précités).

Cette jurisprudence suscite la critique de la doctrine, estimant qu’elle ne garantit pas l’équilibre des droits des parties, dans un domaine dans lequel, dans un souci d’efficacité, les prérogatives données aux organismes de recouvrement sont grandes.                     

2. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les dispositions de l’article L. 8222-2 du code du travail, le Conseil constitutionnel a, par une décision n°2015-479 QPC du 31 juillet 2015, jugé que la solidarité instituée par l’article L. 8222-2 du code du travail « n’a pas le caractère d’une punition au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 » (cons. 8).

Il a déclaré ces dispositions législatives conformes à la Constitution, en émettant toutefois une réserve d’interprétation énoncée dans les termes suivants : “ les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître les exigences qui découlent de l'article 16 de la déclaration de 1789, interdire au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu ; que sous cette réserve, les griefs tirés de la méconnaissance de la garantie des droits et du principe d'égalité devant la justice doivent être écartés” (cons. 14).          

Par ses arrêts du 8 avril 2021, rendus en formation de section, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, se saisit de l’occasion qui lui est offerte de définir les obligations de l’organisme de recouvrement au stade de l’instance judiciaire. Après avoir rappelé sa jurisprudence selon laquelle la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé établi à l’encontre du cocontractant, elle affirme désormais et pour la première fois, au visa de l’article 9 du code de procédure civile, que l'organisme de recouvrement  est tenu de produire le procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d'ordre de l'existence ou du contenu de celui-ci.

L’exigence du principe de la contradiction et les droits du donneur d’ordre qu’il tire de sa qualité de co-débiteur solidaire sont ainsi garantis, celui-ci étant de la sorte mis en mesure, au stade de l’instance judiciaire, de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé de l’exigibilité des cotisations obligatoires ainsi que des majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.

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