N°2 - Juillet 2021 (Responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle)

Lettre de la deuxième chambre civile

  • Procédure civile

Lettre de la deuxième chambre civile

N°2 - Juillet 2021 (Responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle)

La victime conçue postérieurement à la survenance du fait dommageable ne peut se prévaloir d’un lien de causalité entre ce fait et le préjudice qu’elle invoque

2e Civ., 11 mars 2021, pourvoi n° 19-17.384, FS-P

Sommaire :

Viole les articles 1240 du code civil et 706-3 du code de procédure pénale la cour d'appel qui alloue à une victime par ricochet une provision au titre de son préjudice moral en raison du traumatisme tenant à sa naissance au sein d'une famille marquée par la disparition non élucidée de sa soeur aînée, alors qu'il résultait de ses constatations que cette victime avait été conçue après cette disparition, de sorte qu'il n'existait pas de lien de causalité entre cette dernière et le préjudice invoqué.

 

Commentaire :

Par son arrêt du 14 décembre 2017 (pourvoi n° 16-26.687, Bull. 2017, II, n° 235), la deuxième chambre civile, faisant application de l'adage infans conceptus, a assimilé l'enfant conçu à l'enfant déjà né, afin de lui permettre de demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père, survenu entre sa conception et sa naissance.

De même, par son arrêt du 11 février 2021 (pourvoi n° 19-23.525, publié), cette chambre a approuvé une cour d’appel d’avoir déclaré recevable la demande d'indemnisation du préjudice moral invoqué par un enfant déjà conçu au moment du décès, quelques jours avant sa naissance, de son grand-père, victime de faits présentant le caractère matériel d'une infraction.

 

S’inscrivant dans cette ligne jurisprudentielle, l'arrêt commenté, rendu le 11 mars 2021, retient que la conception d'un enfant postérieurement au fait dommageable, en l’occurrence l'enlèvement et la disparition plusieurs années auparavant d’une sœur aînée, fait obstacle à la reconnaissance d’un lien de causalité entre ce fait et le préjudice moral invoqué par la victime par ricochet, tenant à sa naissance au sein d'une famille marquée par cette disparition non élucidée et ce, alors même qu’une information judiciaire était encore en cours sur les faits, des chefs d'enlèvement et de séquestration de plus de sept jours. 

Reconnaissance d'un préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail

2e Civ., 6 mai 2021, pourvoi n° 19-23.173, 20-16.428, FS-P+R

Sommaire :

Le préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail est indemnisable au titre de l'incidence professionnelle.

 

Commentaire :

La nomenclature dite « Dintilhac » a défini l'incidence professionnelle comme un poste de préjudice, à caractère définitif, distinct de la perte de gains professionnels futurs et ayant pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, tels que la dévalorisation sur le marché du travail, la perte d'une chance professionnelle, l'augmentation de la pénibilité de l'emploi occupé par la victime,  la nécessité  d'abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage pour une autre, en raison de la survenance de son handicap, les frais de reclassement professionnel, de formation ou tous frais imputables au dommage et nécessaires à un retour de la victime dans la sphère professionnelle, la perte de retraite subie en raison du handicap.

La question posée à la Cour de cassation, à l'occasion du pourvoi formé par M. P., devenu inapte à toute activité professionnelle du fait de l'accident dont il a été victime, était celle de savoir si, dans une telle hypothèse, une incidence professionnelle peut être retenue, en sus de l'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs.

Une partie de la doctrine s'oppose à une telle indemnisation en affirmant qu'en cas d'impossibilité de pratiquer toute activité professionnelle, la réparation des pertes de gains professionnels futurs doit, par définition, exclure l'attribution d'une incidence professionnelle, en l'absence de dévalorisation sur le marché du travail ou de pénibilité accrue dans l'exercice de la profession.

Certains auteurs estiment, en revanche, que l'incidence professionnelle existe, même lorsque la victime ne peut plus travailler et qu'elle est indemnisée intégralement de ses pertes de gains professionnels futurs, dans la mesure où elle subit un préjudice de carrière, elle ne peut plus s'épanouir professionnellement et elle perd de ce fait une partie de son utilité sociale.

La Cour de cassation avait, certes, affirmé que l'indemnisation de la perte des gains professionnels futurs sur la base d'une rente viagère d'une victime privée de toute activité professionnelle pour l'avenir faisait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l'incidence professionnelle (2e Civ., 13 septembre 2018, pourvoi n° 17-26.011, publié). Elle avait jugé de même dans le cas d'une victime, mineure à la date de l'accident, et privée de ce fait de toute perspective  d'occuper un emploi (2e Civ., 7 mars 2019, pourvoi n° 17-25.855, publié).

Mais elle avait admis une indemnisation supplémentaire au titre de l'incidence professionnelle, dans les cas où la perte de gains professionnels futurs avait été indemnisée par l'allocation d'une rente temporaire à la  victime, privée de toute activité professionnelle pour l'avenir (2e Civ., 13 décembre 2018, pourvoi n° 17-28.019), ou  au regard de la faiblesse des droits à la retraite constitués avant la survenue de l'accident (1re Civ., 11 juillet 2018, pourvoi n° 17-22.756). Elle avait également retenu l'indemnisation distincte d'une incidence professionnelle, découlant de la situation d'anomalie sociale dans laquelle se trouvait la victime du fait de son inaptitude à reprendre un quelconque emploi (Crim., 28 mai 2019, pourvoi n° 18-81.035).

S'inscrivant dans la ligne de ce dernier arrêt, l'arrêt rendu le 6 mai 2021 par la deuxième chambre civile consacre cette acception extensive de l'incidence professionnelle, en y incluant le préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime en raison de son inaptitude définitive à occuper un emploi ou, en d'autres termes, le préjudice tenant à un sentiment de perte d'utilité sociale.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.