N°2 - Juillet 2021 (Prescription civile)

Lettre de la deuxième chambre civile

  • Procédure civile

Lettre de la deuxième chambre civile

N°2 - Juillet 2021 (Prescription civile)

Mesures d’instruction demandée sur requête en application de l’article 145 du CPC : quels sont les actes susceptibles d’interrompre la prescription ou la forclusion ?

2e Civ., 14 janvier 2021, pourvoi n° 19-20.316, FS-P+R+I

Sommaire 1 :

Aux termes de l'article 2241 du code civil, alinéa 1, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Dès lors, une requête fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, qui, introduisant une procédure non contradictoire, ne constitue pas, au sens de l'article 2241, une demande en justice, n'interrompt pas le délai de prescription de l'action au fond.

 

Sommaire 2 :

Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

Tel est le cas de la demande en référé, à fin de mainlevée du séquestre de documents recueillis par un huissier de justice en vertu d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, qui interrompt le délai de prescription de l'action au fond, dès lors qu'elle tend, comme la demande au fond, à obtenir l'indemnisation du préjudice, celle-ci étant virtuellement comprise dans l'action visant à l'obtention de la mesure in futurum.

 

Commentaire :

Dans cet arrêt du 14 janvier 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a été invitée à prendre parti, dans le cadre de la même affaire, sur le caractère éventuellement interruptif du délai de prescription de l’action au fond, d’une part, de la requête présentée au juge par une société en vue d’obtenir l’autorisation d’appréhender des documents dans les locaux d’anciens partenaires commerciaux, et, d’autre part, de l’assignation de ses adversaires devant le juge des référés, par la même société, en vue d’obtenir la levée du séquestre des documents recueillis et conservés par l’huissier de justice.

1. On sait que sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, tout intéressé peut agir sur requête ou en référé pour demander en justice que soit ordonnée, mais avant tout procès, une mesure d’instruction destinée à conserver ou à établir la preuve de faits qui pourraient être déterminants dans la solution d’un litige à venir.

Dans l’affaire qui était soumise à la 2ème chambre civile, avaient été sollicitées, sur le fondement de ce texte, d’abord l’autorisation de mandater un huissier de justice afin qu’il appréhende un certain nombre de documents chez un partenaire suspecté de concurrence déloyale, ensuite, que l’huissier de justice soit autorisé à remettre les documents recueillis entre les mains de la société mandante.

Comme l’article 145 du code de procédure civile le permet, la première démarche avait été effectuée au moyen d’une requête, tandis que la seconde l’avait été par voie d’assignation. Les sociétés, par la suite assignées en responsabilité au titre de la concurrence déloyale et de la rupture abusive des relations commerciales, avaient soulevé la prescription de l’action pour tardiveté. Il s’agissait d’apprécier si ces actes avaient eu une incidence sur le délai de prescription de l’action ultérieure au fond.

S’attachant au caractère non contradictoire de la procédure sur requête, qui exclut que la requête soit qualifiée de demande au sens de l’article 2241, la Cour de cassation décide que la requête en vue d’obtention de la mesure in futurum n’a pas interrompu le délai de prescription de l’action au fond.

Par essence, la voie de la requête, contrairement à l’assignation en référé, ouvre une procédure non contradictoire. Il en résulte qu’aucune action, au sens de l’article 30 du code de procédure civile, ne peut être tenue pour engagée par une requête.

La requête peut-elle, dans ces conditions, constituer la demande en justice, qui, selon l’article 2241, alinéa 1er, du code civil, interrompt, même en référé, le délai de prescription? Sachant que l’acte considéré est destiné à empêcher l’adversaire de prescrire, peut-on admettre qu’il n’en ait pas connaissance?

A ces questions, la jurisprudence recensée donne une réponse qui offre une lecture restrictive de l’article 2241 : la requête en injonction de payer (1e Civ, 3 octobre 1995, pourvoi n° 93-17.700, bull. n° 343) et la requête à fin de désignation d’un expert (3e, Civ. 9 novembre 2005, pourvoi n° 04-15.073, bull. n° 219), ne sont pas interruptives du délai de prescription de l’action au fond. A l’inverse, la requête à fin de conciliation en matière de saisie des rémunérations, parce qu’elle tend à faire convoquer le débiteur devant le tribunal (2e Civ, 13 décembre 1995, pourvoi n° 93-21091, diffusé ; 2e Civ 16 mai 2012, pourvoi n° 11-13207, diffusé ; 1e Civ, 19 mars 2015, pourvoi n° 14-10.972, diffusé), est interruptive du délai de prescription de l’action au fond.

L’arrêt commenté prend appui sur un syllogisme : seule la demande en justice, appelant l’adversaire, interrompt le délai de prescription ; la requête n’ouvre pas une procédure contradictoire ; dès lors, une requête fondée sur l’article 145 ne peut pas interrompre le délai de prescription de l’action au fond. La solution qu’il fixe revêt une portée générale.

2. Le principe traditionnellement admis par la jurisprudence de la Cour de cassation  est que la demande en justice interrompt le délai de prescription de l’action qu’elle concerne et ne s’étend pas aux actions distinctes par leur objet.

Appliqué aux actions diligentées sur le fondement de l’article 145, l’application mécanique de ce principe aurait pu aboutir à ce que l’assignation en référé en vue de l’obtention d’une mesure in futurum soit regardée comme n’étant pas de nature à interrompre l’action au fond ultérieurement entreprise.

Pourtant, la Cour de cassation admet l’effet interruptif du délai de prescription de  l’action au fond de l’assignation en référé à fin d’expertise fondée sur l’article 145 du code de procédure civile (2e Civ. 2, 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011, publié).

La justification de cette solution est puisée dans la règle dérogatoire qui étend l’extension de l’effet interruptif de prescription d’une action à une action distincte lorsque les deux actions concernées recherchent le même avantage ou, selon une formule consacrée, “ tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ” (1re Civ., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-14.736, publié).

S’inspirant de ce que, comme il en irait d’une action aux fins d’expertise, la finalité de l’action entreprise sur le fondement de l’article 145 pour se voir remettre, par une mesure de mainlevée de séquestre, les documents recueillis  par un huissier de justice dans le cadre d’une procédure sur requête, est de nourrir de preuves éventuelles une action au fond future, la Cour de cassation a considéré qu’il y avait bien une perméabilité entre les deux actions, l’action en indemnisation étant virtuellement comprise dans l’action en vue d’obtenir une mesure in futurum.

Il a déjà été, en effet, jugé que l’action en référé in futurum à fin d’expertise fondée sur l’article 145 interrompt le délai de prescription de l’action au fond (2e Civ. 6 mars 1991, pourvoi n° 89-16.995, Bull. 1991, II, n° 77 ; 3e Civ, 24 avril 2003, pourvoi n° 01-15.457, Bull. 2003, III, n° 85 ; Com., 6 septembre 2016, pourvoi n° 15-13.128 ; 3e Civ, 6 juillet 2017, pourvoi n° 16-17.151, Bull. 2017, III, n° 89 ; 2e Civ, 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011, publié).

L’action en mainlevée de séquestre de documents est ainsi conçue, selon la formule proposée par certains auteurs pour le référé-expertise, « comme éclaireur procédural pour déterminer les causes d’une responsabilité».                      

Cette assignation en référé interrompt donc le délai de prescription de l’action au fond.        

On observera qu’en l’espèce, le juge des référés avait rejeté la demande de mainlevée de séquestre des documents recueillis et conservés par l’huissier de justice à l’issue de la procédure sur requête. Ce n’est qu’en appel que la demande avait été accueillie.

On soulignera, enfin, que dans le cas où la demande aurait été rejetée soit définitivement par le premier juge, soit en appel, l’effet interruptif qui s’y attachait aurait été déclaré non avenu (voir en ce sens pour l’expertise : 3e Civ, 24 avril 2003, pourvoi n° 01-15.457, précité).

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