N°1 - Mars 2021 (Convention européenne des droits de l'homme)

Lettre de la deuxième chambre civile

  • Procédure civile

Aide juridictionnelle : l’application d’une réglementation dont le caractère confus porte atteinte à l’accès effectif au juge doit être écartée

2e Civ., 2e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 18-23.923, FS-P+B+I

2e Civ., 2e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 19-12.990, FS-P+B+I

Sommaire :

Il résulte de l'article 6, §1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le principe de sécurité juridique implique que de nouvelles règles, prises dans leur ensemble, soient accessibles et prévisibles et n'affectent pas le droit à l'accès effectif au juge, dans sa substance même.

Le dispositif mis en place par le décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016, abrogeant notamment l'article 38-1 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, lequel prévoyait dans le cas particulier d'une procédure d'appel l'interruption des délais réglementaires que cette procédure fait courir, qui a créé une situation d'incertitude juridique, entraînant une confusion encore accrue par la publication de la circulaire d'application du décret du 27 décembre 2016, bien que celle-ci soit par nature dépourvue de portée normative, porte atteinte au principe de sécurité juridique. En cela, il a pour effet de restreindre, de manière disproportionnée au regard des objectifs de célérité et de bonne administration de la justice que ce texte poursuivait, le droit d'accès effectif au juge des requérants qui sollicitent l'aide juridictionnelle après avoir formé une déclaration d'appel.

Par conséquent, l'appelant qui a formé appel avant le 11 mai 2017, date d'entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, et sollicité, dans le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile, le bénéfice de l'aide juridictionnelle, puis remis au greffe ses conclusions dans ce même délai, courant à compter de la notification de la décision statuant définitivement sur cette aide, ne peut se voir opposer la caducité de sa déclaration d'appel.

 

Commentaire :

Par deux arrêts du 19 mars 2020, la deuxième chambre se prononce sur l’application à la procédure d’appel d’un décret du 27 décembre 2016 relatif à l’aide juridictionnelle.

Avant l’entrée en vigueur de ce décret, le délai pour exercer un appel contre le jugement d’une juridiction judiciaire n’était pas interrompu par la présentation d’une demande tendant à bénéficier d’une aide juridictionnelle en vue de former un tel recours. En revanche cette demande d’aide juridictionnelle interrompait les délais de procédure que la formation d’un appel faisait courir, tel le délai de trois mois imparti à l’appelant pour conclure (Décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, art. 38-1).

Le décret du 27 décembre 2016 a mis un terme à cette situation en abrogeant le texte qui prévoyait ces règles et, corrélativement, en disposant que le point de départ du délai pour former un recours était reporté au jour où, en substance, il était statué sur la demande tendant à bénéficier de l’aide juridictionnelle pour former ce recours.

La solution adoptée par le décret du 27 décembre 2016, pour favorable qu’elle puisse apparaître à l’auteur d’un recours, s’est pourtant révélée, en raison de diverses insuffisances affectant ce décret, une source d’insécurité juridique en matière de procédure d’appel.

En effet, l’ancien dispositif abrogé par ce décret avait notamment pour objet de mettre en œuvre les articles 18 et 25 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, toujours en vigueur, selon lesquelles l’aide juridictionnelle peut être demandée avant comme pendant l’instance et le bénéficiaire de cette aide a droit à l’assistance d’un avocat.

Cette abrogation plongeait ainsi les personnes sollicitant le bénéfice de l’aide juridictionnelle au titre d’une procédure d’appel déjà engagée dans l’incertitude quant aux effets qu’emportait dorénavant une telle demande sur le cours des délais régissant les actes de procédure leur incombant.

La situation créée par le décret du 27 décembre 2016 était d’autant plus délicate que celui-ci, qui fixait son entrée en vigueur dès le 1er janvier 2017, prévoyait encore que les nouvelles règles qu’il instaurait s’appliquaient même à des demandes d’aide juridictionnelle en cours d’examen au jour de la publication du décret. Cela équivalait à prescrire une application rétroactive de ce décret (Voir implicitement en ce sens, 2e civ., 6 juin 2019, pourvoi n° 18-11.668, FS-P+B+I).

C’est en l’état de cette situation juridique, confuse, que la garde des Sceaux, ministre de la justice, a pris, le 19 janvier 2017, et fait publier, une circulaire d’application du décret du 27 décembre 2016 qui, commentant la modification apportée à l’article 38 du décret du 19 décembre 1991, affirmait en substance que l’extension aux délais d’appel de l’effet interruptif attaché à la demande d’aide juridictionnelle s’appliquait également aux délais de la procédure d’appel et annonçait qu’une modification du décret du 19 décembre 1991 serait prochainement apportée sur ce point. Cette modification était apportée par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, qui rétablissait, au moins pour partie, l’ancien dispositif prévoyant l’interruption des délais de la procédure d’appel.

Cette circulaire était, par nature, dépourvue de toute portée normative. Mais l’affirmation qu’elle contenait avait encore accru la confusion sur l’état du droit en la matière.

Dans les affaires faisant l’objet des pourvois, malgré l’incertitude qui entourait ainsi l’état du droit issu du décret du 27 décembre 2016, les cours d’appel, estimant que les délais de la procédure d’appel n’étaient plus interrompus par une demande d’aide juridictionnelle, avaient prononcé la caducité de déclarations d’appel formées dans le délai d’appel, par des appelants qui, à la suite immédiate de leur déclaration d’appel, avaient sollicité le bénéfice de cette aide, puis conclu dans les trois mois des décisions qui leur en avait octroyé le bénéfice.

La Cour de cassation censure ces arrêts en rappelant, d’abord, dans un paragraphe énonçant une règle de principe, qu’il résulte de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que le principe de sécurité juridique implique que de nouvelles règles, prises dans leur ensemble, soient accessibles et prévisibles et n’affectent pas le droit à l’accès effectif au juge, dans sa substance même.

Dans ces conditions, pour légitimes que soient les objectifs poursuivis par le décret du 27 décembre 2016, tenant en particulier à la célérité et à une bonne administration de la justice, l’incertitude du droit résultant de l’application de ce décret est susceptible de porter une atteinte disproportionnée, au regard de ces objectifs, au droit d’accès effectif au juge des requérants qui sollicitent l’aide juridictionnelle après la formation d’une déclaration d’appel.

Pour empêcher qu’une telle atteinte soit portée aux parties à une instance d’appel, les arrêts commentés retiennent, de façon générale, que l’appelant qui a formé appel avant le 11 mai 2017, date d’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017, et sollicité, dans le délai prévu par l’article 908 du code de procédure civile, le bénéfice de l’aide juridictionnelle, puis remis au greffe ses conclusions dans ce même délai, courant à compter de la notification de la décision statuant définitivement sur cette aide, ne peut se voir opposer la caducité de sa déclaration d’appel.

Les arrêts commentés s’inscrivent ainsi dans l’esprit des solutions précédemment dégagées en matière de revirement de jurisprudence (2e Civ., 8 juillet 2004, pourvoi n° 01-10.426, Bull., 2004, II, n° 387 ; Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 00-20.493, Bull. 2006, Ass. Plén., n° 15) et de celles que la Cour de cassation avait antérieurement retenues en vue d’écarter l’application immédiate d’une disposition nouvelle, dès lors qu’une telle application aboutirait à priver une partie d’un procès équitable (1re Civ., 5 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.132, Bull. 2012, I, n° 157).

Quant à la portée de ces arrêts, il sera signalé, d’abord, qu’ils ne doivent pas être lus comme livrant une appréciation de la conformité aux exigences du procès équitable de l’économie d’ensemble des dispositifs instaurés par les décrets des 27 décembre 2016 et 6 mai 2017, mais uniquement comme sanctionnant le défaut de prévisibilité juridique du dispositif issu du seul décret du 27 décembre 2016. C’est ainsi que par plusieurs arrêts postérieurs, dans l’hypothèse d’appels relevés après le 10 mai 2017, la deuxième chambre civile, écartant des griefs pris d’une violation du droit à un procès équitable, a fait application de l’article 38 du décret du 19 décembre 1991, dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017 susmentionné,  pour retenir qu’une demande d’aide juridictionnelle présentée par un appelant était désormais dénuée d’effet sur le cours des délais de la procédure d’appel (2e Civ., 4 juin 2020, pourvoi n° 19-24.598, Publié ; 2e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-16.792, Publié ; rapproch. CE, 30 décembre 2020, n° 442116).

Cette considération permet en outre de retenir que la solution générale que les arrêts du19 mars 2020 dégagent à propos de la situation d’appelants, peut être étendue au profit de l’ensemble des parties à une instance d’appel. Autrement dit, au cours de la période écoulée entre le 1er janvier et le 10 mai 2017, l’intimé qui a formé une demande d’aide juridictionnelle pendant le cours du délai qui lui est ouvert pour conclure par l’article 909 du code de procédure civile, ne pourra se voir opposer l’irrecevabilité de ces conclusions s’il remet au greffe ces dernières dans ce même délai, courant à compter de la notification de la décision statuant définitivement sur cette aide.

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