N°1 - Mars 2021 (Appel civil / Procédures civiles d'exécution)

Lettre de la deuxième chambre civile

  • Procédure civile

L’appelant doit solliciter l’infirmation ou l’annulation des chefs du jugement déféré dans les conclusions d’appelant

Il faut une autorisation du juge pour pratiquer une mesure conservatoire dans un local à usage d’habitation.

2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, FS-P+B+I

Sommaire n° 1 :

Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement.

L'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d' appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

En conséquence, se trouve légalement justifié l'arrêt d'une cour d'appel qui infirme un jugement sans que cette infirmation n'ait été demandée dès lors que la déclaration d'appel est antérieure au présent arrêt.

 

Sommaire n° 2 :

Le droit, à valeur constitutionnelle, au respect de la vie privée et à l'inviolabilité du domicile, également consacré par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, exclut qu'une mesure conservatoire puisse être pratiquée dans un lieu affecté à l'habitation du débiteur par le créancier sans une autorisation donnée par un juge.

En conséquence, une mesure conservatoire ne peut être pratiquée dans un lieu affecté à l'habitation du débiteur par le créancier sans que le juge de l'exécution l'y ait autorisé en application de l'article R. 121-24 du code des procédures civiles d'exécution, et ce même dans l'hypothèse prévue à l'article L. 511-2 du même code dans laquelle le créancier se prévaut d'un titre exécutoire ou d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire. A défaut, une telle mesure doit être annulée.

 

Commentaire :     

Par cet arrêt rendu le 17 septembre 2020, la deuxième chambre civile s’est prononcée sur deux questions nouvelles portant, pour la première, sur le contenu des conclusions dans la procédure d’appel avec représentation obligatoire telle qu’issue du décret n°2017-891 du 6 mai 2017  et, pour la seconde, sur l’exécution des mesures conservatoires pratiquées dans le lieu d’habitation du débiteur.         

S’agissant, d’abord, de la procédure d’appel avec représentation obligatoire, la deuxième chambre civile a jugé qu’il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement.

Selon l'article 954 du code de procédure civile, la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Or, dès lors qu’en application de l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel, constitue une prétention en appel, sur laquelle la cour d'appel doit statuer dans le dispositif de son arrêt, la demande par laquelle l'appelant sollicite l'infirmation, en vue de leur réformation, des chefs du jugement critiqués ou l'annulation du jugement.

La deuxième chambre civile déduit de la combinaison de ces règles que la cour d'appel ne peut, selon le cas, réformer ou anéantir la décision déférée que si elle est saisie de conclusions d'appelant dont le dispositif précise s’il est sollicité l'infirmation des chefs de jugement expressément critiqués ou l'annulation de ce jugement. Or, la cour d’appel ne peut statuer sur les aspects du litige tranchés par le jugement qu’en raison de son infirmation ou son annulation préalable. A défaut, elle ne peut que le confirmer.

En application de l'article 901, 4°, du code de procédure civile, la déclaration d'appel doit, à peine de nullité, préciser les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. Il en résulte que cet acte, antérieur aux conclusions, énonce déjà s'il est sollicité l'infirmation du jugement, ainsi que les chefs de jugement critiqués, ou l'annulation du jugement. Il est pourtant utile que ces mentions soient à nouveau précisées dans le dispositif des conclusions de l'appelant. D'abord en raison de ce que l'appelant peut former plusieurs déclarations d'appel, en particulier pour étendre le champ des chefs du jugement qu'il entend critiquer (2e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-13.642, Publié). Ensuite, parce que l'appelant dispose de la faculté de modifier le champ de la saisine de la cour, notamment en le restreignant (2e Civ., 7 mars 2002, pourvoi n° 00-16.240, Bull. 2002, II, n° 32). Enfin, parce que ces mentions sont indispensables en cas d'appel incident, lequel est formalisé par voie de conclusions, sans déclaration d'appel préalable. Sont ainsi renforcées, la sécurité et l'efficacité de la procédure.

Cette règle de procédure, qui résulte de l’interprétation nouvelle d’une disposition au regard de la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire issue du décret n°2017-891 du 6 mai 2017, tendant notamment à faire coïncider les dispositifs des conclusions avec le dispositif de l’arrêt réclamé, n’a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié (2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.983, non publié). Une application immédiate de cette règle nouvelle à des litiges antérieurs à sa formulation était susceptible de porter atteinte au principe de sécurité juridique, et par là-même aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. 

C’est pourquoi, afin de ne pas priver les appelants du droit à un procès équitable, l’arrêt commenté décide que cette règle de procédure n’est pas applicable dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date de l’arrêt, soit le 17 septembre 2020, et n’a donc pas été appliquée par la deuxième chambre civile au litige qui lui était soumis.

S’agissant, ensuite, de l’exécution des mesures conservatoires, la deuxième chambre civile a retenu que le droit, à valeur constitutionnelle, au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile, également consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, exclut que de telles mesures puissent être pratiquées dans un lieu affecté à l’habitation du débiteur  par le créancier sans une autorisation donnée par un juge.

La deuxième chambre civile a décidé, en conséquence, qu’à défaut d’une autorisation donnée par le juge de l’exécution en application de l’article R. 121-24 du code des procédures civiles d’exécution, une mesure conservatoire pratiquée dans un lieu affecté à l’habitation du débiteur doit être annulée. 

Cette analyse, qui permet une protection renforcée du domicile du débiteur, trouve son fondement tant dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Décision n° 2019-772 QPC du 5 avril 2019) que dans celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 16 mai 2019, Halabi c. France, requête n°66554/14).

Elle s’impose en dépit de la possibilité, pour le créancier, d’exécuter une mesure conservatoire sans autorisation préalable du juge dès lors qu’il se prévaut d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire, prévue par l’article L. 511-2 du code des procédures civiles d’exécution, et de l’absence de disposition régissant l’entrée dans le lieu d’habitation du débiteur pour exécuter une mesure conservatoire. L’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution, qui est la seule disposition organisant l’entrée dans un domicile et qui prévoit la délivrance préalable d’un commandement de payer ainsi que la justification par l’huissier de justice qu’il détient un titre exécutoire n’est, en effet, manifestement pas applicable aux mesures conservatoires pour lesquelles doit être ménagé un effet de surprise.

Les exigences ainsi posées permettent d’assurer la conciliation entre, d'un côté, le droit au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile découlant de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, de l'autre, le droit à l’exécution des décisions de justice, consacré par l’article 6, §1, de la même Convention. En effet, le créancier peut faire pratiquer une mesure conservatoire dès lors que les conditions légales en sont réunies et que le juge de l’exécution a donné sur simple requête une autorisation pour pénétrer dans le domicile du débiteur.

Enfin, s’agissant de la mise en œuvre de droits et libertés fondamentaux, la solution est immédiatement applicable.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.