Hors-série n°1 - Panorama sur la mise en œuvre des pôles sociaux (De nouvelles règles procédurales)

Lettre de la deuxième chambre civile

  • Responsabilité civile

Extension du recours préalable obligatoire

Depuis le 1er janvier 2019, la réforme généralise (sans l’uniformiser) le recours préalable obligatoire, y compris en matière de handicap, à peine d'irrecevabilité du recours porté devant la juridiction, sauf exceptions visées par la loi : recours dans les contentieux mentionnés au 7° de l’article L. 142-1 du CSS (tarification) et contre les décisions mentionnées aux articles L. 114-17, L. 114-17-1 (pénalités financières),  L. 162-12-16 (sanction financière contre les médecins) et L. 162-34 (litiges portant sur le déconventionnement) du même code. Ne sont pas davantage concernées par le recours préalable obligatoire, même si les textes ne l’énoncent pas expressément, l’opposition à contrainte et les actions en responsabilité civile formées contre un organisme de sécurité sociale. Les conditions de ce recours préalable obligatoire sont fixées par décret en Conseil d’Etat (art. L. 142-4 dans sa rédaction issue de la L. n° 2019-222 du 23 mars 2019 et R. 142-1 et suiv. CSS). Précision notable, les recours préalables sont régis en principe par les dispositions du code des relations du public avec l'administration (art. R. 142-1-A CSS). On rappellera toutefois que si la phase administrative constitue un préalable nécessaire, la 2ème chambre civile juge qu’il appartient à la juridiction saisie de se prononcer sur le fond du litige, peu important les moyens tirés d’une irrégularité de la décision de la commission de recours amiable (2e Civ., 21 juin 2018, pourvoi n°17-27.756, publié au Bulletin).

 

Le recours amiable est adressé soit à la commission de recours amiable (la CRA) de l'organisme social, qui est une émanation de ce dernier, soit à l'autorité compétente pour connaître du recours préalable obligatoire[1].

 

Pour certaines contestations de nature médicale, le recours est porté devant une commission médicale de recours amiable (la CMRA), dont les modalités de saisine et les attributions sont fixées aux articles R. 142-8 à R. 142-8-7 du CSS. Cette commission est composée, en l'état des dernières modifications réglementaires, de deux médecins désignés par le responsable du service médical territorialement compétent : un médecin figurant sur les listes dressées en application de l'article 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 et spécialiste ou compétent pour le litige d'ordre médical considéré, ainsi qu’un praticien-conseil, la voix du premier étant prépondérante en cas d’avis partagé (art. R. 142-8-1 CSS). Depuis sa création, pourtant récente, par le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, entré en vigueur le 1er janvier 2019, le champ d’application de la CMRA n’a cessé d’évoluer. Il est limité, à l’heure actuelle, aux contestations de nature médicale relatives à l'état ou au degré d'invalidité, l'état d'inaptitude au travail, l'état d'incapacité permanente de travail et notamment, au taux de cette incapacité en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, pour les salariés du régime général ou du régime agricole, que ces contestations émanent de l’assuré ou de l’employeur. Il sera étendu, à compter du 1er septembre 2020 (D. n° 2019-1506 du 30 décembre 2019), aux contestations d’ordre médical formées par l’employeur pour  l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole puis, à compter du 1er janvier 2022 (même décret), aux contestations susvisées, mentionnées au 1° de l’article L. 142-1, sans distinction selon qu’elles sont ou non formées par l’employeur.

 

La CMRA établit, pour chaque cas examiné, un rapport comportant son analyse du dossier, ses constatations et ses conclusions motivées. Elle peut désigner un autre praticien dont l’avis ne s’impose pas à elle (art. R. 142-8-4 et R. 142-8-4-1). La CMRA rend, en revanche, un avis qui s'impose à l'organisme de prise en charge. Compte-tenu du secret médical, des dispositions particulières régissent la communication du rapport aux parties (R. 142-8-5). Des dispositions de coordination sont prévues pour les recours qui relèvent tout à la fois de la CRA ordinaire et de la CMRA, l'avis de la seconde s'imposant à la première (art. R. 142-9-1). La CMRA n’est pas compétente pour intervenir dans les litiges d’ordre médical concernant des assurés relevant des régimes spéciaux (art. R. 711-21 CSS).

 

L'absence de réponse dans un délai de deux mois, porté à quatre mois pour la CMRA, vaut rejet implicite. Le demandeur doit  saisir le tribunal dans un délai de deux mois à compter du rejet implicite ou explicite de son recours préalable. La forclusion tirée de l'expiration du délai de recours ne peut être opposée au demandeur ayant contesté une décision implicite de rejet au seul motif de l'absence de saisine du tribunal contestant la décision explicite de rejet intervenue en cours d'instance (art. R. 142-10-1) : il s’agit là d’une simplification bienvenue des règles gouvernant l’exercice des voies de recours. Les textes passent toutefois sous silence la question d’une mauvaise orientation du recours préalable formé par le justiciable et le sort réservé au recours contentieux, lorsque la demande a été examinée par la commission de recours amiable dans sa formation ordinaire, et non par la commission médicale.

 


[1] Ex : les art. R. 241-35 à R. 241-41 du CASF organisent un recours préalable obligatoire à l'encontre des décisions de la CDAPH qui sera examiné par la même commission.

Saisine et procédure applicable devant le tribunal

Le tribunal judiciaire compétent est, en principe, celui dans le ressort duquel demeure le demandeur (art. R. 142-10 CSS). Ce tribunal est saisi par requête, avec un exposé sommaire des motifs (aucune sanction n'est toutefois prévue par les textes si cet exposé fait défaut), accompagné des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l'appui de ses prétentions (art. R. 142-10-1). La formation de jugement peut également être saisie en référé (art. R. 142-1-A II), selon les règles applicables en la matière.

 

Depuis le 1er janvier 2019, sont abrogées les dispositions de l’article R. 144-10 du CSS, aux termes duquel la procédure était gratuite et sans frais, et celles des articles L. 144-5, R. 144-11 et R. 144-10 du même code, qui prévoyaient que les dépenses de contentieux étaient prises en charge par les organismes sociaux. Le tribunal judiciaire comme la cour d'appel spécialement désignés statuent sur les dépens en application des règles de droit commun (art. 696 CPC). La Cour de cassation a récemment jugé qu’en application de l'article 2 du code civil et de l'article 17, III, du décret du 29 octobre 2018, les dispositions de ce texte abrogeant l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale sont d'application immédiate (2e Civ., 12 mai 2021, n° 19-24.411).

 

Le président de la formation peut, par ordonnance motivée, rejeter les requêtes manifestement irrecevables, sans débat contradictoire. Cette ordonnance est susceptible d'appel ou d'un pourvoi en cassation selon les règles gouvernant le taux du ressort. La requête peut être orientée vers un traitement par le juge de la mise en état (art. R. 142-10-5) ou faire l'objet d'une fixation à l'audience. Le choix de procéder à la mise en état pour certains dossiers les soumet à la procédure écrite, avec toutes les conséquences qui en découlent, notamment, quant aux effets de l'ordonnance de clôture. Le président de la formation de jugement, statuant en qualité de juge de la mise en état, peut se prononcer sans débat, après avoir recueilli les observations écrites des parties ou les avoir invitées à présenter leurs observations (art. R. 142-10-5, II).

Les mesures d’instruction dans les litiges d’ordre médical

L’expertise médicale technique, initialement prévue par l’article L. 141-1 du CSS, pour les contestations d’ordre médical relatives à l'état du malade ou à l'état de la victime, et notamment à la date de consolidation en cas d'accident du travail et de maladie professionnelle et celles relatives à leur prise en charge thérapeutique, à l'exclusion des contestations qui relevaient de la compétence de l’ex-TCI, voit son champ d’application peu à peu réduit, jusqu’à sa suppression totale à compter du 1er janvier 2022 (elle est, jusqu’à cette date, régie par les dispositions de l’article R. 141-1 et suivants du CSS, pour la phase administrative, et par l’article R. 142-17-1 du même code, pour la phase juridictionnelle). Cette expertise ne peut être ordonnée que dans les litiges d’ordre médical opposant la caisse à l’assuré. Sa suppression par étapes va de pair avec l’élargissement progressif du champ d’intervention de la CMRA, puisqu’il s’agit, selon le Gouvernement, d'éviter que l'assuré ne  se trouve dans l'obligation de soumettre sa contestation à la fois à cette commission médicale et à la procédure d'expertise, comme c'est le cas actuellement[1]. Contrairement à l'expertise technique qui ne peut être réalisée sur pièces et dont les conclusions, à la condition qu'elles soient claires et précises, lient en quelque sorte le juge, la CMRA peut décider, sans y être tenue, de procéder à l'examen médical de l'assuré (art. R. 142-8-4 CSS) et sa position ne lie pas le juge. Les tribunaux devront se montrer particulièrement vigilants sur la phase transitoire conduisant, par étapes, à la suppression de l’expertise technique (pour une illustration, s’agissant de la détermination du taux d’incapacité d’un ouvrier agricole, victime d’un accident du travail : 2e Civ., 12 mai 2021, n° 19-25.155).

 

On dira un mot de l’expertise technique spécifique, introduite dans l’arsenal législatif du code de la sécurité sociale par l’ordonnance n° 96-345 du 24 avril 1996 et qui peut être mise en œuvre, à la demande du juge, pour les contestations relatives à l’interprétation des nomenclatures d’actes professionnels et d’actes de biologie médicale (art. L. 141-2-1 CSS, dispositions abrogées et reprises, à compter du 1er janvier 2022, sous l’article L. 142-10-2[2]). Les modalités d’exécution de cette expertise, restées très longtemps ignorées du pouvoir réglementaire, sont désormais fixées par l’article R. 142-17-3 du CSS, créé par le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018. 

 

Auparavant réservée au seul contentieux relevant de la compétence du TCI, la consultation clinique ou sur pièces, exécutée à l’audience, est désormais ouverte au juge judiciaire dans tous les litiges d’ordre médical ou afférents au handicap, le consultant étant avisé de sa mission par tout moyen (art. R. 142-16).  En cas d’examen de la personne intéressée, la consultation doit avoir lieu dans des conditions assurant la confidentialité. Le consultant est désigné parmi les experts spécialisés en matière de sécurité sociale figurant sur les listes des experts judiciaires. A défaut, il peut désigner un médecin spécialiste ou compétent pour l’affection considérée (art. R. 142-16-1).  Le coût de cet examen (comme du reste, de toute expertise médicale ordonnée dans le contentieux de la protection sociale) est assumé par la caisse nationale d’assurance maladie (art. L. 142-11 du CSS).

 

Le juge peut toujours recourir à une mesure d’expertise de droit commun dans les conditions fixées par le code de procédure civile. La disparition de l’expertise médicale technique risque d’inciter le juge à recourir plus largement à cette mesure.

 

Des dispositions législatives règlent précisément la question de la transmission des pièces à l’expert ou au médecin consultant pour assurer le respect du secret médical ou du secret professionnel (art. L. 142-10 du CSS).

 

Enfin, les nouveaux textes sont sans incidence sur cette mesure d’expertise individuelle que constitue, pour la reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie, la désignation d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, lorsque la victime déclare une pathologie qui ne remplit pas les conditions médicales ou administratives exigées par les tableaux des maladies professionnelles (art. L. 461-1 CSS). L’office du juge est, à cet égard, défini par l’article R. 142-17-2 (D. n° 2018-928 du 29 octobre 2018[3]).

 


[1] V. amendement n° 1972 présenté par le Gouvernement, PLFSS pour 2020.

[2] Art. 87 - L. n° 2019-1446 du 24 décembre 2019.

[3] Ces dispositions existaient de longue date, soit depuis 1993, dans le code de la sécurité sociale, sous l’article R. 142-24-2, abrogé au 1er janvier 2019.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.