Hors-série n°2 - Juin 2022 - Procédure de l'appel civil (Pour conclure : Si l'on devait retracer à grands traits les lignes directrices de cette jurisprudence)

Lettre de la deuxième chambre civile

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De la présentation commentée des avis et arrêts qui précédent, appréhendés en leur ensemble, se dessinent les traits dominants, les contours, et les articulations essentielles d’une jurisprudence qui, au fil des cinq années embrassées par ce panorama, s’est fixée, précisée, affinée.

Si, bien évidemment, elle est, par construction, tributaire, non sans aléas, des espèces à l’occasion desquelles elle s’affirme, cette jurisprudence n’en revendique pas moins, par-delà son inévitable complexité, une cohérence globale.

La politique juridictionnelle à laquelle elle donne forme, peut et doit être lue, interprétée et comprise en suivant moins un fil conducteur unique que plusieurs lignes directrices qui, croisant leurs trajectoires respectives, ont vocation à l’ordonner et à lui donner sens.

Parce qu’elles façonnent assez largement nos choix et leur évolution, il nous est apparu nécessaire et utile de nous efforcer de les mettre en lumière.

Tout d’abord, la jurisprudence de la deuxième chambre civile sur la procédure d’appel a progressé selon les deux axes principaux qui structurent la réforme, très substantielle, opérée par le décret n° 2017 – 891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile.

Il mérite d’être rappelé que, de la volonté de ses auteurs, telle qu’elle s’exprime, en particulier, dans la circulaire de présentation du directeur des affaires civiles et du sceau du 4 août 2017, le décret dont il s’agit se donnait l’ambition d’apporter une réponse nouvelle aux interrogations qui se faisaient jour sur les modes de régulation de l’appel, prenant en considération les préconisations des praticiens et des groupes de travail en faveur d’une réforme de cette voie de recours ordinaire par l’évolution d’un appel « voie d’achèvement » du litige vers un appel « voie de réformation ».

La circulaire insistait tout particulièrement sur le fait que le décret visait à « imposer un recentrage du procès d’appel, en ce sens qu’il tend par principe à apporter une réponse aux questions soulevées par l’appelant au regard du premier jugement qu’il critique, sans préjudice d’aménagements importants permettant d’éviter une trop forte rigidité » et à cet effet, à préciser la portée de l’effet dévolutif de l’appel. Elle soulignait que la voie de l’appel restait une voie d’achèvement du litige puisque des modifications par rapport à la première instance étaient permises, mais qu’elle s’en trouvait resserrée.

Les articles 542 (« l’appel tend, par une critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel ») et 562 (« l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ») du code de procédure civile traduisent ce changement de paradigme de l’appel, désormais conçu, selon une expression employée par certains commentateurs, comme une voie d’achèvement maîtrisé, en d’autre termes comme une voie de recours qui n’a plus pour finalité de refaire le procès en appel, mais se veut circonscrite à la critique, ciblée, du jugement de première instance.

Par ailleurs, pour s’en tenir à l’essentiel, au regard des développements qui suivent, le décret précité a modifié l’article 954 du code de procédure civile pour y ajouter un alinéa 3 ainsi rédigé : « La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. ». La circulaire du 4 août 2017, mentionnée plus haut, indique à ce sujet que ces dispositions font écho à la préoccupation d’imposer une formalisation accrue des actes de la procédure, en particulier la structuration des écritures, à l’effet de sécuriser le travail du juge mais aussi celui des conseils des parties.

Enfin, ce même décret a, en donnant naissance à l’article 910-4 du code de procédure civile (alinéa 1er : « à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures ») introduit, au sein de la procédure d’appel, une obligation de concentration des prétentions des parties dans leur premier jeu d’écritures.

La jurisprudence de la chambre a, par les avis et arrêts commentés supra, évolué très substantiellement pour prendre en considération et donner leurs pleins effets aux dispositions concernées, dans des conditions fidèles à l’esprit qui avait inspiré la réforme considérée, mais - insistons-y - dans les limites que tracent les exigences découlant de l’article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme.

Cette trajectoire jurisprudentielle s’est déployée, nous l’avons dit, dans deux directions, articulées, qui constituent aussi ses deux principaux champs d’application : l’acte d’appel ; les conclusions.

D’une part, l’acte d’appel, qui fixe l’effet dévolutif de l’appel.

On sait que, tel que modifié par le décret du 6 mai 2017, l’article 901, 4°, du code de procédure civile exige que la déclaration d’appel soit faite « par acte contenant…, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet de l’appel est indivisible ».

La deuxième chambre civile a, d’abord, qualifié la nullité encourue par la déclaration d’appel qui omet de mentionner les chefs du jugement expressément critiqués de nullité de forme, pouvant être régularisée par une nouvelle déclaration d’appel, avant l’expiration du délai de trois mois dont dispose l’appelant pour conclure (Avis de la Cour de cassation, 20 décembre 2017, n° 17-70.034, n° 17-70.035 et 17-70.036, Bull. 2017, Avis n° 12). 

Par ailleurs, dans un deuxième temps, sa jurisprudence a tiré les conséquences de la modification de l’article 562 du code de procédure civile, dans les termes rappelées plus haut, en retenant, au visa de ce texte, que l’absence de mention, dans la déclaration d’appel, des chefs du dispositif du jugement expressément critiqués privait l’appel de tout effet dévolutif (2e Civ., 30 janvier 2020, n° 18-22.528, publié au Bulletin). La sanction est indéniablement sévère, mais on doit garder à l’esprit qu’elle peut être évitée par la régularisation de la déclaration d’appel, intervenant dans les formes et délai, ci-dessus.

D’autre part, les conclusions, qui déterminent l’objet de l’appel, entendu comme sa finalité.

La deuxième chambre civile a, à cet égard, approfondi sa jurisprudence, prise essentiellement sur le fondement de l’article 954 du code de procédure civile, tel que renouvelé assez largement par le décret du 6 mai 2017, dans les termes rappelés plus haut.

Par le passé, par un avis du 21 janvier 2013 (n°12-00.016, Bull. 2013, Avis n°3, publié au Bulletin), la Cour de cassation avait précisé que les conclusions exigées par les articles 908 et 909 du code de procédure civile étaient toutes celles remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes, qui déterminent l’objet du litige ou soulèvent un incident de nature à mettre fin à l’instance.

C’est en s’inscrivant dans ce sillage que, par plusieurs de ses arrêts commentés dans le panorama présenté supra, la deuxième chambre civile a précisé ce que doit être le contenu du dispositif des conclusions.

Celui-ci, comme on l’a vu, doit comprendre, en premier lieu, les prétentions au fond (ainsi de 2e Civ., 4 février 2021, n° 19-23.615, publié au Bulletin) dont on rappellera encore qu’elles sont désormais soumises au principe de concentration affirmé à l’article 910-4 du code de procédure civile, dans les termes reproduits plus haut. 

En second lieu, l’article 542 du code de procédure civile disposant que l’appel tend à la réformation ou à l’annulation par la cour d’appel du jugement qui lui est déféré, le dispositif des conclusions doit également comporter la mention de ce que l’appelant demande l’infirmation ou l’annulation du jugement. 

Cette obligation procédurale a, dans un premier temps, été prescrite par un arrêt du 31 janvier 2019, non publié (2ème Civ., 31 janvier 2019, n° 18-10.983), rendu à propos d’appel soumis au décret n° 2010-1647 du 28 décembre 2010.

Elle a, dans un deuxième temps, été étendue aux appels relevant du décret du 6 mai 2017, c’est-à-dire ceux introduits par une déclaration d’appel intervenue à compter du 1er septembre 2017 (2ème Civ. 17 septembre 2020, pourvoi n°18-23.626, publié au Bulletin). Dans cette affaire, la caducité de l’appel n’étant pas soulevée, la deuxième chambre civile a jugé que la cour d’appel ne pouvait que confirmer le jugement.

Cependant, la règle ainsi affirmée a, par ce même arrêt, fait l’objet d’un différé d’application. Elle ne s’applique, en effet, qu’aux déclarations d’appels postérieures à la date de publication de la décision qui l’instaure, soit le 17 septembre 2020, considération prise de ce que « l’application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l’interprétation nouvelle d’une disposition au regard de la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n’a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d’ appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable ».

Le recours à ce mécanisme original, sinon inédit, du différé d’application dans le temps permet ainsi d’assurer une conciliation équilibrée, proportionnée, entre le but légitime de célérité et de bonne administration de la justice que poursuivent les règles de procédure civile en cause, issues, en particulier, du décret du 6 mai 2017, telles qu’interprétées et affirmées par la jurisprudence de la Cour de cassation, et les exigences de prévisibilité de la norme et de liberté d’accès au juge, découlant du principe du droit à un procès équitable, garanti par l’article 6, §1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. 

Dans un troisième temps, la deuxième chambre civile a jugé que le non-respect de l’obligation procédurale en cause, selon laquelle les conclusions de l’appelant doivent contenir la mention de ce que celui-ci sollicite l’infirmation ou l’annulation du jugement, peut également être sanctionné, en application de l’article 908 du code de procédure civile (pour extrait pertinent : « à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour remettre ses conclusions au greffe »), par la caducité de la déclaration d’appel (2e Civ., 4 novembre 2021, n° 20-15.757, et suivants, publié au Bulletin). Le choix que fixe cette dernière décision est celui de maintenir l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt du 31 janvier 2019, déjà évoqué, à des appels soumis au décret du 6 mai 2017, mais de conférer à cette application un caractère différé dans le temps, en la réservant aux appels introduits à compter du 17 septembre 2020, qui est la date de l’arrêt (2ème Civ., 17 septembre 2020, n° 18-23.626, publié au Bulletin) ayant affirmé pour la première fois la règle en cause, instaurant une charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d’appel.

On en prend ainsi la mesure, la jurisprudence de la deuxième chambre civile, bien loin d’être monolithique, comporte des éléments de souplesse, adaptée, destinés à préserver les strictes exigences procédurales concernées des rigueurs d’un formalisme qui pourrait être regardé comme excessif dans les situations procédurales où elles apparaîtraient disproportionnées aux objectifs poursuivis par les normes en cause.

On peut en donner pour illustrations essentielles, outre les différés d’application dans le temps, objet des développements qui précédent, les aspects suivants.

L’application de la règle, déduite de l'article 562, alinéa 1, du code de procédure civile, selon laquelle, lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, a été écartée dans la procédure d’appel sans représentation obligatoire, considération prise de ce que « un tel degré d'exigence dans les formalités à accomplir par l'appelant constituerait une charge procédurale excessive, dès lors que celui-ci n'est pas tenu d'être représenté par un professionnel du droit. La faculté de régularisation de la déclaration d'appel ne serait pas de nature à y remédier ». Dès lors, en matière de procédure sans représentation obligatoire, la déclaration d'appel qui mentionne que l'appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d'appel, en omettant d'indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s'entendre comme déférant à la connaissance de la cour d'appel l'ensemble des chefs de ce jugement (2ème Civ., 9 septembre 2021, pourvoi n°20-13.662, publié au Bulletin et au Rapport).

De même, les sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 911 du code de procédure civile (instaurant la caducité de la déclaration d’appel) ont, par application de l’article 910-3 du code de procédure civile, vocation à s’effacer en cas de force majeure, celle-ci étant définie, en procédure civile, dans la jurisprudence de la deuxième chambre civile, comme « la circonstance non imputable au fait de la partie et qui revêt pour elle un caractère insurmontable ». (2ème Civ. 25 mars 2021, n°20-10.654, publié au Bulletin). 

De même, encore, les parties disposent-elles de différentes facultés de régularisation prévues par les textes ou dégagées par la jurisprudence. En ce sens : avis du 20 décembre 2020, n°17-70.034, publié au Bulletin, selon lequel « La sanction attachée à la déclaration d’appel formée à compter du 1 septembre 2017 portant comme objet “appel total” ou “ appel général”, sans viser expressément les chefs du jugement critiqués lorsque l’appel ne tend pas à l’annulation du jugement ou que l’objet n’est pas indivisible, est une nullité pour vice de forme au sens de l’article 114 du code de procédure civile. Cette nullité peut être couverte par une nouvelle déclaration d’appel. La régularisation ne peut pas intervenir après l’expiration du délai imparti à l’appelant pour conclure conformément aux articles 910-4, alinéa 1, et 954, alinéa 1, du code de procédure civile ».

Enfin, les erreurs matérielles, notamment de numéro de répertoire du dossier concerné, qui peuvent se glisser dans la communication des documents électroniques par le RPVA, sont considérées comme sans incidence sur la procédure. Ainsi de 2ème Civ., 2 juillet 2020, n°19-14.745, publié au Bulletin, précisant, au visa des articles 748-3, 908 et 930-1 du code de procédure civile et des articles 2, 4, 5 et 8 de l'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel, qu’une cour d’appel est valablement saisie des conclusions de l’appelant, remises au greffe, par l’intermédiaire du RPVA, dans le délai de trois mois suivant la déclaration d’appel, en dépit de l’indication d’un numéro de répertoire erroné.

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