N°22 - Novembre/décembre 2023 (Exécution du contrat de travail)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Exécution du contrat de travail / Rupture du contrat de travail / Syndicats professionnels / Action en justice / QPC).

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Inclusion de l’indemnité de congés payés dans la rémunération forfaitaire

Soc., 29 novembre 2023, pourvoi n° 22-10.494, FS-B

Sommaire

S'il est possible d'inclure l'indemnité de congés payés dans la rémunération forfaitaire lorsque des conditions particulières le justifient, cette inclusion doit résulter d'une clause contractuelle transparente et compréhensible, ce qui suppose que soit clairement distinguée la part de rémunération qui correspond au travail, de celle qui correspond aux congés, et que soit précisée l'imputation de ces sommes sur un congé déterminé, devant être effectivement pris.

Fait l'exacte application de la loi, la cour d'appel qui, ayant constaté que la rémunération contractuelle se bornait à mentionner que la rémunération horaire incluait les congés payés, sans que soit distinguée la part de rémunération qui correspond au travail, de celle qui correspond aux congés, a décidé que cette clause n'était ni transparente ni compréhensible et ne pouvait être opposée à la salariée. La rémunération versée pendant les périodes de congés payés et de fermeture du cabinet correspondant non à l'indemnité de congé, mais, en raison du lissage annuel, au paiement des heures de travail, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que la salariée pouvait prétendre à un rappel de salaire au titre des congés payés et de la période de fermeture de l'établissement excédant les cinq semaines de congés légaux, peu important que cette rémunération soit supérieure aux minima légal et conventionnel.

Commentaire

Dans cette affaire, la salariée était engagée pour un temps partiel de 30 heures hebdomadaires. Le cabinet médical dans lequel elle travaillait étant fermé pendant douze semaines, son salaire avait été calculé sur l’année pour 1200 heures, et ensuite lissé sur l’année, la salariée percevant chaque mois l’équivalent de 100 heures de travail et non de 120. Il était prévu que la rémunération horaire incluait les congés payés.

La salariée avait saisi la juridiction prud’homale afin notamment de critiquer l’imprécision de la clause prévoyant l’inclusion des congés payés au taux horaire et d’obtenir des rappels de salaire à ce titre. La cour d’appel a fait droit à la demande de la salariée en considérant que la clause n’était pas transparente et compréhensible et qu’elle lui était inopposable.

Le pourvoi de l’employeur, articulé autour d’un moyen unique en trois branches, suggérait à la Chambre sociale de la Cour de cassation de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne afin de déterminer si la seule référence à un taux horaire « congés inclus » dans la formule de calcul d’une rémunération mensuelle fixe et donc payable durant les douze mois de l'année, y compris pendant les périodes de congés, le contrat prévoyant par ailleurs douze semaines de congés pour le salarié concerné, contrevenait à l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. Dans la mesure où la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne est clairement fixée (CJCE, 16 mars 2006, Robinson Steele, C-131/04), il n’y avait pas de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, rédigé dans les mêmes termes que l'article 7 de la directive 93/104/CE, de sorte que la demande de question préjudicielle a été rejetée.

La Chambre sociale de la Cour de cassation a ensuite repris sa jurisprudence antérieure, selon laquelle s'il est possible d'inclure l'indemnité de congés payés dans la rémunération forfaitaire lorsque des conditions particulières le justifient, cette inclusion doit résulter d'une clause contractuelle transparente et compréhensible, ce qui suppose que soit clairement distinguée la part de rémunération qui correspond au travail, de celle qui correspond aux congés, et que soit précisée l'imputation de ces sommes sur un congé déterminé, devant être effectivement pris (Soc., 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-14.070, Bull. 2013, V, n° 272 ; Soc., 13 octobre 2021, pourvoi n° 19-19.407, publié). En l’espèce elle précise que le maintien de la rémunération pendant la période de congé, qui résulte en réalité du lissage de la rémunération sur l’année, ne permet pas d’admettre la validité de la clause incluant forfaitairement l’indemnité de congé payé dans le salaire. De même, le fait que la rémunération versée soit supérieure aux minima conventionnels n’a aucune incidence sur la solution du litige, l’indemnité de congé payé devant être calculée sur la base de la rémunération versée en contrepartie ou à l’occasion du travail (Soc., 7 septembre 2017, pourvoi n° 16-16.643, Bull. 2017, V, n° 126 ; Soc., 13 septembre 2023, pourvoi n° 22-11.106 et n° 22-10.529, publié).

Procédure d’insolvabilité et transferts d’entreprise

Soc., 20 décembre 2023, pourvoi n° 21-18.146, FS-B

Sommaire

1) Aux termes de l'article 10 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité, les effets de la procédure d'insolvabilité sur un contrat de travail et sur le rapport de travail sont régis exclusivement par la loi de l'État membre applicable au contrat de travail.

L'action fondée sur l'article L. 1224-1 du code du travail, qui a pour objet la poursuite des contrats de travail des salariés, ne requiert pas l'ouverture préalable d'une procédure d'insolvabilité ni l'intervention d'un syndic au sens du règlement (CE) n° 1346/2000 et ne tend pas au remboursement partiel des créanciers, de sorte qu'elle ne dérive pas directement d'une procédure d'insolvabilité.

C'est dès lors à bon droit qu'une cour d'appel a retenu que le litige relatif à la rupture du contrat de travail pour être intervenue en violation de l'article L. 1224-1 du code du travail ne relevait pas de la procédure d'insolvabilité ouverte sur le territoire italien, mais était régi par la loi de l'Etat membre applicable aux contrats de travail et en a déduit, après avoir relevé que la loi française était la loi applicable aux contrats de travail des salariés, que les conditions d'un éventuel transfert de ces contrats de travail devaient être examinées au regard de la loi française.

2) D'abord aux termes de l'article 3, § 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements, les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.

Selon l'article 4, § 1, de cette directive, le transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'entreprise ou d'établissement ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire.

Aux termes de l'article 5, § 1, de la même directive, sauf si les États membres en disposent autrement, les articles 3 et 4 ne s'appliquent pas au transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'entreprise ou d'établissement lorsque le cédant fait l'objet d'une procédure de faillite ou d'une procédure d'insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d'une autorité publique compétente.

Ensuite, aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

L'article L.1224-2 du même code précise que le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, sauf notamment en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.

Il en résulte, d'une part, que l'article L.1224-1, sous la réserve des dispositions prévues à l'article L. 1224-2 du même code, s'applique au transfert d'une entité économique autonome intervenant à l'occasion d'une procédure collective et, d'autre part, que le fait qu'une cession ordonnée à l'occasion d'une procédure collective ne concerne que certains des actifs de la société liquidée n'est pas de nature à faire échec à son application.

Commentaire

Le pourvoi pose deux questions inédites sur la loi applicable et le transfert légal de salariés travaillant en France pour une compagnie aérienne italienne de dimension internationale, au regard du droit de l'Union, dans le contexte d'une procédure d'insolvabilité avec cession d'une partie des actifs au repreneur.

1) Seules les actions qui dérivent directement d'une procédure d'insolvabilité et qui s'y insèrent étroitement entrent dans le champ d'application du règlement (CE) n° 1346/2000 du conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité (CJUE, arrêt du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C-641/16, point 19).

La Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que les litiges, nés dans un contexte de procédure d'insolvabilité, relatifs à la rupture du contrat de travail du salarié et aux créances salariales durant la relation de travail (Soc., 28 octobre 2015, pourvoi n°14-21.319, Bull. 2015, V, n° 213) ou au transfert du contrat de travail d'un salarié fondé sur l'article L. 1224-1 du code du travail (Soc., 8 décembre 2021, pourvoi n° 20-13.905, publié) ne relevaient pas de la procédure d'insolvabilité et que la compétence juridictionnelle pour connaître de ces litiges devait être déterminée par le droit commun en application de l'article 19 du règlement (CE) n° 44/2001 du conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et non des dispositions du règlement (CE) n° 1346/2000 relatif aux procédures d'insolvabilité.

La Chambre sociale de la Cour de cassation applique pour la première fois cette solution, élaborée pour la détermination de la juridiction compétente, à la détermination de la loi applicable pour connaître des demandes des salariés fondées sur l'article L. 1224-1 du code du travail, dont le contrat de travail s'exécutait en France, dans le contexte d'une procédure d'insolvabilité, ouverte sur le territoire italien. Elle juge ainsi que l'action fondée sur cette disposition est régie par la loi de l'Etat membre applicable aux contrats de travail, et non celle applicable à la procédure d'insolvabilité.

2) L'article 5.1 de la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001, dite « transfert », prévoit que la protection des travailleurs en cas de transfert d'entreprise est inapplicable lorsque le cédant fait l'objet d'une procédure de faillite ou d'insolvabilité, « sauf si les Etats membres en disposent autrement ». Tel est le cas de l'article L. 1224-1 du code du travail qui énonce une dérogation à cette disposition en prévoyant, de façon générale et sans aucune exception, la subsistance des contrats de travail en cours en cas de transfert d'une entité économique autonome. La seule limite en droit national est celle posée par l'article L. 1224-2 portant sur les obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, dont le nouvel employeur n'est pas tenu en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.

Conformément à la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation (Soc., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-43.092 et Soc., 14 octobre 2020, pourvoi n° 18-24.311), le fait que la cession ne concerne que certains des actifs de la société liquidée n'est pas un obstacle à l'application des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail, le critère déterminant étant celui de savoir si les actifs ainsi cédés caractérisent ou non une entité économique autonome.

Cet arrêt est intéressant, notamment eu égard au premier moyen, en raison de la distinction entre ce qui relève du contrat de travail et ce qui relève de la procédure d'insolvabilité. En effet, de nombreux salariés travaillant pour des groupes internationaux sont susceptibles d’être intéressés par des questions similaires de transfert d’entreprise dans un contexte de procédures d'insolvabilité.

L’arrêt est cité dans le podcast « La Sociale Le Mag » n° 24, février 2024, Décryptage.

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