N°20 - Mai/Juillet 2023 (Exécution du contrat de travail)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Formation du contrat de travail / Exécution du contrat de travail / Rupture du contrat de travail / Représentation du personnel / Action en justice / QPC).

  • Travail
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  • contrat de travail, rupture
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  • rupture négociée du contrat de travail (transaction et rupture d'un commun accord)
  • représentation des salariés
  • institutions représentatives du personnel (comité d'entreprise/délégué du personnel...)
  • statut des salariés protégés
  • preuve
  • prud'hommes

Lettre de la chambre sociale

N°20 - Mai/Juillet 2023 (Exécution du contrat de travail)

Rémunération

Validité d’une prime d’arrivée ayant pour objet la fidélisation du salarié et subordonnée à une condition de présence de celui-ci dans l’entreprise

Soc., 11 mai 2023, pourvoi n° 21-25.136, FS-B

Sommaire :

Il résulte des articles L. 1121-1 et L. 1221-1 du code du travail, et 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu'une clause convenue entre les parties, dont l'objet est de fidéliser le salarié dont l'employeur souhaite s'assurer la collaboration dans la durée, peut, sans porter une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté du travail, subordonner l'acquisition de l'intégralité d'une prime d'arrivée, indépendante de la rémunération de l'activité du salarié, à une condition de présence de ce dernier dans l'entreprise pendant une certaine durée après son versement et prévoir le remboursement de la prime au prorata du temps que le salarié, en raison de sa démission, n'aura pas passé dans l'entreprise avant l'échéance prévue.

Dès lors, viole ces textes la cour d'appel qui, pour débouter l'employeur de sa demande tendant au remboursement de la prime d'arrivée au prorata, retient que l'employeur ne pouvait valablement subordonner l'octroi définitif de la prime initiale versée au salarié à la condition que ce dernier ne démissionne pas, et ce, à une date postérieure à son versement, dès lors que cette condition, qui avait pour effet de fixer un coût à la démission, portait atteinte à la liberté de travailler du salarié.

 

Commentaire :

La chambre sociale juge que si l’employeur peut assortir la prime qu’il institue de conditions, encore faut-il que celles-ci ne portent pas atteinte aux libertés et droits fondamentaux du salarié. C’est ainsi qu’elle a invalidé une prime de fin d’année subordonnée à la condition de présence du salarié au 30 juin suivant, faute de quoi elle devait être remboursée intégralement (Soc., 18 avril 2000, pourvoi n° 97-44.235, publié). La condition imposant le remboursement intégral alors que la prime avait été payée et que la période concernée était écoulée avait été regardée comme portant atteinte aux libertés et droits fondamentaux du salarié et constituant une sanction pécuniaire illicite.

En l’espèce, la chambre sociale valide une clause contractuelle prévoyant une prime d’arrivée versée au salarié dans les trente jours de son entrée en fonction, qui lui était acquise s’il restait dans l’entreprise pendant une durée de trois ans et qui était remboursable notamment en cas de démission avant l’échéance de cette durée. Contrairement à l’affaire jugée le 18 avril 2000 (Soc., 18 avril 2000, pourvoi n° 97-44.235, publié), cette prime d’arrivée n’était remboursable qu’au prorata du temps passé dans l’entreprise. Cette proportionnalité du remboursement a permis de considérer qu’il n’y avait pas d’atteinte aux libertés et droits fondamentaux du salarié.

Le présent arrêt est l’occasion de rappeler les critères de l’article L. 1121-1 du code du travail, en retenant que la clause litigieuse ne porte pas une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté du travail, au regard du but recherché par l’employeur, qui consiste en la fidélisation du salarié.

Durée du travail

La coïncidence entre les jours de repos, non travaillés du fait de la répartition des 35 heures sur quatre jours, et des jours fériés n’ouvre pas droit à repos supplémentaire ou à indemnisation

Soc., 10 mai 2023, pourvoi n° 21-24.036, FS-B

Sommaire :

Les jours non travaillés, issus de la répartition de la durée de travail de trente-cinq heures sur quatre jours de la semaine, constituent des jours de repos qui n'ont pas vocation à compenser des heures de travail effectuées au-delà de la durée légale ou conventionnelle, de sorte que la coïncidence entre ces jours et des jours fériés n'ouvre droit ni à repos supplémentaire ni à indemnité compensatrice.

 

Commentaire :

La question se posait ici de savoir si des jours non travaillés, coïncidant avec des jours fériés, s’analysaient en jours de repos ou en jours de réduction du temps de travail. Or, même si ces jours ont été fixés en application d’un accord collectif relatif à la réduction du temps de travail, ils résultaient de la répartition de la durée de travail de trente-cinq heures sur certains jours de la semaine. Les jours non travaillés résultant de cette répartition, qui n’avaient pas pour objet de compenser un dépassement de la durée légale ou conventionnelle de travail ne constituaient donc pas des jours de réduction du temps de travail, de sorte qu’il s’agissait bien de simples jours de repos ne pouvant, en l’absence de dispositions conventionnelles en ce sens, ouvrir droit à récupération ou à indemnisation en cas de coïncidence avec un jour férié.

En conséquence, la chambre sociale, interprétant les dispositions d’un accord d’entreprise relatif à la réduction du temps de travail, prévoyant une durée du travail hebdomadaire de trente-cinq heures sur quatre jours, juge que les trois jours restants sont uniquement des jours de repos et non des jours de réduction du temps de travail.

Elle censure ainsi les motifs de la cour d’appel qui a accueilli la demande du salarié tendant au bénéfice de repos supplémentaires, à défaut d’une indemnité compensatrice, pour des jours non travaillés, autres que le dimanche, coïncidant avec des jours fériés, sans même vérifier la nature exacte des jours concernés.

 

 

Durée maximale de travail quotidienne : dépassement et droit à réparation

Soc., 11 mai 2023, pourvoi n° 21-22.281, FS-B

Sommaire :

Le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail quotidienne ouvre droit à la réparation.

 

Commentaire :

Cet arrêt se situe dans la logique de l'arrêt par lequel la chambre sociale a décidé que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail, en l’occurrence hebdomadaire, ouvrait droit à réparation (Soc., 26 janvier 2022, pourvoi n° 20-21.636, publié).

La chambre sociale adopte ici la même solution s'agissant du dépassement de la durée maximale quotidienne de travail, qui trouve sa source exclusivement en droit interne (l'article L. 3121-34 du code du travail).

L'obligation de l'employeur participe en effet du même objectif de garantie de la sécurité et de la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant et du respect effectif des limitations de durées maximales de travail concrétisé par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Dès lors, le même régime de responsabilité doit être appliqué en cas de manquement de l’employeur à ses obligations.

 

 

Illicéité de la convention de forfait annuelle en heures et qualité de cadre dirigeant

Soc., 11 mai 2023, pourvoi n° 21-25.522, F-B

Sommaire :

La conclusion d'une convention de forfait annuelle en heures, ultérieurement déclarée illicite ou privée d'effet, ne permet pas à l'employeur de soutenir que le salarié relevait de la catégorie des cadres dirigeants.

 

Commentaire :

La chambre sociale a posé pour règle que la conclusion d’une convention de forfait en jours, ultérieurement déclarée illicite, ne permet pas à l’employeur de soutenir que le salarié relevait de la catégorie des cadres dirigeants (Soc., 7 septembre 2017, pourvoi n° 15-24.725, Bull. 2017, V, n° 132). En effet, les contraintes d’une convention en de forfait en jours sont incompatibles avec la qualité de cadre dirigeant, qui doit jouir d’une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps. Naturellement, la solution s’impose en cas de conclusion d’une convention de forfait en heures dont l’organisation est exclusive de cette indépendance dans l’organisation de l’emploi du temps.

 

 

Temps de travail effectif et temps de trajet entre deux sites

Soc., 7 juin 2023, pourvoi n° 21-22.445, FS-B

Sommaire :

Aux termes de l'article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Ne donne pas de base légale au regard de ce texte la cour d'appel qui, pour condamner l'employeur au paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, retient que doivent être assimilés à un temps de travail effectif les temps de trajets effectués par le salarié entre deux lieux de travail successifs différents dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile, nécessité par l'organisation du travail selon des plannings d'interventions déterminés par l'employeur, alors qu'elle constatait que le salarié ne visitait qu'une concession par jour et sans vérifier si les temps de trajets effectués par le salarié pour se rendre à l'hôtel pour y dormir, et en repartir, constituaient, non pas des temps de trajets entre deux lieux de travail, mais de simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif, ni caractériser que, pendant ces temps de déplacement en semaine, et en particulier pendant ses temps de trajets pour se rendre à l'hôtel afin d'y dormir, et en repartir, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l'employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

 

Commentaire :

Au cas précis, le salarié, qui exerçait les fonctions d'enquêteur mystère, avait pour mission de se rendre dans des concessions automobiles sur le territoire national afin de tester leurs services.

Il avait saisi la juridiction prud'homale afin de solliciter le paiement d'heures supplémentaires, incluant les temps de trajet effectués pour rejoindre ses différents lieux de travail.

Par cet arrêt, la chambre sociale censure la décision de la cour d'appel qui n'avait pas analysé de manière concrète si les temps de trajet entre deux sites clients intégrant le trajet site client-hôtel et vice versa étaient des temps de travail effectif et répondaient à la définition posée par l’article L 3121-1 du code du travail, c’est-à-dire si, pendant ces temps, le salarié était à la disposition de son employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Cette décision s'inscrit dans la continuité d'un précédent arrêt du 23 novembre 2022 (Soc., 23 novembre 2022, pourvoi n° 20-21.924, publié) qui s'est prononcé sur le temps de déplacement entre le domicile du salarié et les premier et dernier sites clients.

 

 

Temps de travail effectif et temps de parcours du salarié entre l’entrée du site et la pointeuse

Soc., 7 juin 2023, pourvoi n° 21-12.841, FS-B

Sommaire :

Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui se détermine par des motifs inopérants tirés de ce que le règlement intérieur était imposé par le propriétaire du site de la centrale nucléaire, sans rechercher si, du fait des sujétions qui lui étaient imposées à peine de sanction disciplinaire, sur le parcours, dont la durée était estimée à quinze minutes, entre le poste de sécurité à l'entrée du site de la centrale et les bureaux où se trouvaient les pointeuses, le salarié était à la disposition de l'employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

 

Commentaire :

Dans la présente affaire, le salarié sollicitait le paiement des temps de trajet entre le poste principal du site de la centrale nucléaire, dans laquelle il travaillait, et son bureau. Il faisait valoir que ce temps de trajet constituait un temps de travail effectif puisqu’il devait respecter un règlement intérieur régissant la circulation à l’intérieur du site de la centrale.

La cour d’appel, se fondant sur le fait que le règlement intérieur était imposé à l’employeur du salarié par la société propriétaire du site et qu’avant d’atteindre les bureaux de son employeur dans lesquels se trouvaient les pointeuses, le salarié n’était pas à la disposition de son employeur et pouvait vaquer à des occupations personnelles, a retenu que les temps de trajet ne pouvaient pas être considérés comme du temps de travail effectif.

Par cette décision, la chambre sociale censure la décision de la cour d’appel pour un grief de manque de base légale. Les motifs tirés de ce que l’employeur n’était pas à l’origine du règlement intérieur susceptible d’imposer des contraintes à la salariée, ont été regardés comme inopérants. Comme dans l’affaire précédente, il appartenait aux juges du fond de vérifier si, pendant ces temps de trajet entre l’entrée du site et la pointeuse, le salarié était à la disposition de son employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles. Précisons que la Cour de cassation n’opère pas de  revirement de jurisprudence par rapport à ce qu’elle a pu juger dans des arrêts antérieurs du 13 janvier 2009 (Soc., 13 janvier 2009, pourvoi n° 07-40.638), du 4 novembre 2009, (Soc., 4 novembre 2009, pourvoi n° 07-44.690) concernant des salariés de l’entreprise Eurodisney), ou encore du 9 mai 2019 (Soc., 9 mai 2019, pourvoi n° 17-20.740, publié) concernant des salariés d’une société d’avitaillage aéroportuaire.

La chambre sociale prend toutefois en compte l’évolution de la jurisprudence sur les temps d’astreinte (Soc., 26 octobre 2022, pourvoi n° 21-14.178, publié), et sur les temps de déplacement professionnel (Soc., 23 novembre 2022, pourvoi n° 20-21.924, publié), rappelant que ce n’est que par une analyse concrète des sujétions ou des contraintes exercées sur le salarié du fait de l’employeur que l’on peut déterminer si le temps litigieux constitue ou non du temps de travail effectif.

 

 

Convention de forfait en jours : suffisance des garanties de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment

Soc., 5 juillet 2023, pourvoi n° 21-23.294, FS-B

Sommaire :

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Il résulte des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

L'article 4.2.9 de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006, dans sa version issue de l'avenant n°3 étendu du 11 décembre 2012, qui prévoit notamment que l'organisation du travail des salariés soumis à une convention de forfait en jours fait l'objet d'un suivi régulier par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et au respect des durées minimales de repos, qu'un document individuel de suivi des journées et demi-journées  travaillées, des jours de repos et jours de congés (en précisant la qualification du repos : hebdomadaire, congés payés, etc.) est tenu par l'employeur ou par le salarié sous  la responsabilité de l'employeur, que ce document individuel de suivi permet un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos afin de favoriser la prise de l'ensemble des jours de repos dans le courant de l'exercice et que la situation du salarié sera examinée lors d'un entretien au moins annuel avec son supérieur hiérarchique,  qui portera sur la charge de travail du salarié, l'amplitude de ses journées d'activité, qui doivent rester dans des limites raisonnables, l'organisation du travail dans l'entreprise,  l'articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié, en ce qu'il  impose à l'employeur de veiller au risque de surcharge de travail du salarié et d'y remédier, répond aux exigences relatives au droit à la santé et au repos et assure ainsi le contrôle de la durée raisonnable de travail ainsi que des  repos, journaliers et hebdomadaires. 

 

Commentaire :

Par cet arrêt, la chambre sociale était invitée à se prononcer sur les dispositions de l’article 4.2.9 de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006, dans sa version issue de l'avenant n°3 étendu du 11 décembre 2012 relatives aux conventions de forfait en jours.

La question posée était de savoir si les dispositions prévues par ce texte permettaient de garantir que l’amplitude et la charge de travail restaient raisonnables, d’assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours et si elles étaient de nature à assurer la protection de leur santé et de leur sécurité.

La chambre sociale juge que ces dispositions qui, notamment, contiennent un système individuel de contrôle du temps de travail sous la responsabilité de l’employeur, au travers de l’établissement d’un document récapitulatif des jours de travail et des temps de repos, et prévoient au moins un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique, sont suffisantes pour assurer le respect des exigences relatives au droit à la santé et au repos.

 

 

Convention de forfait en jours : insuffisance des garanties de la convention collective du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes

Soc., 5 juillet 2023, pourvoi n° 21-23.222, FS-B

Sommaire :

Les dispositions des articles 1.09 f et 4.06 de la convention collective du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981, étendue par arrêté du 30 octobre 1981, dans leur rédaction issue de l'avenant du 3 juillet 2014, qui se bornent à prévoir que la charge quotidienne de travail doit être répartie dans le temps de façon à assurer la compatibilité des responsabilités professionnelles avec la vie personnelle du salarié, que les entreprises sont tenues d'assurer un suivi individuel régulier des salariés concernés et sont invitées à mettre en place des indicateurs appropriés de la charge de travail, que compte tenu de la spécificité du dispositif des conventions de forfait en jours, le respect des dispositions contractuelles et légales sera assuré au moyen d'un système déclaratif, chaque salarié en forfait jours devant renseigner le document de suivi du forfait mis à sa disposition à cet effet, que ce document de suivi du forfait fait apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours non travaillés et rappelle la nécessité de respecter une amplitude et une charge de travail raisonnables, que le salarié bénéficie, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique dont l'objectif est notamment de vérifier l'adéquation de la charge de travail au nombre de jours prévu par la convention de forfait et de mettre en œuvre les actions correctives en cas d'inadéquation avérée, en ce qu'elles ne permettent pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié.

 

Commentaire :

La chambre sociale, qui avait déjà invalidé les dispositions de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l’automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 14 janvier 1981 relatives aux conventions de forfait en jours (Soc., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-15.064, publié ; Soc., 7 mars 2018, pourvoi n° 17-11.357), se prononce ici pour la première fois sur les dispositions de la même convention modifiées par l’avenant du 3 juillet 2014.

Elle décide que ces dispositions nouvelles ne sont pas plus conformes que ne l’étaient les dispositions conventionnelles initiales, en ce qu’elles reposent sur un système déclaratif reposant sur le salarié, que l’instrument de contrôle qu’elles prévoient ne contient aucun renseignement sur les amplitudes de travail, sur la charge de travail, sur sa répartition tout au long de l’année, ainsi que sur les durées de travail en découlant, et que le contrôle opéré par l’employeur ne traduit aucune possibilité concrète d’intervenir en temps utile en tant que de besoin.

Elle censure, dès lors, l’arrêt qui, pour débouter le salarié de sa demande tendant à voir sa convention individuelle de forfait en jours privée d’effet, a jugé le contraire.

 

 

Convention de forfait en jours : insuffisance des garanties de la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire

Soc., 5 juillet 2023, pourvoi n° 21-23.387, FS-B

Sommaire :

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Il résulte des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

L'article 2.8.3. de l'accord du 11 avril 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail, attaché à la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999, qui se borne à prévoir que l'employeur est tenu de mettre en place des modalités de contrôle du nombre des journées ou demi-journées travaillées par l'établissement d'un document récapitulatif faisant en outre apparaître la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de réduction du temps de travail, ce document pouvant être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur, et que les cadres concernés par un forfait jours bénéficient chaque année d'un entretien avec leur supérieur hiérarchique, au cours duquel il sera évoqué l'organisation du travail, l'amplitude des journées d'activité et de la charge de travail en résultant, sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n'est pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé.

 

Commentaire :

Par cet arrêt, la chambre sociale statue pour la première fois sur la validité des dispositions, relatives au forfait en jours, de la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999.

Elle décide que ces dispositions qui, notamment, contiennent un système de contrôle du temps de travail reposant exclusivement sur le salarié, au travers de l’établissement d’un document récapitulatif des jours de travail et des temps de repos, et ne prévoient qu’un entretien annuel sans mécanisme associé d’ajustement, en temps utile, de la charge de travail, ne sont pas suffisantes pour assurer le respect des exigences relatives au droit à la santé et au repos. Là encore, l’absence de tout dispositif permettant à l’employeur de déceler une charge de travail excessive et d’intervenir en temps utile pour y remédier prive l’accord collectif d’efficacité.

 

 

La mise en place d’un système fiable de contrôle de la durée du travail est une composante de l’obligation de sécurité de l’employeur

Soc., 5 juillet 2023, pourvoi n° 21-24.122, FS-B

Sommaire :

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’afin d’assurer l’effet utile des droits prévus par la directive 2003/88 et du droit fondamental consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, les Etats membres doivent imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.

Prive sa décision de base légale la cour d’appel qui, pour écarter tout manquement de l’employeur, relève que les salariés peuvent procéder par eux-mêmes aux déclaration d’heures supplémentaires et que des négociations collectives avaient été ouvertes, alors que de tels motifs ne sont pas de nature à caractériser que l’employeur avait satisfait à son obligation de contrôle de la durée du travail, d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs en matière de durée du travail.

 

Commentaire :

La chambre sociale affirme, pour la première fois, que l’obligation pesant sur l’employeur de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de contrôler la durée du travail des salariés est une composante de son obligation de sécurité. Elle fait ainsi application en droit interne de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui a jugé que. l'instauration d'un tel système relevait de l'obligation générale, pour les Etats membres et les employeurs, prévue à l'article 4, paragraphe 1, et à l'article 6, paragraphe 1, de la directive 89/391, de mettre en place une organisation et les moyens nécessaires pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs et pour permettre aux représentants des travailleurs, ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, d'exercer leur droit, prévu par l'article 11, paragraphe 3, de cette dernière directive (CJUE, 14 mai 2019,   14 mai 2019, Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO), C- 55/18, points 60 et 62).

Sans dicter à l’employeur la façon de procéder, qui relève de son pouvoir de direction ou de la négociation collective, la chambre sociale censure ici la cour d’appel qui, pour débouter le comité social et économique ainsi que deux syndicats de leurs demandes tendant à la mise en place d’un tel système, s’est fondée sur des motifs inopérants, tenant à la faculté ouverte aux salariés de procéder par eux-mêmes aux déclarations d’heures supplémentaires et au fait que des négociations collectives étaient en cours sur le sujet. En effet, l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur lui imposait de mettre en place un tel système, quitte à ce qu’une modification intervienne en fonction du résultat de la négociation collective.

L’arrêt est cité dans le podcast « La Sociale, le Mag’ » n°19, septembre 2023, Actualités.

Inaptitude

Inaptitude : le médecin du travail peut la constater à l'occasion d'un examen réalisé à la demande du salarié, même si l'examen médical a lieu pendant la suspension du contrat de travail

Soc., 24 mai 2023, pourvoi n° 22-10.517, FS-B

Sommaire :

Il résulte de la combinaison des articles L. 4624-4 et R. 4624-34 du code du travail, le second dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016, que le médecin du travail peut constater l'inaptitude d'un salarié à son poste à l'occasion d'un examen réalisé à la demande de celui-ci sur le fondement de ce second texte, peu important que l'examen médical ait lieu pendant la suspension du contrat de travail.

 

Commentaire :

La chambre sociale s’inspire de la solution retenue sous l’empire des dispositions antérieures à loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 selon laquelle ces textes n'imposaient pas que la constatation de l'inaptitude soit faite lors d'un examen médical de reprise consécutif à une suspension du contrat de travail, le médecin du travail pouvant la constater après tout examen médical réalisé en cours d’exécution du contrat de travail, sous réserve que l’inaptitude soit constatée après les deux examens médicaux prévus par ce texte (Soc., 8 avril 2010, pourvoi n° 09-40.975, publié ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-16.549, publié ; Soc., 20 février 2019, pourvoi n° 15-18.431 ; Soc., 3 février 2021, pourvoi n° 19-24.933).

Se prononçant dans le cas d’une inaptitude constatée au cours d’un arrêt de travail après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, la chambre sociale confirme la décorrélation entre la constatation de l’inaptitude et l’examen de reprise prévu par l’article R. 4624-31 du code du travail dans sa rédaction issue du décret n°2016-1908 du 27 décembre 2016.

 

 

Inaptitude : périmètre de reclassement et notion de groupe

Soc., 5 juillet 2023, pourvoi n° 22-10.158, FS-B

Sommaire n° 1 :

Selon l'article L. 1226-2, alinéa 2, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, la notion de groupe au sens du premier alinéa désigne une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle, dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Selon l'article L. 233-16 du code de commerce, les sociétés commerciales établissent et publient chaque année des comptes consolidés dès lors qu'elles contrôlent de manière exclusive ou conjointe une ou plusieurs autres entreprises.

Il résulte de la combinaison des articles L. 233-17-2 et L. 233-18 du code de commerce que sont comprises dans les comptes consolidés, par mise en équivalence, les entreprises sur lesquelles l'entreprise dominante exerce une influence notable, laquelle n'est pas constitutive d'un contrôle au sens des articles L. 233-1, L. 233-3 I et II ou L. 233-16 du code de commerce.

Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui, pour retenir l'existence d'un groupe de reclassement, se borne à constater que la société dont l'appartenance au groupe est contestée fait partie du groupe au titre des sociétés consolidées par mise en équivalence et qu'elle fait partie des filiales du groupe avec une participation de 48,66 %, sans constater que les conditions du contrôle au sens des articles L. 233-1, L. 233-3 I et II ou L. 233-16 du code de commerce sont réunies.

 

Sommaire n° 2 :

Il résulte de l'article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, que le périmètre du groupe à prendre en considération au titre de la recherche de reclassement d'un salarié déclaré inapte par le médecin du travail est l'ensemble des entreprises, situées sur le territoire national, appartenant à un groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel qui, pour retenir qu'une société appartient au groupe de reclassement, relève qu'elle est sous le contrôle notable de la société employeur, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation de ces deux sociétés assuraient la permutation de tout ou partie du personnel.

 

Commentaire :

Le pourvoi posait la question de la caractérisation du groupe de reclassement, dans sa définition issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 ayant modifié l'article L. 1226-2 du code du travail relatif à l'inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel.

Par le présent arrêt, la chambre sociale précise la méthode à suivre en la matière :

- d'abord, les juges du fond doivent caractériser l'existence d'une des conditions auxquelles les articles L. 233-1, L. 233-3 I et II et L. 233-16 du code de commerce subordonnent la reconnaissance d'un groupe. En l’espèce, la chambre sociale décide que la technique de consolidation des comptes par équivalence renvoie à la seule influence notable d’une société sur une autre, à l’exclusion de toute forme de contrôle ou domination, et ne saurait caractériser l’existence d’un groupe au sens du droit commercial (sommaire n° 1) ;

- ensuite, ils doivent vérifier la condition de la permutation du personnel entre la société employeur et les autres sociétés du groupe, si elle est contestée (sommaire n° 2).

Transfert d’entreprises

L’entité économique autonome peut résulter de deux parties d’entreprises distinctes d’un même groupe

Soc., 28 juin 2023, pourvoi n° 22-14.834, FS-B

Sommaire :

L'existence d'une entité économique autonome, au sens de l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la Directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, est indépendante des règles d'organisation, de fonctionnement et de gestion du service exerçant une activité économique, en sorte qu'une telle entité économique autonome peut résulter de deux parties d'entreprises distinctes d'un même groupe.

 

Commentaire :

Le pourvoi posait la question, inédite, de savoir si une entité économique autonome au sens de l'article L. 1224-1 du code du travail pouvait résulter de parties d'entreprises distinctes d'un même groupe de sociétés.

Conformément à la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 qui est applicable à tout transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'entreprise ou d'établissement et à la jurisprudence de la CJUE, la chambre sociale décide que l'article L. 1224-1 doit recevoir application même lorsque l'entité économique transférée ne correspond pas à l'entreprise employeur toute entière mais à une partie seulement de celle-ci (Soc., 19 février 1981, n°79-42.484, publié).

La chambre sociale a admis que puisse être qualifiée d'entité économique autonome l'entité issue du regroupement de services relevant d'entreprises distinctes appartenant à une même unité économique et sociale (Soc., 26 mai 2004, pourvoi n° 02-17.642).

Elle retient également que l’application de l’article L.1224-1 est indépendante des règles d’organisation ou de gestion d’un service (Soc., 10 octobre 2006, pourvoi n° 04-43.453, publié).

Pour mémoire, le Conseil d’Etat a jugé qu'une entité économique autonome pouvait résulter de deux parties d'entreprises distinctes d'un même groupe (CE, 4 et 1 ch. réunies, 28 octobre 2022, n°454355, Rec. Lebon).

Contrat de travail et convention collective

Obligation d’appliquer la convention collective mentionnée dans le contrat de travail

Soc., 5 juillet 2023, pourvoi n° 22-10.424, FS-B

Sommaire :

Aux termes de l’article 1134 alinéa 1er du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Si, dans les relations collectives de travail une seule convention collective est applicable, laquelle est déterminée par l’activité principale de l’entreprise, dans les relations individuelles, le salarié, à défaut de se prévaloir de cette convention, peut demander l’application de la convention collective mentionnée dans le contrat de travail.

Doit être cassé l’arrêt qui retient qu’en raison de l’activité principale de l’employeur, la convention collective nationale des journalistes du 1er novembre 1976 s’applique alors que la référence dans le contrat de travail à la convention collective des agences de presse valait reconnaissance de l’application de cette convention à l’égard du salarié.

 

Commentaire :

Le présent arrêt est une nouvelle illustration de la jurisprudence de la chambre selon laquelle, la mention d’une convention collective dans le contrat de travail vaut engagement de l’employeur à l’appliquer (Soc., 13 décembre 2000, pourvoi n° 98-43.542 ; Soc., 16 mai 2012, pourvoi n° 11-11.100, publié).

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