N°20 - Mai/Juillet 2023 (Action en justice)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Formation du contrat de travail / Exécution du contrat de travail / Rupture du contrat de travail / Représentation du personnel / Action en justice / QPC).

  • Travail
  • contrat de travail
  • contrat de travail à durée déterminée
  • contrat de travail, formation
  • contrat de travail, exécution
  • rémunération (salaires et accessoires)
  • travail réglementation, durée du travail
  • état de santé - accident et maladie non professionnelle
  • contrat de travail, rupture
  • cause réelle et sérieuse de licenciement - formalités
  • licenciement cause réelle et sérieuse faute grave...
  • licenciement disciplinaire (pour faute)
  • rupture négociée du contrat de travail (transaction et rupture d'un commun accord)
  • représentation des salariés
  • institutions représentatives du personnel (comité d'entreprise/délégué du personnel...)
  • statut des salariés protégés
  • preuve
  • prud'hommes

Droit à la preuve : étendue du contrôle du juge saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile

Soc.,1er juin 2023, pourvoi n° 22-13.238, FR-B

Sommaire :

Il résulte du point (4) de l'introduction du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD), que le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu et  doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité. Il ajoute que le présent règlement respecte tous les droits fondamentaux et observe les libertés et les principes reconnus par la Charte, consacrés par les traités, en particulier le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial.

Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé.

Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Il appartient dès lors au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination syndicale  alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée.

 

Commentaire :

Après un arrêt du 8 mars 2023 portant sur la compatibilité avec le règlement sur la protection générale des données d’une mesure d’instruction in futurum consistant à ordonner en référé à l’employeur de communiquer les bulletins de salaire d’un panel de salariés à une salariée qui se plaignait d’une inégalité de traitement entre hommes et femmes ( Soc., 8 mars 2023, pourvoi n° 21-12.492, publié), la chambre sociale apporte, par cet arrêt, de nouvelles précisions  lorsqu’elle est saisie d’un litige portant sur le droit à la preuve et sur l’application de l’article 145 du code de procédure civile.

Saisie une première fois dans l’affaire en cause, la chambre sociale a jugé, dans un arrêt publié du 16 décembre 2020 (Soc., 16 décembre 2020, pourvoi n° 19-17.637, publié), qu'il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé.

La chambre sociale a considéré qu'il résultait par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve pouvait justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

La chambre sociale en a déduit que viole ces dispositions la cour d'appel qui, après avoir constaté que les salariés justifiaient d'un motif légitime à établir avant tout procès la preuve des faits de discrimination dont ils s'estimaient victimes, les déboute de leur demande de production et communication de pièces sous astreinte, au motif que la mesure demandée excède par sa généralité les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile, sans vérifier quelles mesures étaient indispensables à la protection de leur droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée.

Statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel de renvoi a ordonné à la société de communiquer, en particulier, les bulletins de salaire de chacune des personnes embauchées sur le même site, la même année ou dans les deux années précédentes ou suivantes (de N-2 à N+2), dans la même catégorie professionnelle, au même niveau ou un niveau très proche de qualification/classification et de coefficient, que les salariés.

Le pourvoi formé contre cette dernière décision donne l’occasion à la chambre sociale, à la fois de rappeler les étapes du raisonnement des juges du fond lorsque, à l'occasion d'un référé in futurum, est invoqué au soutien de la mesure d'instruction sollicitée le droit à preuve et de préciser, pour chaque étape, la nature du contrôle qu'elle opère :

  • elle reprend, d'abord, la jurisprudence constante selon laquelle l'appréciation du motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige et celle du caractère nécessaire de la mesure sollicitée relèvent du pouvoir souverain des juges du fond ;
  • elle fait le choix, ensuite, d’exercer un contrôle léger de l'appréciation, par les juges du fond, du caractère indispensable et proportionné à l’exercice du droit à la preuve de l'atteinte portée par la mesure sollicitée au droit à la vie privée  des salariés concernés par cette mesure.

Compétence matérielle du conseil de prud’hommes en cas de mise en œuvre d’un pacte d’actionnaires prévoyant, en cas de licenciement d’un salarié, la cession immédiate de ses titres

Soc., 7 juin 2023, pourvoi n° 21-24.514, FS-B

Sommaire :

Si la juridiction prud'homale demeure incompétente pour statuer sur la validité d'un pacte d'actionnaires, elle est compétente pour connaître, fût-ce par voie d'exception, d'une demande en réparation du préjudice subi par un salarié au titre de la mise en œuvre d'un pacte d'actionnaires prévoyant en cas de licenciement d'un salarié la cession immédiate de ses actions.

Doit être cassé l'arrêt qui rejette la demande d'un salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait des conditions de la rupture du contrat de travail, au motif que la clause de rachat forcé d'actions n'est pas un accessoire du contrat de travail mais est insérée dans un pacte d'actionnaires distinct, dont l'examen de la validité relève exclusivement de la juridiction commerciale.

 

Commentaire :

Par la présente décision, la chambre sociale confirme la solution adoptée dans un arrêt en date du 9 juillet 2008, non publié sur ce point (Soc., 9 juillet 2008, pourvoi n° 06-45.800, publié), par lequel elle a admis la compétence du juge prud’homal pour statuer sur la demande en dommages-intérêts du salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait de son licenciement.

Elle applique cette solution à la présente affaire dans laquelle un salarié ayant pris acte de la rupture du contrat de travail et contestant les conditions de la cession forcée de ses actions, demandait réparation du préjudice résultant de la mise en œuvre du pacte d’actionnaires prévoyant en cas de départ de l’un d’entre eux pour quelque cause que ce soit, la cession immédiate de ses titres.

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