N°19 - Mars/Avril 2023 (Statuts particuliers)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Contrat de travail à durée déterminée / Durée du travail / Rupture du contrat de travail / Libertés fondamentales / Représentation du personnel / Statuts particuliers / Action en justice / QPC).

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Lettre de la chambre sociale

N°19 - Mars/Avril 2023 (Statuts particuliers)

Contrat de gérance de succursale de commerce de détail alimentaire : rupture pour déficit d’inventaire (deux arrêts)

Soc., 13 avril 2023, pourvoi n° 21-13.757, FS-B

Sommaire :

Lorsqu'il résulte des termes de la lettre de licenciement que l'employeur a reproché des fautes au salarié, le licenciement prononcé a un caractère disciplinaire, et les juges du fond doivent se prononcer sur le caractère fautif ou non du comportement du salarié.

Doit en conséquence être approuvé l'arrêt qui, pour dire sans cause réelle et sérieuse la rupture d'un contrat de gérance de succursale de commerce de détail alimentaire requalifié en contrat de travail, après avoir constaté que la société propriétaire de la succursale invoquait une faute du gérant démis de ses fonctions dès la notification du déficit d'inventaire, retient qu'il appartient à cette société de démontrer la faute grave commise par le gérant de nature à justifier la rupture des relations commerciales, et relève que la société ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par le gérant dans la gestion du fonds de commerce.

 

Soc., 13 avril 2023, pourvoi n° 21-21.275, FS-B

Sommaire :

Il résulte de l'article L. 7322-1 du code du travail que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants non salariés de succursales de commerce de détail alimentaire et que les articles L. 1231-1 et suivants du code du travail, relatifs à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, leur sont applicables.

Encourt la cassation en inversant la charge de la preuve, l'arrêt qui, pour dire que les cogérants d'une succursale de commerce de détail alimentaire ont commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier la rupture immédiate du contrat de cogérance, retient que la société démontre l'existence d'un manquant d'inventaire important, que les cogérants sont responsables de ces marchandises et doivent pouvoir les représenter, ce qu'ils n'ont pu faire, sans apporter la moindre explication crédible à ce manquant.

 

Commentaire :

La chambre sociale se prononce sur les règles de preuve applicables en matière de rupture pour déficit d’inventaire du contrat de gérance de succursale de commerce de détail alimentaire.

L'article 23 de l’accord collectif national du 18 juillet 1963 concernant les gérants non-salariés des maisons d'alimentation à succursales, supermarchés, hypermarchés rend le gérant responsable des marchandises qui lui sont confiées ou des espèces provenant de leur vente.

Néanmoins, la chambre sociale juge qu’il résulte de l'article L. 7322-1 du code du travail que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants non-salariés de succursales de commerce de détail alimentaire et que les articles L. 1231-1 et suivants du code du travail, relatifs à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, leur sont applicables (Soc., 27 mars 2013, pourvoi n° 12-12.892, Bull. 2013, V, n° 91). La chambre a d’ailleurs maintenu sur ce point la solution qui avait été initialement retenue s’agissant des dispositions du code du travail, antérieures à la recodification de 2008 (Soc., 28 octobre 1997, pourvoi n° 94-45.257, Bull. 1997, V, n° 351).

Il en résulte que si le gérant non salarié d'une succursale peut être rendu contractuellement responsable de l'existence d'un déficit d'inventaire en fin de contrat et tenu d'en rembourser le montant, il ne peut être privé, dès l'origine, par une clause du contrat, du bénéfice des règles protectrices relatives à la rupture des relations contractuelles (Soc., 28 octobre 1997, pourvoi n° 94-45.257, Bull. 1997, V, n° 351).

L’article 14 de l’accord précité du 18 juillet 1963 dispose que le gérant mandataire non salarié qui estimerait que son contrat de gérance a fait l'objet d'une rupture non fondée sur un motif réel et sérieux, ou qui conteste la faute qui lui est reprochée, a toujours la faculté de saisir les tribunaux compétents.

Il appartient donc au juge de déterminer si les faits visés par la lettre de rupture sont de nature à justifier celle-ci. A cet effet, le juge doit leur restituer leur exacte qualification.

1) Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu sous le numéro de pourvoi 21-13.757, le contrat de gérance avait été requalifié en contrat de travail.

La chambre sociale rappelle dans cet arrêt sa jurisprudence constante, selon laquelle les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent le cadre du débat. Lorsqu'il résulte des termes de cette lettre que l'employeur a reproché des fautes au salarié, le licenciement prononcé a un caractère disciplinaire, et les juges du fond doivent se prononcer sur le caractère fautif ou non du comportement du salarié. S’ils écartent l’existence d’une faute, le licenciement est nécessairement sans réelle et sérieuse.

En l’espèce, la cour d’appel a considéré que la rupture du contrat de gérance (s’analysant en un licenciement, en l’état de la requalification du contrat en contrat de travail) était survenue pour faute grave. Or, la charge de la preuve de la faute grave repose sur l’employeur.

Par conséquent, dès lors que la cour d’appel avait retenu que la société ne rapportait pas la preuve d'une faute commise par le gérant dans la gestion du fonds de commerce, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse. La chambre sociale a rejeté le moyen qui soutenait que le déficit d'inventaire constitue un motif réel et sérieux de rupture du contrat à moins que le gérant mandataire ne rapporte la preuve qu'il est dû à une cause étrangère à sa gestion.

2) Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu sous le numéro de pourvoi 21-21.275, le contrat de gérance n’avait pas fait l’objet d’une requalification en contrat de travail.

Cette circonstance ne change toutefois rien à l’appréciation par le juge du bien-fondé de la rupture du contrat de gérance, puisque les articles L. 1231-1 et suivants du code du travail, relatifs à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, sont applicables à la rupture du contrat de gérance.

En l’espèce, la cour d’appel, pour dire fondée la rupture du contrat prononcée pour faute grave, a retenu que la société démontrait l'existence d'un manquant d'inventaire important, sur lequel les gérants n’apportaient aucune explication crédible

Ce faisant, elle a inversé la charge de la preuve de la faute grave. La chambre sociale a donc cassé l’arrêt.

On observera que la chambre sociale a rendu le même jour, un arrêt Soc., 13 avril 2023 (Soc., 13 avril 2023, pourvoi n° 21-14.325, non publié). Dans cette affaire, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’une cour d’appel ayant jugé que la rupture du contrat de gérance s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors qu’elle avait omis d’examiner l’un des griefs énoncés dans la lettre de rupture. Cet arrêt s’appuie sur la jurisprudence constante selon laquelle il résulte de l’article L. 1232-6 du code du travail que les juges doivent examiner l'ensemble des griefs énoncés dans la lettre de licenciement. Si, en l’espèce, le contrat de gérance avait fait l’objet d’une requalification en contrat de travail, cette règle est également susceptible de s’appliquer en l’absence de requalification.

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